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Grande Bibliotheque Payot p Ferdinand de Saussure Coors de linguistique generate Publie par Charles Bailly et Albert Sechehaye avec la collaboration de Albert Riedlinger Edition critique preparee par Tullio de Mauro Postface de Louis-Jean Calvet Les notes et commentaires de Tullio de Muro (pages , a xvm et 319 a 495) ont ete traduits de l'italien par Louis-Jean Calvet. INTRODUCTION © 1967, pour les notes et commentaires de Tullio de Mauro, Laterza. © 1916, 1972, 1985, 1995, Editions Payot & Rivages, 106 bd Saint-Germain, Paris VI' Depuis Jes premieres annees du xvm- siecle, de generation en gen6ration, se succedent dans la vieille famille genevoise des Saussure des naturalistes, des physiciens, des geographes, Mener plus loin lea connaissances dans le domaine des sciences naturelles et des sciences exactes est une heredite famlliale, aeceptee avec un orguell conscient. Seule Albertine-Adrienne de Saussure, aux debuts du xrx• siecle, a'eloigne de cette habitude pour se toumer vers l'esthetique des lettr~ romantiques et des phllosophes idealistes allemands, ainsi que vera la pedagogie. Deux generations plus tard Ferdinand de Saussure fait un choix tout aussi inhabituel dans la famille (et un amide l'aleule patemelle, Adolphe Pictet, initiateur des etudes de paleontologte linguistiques et patriarche de la culture genevoise au milieu du xix• y a certainement une part notable). A dix-neuf ans, apres avoir etudie durant deux semestres la cbimie, Ia physique et les sciences naturelles a l'universite de Geneve, le Jeune Saussure reprend decid6ment Ies etudes litteraires et en particuller les etudes linguistiques, deja amoreees dans son adolescence, et il se rend pour ce faire en Allemagne, a Leipzig et a Berlin, capitales mondiales des etudes philologiques a cette epoque, Le refus de la tradition familiale conceme cependant le contenu des recherches. La forma mtnlis scientUlque, beritee du p~ familial a travers l'enseignement direct du pere, foumit les traits les plus typlques de sa personnallte intellectuelle et de son eeuvre : le refus de toute mystification, de toute fausse clarte ; la parclmonie gallleenne da111 l'introduction de neologismes techniques (ll leur prefere Ia vole de la definition stipulatlve qul redetermine et discipline techniquement l'uaage des mots courants); la disposition a remettre en jeu les theses et lea demonstrations les pJua cheres sous l'impulsion de nouvelles considerations ; l'attention accordee aussi bien aux faits partlcullen qu'll leur concatenation systematique. A la fin de son Autobiographie, D INTRODUCTION Darwin depeint le comportement sclentiflque comme une combinaison bien dosee de scepticisme et d'imagination conflante : cbaque these, meme la plus admise, est consideree comme hypothese, et cbaque bypothese, meme la plus etrange, est conslderee comme une these possible, susceptible d'etre veriflee et developpee. Ferdinand de Saussure a Incarne ce comportement en linguistique. C'est peut-etre justement la tendance Innee a la recherche poussee aux limites du connu qui le mene hors des domaines dans lesquels avaient evolue ses aleux, vers une discipline encore in fieri, ce qu'etait encore a cette epoque la linguistique. Dans la sphere de ces etudes, !'affirmation du jeune homme est prodigieusement rapide. II a vingt ans lorsqu'il concott, vingt et un lorsqu'il redige ce qu'on a considere comme c le plus beau livre de linguistique historique qui ait Jamais ete ecrit •, le M~moire sur les uoyelles; ii a vingt-deux ans lorsque, Juste avant d'obtenir son dlplome, ii s'entend demander avec bienveillance par un docte professeur de l'universlte de Leipzig s'il est par hasard parent du grand linguiste suisse Ferdinand de Saussure ; ii n'a pas encore vingt-quatre ans lorsque, apres un semestre d'etudes il la Sorbonne on ii etait alle perfectionner sa formation, ii se voit confler l'enseignement de la grammaire comparee dans la msme faculte et, par la, se charge d'inaugurer la nouvelle discipline dans les untverlites francaises. II est comprehensible que succede aux debuts precoces et inten.ses une longue pause de recueillement. Mais la pause se prolonge avec les annees : les travaux de Saussure soot toujours des c pieces de musee • {comme le dira plus ta.rd Jakob Wackemagel), mais soot toujoun plus redults et plus rares. En 1894, trois ans apres son retour a Geneve, l'organisation du congres des orientalistes et la participation a cette manifestation par un memoire de grande importance dans l'histoire des eludes baltes soot les dernieres manifestations publiques tmportantes de son talent. II s'enferme ensuite dans des recherches dont ii llvre parfois quelques mots a ses amis ; mais ii observe un silence presque complet devant le public scientiflque international. En 1913, juste apres sa mort, un eleve et ami genevois ecrit de lul qu'il avait c vecu en solitaire •· L'image du solitaire se justifle certalnement par son isolement croissant, par son silence scientiflque prolongs, par certains traits de sa vie privee, par la tristesse qui voile lei demieres rencontres avec ses eleves et les lettres. Et pourtant, meme en termes strictement biographiques, ce serait une erreur que de n'accorder d'importance qu'a la constatatlon de sa 10litude. 11 eut effectivement peu d'amis : mais e'etaient Michel Breal, Gaston Paris et Wilhem Streitberg, grands noms des etudes Jinguistiqµes et philologiques des deux pays alors a l'avant-garde en c:es domaines, I' Allemagne et la France. Et si ses salles de cours, l Paris et l Geneve, pouvaient parattre et etaieni l moitie vides, la INTRODUCTION III liste de ses eleves, recemment reconstttuee avec une patience meritoire, montre que beaucoup d'entre eux ont ete ceux quivers la fin du xix• slecle et au debut du slecle suivant ont constttue les cadres moyens, le chatnon vital de l'universite fran~ise et suisse romande. Plus encore : ceux qui ont guide la linguistique modeme se sont formes il J'enseignement de Saussure : Paul Passy qui, parmi I.es premiers, elabora une vision fonctionnelle des phenomenes phonettques ; Maurice Grammont, un mattre de la phonettque du xx• sleele, parml les premiers a proposer une interpretation systematlque des changementa diacbroniques ; Antoine Meillet, qu'un, grand philologue comme Giorgio Pasquali conslderait comme c le lin~iste le pl~s genial du xx• sleele • chef inconteste de l'ecole trancatse de lingmstique historique, se disttnguant par l'elaboratlon et la verification d'une interpretation sociologique de l'histoire linguistlque ; Charles Bally, qui a amene a un niveau scientiflque les recherches de stylistique des langues ; Albert Sechehaye, qui entrouvrit le fertile champ de recherche a l'intersectlon de la psychologie et de la linguistlque ; Serge Karcevskij, qui appliqua au domaine slave la vision dynamique du mecantsme Jinguistique elaboree par Saussure, et qui, a Moscou en 1915, a Prague dans les annees vingt, co-auteur des Theses redigees par les linguistes moscovites fondateurs de l'ecole de Prague, a transmis les idees du maltre genevois a Trubeckoj, a. Jakobson, et meme a plusieurs des llnguistes suisses plus jeunes. 11 y a la trop de personnalites exceptionnelles pour penser a un pnr hasard, pour ne pas y voir le resultat d'une profonde vocation pour }'education a la recherche, le signe d'une volonte de se perpetuer dans les eleves et de vaincre, par ce moyen, le sens de l'isolement. Le contraste entre isolement et participation ne domine pas seulement la vie prlvee le destin humain de Saussure. Nous le retrouvons l un niveau plus profond dans ses rapports avec la linguistique et la pensee de son temps et du nOtre. Les themes et instances de recherches que nous eonstderons aujourd'hul comme typiquement saussuriens circulent dans toute la cult~re de la deuxleme moitie du xrx- siecle. L'instance d'une grammaire descriptive, statique, est ressentie par Spitzer, aecentuee par Whitney, Brugmann et Osthoff, Ettmayer, Gabelentz, Marty; la necessite d'etudier les phenomenes pboniques en rapport avec leur fonctlon signiflcative est soutenue par une vaste troupe de savants, Dufri~e, Winteler, Passy, Sweet, Baudouin, Kruszewski, Noreen; Frege diatingue entre sens (Bedeutung) et signifle (SiM); Svedelius preconise une c algebre de la langue » ; Noreen distingue entre etude substantielle et etude formelle des contenus semanttques et des aspects phoniques ; Whitney, Steinthal, Paul, Finck insistent sur l'~spect social des faits Jinguistiques et, avec beaucoup de neogrammairiens. IV INTRODUCTION sur la necessite de considerer la langue dans son contexte social ; Steinthal, sur Jes traces de Humboldt, propose a nouveau la vision globale des faits linguistiques. On pourrait continuer, en evoquant Jes reflexions de Schuchardt, qui afflnaient la senslbilite a l'aspeet concret individuel de I'expression, les neogrammatrlens et Ia geolinguistique, qui soulignaient difleremment I'aspect accidentel des changements linguistiques, Peirce et Marty qui sentaient l'urgence d'une·science generale des signes, et encore Peirce, Marty, Mach et Dewey qui commencerent la reevaluation des moments abstraits de l'experience humaine. II n'est pas toujours possible de dire si ces savants connaissaient les Idees de Saussure et si Saussure connaissait les leurs. Mais meme si l'on devait toujours repondre negatlvement, ii resterait cependant vrai que, dans l'ensemble, Saussure a vecu dans un rapport de profonde harmonie, d'echange mutuel avec son temps. On sail d'autre part combien la linguistique, la semiologie, l'anthropologie de notre temps doivent a Saussure. Des concepts et des themes contenus dans le Cours de linguistique generale ont ete utilises au centre de differentes directions de recherche. Se reclament en effet du Cours la sociolinguistique avec Meillet et Sommerfelt, la stylistique genevoise avec Bally, la linguistique psychologique avec Sechehaye, les fonctionnalistes comme Frei et Martinet, les institutionnalistes italiens comme Devoto et Nencioni, les phonologues et structuralistes pragois comme Karcevskij, Trubeckoj et Jakobson, la linguistique mathematique avec Mandelbrot et Herdan, la semantique avec Ullmann, Prieto, Trier, Lyons, la psycholinguistique avec Bresson et Osgood, les historicistes comme Pagliaro et Coseriu; et encore Bloomfield (rnais pas ses disciples), Hjelmslev et son ecole glossematique, Chomsky (plus que ses partisans). II suffit du reste de .regarder Ia Uste des mots qui apparurent pour la premiere fois dans le Cours ou qui y reeurent une sanction definitive dans une acception determlnee et demeuree ensuite valide : synchronie, diachronie, idiosynchronique, panchronie, panehronique, etc.; langue, langage, parole; signe, signi{i.ant, signifi.e; unite linguistique; syn­ tagme, syntagmatique; execution, conscience llnguistique; phon~me, pho­ nologie; substance et forme linguistique; economie linguistique, r,aleur linguistique; code, circuit de la parole, modele; etat de langue, statique, umiologie, semiologique, seme; opposition, oppositif, relatif, difleren­ tiel; chatne, peut-etre structure, certainement systeme. Rares sont lea mots clef de la linguistique contemporaine qui, communs a plusieurs directions de recherches, n'ont pas leur source dans le Coun de linguistique generate. Et cependant, malgre toutes ces attaches, la persennalite de Saussure ne cesse de se detacher, originale, sur le fond de son epoque, Le fait est que seule la matlere de ses reflexions Jui a ete foumie par INTRODUCTION v son epoque ; mats la fonne ultime de la conception est originellement l lul. Parvenir il cette fonne a ete le probleme central de sa biographie sclentiflque et intellectuelle, le terme de trente annees de recherches insatisfaites. II l'atteint dans Jes dernleres annees de sa vie, et n en trace lea contours dans Jes ouvertures, lea conclusions, lea momenta princlpaux du second et du trolsteme coun de linguistique generale (1908-1909, 1910-1911) a Geneve. Les recents travaux de R. Godel et R. Engler nous permettent de la saisir. On ne peut cependant pas en dire autant du Cours de linguistique gemrale. Comme chacun salt, le texte de l'eeuvre a ete elabore par Bally et Sechehaye en fondant en une redaction se posant comme unitaire Jes notes prises par les 6leves durant les trois cours de linguistique gen6rale tenus par Saussure et les rares notes autographes retrouvees dans sea papiers apres sa mort. Les fragments de la pensee saussurienne (mis il part quelques rares malentendus) sont en general heureusement compris et fldelement reportes, Le Cours est done la somme la plus complete de la doctrine saussurienne, et ii est probablement destine il le rester. Notre dette envers Bally et Sechehaye est done grande et evidente, Mais ce serait trahir ce qu'ils ont accompli pour diffuser les theories du mattre que de cacher que le Cours ftdele dans sareproduction de certains elements de la doctrine linguisti;.ue de Saussure, ne l'est pas autant dans sa reproduction de leur agencement. Et l'ordre,comme le soulignait Saussure Iui-meme, est essentiel dans la theone de la langue, peut-etre plus que dans toute autre theorte, L'eeuvre de Bally et de Sechehaye n'est aujourd'hui vraiment contmuee que par celui qui contribue •a comprendre et a faire comprendre que, consciemment ou pas, une bonne partie de la linguistique du xxe siecle a oeuvre afin que, pardela la redaction du Cours, l'enseignement de Saussure soit retrouv6 dans sa forme la plus authentique, et qu'ainsl ii vole de nouvelles perspectives s'ouvrir devant lul. Le point de depart des reflexions de Saussure est la conscience aigu! de l'individualite absolue, unique, de chaque acte expressif, eet acte qu'U appelle parole. II invite ses eleves a preter attention a un indivldu qui est en train de parler et qui s'exclame par exemple : c La guerre, je vous dis, la guerrel ~ Nous constatons sp_ontanement que l'orateur a repete deux fo1s le meme mot, a dit deux fois guerre. Cela est vrai, mais n'est vral que dans un certain sens. Si nous nous tnteressons au contenu c psychologique • (pour utiliser le tenne meme de Saussure) effectif et concret que guerre communique chaque fois, ou bien a l'acte phonatoire concret par lequel guerre est chaque fois realise, nous nous trouvons a chaque fois devant quelque chose de different. Qui, en disant guerre, aura en tete les fanfares, les defiles glorieux, Jes drapeaux claquant au VI INTRODUCTION vent ; qui un frere mort ou une malson d6trulte ; von Clausewill pensera au prolongement de la politlque par d'autrea moyens, et le soldat Schwelk pensera I\ des mots que, par d6cence, nous ne pouvons transcrlre lei. Mals Saussure veut dlre que jusqu'I\ la msme penonne, et Jusque dans le meme discours, sl I'on repete deux fols le msme mot on communiquera deux choses diff6rentes la premiere et la seconde fois : • La guerre, Je vous dis, la guerrel • Et la prononclation concrete ne sera pas molns ditMrente d'une fois I\ l'autre, Jusque, on peut l'afflrmer avec certitude, chez la meme personne. Les tests d'analyse psychologique et d'associatlon d'une part, les instruments d'analyses electroacoustiques et electromiographiques toujours plus raffln6s d'autre part, nous donnent aujourd'hui une confirmation lnstrumentale de ce que Saussure afflrmait sur des bases pour ainsi dire artlsanales. Le meme mot, repet6 dans le discours d'une meme personne, a, d'un moment A l'autre, une execution diff6rente: si on ne fait vraiment abstraction d'aucun detall, le sens precls, dans sa r6alit6 concrete, apparalt d'une manifestation il l'autre comme form6 d'associatlons et de ~sonances emotlves diff6rentes; et la phonie reelle, elle aussi, si on la consldere dans son Integrite effective, a des inflexions et des nuances chaque fois differentes. Seul Croce a lnstste avec autant de force sur le caractere individuel, unique de l'acte expressif partlculier. Mais ce qui est pour Croce un point d'arrivee est pour Saussure le point de depart. S'il est vrai que guerre varie d'un cas ii. l'autre, ii est 6galement vrai que nous disons que guerre varie parce qu'il a, dans d'autres contextes, des nuances de sens diff6rentes. Pour afflrmer cela, ii est clair que nous devons avoir un ubi consistam, un point ferme qui ne varle pas et qui nous permette de dire que quelque chose varle et est · different. Mais, laissant de cC,te ces considerations, regardant non pas notre Iaeon d'utiliser, mals notre tacon d'apprecler la langue que nous utilisons, c'est justement dans le discours concret que, comme locuteurs et auditeurs, nous reconnaissons d'une occurrence A l'autre les diflerentes repetitions de guerre preclsement comme des repetitions, autrement dit comme variations d'une certaine chose qui, pour varier, doit bien rester identique d'un quelconque point de vue. Ce point de vue n'est pas et ne peut pas etre celui de la substance psychologique ou phonique dont sont faits les actes de parole. De ce point de vue, Jes actes de parole sont, nous l'avons vu, irrevocablement differents Jes uns des autres. Done, le point de vue qui permet I'Identiflcation n'est pas celul de I'execution, II dolt etre cherche non pas dans ce que Jes locuteurs 1: font • mais dans ce que Jes Iocuteurs • savent •, c'est-a-dire ii I'Interieur meme de leur savoir : Jes locuteurs savent que Jes deux, et meme Jes innombrables repetitions de guerre sont, au-dela de toute variation' de sens et de phonle, Jes repliques d'une msme entite, INTRODUCTION VII La ~rle lnd6ftn!e des dlff6rents prodults phonlques et la ~rle tout aussl ind6ftnle des dlfferents sens constituent deux ~rles que l'on peut dlre continues (" continues • dans l'acception mathemattque, en ce sens que 6tant donnes deux phonies ou deux sens extdmement rapproch61, nest touJours possible de trouver une phonie ou un sens tntermedlalre). Dans ces s6rles continues, les locuteurs font divers regroupements, se r6f6rant ii. des llmltes ii. I'Interteur desquelles des ph6nomenes psychologlquement ou phonlquement diff6rents sont identlft6s sur la base de leur Identlte de fonction : les phonies d'un certain groupe sont phonlquement diff6rentes mats peuoen: toutes transmettre un meme sens particulier; les sens d'un certain groupe sont psychologlquement differents mals peuoeni tous @tre transmis par une m@me phonle particullere. L'ensemble des llmites entre les differents re~upements est la langue. Elle est done un ensemble de limites, d articulations qui rendent discontinue la ma~ d~ realisations phoniquea et la masse des sens. GrAce ii. la langue, 1 auditeur ramene une realisation phonique particuliere ii. l'une ou l'autre des classes de realisations phonlques et une signification partleuliere ii. l'uue ou l'autre des classes de significations. Pour mieux marquer la difference entre les deux points de vue, celul de la parole, de l'executlon, et celul de la langue, du savolr, Saussure introduit une discrimination termlnologtque: n reserve sens (ou signification) et phonation A la subs.tance dont est falte la parole et, apres blen des hesitations, prop~se signifianl et ,ignifie pour designer les classes de sens et de ptionaiions. Les classes que Saussure appelle signifianls et signifies sont, comme nous n'avons aujourd'hui aucune difflculte a le dire, des classes • abstraites • ; et Jorsque, entendant une certaine phonle dans une certaine situation partlcullere, nous ramenons phonation et sens a une certaine union de signiflant et de slgnifle, par exemple ii. guerre, nous accomplissons une operation de classification par abstraction. D'autre part Jorsque nous nous exprimons, nous ne realisons pas seulement une unio~ de signification et de phonie qui se situe statiquement dans la classe constituee par l'unlon d'une classe signiflante et d'une classe stgniftee. Nous realisons egalement une union de signification et de phonie qui constitue, dynamlquement, une actualisation d'une classe ( on d'une union de classes) existantenpuissance e dans lecerveau • (comme aime A Je dire Saussure). La designation des rapports entre langue et parole du cote de Ia realisation, active, est faite p~ Sauss~re en adoptant Jes vieux termes scolastiques de puissance et d acte, ?1a1s. i~ Jui est plus difficile de designer Jes msmes rapports du cote de l audition. Lafaclliteaveclaquelle,au deuxieme tlers du xx• slecle, nous pouvons adopter des termes comme absirait, abstraction est, comme n~us le verrons, inconnue a la fin du siecle dernier, alors que, dans le sillage de Kant cent ans de pensee philosophique avaient couvert ces deux termes de valeurs negatives, au point qu'abstrait et abstraction signl- VIII INTRODUCTION ftaient unanlmement • lailH de c6W •, ou lndtlment et fauuement ~dec6tL C'est pourquol Saussure, satalssant pourtant et d~flnl11a11t parfaitemeot le caractere abstralt des entlt6s llngutstlques, est contralnt d'6vtter I'usage d'abstrait, expo~ A des malenteodua 1nd6slrables. D flnlt atnsl par parler d'entlt6s p,ychiquu (terme qu'U dlstlngue 10lgneusement de psychologique), ou bien A se toumer vers un autre eouple scolastique : ,ubstaru:e et forme. La parole, union d'une ph~ Die concrete et d'un sens concret, est ,ubstance, tandls que ce qu1 l'actualise dans la parole et qui sert A classer Ia parole, c'est-A-d!re rensemble des signiftants et des slgnifl6s, la Iangue, est nomm6 et d6flni par Saussure comme forme. La constitution des classes abstraltes ou formelles que Sau11me appelle signiftants et signift6s ne depend d'aucun motif lntrtn~que l Ia substance pbonlque ou psychologique. Par exemple, ['mite) et ('ml:te) sont class6s en italien comme des manifestations diff6rentes d'une meme enute signiftante, entlte que nous pouvons symbollser par /mite/, tandts qu'lls sont classes en allemand comme des manlfes-tatlons diff6rentes de deux entttes diff6rentes, que nous pouvons symbollser dans la graphte allemande courante par Mitte • centre • et Miete • loyer • ou bien par /mite/ et /mi:te/. La meme diff6rence au Diveau de la substance est tgnoree dans une langue, elle est utill~e dana une autre pour constituer deux classes formelles diff6rentes. Les classes formelles ne dependent done pas mecanlquement, de fa~n d6termin6e, des caracteres physiques de la substance. II se produit la meme chose pour Jes significations et Jes stgnifi6s. La deslgnatlon d'une Jeune creature de sexe f6minin et Ia designatlon d'une Jeune cr6ature de sexe masculin sont ramenees A un msme signlft6 en allemand (• Kind •), en grec (• teknon •) ou en napolitain (• criatura •), alors qu'elles sont rattachees A deux signifl6s diff6rents en Iatin (• puella •et• puer •), en romain (e pupa s et e pupo •) et en italien ( • bambino • et • bambina • ). En somme, Jes distinctions que signiftants et signifi6s introduisent dans Jes reallsations pboniques et Jes significations sont iruUpen­ dantu des earactertsttques Intrinseques de la substance phonique et psychologique. C'est-a-dire qu'elles sont a r bit r air es. II n'y a pas A leur origine la dependance mecanlque des caracteres pre6nguistiques de la substance phonique, des caracteres du monde objectif ou encore de notre fa~n de le percevoir, mats ii y a au contralre la eapacite (innee dans le cerveau de tout bomme) de discriminer librement et d'associer librement en classes Jes actes et Jes donnees de mn experience, et de coordonner diff6remment Jes classes atnsi form.6es. Avec quelques osciJlations, Saussure tend A appeler signe toute onion d'un slgnifiant et d'un signlft6, depuis Ies umtes minimums (que Frei a ensuite appelees mommes :aim­,­ont, part­i­er, etc.}Jusqu'aux INTRODUCTION IX llnit6s complexes, que Saussure appelle ,ynragme, (ehlen; II parle; par ici s'il oous platt; ee soir, la lune rloe aoec plus de pare,se, ete.), n peut done dire que le slgne, en tant que coti'stitu6 par l'unlon de deu classes abstraltes rormees arbltralrement, est radicalement arbitraire. Saussure volt dans l'arbltraire du slgne le princlpe fondamental de toute la realit6 Ungulstique. Cet arbitraire loumit un principe de elassification des systemes s6miologiques (rites, coutumes, codes de eommunication, langages de toutes sortes) selon Ieur degre plus ou molns 6leve d'arbltralre. En second Ueu, l'arbltraire permet au Iangage verbal de se realiser selon l'autre principe, celui de la lln6arit6 : s1 Ies llgnes llngulstiques n'etalent pas arbit.ralrea tant du point de vue ~mantique que du point de we du slgnifiant, Us ne pourraient pas codifier (comme lls codiftent en effet) en une succession llnealre des situations, 11 purports , (Hjelmslev), qui se presentent de fa~on unitaire A la memotre, A la perception, A Ia connaissance des sujets parlants. L'organisation de la langue provtent avant tout du crolsement des deux princlpes. L'arbltraire est A l'origtne du caractere oppositlf dea entit6s slgnlflantes et signift6es: celles-ci, n'ayant pas une base absolue, sont ce qu'elles sont parce qu'elles sont d6limlt6es par Jes autres entit6s avec lesquelles elles coexistent. La lln6arit6 est au contraire A foriglne du caractere syntagmatique des entit6s: celles-cl, dans Ia mesure ou elles se d6roulent lin6airement, le long de l'axe des succeslion~ peuvent se d6composer en segments s6mantlco-signiflants de moindre extension. Opposltivit6 et syntagmaticit6 sont la double raclne de ce que Saussure appelait I' • 6quilibre • et que les 6diteU1'8, auivts ensulte par Martinet, ont appel6 I' • 6conomie , de la langue. La langue est, et peut 8tre consider6e comme, plus que }'ensemble de tous Jes signes, !'ensemble de tous les signes possibles. C'est-1\-dire qu'elle est constitu6e des segments signiftants et signlft6s les plus petits (Jes unites concr~tu de Saussure, Jes mon~mu de Frei et de Martinet) et des scMmas fondamentaux (que Saussure appelle • abstraits ,) de leUl'I combinaisons possibles. Autrement dit : Ia langue est le systeme des structures. possibles de signes minimums. Saussure instate avec force sur le caractere potentiel, sur Ia « productlvtt6 , et, comme ii dit, aur la • creativit6 • de la langue : le fait qu'une comblnaison syntagmatique d6termin6e existe a une importance nettement moindre que le fail qu'elle pulsse exister. La modalit6 de production de nouveaux signes complexes est l'analogie, qui est Ia force creative de la langue. Le caractere • syst6mique • de la langue impose A la llnguistlque one attitude • syst6matique • : m@me s'll s'agit de d6crire une unite minimum, car la d6crire impllque qu'on en d6termlne la oaleur, 11 est D6cessaire de la voir dans toutes ses associations oppositives possibles (que nous appelons aujourd'hui paradlgmatlques) et dans toutes ses po111bilit6s de comblnaison syntagmatique. Autrement dlt. meme sl x INTRODUCTION l'objectif de l'etude n'est pas directement Je systeme mats n'en est qu'une partle, msme mlnlme, ii faut toujours, sl l'on veut que l'etude soft complete, considerer la partie en rapport l cette totallte qui lul donne sa valeur, ou blen en rapport a tout le systeme linguistlque. Le caractere systemlque de la langue Impose egalement que la linguistique developpe ses recherches avant tout sur le plan 00 coexistent les differentes unites et structures possibles, c'est-1\-dire sur le plan de la contemporaneite et de la coexistence fonctionneJJe : ce plan est appele par Saussure synchronique ou, plus exactement idiosynchronique. L'etude idiosynchronique n'exclut pas, dans 1~ intentions de Saussure, l'etude diachronique, c'est-A-dlre l'etude de l'evolutlon d'un systeme et d'une de ses parties I\ travers le temps pas plus qu'elle n'exclut la comparaison de systemes et de parties de 'systemes _genetiquement apparentes, dans laquelle la linguistique du xxx• slecle plaealt tout le travail du linguiste. Saussure donne le primat A I'etude ldiosynchronique, mais (A la difference de ce que faisait la linguistique du xrxs stecle pour la comparaison) u ne Jui donne pas le monopole des recherches linguistiques. Et la raison de ce primat est simple: ce n'est que sur la base idiosynchronlque que nous pouvons prouver la legitimite des confrontations entre unites lin~istiques appartenant A des systemes linguistiques differents. Ce pomt est extremement delicat pour deux motifs : parce que, du point de vue biographique, c'est certainement IA le theme ~es pre_mieres reflexions de Saussure en matiere de « philosophle de la ltngulstlque • ; et parce que deux des Interpretes les plus penetrants de Saussure, Mario Lucidi et Robert Godel lndependamment l'un de l'au,tr~, ont sout~nu que la conception sa~ssurienne du systeme et de l id1osynchrome enfermait la linguistique « dans un cercle • (Godel SM 221) et compromettait la posslbilite de comparaison dlachronique (!'ucidi, ecnt Inedlt cite In De Mauro 1966, 130-131). A Jeur suite, l auteur de ces llgnes s' est pennis de dire que cette eoncepti.o~ portait en elle, entre autres ecnsequenees, celle de l'impossibihte de communiquer. Et, A dire vrai, les deux savants et celui qui les a rejoints av~ent raison dans la mesure ot'.t Us ne voyaient pas que Saussure av~t elabo~e avec solo la distinction entre sens et signlfle, entre phonation et s1gniftant, e'est-a-dlre entre execution ou parole et systeme ou langue. Cette distinction, sur laquelle nous avons instate des le debut de cette introduction et sur laquelle Saussure lui-meme a plusieurs fois arrete ses reflexions, aussi incroyable que cela pulsse Parattre apres coup, n'a pas ete saisie dans toute sa portee Jusqu'A on bref et important article de A. Burger que beaucoup :re a~Jo~·~u1, n'ont pas remarque : quelques pages s~ 00 tngmfication, signifil et valeur qui, en desaeeord apparent avec ce que Godel avait decrit dans SM, en realite parfaitement l INTRODUCTION XI l'unisson avec le reste des interpretations que Godel avait elahore, ent mis toute l'exegese de la pensee saussurienne sur son veritable axe et ouvert des perspectives theoriques de la plus grande importance. GrAce a la distinction entre signification et signifte, phonatlon et ligniflant, Saussure est en mesure d'elaborer une notion de systeme et d'idiosynchronie qui se trouve a l'abri des consequences absurdes qui la frapperaient sans cette distinction ( et la frap pent aux yeux de eeux qui ne recuperent pas cette distinction dans toute sa portee), En outre, cette distinction foumit une base A l'etude diachronique. Au nom de quelle legitimlte confrontons-nous comme genetlquement apparentees des unites linguistiques appartenant a des systemes linguistiques differents ? Non pas sur la base de leur Identite phonatoire (sans quoi nous .ne pourrions pas expliquer pourquot nous controntons, comme termes d'une succession continue, le latin calidum. et le trancats I Jo I, chaud, qui ne presentent aucune resseml>lance phonique, et pourquoi, a l'inverse,nousneconsideronspascomme placees sur une meme Iigne continue de developpement deux phrases eomme le latin I VITELLI DEi ROMANI SONO BELLI, c va, 0 Vitellius, au son de guerre du dieu romain •, et la phrase italienne homographe 1) ; ni sur la base de leur identite de sens (auquel as nous devrions considerer l'italien spada comme un developpement de gladium et nous ne pourrions pas considerer l'italien cattivo, • mechant •, comme developpement du latin captious, « prisonnier •) ; ni sur la base de la simllarite contemporaine de sens et de phonie : dans ee cas nous devrions considerer comme genetlquement apparentes (mais nous nous en gardens bien) l'allemand Feuer • feu • et le fran~ais feu, l'anglais bad« mechant • et le persan bad « mechant •· En fin, la valeur elle-meme n'est pas non plus une base sufflsante: deux tennes, dans Ja mesure on ils appartiennent a des systemes differents, ont une 'ftleur Irremediablement differente (Lucidi avait parfaitement raison de le souligner). Chomsky et Halle ont done raison de parler de • the still puzzling phenomenon of language change • : le changement llnguistique est en effet un pMnomene encore enlgmattque. pour les llnguistes etrangers a la pensee saussurienne. Enigmatique au point que nous ne parvenons meme pas a Justifier la base sur laquelle nous constatons un changement. Le probleme est pour Saussure, au tenne de ses meditations, relativement simple. La fonnule par laquelle ii le resout est la suivante : ane serle d' ~quations tdiosynchroniques entre significations divergent es et phonies divergentes, mais qui cependant, dans chaque etat de langue ot'.t elles coexistent, sont des variantes du meme signlfle et du meme signiflant, lie, d'un ~tat de langue A l'autre, les points extremes 1. La phrase ltallenne homograpbe, I Ditelll del romanl ,ono klll, algnlfle • Jes veaux des Romaina aorit beaux • (Note d11 trad11cteur). XII INTRODUCTION d'une serle dlachronique (calidum et chawf) ou d'une serle comparative (latin natus et vieil-indien jatds). C'est en se fondant sur ces ~uations que le linguiste comparatiste pouvait et peut etonner le profane en Jui expliquant, par exemple, que l'allemand Tiir est I Ia meme chose • que l'italien [uori, zebn est • la msme chose • que , tli%. On volt done que la conception saussurlenne de Ia langue comme systeme ldiosynchronique, avec la distinction entre execution et systeme, non seulement ne nient pas mais corroborent a_u contraire de la taeon la plus rigoureuse l'etude diachronique. 11 vaut Ia peine d'ajouter que cette meme conception clarifle, comme nous aurons en partie I'occasion de le voir, d'autres problemes, tel que celui de la communication entre deux individus ou celui ( qui est une variante plus eompliquee du precedent) de la traduction d'une langue vers l'autre. Mais Saussure ne s'est pas arrete sur ces deux problemes qui ont retenu l'attention A une epoque plus recente : ii a pourtant roumt, l notre avis, la clef pour les resoudre de la meilleure des tacons, De l'arbitraire decoulent deux autres caracteres antithettques de la langue. Avant tout, sa mutabllite au cours du temps. Les signlftants, les- signifies et leur organisation en systeme etant libres de liens rlgides qui Jes relient a la realite logique ou naturelle etc., la langue est sujette aux changements les plus profonds, Jes plus imprevisibles, Jes moins • logiques • et les moins « naturels ». II arrive ainsi que de lointaines traditions linguistiques puissent se mettre a converger, ou bien qu'une meme tradition linguistique puisse se scinder en ldiomes profondement divergents. Les Iangues n'ont devant elles d'autres limites que celles, uniquement et vraiment universelles (universelles, bien sur, pour I'espece humaine), de la structure de l'appareil · perceptif et conscient de l'homme et de son appareil phonatoire et acoustique : a\ l'Interieur de celles-ci, les possibllites de regrouper en llgniftants et en signifies l'inflnie serte des differentes phonies et des differents sens soot inflnies. L'arbitralre est par ailleurs, en dernlere analyse, ee qui amortit les leCOusses provoquees par les changements possibles des phonies et des llgniftcations. Les phonies et les significations representent Jes signlflants et les signifies d'une langue, les realisent, mats ne les epuisent pas. Elles peuvent done osciller meme eonstderablement, et de falt elles osclllent eonslderablement (on se souvfent de la diversite des sens et des phonies qu'a la phrase« la guerre, Je vous dis, la guerrel •) sans que change le systeme des limites. L'arbltralre est done tout autant la condition et le coefficient du changement que de la stabillte des systernea lfngufstiques. Enfln, grAce A l'analyse penetrante de Saussure, de l'arbitralre decoule une consequence : l'aspect radfcalement social de la langue, Puisque lea sfgnes, dans leur differenclatfon reclproque et dans leur INTRODUCTION XIII organisation en systeme, ne ripondent l aucune exigence natarelle qui leur seraft exteme, la seule base vallde de leur configuration particullere dans telle ou telle langue est le consensus IOclal. Certel le consensus social a une part m@me dans lea conceptions conventlonnallstes, d' Arlstote l Whitney : mala ll trouve sa limlte dah1 le falt que la langue, eoneue comme une nomenclature, englobe comme partie essentfelle des • stgnlfles • qui coincident avec lea • chosea , et 10nt done des falts priconstftues. C'est-l-dfre que le consensu IOClal n'a les mains llbres que pour organiser lea stgntflants : mala le monde des stgnlfles s'impose l la convention comme une rialltA! qui lul p~ste. Dans la conception sauuurlenne de la riallt~ llngulatfque, l'organtsatfon des sfgntflcatfons en slgntftes n'~tant pu motna arbttrafre que celle des phonies en sfgnlftants, le consensus IOClal est tout. L'usage qu'une 10clet~ falt de la langue est la condition pour que la langue solt oiable. Seul Wittgenstein, et seulement quarante ans plus tard, a atteint avec une semblable clart6 la Vlaion du caractere radicalement IOClal de la langue. • Le systeme de llgnes eat falt pour la collectlviU, comme le vaiueau est faft pour la mer •, dfsaft Saussure Ion d'une l~n du second coon avec ane image qui n'est pas passee dans le texte de la vulgate; une de cea nombreuses images suggestfvea avec lesquelld, comme Witt· 1enste1n pNCisement, ll cherchaft l fixer, en lul donnant un corps eensible, one pensee dont nous mesuron1 aujourd'hul la profonde nouveauW hfstorique. Tout comme l'arbttralre, le lien social est facteur de stabillW et, en m@me temps, de changement. C'est precls6ment le falt qu'elle est soctale qui soustraft la langue aux caprices des lndlvidus ou des groupes restretnts. D'autre part, ee m@me caracUre social expose la langue aux changements, lonque l'exlgence de dlsttnctfons deja\ exlstantea dlmlnue ou, au contrafre, lonque surgtt l'exlgence de distinctions nouvelles. L'arbttralre et l'aspect social de la langue, combines l la complexlte des relations oppositfves et syntagmatfquea entre lea uniUI concntes, font que l'apparitfon et la dfsparitfon de dlsttnctfons au coon du temps sont absolument imprevfsiblea. Le changement attetnt la distinction et ruglt sur le systeme des fa\)Onl lea plus variML Lei passages d'un etat de langue a\ un autre ne repondent l aucune raUonallW unfvenelle. La llngulatfque se trouve, danl leur descrlpUon, devant des phenomenes contingents, telilporellement et spatfalement clrconscrits, prodults par le 1'6sultat imprivfstble de la rencontre, dan1 le systeme, d'~venements heterogmes, internee et externes par n.pport l l'equlllbre du systeme llngulst.fque en une certatne phale. Avolr pose l'arbltralre au centre des upects unlversels, communs l toutea lea langues, impllque en dernfere analyse de reconnattre cecl : lea langues particulleres, tant sur le plan des slgntflants que sur le plan des slgntfles, 10nt de nature conttngente, ont one valldltA! cir- INTRODUCTION comcrlte clans le temps et clans l'espace, 11~ A la duree d'am~ementa dftermfn61 de Ia socl6t6 humame. Hiltolre ethlstorlqae sont des termes qu'une longuetradltlon a cbarg61 de multiples sens, et qui en soot devenus 6qulvoques. En Unguistlque, ltstolre a entre autres 6U utll156 et est encore utilis6 comme synonyme de· deoenlr, de dladrronte. En pensant A cette acceptlon, Saussure lnaiJte sur le caraetere c antibistorique • du syst!me lfnguistlque et de la llngu1stlque synchronique qui le dkrlt. Mais hiltolre et historiqru tot aussl on autre sens : le sens selon lequel on dlt par exemple qu'est ltstoriqru un syst~me de lois Juridlques, en tant qu'U est 116 aux c:ontingencea temporelles et soclales, ind6pendamment du fait qu'U alt en on non ua d6veloppement clans le temps. En ce sens, comme ra blen vu Saussure, un 6tat de Iangue est historique, non pu paree qu'U c se d6veloppe •, mais parce que les motivations qui le soutlenaent sont de earaetere contingent, temporellement et soclalement d6tennin6. Si, comme U semble exact, on ne retient que ce second sens (qui ne nie pu mais inclut plutOt le premier) comme entterement conforme A la pensee et au langage de l'blstoricisme modeme, nous nous trouvons dans la n6cessit6 de tlrer one conclusion. Saussure, en approfondlssant !'analyse des aspects universels de Ia. realiU Ungulstique, en 6laborant sa propre version de Ia vieille graminaire gim­ mle, a eeme Ie caractere radicalement arbitraire et par IA radlcalement IOcial de toutes Jes langues : ii a alnsl ratifl.6 leur earactere radlcalement historique. L'arbitraire est la modallte g6n6rale avec Iaquelle opm clans le temps Ia capaciU de coordonner et d'associer, qui est un ontversel l»iologique common A tons les bommes, donnant Ueu A des syst!mei llngnistlques dilsemblables d'une socl6U bumafne A l'autre. C'est done · la modallu· par laquelle ce qui, dans I'homme, est h6redlU biologique, end~ des contingences soelales et temporelles, rencontre Ia contingence bistorique. C'est Ia fonne sous laquelle Ia nature se fail bistoire. C'est p~ent ll qu'est la racine la plus profonde des incomprehensions qui ont accompagn6 le Cours; IA que se trouve la raison pour laquelle ce texte, parmi les plus ciUs et les plus connus de l'hlstoire eulturelle du xx• si~e, apparait cepenclant profond6ment lsol6 au leln de cette culture. Un fondemeilt de pen• scientfflque et ratlonnelle et une perspective de gramma.lre ghllrale rationallste sont au aervlce d'une conclusion profond6ment bistoriciste ; · d'autre part, la vlalon bistorique de la realiU llngutstfque est lib6ree de ces accents mystiques et lrratlonnels qui l'accompagnent d'babitude dans I'hJstorfclsme lltUraire, et elle se v6rifle sur le plan de Ia plus grande rigueur emplrique et analytlque. C'en est aasez pour dkoncerter eeux qui, acad6miquement, soot habitu61 A 56parer Jes raisona de Ia science de eellea de l'hlltolre, esprit de g«>mft.rie et esprit de finesse. Une g6o- INTRODUCTION xv metrle rigoureuse a lei pour theoreme extreme la reconnaissance de la radicale hlstoricit6 des falls lingulstiques. La forme de la pensee saussurienne meme contient done en pulssance les reactions qu'elle a suscitees durant un deml-stecle, SI nous la conslderons dans son tntegrite, nous comprenons bien l'lrritation des historiclstes arraches a toute espece de verbalisme et transport& sur un plan d'une slngullere rlgueur, comme l'lrritation des sclentistes, contralnts a sulvre un enchalnement reellement logique ven des r6sultats hlstoricistes Inaccoutumes. Nous comprenons comment Jes liens intemes d'une telle pensee ont pu etre voll6s d6ja dans la redaction des 6diteurs, la dernarche authentlque etant encombree d'additions et de postiches. Nous voyons le pourquoi et le comment d'accusations aussl violentes que disparates contre ce livre accuse tour A tour de psychologisme et de scientisme, de trop de finesse et d'one grosslerete mgenue, d'Ideallsme et de positivisme, de spiritualisme bourgeois et de materlalisme. Nous comprenons enfln l'origine de la repugnance A prendre connalssance de la totalit~ de la pensee saussurienne, chacun pref6rant plutot tirer du Cours quelques fragments susceptibles d'etre utlltses comme armes defensives ou offensives dans les pol6miques de ce deml-slecle, Ce n'est peut-etre pas seulement pour des ralsons phllologiques que la pensee saussurlenne ne nous est rendue qu'aujourd'hui dans son authentlclte. 11 etatt probablement necessalre qu'aient lieu de multiples exp6rlences lnsplr6es par une lnterpr6tatlon partlelle avant que se profile la possibilit6 pour elle d'apparaltre dans sa complexite int6grale et orlginelle. C'est un retour qui ne s'effectuera pas sans difllcult6s. Et le Cours, pour cela aussl, m6rite que l'on reprenne A son propos Jes mots que Croce 6crivait au sujet de I'Encyclop~die de Hegel : • Certes ce livre n'est pas un livre facile, nl en lui-meme ni tel que Je le pr6sente. Mais Je crols que la difflcult6, pour Jes hommes qui pensent, est plus une cause d'attitance que de r6pulslon. • Les consld6rations pr6c6dentes devralent servlr a approfondir, entre autres, ce qui est d'ailleurs l'oplnlon commune : la pens6e de Saussure a 6t6 et est au centre de multiples d6veloppements, dont certains n'en sont qu'a leurs d6buts, au sein des sciences hlstorlques et anthropologiques ; et pour la simple raison que les classemenll r6pugnent toujours a !'intelligence hlstorlque, ii faut s'abstenir de dire que le Cours est parmi Jes livres Jes plus importants de la culture du xxe si~cle. En tenter une interpretation vaiide sur le plan documentalre com me sur le plan critique est une tAche lmportante pour la lfnguistique, et pas seulement pour elle. Importance d'ordre non pas seulement hlstorique et 6rudit : bien souvent (ii sufllt de penser aux travaux comme celui, d6Ja mentionn6, de Burger sur slgnlflcation et oaleur) une mellleure ex6g~e coincide avec un progres notable dans la thoorie g6n6raie des faits linguistiques. Tout ceci a pour but de XVI INTRODUCTION mettre en lumlere le fait que le travail accompli est encore insufflsant. II sufflra du reste de dire que la discussion critique sur le materiel manuscrit utilise ou non par les editeurs du Cours n'en est qu'a ses debuts : les contributions critiques sont rares •, les approfondissements a faire sont certainement nombreux, le materiel, a pelne edlte, exige encore bien des lectures patientes. En outre, bien du materiel inedit n'a encore ete examine publiquement par personne : cahiers de notes des cours de linguistique historique, lettres privees, manuscrits sur Ies anagrammes et sur l'epopee germanique. De tres vastes eludes restent a faire pour rassembler et comprendre Jes documents disponibles autour de la biographie et de l'reuvre scientiflque de Ferdinand de Saussure. On a cherche, dans les Notices, a preparer le terrain a celui qui ecrira une biographie complete de Saussure: on a done cherche a rassembler et a coordonner les faits deja connus (mais souvent disperses et peu accessibles) sur la vie courante et privee, les eludes, les relations de Saussure. En outre, grace a la courtoisie de R. Godel, de R. Jakobson et de la Bfbliotheque de Geneve, on a pu ajouter aux faits connus quelques renseignements nouveaux et corriger ou mieux interpreter quelques faits connus. On a ensuite donne quelques notes sur le developpement des idees theoriques de Saussure du Memoire aux trois cours de linguistique generate et quelques renseignements sur les rapports entre Saussure et d'autres savants: je souhaite pouvoir ainsi contribuer a un renouveau d'attention pour des savants comme Kruszewski, Marty, Noreen, verltables freres spirituels de Saussure et trop sacrifles dans la memoire des linguistes. Entin, pour donner une vision synthetique de questions qui sont ensuite traitees de tacon plus analytique dans le commentaire, on a cherche a brosser un tableau de la fortune du Cours dans Ies differents courants de la linguistique et dans les differents pays. II est a souhaiter que nous soient slgnalees specialement pour cette partie les lacunes certalnement nombreuses, afln que l'on puisse toujours mieux eclairer l'immense fortune qu'a eue ce livre un peu partout. Les notes du commentaire ont des buts diflerents, Certaines visent &implement a completer, en les developpant, des references a des auteurs et a des fails presents dans le texte. Beaucoup d'entre elles • Dans la preface de la recente edltton critique du Cours, Rudolf Engler ne c,lte que trols eludes qui, apres S. M. (1957), ont utilise Jes sources manuscrltes : I article de A. Burger deja rappele lei, l'essai d'un Jeune et remarquable speelallste itallen, Giorgio Derossi (voir la liste des abrevtatlons) et I' lturoduciion a la simantique de !'auteur de ces lignes. On peut ajouter a cette Iiste tedulte encore que1'1'1es rares travaux: un travail de Heinimann, un travail de G. Lepschy sur 1 arbltralre ~mals dans des travaux posterieurs Lepschy continue a ne pas firendre en constderatlon la pensee de Saussure eclairee par Jes Inedits : cf. aussl e tout recent Lepschy 1970, 42-52) et surtout les ecrlts les plus recents de Engler I ui1-meme. de E. Buyssens et de R. Godel (voir Jes abn!viatlons a Ia fin de ce vo ume). INTRODUCTION XVII comparent le texte vulgate au materiel lnedlt ou en vole d'editlon : notes autographes, notes de cours des eleves, lettres de Saussure, etc. Et Ia com para Ison est le plus souvent Hee d'une part a I' analyse du travail de redaction accompll par Bally et Sechehaye, d'autre part a I'analyse de bien des oezaiae quaesiiones exegetlques et theoriques. D'autres notes, pour historlclser le texte de Saussure, tentent d'en indiquer les antecedents dans la culture anterieure ou dans ses reflexions et ses publications, et tentent egalement d'indiquer les developpements et Ies changements des points de vue entre 1916 et nos Jours. Les renvois que l'on trouvera dans les notices biographlques et critiques et dans le commentaire se referent a la pagination que porte le texte traneats du C. L. G. depuls l'editlon de 1922. Les chiffres mis en marge du texte de Saussure renvoient aux notes du commentalre. II y a a la base de ce travail deux types de recherches ; la lecture des textes anjourd'hul en voie d'edition et l'exploration d'une bibliographie vaste et dispersee. Le premier type de recherches n'aurait pas ete possible sans la genereuse collaboration de Rudolf Engler. Grace a son intervention l'editeur Harrassowitz de Wiesbaden m'a des 1964 permls de voir et d'utiliser les epreuves de l'edltion Engler.Jene crots pas que les cas de ce genre soient tres frequents, et ma gratitude en est done tres grande, Dans le second type de recherches, comme tous les chercheurs italiens, Je me suis heurte au chaos de nos bibliotheques et a la ridicule exlgutte des moyens mis a la disposition de la recherche et de l'acqulsitlon de livres dans nos instituts universitaires. Si le travail a pu etre je ne dirais pas acheve mais du moins amerce, c'est grace au concours courtois et amical de specialistes d'ltalie et d'allleurs. Qu'il me soit permls de remercler chaudement en particulier MM. F. Albano Leoni (Goteborg), J. Balasa (Budapest), E. Benveniste (Paris), J. Cremona (Cambridge), C. De Simone (Tiibingen), W. Dressler (Vienne), lei encore R. Engler, Kennosouke Ezawa (Cologne), R. Godel (Geneve), C. Luporini (Florence), Mlle Matthee Marcellesl (Paris), MM. L. E. Rossi (Rome) et P. Palumbo (Palenne), Mme Inga Stekina (Moscou) et M. Dieter Wanner (Suisse). La Bibliotheque publique et universitaire de Geneve a courtolsement repondu a mes requetes relatives au fonds saussurlen qu'elle conserve. Robert Godel m'a fouml de precleux eclalrctssements.egalement pour la presente edition franealse. Roman Jakobson a stotquement aubl une minutleuse interview sur de nombreuses questions saussurtennes au cours d'une longue conversation a Rome. De nombreuses questions ont pu etre dlscutees, de vive volx ou par lettre, ·avec d'.autres savants - outre Robert Godel et Roman Jakobson - que Je voudrais remercler pour leurs corrections et leun XVIII COURS DE LINGUISTIQUE INTRODUCTION G~N~RALE suggestions : R. Amacker (Geneve), E. Garron! (Rome), G. Lepschy (Reading), B. Marzullo (Bologne), L. Prieto (Geneve), R. Simone (Palerme). L~s c_omptes_ ren.dus de I. Baumer, G. Derossi, R. Engler, L. Muraro Valant, V. Pisani, L. Zgusta que j ai pu connattre avant Ia publication de cette edition franeaise, m'ont egalement ete tres utiles, par leurs accords comme leurs desaccords, Pour la presente edition traneaise je tiens a remercier le traducteur, M. L.-J. Calvet, et M. P. van Molle (U. C. Louvain). 1 L'edition italienne de ces notes et notices saussuriennes etait dediee a Antonino Pagliaro, l'an des rares linguistes italiens qui depuis de nombreuses annees s' est inspire, pour son enseignement, des theories de Ferdinand de Saussure. Ce livre Jui doit beaucoup et je voudrais renouveler la meme dedicace. Tullio De Mauro. N.B. - Les noms des savants russes ont ~t~ transcrits selon Jes normes de la translitUratlon dlte Internationale. PREFACE DE LA PREMIERE EDITION Nou« a'1ona bie« souvent entendu Ferdinand de Sauuure deplorer rinsuffisance de« principes et de, metAodea qui caracterisaient la linguistique au milieu de laquelle ,on genie a grandi, et toute sa f>ie il a recherche opinid.trementle, loia directrices qui pourraient orienter sa pense« a traver« ce chao,.*Ce n'e,t qu'en 1906 que, recueillant ltJ ,ucce88ion de It I Joseph Wertheimer* a f Universite de Geneve, il put faire 121 connattre les idee, personnelles qu'il avait milrie« pendant tant d'annees. fl fit trois cours sur la ling1'istiquegenerale, en 1906­1907, 1908­1909 et 1!J10­1911 ; il est vrai que le, nece,,ites du programme l'obligerent a consaorer la moitie de chacun d'eu» c: un expose relatl] auz langues indo­euro­ peennes, leur hiatoire et leur description; la partie essentielle de son au.jet ,'en trouva singulierement amoindrie.* 131 Tous ceu:r qui eurent le pri'flilegede suivre cet enseigne­ ment ,i fecond regretterent qu'un livre n'en fut pas sorti, Aprea la mort du maure, nous esperions trouver dan« ,e, manuscrits, mis obligeamment ti notre duposition par Mme de Saussure, rirnage fidele bu du moins ,uffisante de ces genialea lecons ; nous entrevoyion« la possibilite d'une publication fondee sur une simple mise au point des notes personnelles de Ferdinand de Saussure, combinees avec lee notes d'etudianu. Grande fut notre deception: nou, ne trou­ t1d.me1 rien ou presque rien qui correspondtt au.r caldera de se« disciples; F. de Saussure detruisait a mesure le« brouillon» 8 (4) (5) [6) (7) (81 [9I PREFACE DE LA PREMIERE EDITION PlmFACE DE LA PREMIImE EDITION Adtif, ou il tracait au [our lejour reaqttiHe de son ezpoae ! Le, tiroirs de son secretaire ne nous livrerent que des ehauchu assez anciennes,* non certes sans valeur, mais impossible« a utiliser et a combiner avec la matiere des trois cours. Cette constotation nous decut d'autant plus que des ohllga­ tions professionnelles noua avaient empeches presque comple­ tement de profiter nous­memes de ces derniers enseignements, qui marquent dans la carriere de Ferdinand de Saussure une etape aussi brillante que celle, deja lointaine, ou avait paru le Memoire sur lee voyelles:* Il f allait done recourir au» notes consignee« par lea etu­ dianta au cours de ces trois series de conferences. Dea cahiera trea complete nous [urent remls, pour lea deu» premier, cours par MM. Louis Caille, Leopold Gautier, Paul Regard et Albert Riedlinqer ; pour le troisieme, le plus important, par Mme Albert Sechehaye, MM. George Degallier et Francia Joseph.*Nous devons a M. Louis Brutsch des note, sur un point special; taus ont droit a notre sincere reconnaissance. Nous exprimons aussi nos plus vi/s remerciements a M. Jule, Ronjat, l'eminent romaniste, qui a bien voulu revoir le manuscrit avant l'impresston, el dont les avi« nous ont ete precieux, Qu'allions­nous faire de ces materiaux P Un premier tra­ vail critique s'imposait : pour chaque cours, et pour chaque detail du cours, il [allait, en comparant toutes lea versions, arriver jusqu'a la pensee dont nous n'ovion« que des echo», parfois discordants. Pour les deux premiers cours nous avons recouru a la collaboration de M. A. Riedlinger, un des dis­ ciples qui ont suivi la pensee du maitre avec le plus d'interet; son travail sur ce point nous a ete tres utile~ Pour le troi­ sieme cours, fun de nous, A. Sechehaye, a fait le meme travail minutieux de collation et de mise au point.* Mais ensuite­P La [orme de l'enseignement oral, souvent contradictoire avec celle du liore, nous reservait lea plu» grandee difficulte«. Et puis F. de Saussure etai: de ces 9 hommes qui se renouvellent sans cease; sa pensee evoluait dam toutes lea directions sans pour cela se mettre en contra­ diction avec elle­meme. Tout publier dam, la forme originelle etait impossible; les redites, inevitables dans un expose libre, le, chevauchements, les formulations variable« auraient donne a une telle publication un aspect heteroclite. Se horner a un Reul cours ­ et lequel P ­ c'etait appauvrir le tior« de toutes lea richesses repandues abondamment dona le• deu» autres ; le troisieme meme, le plus definitif, n'aurait pu a lui seul donner une idee complete des theories et <UI methodes de F. de Saussure.* On nou.t suggera de donner tels quels certains morceaue particulierement originauz ; ceue idee nous suurit d'ahol'd, mai« il apparut hientot qu'elle ferait tort a la pensee de notre maure, en ne presentant que des fragment& d'une construc­ tion dont la valeur n'apparait que dans son e11semble~ Nous nous somme8 arretes a une solution plus hardie, maia aussi, crayons­nous, plus rationnelle: tenter une reconstitu­ tion, une synthese, aur la base du trouieme coura, en utili­ aant tous lea materiau.x dont nous disposio111, 1J compria lea notes per,onnelles de F. de Saw,sure. Jl a'agia,ait done d'unt1 recreation, d'autant plus malaiaee qu'elle devait etre entiere­ ment objective ; sur chaq ue point, en penetrant jusqu' au' fond de chaque pen.see particuliere, il fallait, a la lumiere du aysteme tout entier, essayer de la voir sous ,a forme definitiPB en la degageant des variations, de11 flottemenu i'nherenu a la le~on parlee, puis f enchd$ser dans son milieu nature/, toutes lea parties etant presentees dans un ordre conforme a finten­ tion de f auteur, mime lorsque cette i'ntention ,e devinait plutot qu'elle n'apparaiasait.* De ce travail d' assimilation et de reconstitution ed ne le livre que nous presentons, non aana appreheruion, au public ,avant et toua les amu de la linguiatique.• Notre idee mattresse a eta de dresser un tout organique en ne negli'geant rien qui p1,t contribuer a fi'mpression a (10] (11) (12) [13} 10 d'ememble. Mais c'est par la precisement que nous encourons peut­etre une double critique. D'ahord on peut nous dire que cet « ensemble • est incom­ plet: l'enseignement du mattre n'a famais eu la pretention d'aborder toutes lee parties de la linguistique, ni de projeter sur toutes une lumiere egalement vive ; materiellement, il ne le pouvait pas. Sa preoccupation etait d'ailleur« tout autre, Guide par quelques principes [ondamentaux, personnels, qu'on retrouve partout dans son oeuvre et qui [orment la trame de ce tissu solide autant que varie, il travaille en profondeur et ne s'etend en surface que la ou ces principes trouvent de, application, particulierement frappantes, la aussi ou ila ,e heurtent a quelque theorie qui pourrait les compromettre. Ain,i s'explique que certaines disciplines soient a peine 114J e,ffleurees, la semanuque par exemple~ Nous n'aeon« pas l'impression que ces lacunes nuisent a f architecture generale. L'absence d'une « linguistique de la parole» est plus sensible. Promise aux auditeurs du troisieme cours, cette etude aurait [15] eu sans doute une place d' honneur dans les suiPants*; on sait trap pourquoi cette promesse n'a pu etre tenue. Nous nous sommes bornes a recueillir et a mettre en leur place natu­ relle lea indications /ugitives de ce programme a pein« esquisse; nous ne pouvions al/er au 'dela. Inversement, on nous bldmera peut­hre d'avoir reproduit des developpements touchant a des points deja acqui» avant F. de Sausure. Tout ne peut etre nouJ>eau dan» un e:cpose si Paste; mais si des principes deja connus sont necessaire« a rintelll'gence de Leneemble, nous en voudra­t­on de ne pas lea avoir retranche« P Ainsi le chapitre des changements pho­ netique« renferme des choses deja dites, et peut­etre de (afon plus definitiPe ; mais outre que cette partie cache bie« de, details originau» et precieux; une lecture meme superficielle montrera ce que sa suppression entratnerait par contraste pour la comprehension des principes sur lesquel« F. de Sau1­ sure assoit son sgsteme de linguistique stauque, 11 PREFACE DE LA PREMIERE EDITION PREFACE DE J,A PREMIERE EDITION Nous sentons toute la responsabilite que nous assumons vis­a­vis de la critique, Pis­a­Pis de f auteur lui­meme, qui n'aurait peut­etr« pas autorise la publication de ces pages.* (16) Cette responsabilite, nous I'acceptons tout entiere, et nous voudrions etre seuls a la porter. La critique saura­t­elle dis­ tinguer entre le mattre et ses interpretes ? Nous lui saurians gre de porter sur nous les coups dont il · serait inJuste d'accabler une memoire qui nous est chere. Geneve,juillet 1915. Ch. BALLY, Alb. SECHEHAYE. PREFACE DE LA SECONDE EDITIVN Cette seconde edition n'apporte aucun changement essentiel au teate de la premiere. Les editeurs se sont bornes a des modifications de detail+;Jestineesa rendre, sur certains points, [ 17) la redaction plus claire et plus precise. Ch. B. PREFACE DE LA TROISIEJIE Alb. S. EDITION i( a A part quelques corrections de detail, cette edition est con/orme [18) la precedente. Ch. B. Alb. S. INTRODUCTION CHAPITRE PREMIER COUP D'CEIL SUR L'HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE* (19) La science qui s'est constituee autour des faits de langue*(20] a passe par trois phases successives avant de reconnaitre quel est son veritable et unique objet.* [21) On a commence par faire ce qu'on appelait de la « grammaire ». Cette etude, inauguree par les Grecs, continuee principalement par les Francais, est Iondee sur la logique et depourvue de toute vue scientifique et desinteressee sur la langue elle-meme ; elle vise uniquement a donner des regles pour distinguer les formes correctes des formes incorrectes ; c'est une discipline normative, fort eloignee de la pure observation et dont le point de vue est forcement ~~~ ~2] Ensuite parut la philologie. 11 existait deja a Alexandrie une ecole u philologique 1>, mais ce terme est surtout attache au mouvement scientifique cree par Friedrich Aur,5t Wolf a partir de 1777 et qui se poursuit sous nos yeux. La [23) langue n'est pas l'unique objet de la philologie, qui veut avant tout fixer, interpreter, commenter les textes ; cette premiere etude l'amene a s'occuper aussi de l'histoire litteraire, des mceurs, des institutions, etc.*; partout elle use [24) de sa methode propre, qui est la critique. Si elle aborde les 14 INTRODUCTION questions linguistiques, c'est surtout pour comparer des textes de differentes epoques, determiner la langue particuliere a chaque auteur, dechiflrer et expliquer des inscriptions redigees dans une langue archatque ou obscure. Sans doute ces recherches ont prepare la linguistique historique : les travaux de Ritschl sur Plaute peuvent etre appeles lin[25) guistiques*; mais dans ce domaine, la critique philologique est en defaut sur un point : elle s'attache trop servilement a la langue ecrite et oublie la langue vivante ; d'ailleurs c'est I'antiquite grecque et latine qui l'absorbe presque completement. La troisieme periode commenca lorsqu'on decouvrit qu'on pouvait comparer Jes langues entre elles. Ce fut l'origine de la philologie comparative ou « grammaire comparee », En 1816, dans un ouvrage intitule Systeme de la conjugaison du sanscrit, Franz Bopp etudie les rapports qui unis(26) sent le sanscrit avec le germanique, le grec, le latin, etl Bopp n'etait pas le premier a constater ces affinites et a admettre que toutes ces langues appartiennent a une meme famille ; cela avait ete fait avant lui, notamment par l'orientaliste anglais W. Jones (t 1794) ; mais quelques affirmations isolees ne prouvent pas qu'en 1816 on eut compris d'une maniere generale la signification et l'importance de cette [27) verite~ Bopp n'a done pas le merite d'avoir decouvert que le sanscrit est parent de certains idiomes d'Europe et d'Asie, mais il a compris que les relations entre langues parentes pouvaient devenir la matiere d'une science autonome. Eclairer une langue par une autre, expliquer les formes de l'une par les formes de l'autre, voila ce qui u'avait pas encore ete fait. II est douteux que Bopp eut pu creer sa science, - du moins aussi vite, - sans la decouverte du sanscrit. Celui-ci, arrivant comme troisieme temoin a cote du grec et du latin, lui fournit une base d'etude plus large et plus solide; cet avantage se trouvait accru du fait que, par une chance inesperee, COUP D'<EIL SUR L'HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE 15 le sanscrit est dans des conditions exceptionnellement favorables pour eclairer cette comparaison. Voici un exemple. Si l'on considere le paradigme du latin genus (genus, generis, genere, genera, generum, etc), et celui du grec genos (genos, geneos, genei, gen ea, gen eon, etc.), ces series ne disent rien, qu'on les prenne isolement ou qu'on les compare entre elles. Mais il en va autrement d~ qu'on y joint la serie correspondante du sanscrit ({Janas, {Janasas, ganasi, {Janassu, ganasiim, etc.).* II suffit d'y jeter [28} un coup d'ceil pour apercevoir la relation qui existe entre Jes paradigmes grec et latin. En admettant provisoirement que i,anas represente l'etat primitif, puisque cela aide a l'explication, on conclut qu'un s a du tomber dans les formes grecques gene(s)os, etc., chaque fois qu'il se trouvait place entre deux voyelles. On conclut ensuite que, dans les memes conditions, s aboutit a r en latin. Puis, au point de we grammatical, le paradigme sanscrit precise la notion de radical, cet element correspondant a une unite ({Janas­) parfaitement determinable et fixe. Le latin et le grec n'ont connu que dans leurs origines l'etat represente par le sanscrit. C 'est done par la conservation de tous les s indo-europeens que le sanscrit est ici instructif. 11 est vrai que dans d'autres parties ii a moins bien garde les caracteres du prototype : ainsi il a completement bouleverse le vocalisme. Mais d'une maniere generale, Jes elements originaires conserves par lui aident a la recherche d'une Iacon merveilleuse - et le hasard en a fait une langue tres propre a eclairer les autres dans une foule de cas. D~ le commencement on voit surgir c6te de Bopp des linguistes de marque: Jacob Grimm, le fondateur des etudes germaniques (sa Grammaire allemande a ete publiee de 1822 l 1836) ; Pott, dont les recherches etymologlques ont mis une somme considerable de materiaux entre les mains des linguistes ; Kuhn, dont les travaux porterent a la f ois sur Ia lin- a 16 (29) (30J (31J (32) INTRODUCTION guistique et la mythologie comparee, les indianistes Benfey et Aufrecht, etc.* Enfin, parmi les derniers representants de cette ecole, ii Iaut signaler tout particulierement Max Millier, G. Curtius et Aug. Schleicher. Tous trois, de Iacons diverses, ont beaucoup fait pour les etudes comparatives. Max Milllef les a popularisees par ses brillantes causeries (Lefons sur la science du langage, 1861, en anglais) ; mais ce n'est pas par exces de conscience qu'il a peche, Curtius~ philologue distingue, connu surtout par ses Principes d'etymologie grecque (1879), a ete un des premiers A reconcilier la grammaire comparee avec la philologie classique. Celle-el avait suivi avec mefiance les progres de la nouvelle science, et cette meflance etait devenue reciproque. Enfin Schleicher* est le premier qui ait essaye de codifier les resultats des recherches de detail. Son A brege de grammaire comparie des langues indo­germaniques (1861) est une sorte de systematisation de la science fondee par Bopp. Ce Iivre, qui a pendant longtemps rendu de grands services, evoque mieux qu'aucun autre la physionomie de cette ecole comparatiste, qui constitue la premiere periode de la linguistique indoeuropeenne. Mais cette ecole, qui a eu le merite incontestable d'ouvrir un champ nouveau et Iecond, n'est pas parvenue a constituer la veritable science linguistique. Ellene s'est [amais preoccupee de degager la nature de son objet d'etude. Or, sans cette operation elementaire, une science est incapable de se faire une methode. La premiere erreur, qui contient en germe toutes Jes autres, c'est que dans ses investigations, limitees d'ailleurs aux langues indo-europeennes, la grammaire comparee ne s'est jamais demande a quoi rimaient les rapprochements qu'elle faisait, ce que signifiaient les rapports qu'elle d~ couvrait. Elle fut exclusivement comparative au lieu d'etre historique. Sans doute la comparaison est la condition COUP o'<EIL SUR L'HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE 17 neeessaire de toute reconstitution historique. Mais a elle seule, elle ne permet pas de conclure. Et la conclusion eehappait d'autant plus A ces comparatistes, qu'ils consideraient le developpement de deux langues com.me un naturaliste ferait de la croissance de deux vegetaux. Schleicher, par exemple, qui nous invite · toujours A partir de l'indoeuropeen, qui semble done dans un sens tres historien, n'hesite pas A dire qu'en grec _ e et o sont deux « degres » (Stufen) du vocalisme. C'est que le sanscrit presente un systeme d'altemances vocaliques qui suggere cette idee de degres. Supposant done que ces demiers doivent ~tre ~arcourus separement et parallelement dans chaque langue, com.me des vegetaux de meme espece . parcourent independamment les uns des autres les memes phases de developpement, Schleicher voit dans le o du grec un degre renforce du e, comme ii voit dans le ii du sanscrit un renforcement de d. En fait, ii s'agit d'une altemance indo-europeenne qui se reflete de faeon differente en grec et en sanscrit, sans qu'il y ait aucune parite necessaire entre les effets grammaticaux qu'elle developpe dans l'une et dans l'autre langue (voir p. 217 sv.).* (33) Cette methode exclusivement comparative entratne tout un ensemble de conceptions erronees qui ne correspondent a rien dans la realite, et qui sont etrangeres aux veritables conditions de tout langage. On considerait la langue comme une sphere particuliere, un quatrieme regne de la nature ; de la des manieres de raisonner qui auraient etonne dans une autre science. Aujourd'hui on ne peut pas lire huit a dix lignes ecrites a cette epoque sans ~tre frappe des bizarreries de la pensee et des termes qu'on employait pour les justifier. Mais au point de vue methodologtque, il n'est pas sans interet de connaitre ces erreurs : les fautes d'une science a ~ debuts sont l'image agrandie de celles que commettent les individus engages dans les premieres recherches scien- 18 INTRODUCTION tifiques, et nous aurons l'occasion d'en signaler plusieurs au cours de notre expose. Ce n'est que vers 1870 qu'on en vint ·a se demander quelles sont les conditions de la vie des langues. On s'aper~ut alors que les correspondances qui les unissent ne sont qu'un des aspects du phenomene Iinguistique, que la comparaison n'est qu'un moyen, une methode pour reconstituer les faits. La linguistique proprement dite, qui fit a la comparaison la place qui Jui revient exactement, naquit de I'etude des langues romanes et des langues germaniques. Les etu(34] des romanes, inaugurees par Diezt- sa Grammaire des langues romanes date de 1836-1838, - contribuerent particulierement a rapprocher la linguistique de son veritable objet. C'est que Jes romanistes se trouvaient dans des conditions privilegiees, inconnues des indo-europeanistes ; on connaissait le latin, prototype des langues romanes ; puis l'abondance des documents permettait de suivre dans le detail l'evolution des idiomes. Ces deux circonstances limitaient le champ des conjectures et donnaient a toute cette recherche une physionomie particulierement concrete. Les germanistes etaient dans. une situation analogue ; sans doute le protogermanique, n'est pas connu cl.:rectement, mais l'histoire des langues qui en derivent peut se poursuivre, a l'aide de nombreux documents, a travers une longue serie de siecles Aussi les germanistes, plus pres de la realite, ont-ils abouti. a des conceptions differentes de celles des premiers indo[ 35] europeanistes." Une premiere impulsion fut donnee par l'Americain (36) Whitneyt l'auteur de la Vie du langage (1875). Bientot apres se forma une ecole nouvelle, celle des neogrammairiens (Junggrarnmatiker), dont les chefs etaient tous des Allemands : K. Brugmann, H. Osthoff, Jes germanistes (37) W. Braune, E. Sievers, H. Paul, le slaviste Leskien, etc~ Leur merite fut de placer dans la perspective ' historique COUP D1CEIJ, SUR L1HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE 19 tous Jes resultats de la comparaison, et par IA d'enchatner lea faits dans leur ordre naturel. Grace a eux, on ne vit plus dans la langue un organisme qui se developpe par luimsme, mals un produit de l'esprit collectif des groupes linguistiques. !?u meme coup on comprit combien etaient erronees et insuffisantes les idees de la philologie et de la grammaire compareet, Cependant, si grands que soient les services rendus par cette ecole, on ne peut pas dire qu'elle ait fait la lumiere sur l'ensemble de la question, et aujourd'hui encore les problemes fondamentaux de la linguistique generale attendent une solution. 1. La nouvelle kole, serrant de plus prh la realite, fit la guerre A latermlnologle des comparatistes, et notamment aux metaphores Uloglquea dont elle se servalt. Des lors on n'ose plus dire : • la langue fait cecl ou eela •, nl parler de la • vie de la langue •, etc., pulsque la langue n'est pu une entlte, et n'extste que dans Jes sujets parlants. 11 ne faud.ralt pourtant pas aller trop loin, et II suffit de s'entendre. II y a certaines images dont on ne peut se passer. Extger qu'on ne se serve que de termes repondant aux r~lltes du Iangage, c'est pretendre que ces realltes n'ont plus de myst~res pour nous. Or ii s'en faut de beaucoup ; aussl n'hesltercns-nous pas A em.j1oyer A I'oceaslon telle des expressions qui ont ete blAmeeaA [381 l'epoque. )IATIERE CHAPITRE (39) (40) JI MATIERE ET TACHE DE LA LINGUISTIQUE ; SES RAPPORTS AVEC LES SCIENCES CONNEXES* La matiere'*de la linguistique est constituee d'abord par toutes les manifestations du langage humain, qu'il s'aglsse des peoples sauvages ou des nations civilisees, des epoques archatques, classiques ou de decadence, en tenant compte, dans chaque periode, non seulement du langage correct et du « beau langage 11, mais de toutes les formes d'expression. Ce n'est pas tout : le langage echappant le plus souvent a l'observation, le linguiste devra tenir compte des textes ecrits, puisque seuls ils lui font connattre Jes idiomes passes ou distants : La tache de la Iinguistique sera : * (41) a) de faire la description et l'histoire de toutes Jes langues qu'elle pourra atteindre, ce qui revient a faire l'histoire des families de langues et a reconstituer dans la mesure du possible les langues meres de chaque famille ; b) de chercher les forces qui sont en jeu d'une maniere permanente et universelle dans toutes les langues, et de degager les lois generales auxquelles on peut ramener tous les pheno[ 42} menes particuliers de l'histoire*; * (43} c) de se delimiter et de se definir elle-meme, La linguistique a des rapports tres etroits avec d'autres sciences qui tantot lui empruntent des donnees, tantot lui en fournissent. Les limites qui l'en separent n'apparaissent ET TACHE DE I.A LINGUISTIQUE 21 pas toujours nettement. Par exemple, la linguistique doit etre soigneusement distinguee de l'ethnographie et de la prehistoire, oil la langue n'intervient qu'a titre de document ; distinguee aussi de l'anthropologie,* qui n'etudie l'homme [44} qu'au point de vue de l'espece, tandis que le langage est un fait social. Mais faudrait-il alors l'incorporer a la sociologie ? Quelles relations existent entre la linguistique et la psychologie sociale ? Au fond, tout est psychologique dans la langue, y compris ses manifestations materielles et mecaniques, comme les changements de sons ; et puisque la linguistique fournit a la psychologie sociale de si precieuses donnees, ne fait-elle pas corps avec elle ? Autant de questions que nous ne faisons qu'effieurer ici pour les reprendre plus loin. Les rapports de la linguistique avec la physiologie ne sont pas aussi difficiles a debrouiller : la relation est unilaterale, en ce sens que l'etude des langues demande des eclaircissements a la physiologie des sons, mais ne lui en fournit aucun. En tout cas la confusion entre les deux disciplines est impossible : l'essentiel de la langue, nous le verrons, est etranger au caractere phonique du signe linguistique." Quant a la philologie, nous sommes deja fixes : elle est nettement distincte de la linguistique, malgre les points de contact des deux sciences et les services mutuels qu'elles se renden.t. Quelle est enfin l'utilite de la lioguistique 'l Bien peu de gens ont la-dessus des idees claires ; ce n'est pas le lieu de les fixer. Mais il est evident, par exernple, que les questions linguistiques interessent tous ceux, historiens, philologues, etc., qui ont a manier des textes. Plus evidente encore est son importance pour la culture generale : dans la vie des individus et des societes, le langage est un facteur plus important qu'aucun autre. II serait inadmissible que · son etude restat l'affaire de quelques specialistes ; en fait, tout le monde [ 45 I 22 INTRODUCTION s'en oceupe peu ou prou ; mais - consequence paradoxale de l'in~r!t qui s'y attache -ii n'y a pas de domaine ob aient germe plus d'idees absurdes, de prejuges, de mirages, de fictions. Au point de vue psychologique, ces erreurs ne sont pas negligeables ; mais la tAche du linguiste est avant tout de les denoncer, et de les dissiper aussi completement que possible. CHAPITRE III OBJET DE LA LINGUISTIQUE § 1. LA LANGUE; SA DEFINITION.* (46) Quel est l'objet*a la fois integral et concret de la linguistique ? La question est particulierement difficile ; nous verrons plus tard pourquoi ; bornons-nous ici a faire saisir cette difflculte. D'autres sciences operent sur des objets donnes d'avance et qu'on peut considerer ensuite a differents points de vue ; dans notre domaine, rien de semblable. Quelqu'un prononce le mot francais nu : un observateur superficiel sera tente d'y voir un objet linguistique concret ; mais un examen plus attentif y fera trouver successivement trois ou quatre choses parfaitement differentes, selon la maniere dont on le considere : comme son, comme expression d'une idee, comme correspondant du latin niidum, etc. Bien loin que l'objet precede le point de vue, on dirait que c'est le point de vue qui cree l'objet, et d'ailleurs rien ne'nous dit d'avance que l'une de cesmanieres de considerer le fait.en question soit anterieure ou superieure aux autres. En outre, quelle que soit celle qu'on adopte, le phenomene linguistique presente perpetuellement deux faces*qui se correspondent et dont l'une ne vaut que par l'autre. Par exemple : 1 ° Les syllabes qu'on articule sont des impressions acoustiques percues par l'oreille, mais les sons n'existeraient pas sans les organcs vocaux; ainsi un n n'existe que par la cor- (47) (48) 24 INTRODUCTION respondance de ces deux aspects. On ne peut done reduire la langue au son, ni detacher le son de l'artieulation buccale ; reelproquement on ne peut pas definir les mouvements des organes vocaux si l'on fait abstraction de l'impression acoustique (voir p. 63 sv.). 20 Mais admettons que le son soit une chose simple : est-ce Jui qui fait le langage ? Non, il n'est que l'instrument de la pensee et n'existe pas pour lui-meme. U surgit une nouvelle et redoutable correspondance : le son, unite complexe acoustico-vocale, f orme a son tour avec l'idee une unite complexe, physiologique et mentale. Et ce n'est pas tout encore : 3° Le langage a un cote individuel et un cote social, et l'on ne peut concevoir l'un sans l'autre. En outre : 4° A chaque instant ii implique a la fois un systeme etabli et une evolution ; a chaque moment, il est une institution actuelle et un produit du passe. II semble a premiere vue tres simple de distinguer entre ce systeme et son histoire, entre ce qu'il est et ce qu'il a ete ; en realite, le rapport qui unit ces deux choses est si etroit qu'on a peine a les separer. La question serait-elle plus simple si l'on considerait le phenomene linguistique dans ses origines, si par exemple on commeneait (49} par etudier le langage des enfants*? Non, car c'est une idee tres fausse de croire qu'en matiere de langage le probleme (50) des origines diflere de celui des conditions permanentes*; on ne sort done pas du cercle. Ainsi, de quelque cote que l'on aborde la question, nulle part l'objet integral de la linguistique ne s'offre a nous ; partout nous rencontrons ce dilemme : ou bien nous nous attachons a un seul cote de chaque probleme, et nous risquons de ne pas percevoir les dualites signalees plus haut ; ou bien, si nous etudions le langage par plusieurs cotes a la fois, l'objet de la linguistique nous apparait un amas confus de choses heteroclites sans lien entre elles. C'est quand on precede ainsi qu'on ouvre la porte a plusieurs sciences - psychologie, anthropologie, grammaire normative, philologie, etc., - que LA LANGUE ; SA DEFINITION 25 nous separons nettement de la linguistique, mais qui, a la faveur d'une methode incorrecte, pourraient revendiquer le langage comme un de..leurs objets.* [51) II n'y a, selon nous, )qu'une solution a toutes ces difficultes : ii faut se placer de prime abord sur le terrain de la langue et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du lan­ gage. En eflet, parmi tant de dualites, la langue seule parait ~tre susceptible d'une definition autonome et fournit un point d'appui satisfaisant pour l'esprit. Mais qu'est-ce que la langue '/*pour nous elle ne se confond [52) pas avec le langage*; elle n'en est qu'une partie determinee, (53} essentielle, il est vrai. C'est a la fois un produit social de la Iaculte du langage et un ensemble de conventions necessaires, adoptees par le corps social pour permettre l'exercice de cette faculte chez les individus. Pris dans son tout, le langage est multiforme et heteroclite ; a cheval sur plusieurs domaines, a Ia fois physique, physiologique' et psychique, il appartient encore au domaine individuel et au domaine social ; il ne se laisse classer dans aucune categorie des faits humains, parce qu'on ne sait comment degager son unite. La langue, au contraire, est un tout en soi et un principe de classification. Des que nous lui donnons la premiere place panni les faits de langage, nous introduisons un ordre naturel dans un ensemble qui ne se prete a aucune autre classification. A ce principe de classification on pourrait objecter que l'exercice du langage repose sur une faculte que nous.tenons de la nature, tandis que la langue est une chose acquise et conventionnelle, qui devrait etre subordonnee a l'instinct nature! au lieu d'avoir le pas sur lui. Voici.ce qu'on peut repondre. D'abord, ii n'est pas prouve que la fonction du langage, telle qu'elle se manifeste quand nous parlons, soit entierement naturelle, c'est-a-dire que notre appareil vocal soit fait pour parler comme nos jambes pour marcher.*Les linguistes (54) 26 INTRODUCTION sont loin d'etre d'accord sur ce point. Ainsi pour Whitney, qui assimile la langue a une institution sociale au meme titre que toutes les autres, c'est par hasard, pour de simples raisons de commodite, que nous nous servons de l'appareil vocal comme instrument de la langue : les hommes auraient pu aussi bien choisir le geste ct employer des images visuelles (55) au lieu d'images acoustiques.' Sans doute cette these est trop absolue ; la langue n'est pas une institution sociale en tous points semblables aux autres (v. p. 107 sv. et p. 110); de plus, Whitney va trop loin quand il dit que notre choix est tombe par hasard sur les organes vocaux ; ii nous etaient bien en quclque sorte imposes par la nature. Mais sur le point essentiel, le linguiste americain nous semble avoir raison : la langue est une convention, et la nature du signe dont on est convenu est indifferente. La question de l'appareil vocal est done secondaire dans le probleme du langage. Une certaine definition de ce qu'on appelle langage articule pourrait confirmer cette idee, En latin atticulus signifie II membre, partie, subdivision dans une suite de choses » ; en matiere de langage, l'articulation pent designer ou bien la subdivision de la chaine parlee en syllabes, ou bien la subdivision de la chaine des significations en unites significatives ; c'est dans ce sens qu'on dit en allemand gegliederle · Sprache. En s'attachant a cette seconde definition, on pourrait dire que ce n'est pas le langage parle qui est naturel a l'homme, mais la faculte de constituer une langue, c'est-a-dire un systeme de signes distincts correspondant [56) des idees distinctes:t" Broca a decouvert que la faculte de parler est localisee dans la troisieme circonvolution frontale gauche ; on s'est aussi appuye la-dessus pour attribuer au langage un carac(57) tere natureI.*Mais on sait que cette localisation a ete constatee pour lout ce qui se rapporte au langage, y compris I'ecriture, et ces constatations, jointes aux observations faites sur les diverses formes d'aphasie par lesion de ces centres de loca- PLACE DE LA LANGUE 27 DANS LE LANGAGE lisation, semblent indiquer : 1 o que les troubles divers du langage oral sont enchevetres de cent facons avec ceux du Iangage ecrit ; 20 que dans tous les cas d'aphasie ou d'agraphie, ce qui est atteint, c'est moins la faculte de proferer tels ou tels sons ou de tracer tels ou tels signes que celle d'evoquer par un instrument, quel qu'il soit, Jes signes d'un langage regulier, Tout cela nous amene a croire qu'au-dessus du fonctionnement des divers organes ii existe une Iaculte plus generale, celle qui commande aux signes, et qui serait la faculte linguistique par excellence. Et par la nous sommes conduits la meme conclusion que plus haut. Pour attribuer a la langue la premiere place dans l'etude du langage, on peut enfin faire valoir cet argument, que la faculte-naturelle ou non-d'articuler des paroles*ne s'exerce (58) qu'A l'aide de l'instrument cree et fourni par la collectivite ; ii n'est done pas chimerique de dire que c'est la langue qui fait l'unite du langage. a § 2. Pl.ACE DE LA LANGUE DANS LES FAITS DE LA.~GAGE. * [59) Pour trouver dans l'ensemble du langage la sphere qui correspond A la langue, ii faut se placer devant l'acte individuel qui permet de reconstituer le circuit de la parolef Cet acte (60) suppose au moins deux individus; c'est le minimum exigible pour que le circuit soit complet. Soient done deux personnes, A et B, qui s'entrctiennent : a A B 28 PLACE .DE LA LANGUE DANS LE LANGAGE INTRODUCTION Le point de depart du circuit est dans le cerveau de. l'une, par exemple A, ou Jes faits de conscience, que nous appellerons concepts, se trouvent associes aux representations des signes linguistiques ou images acoustiques servant a leur expression. Supposons qu'un concept donne declanche dans le cerveau une image acoustique correspondante : c'est un phenomene entierernent psychique, suivi a son tour d'un proces physiologique : le cerveau transmet aux organes de la phonation une impulsion correlative a l'image ; puis Jes ondes sonores se propagent de la bouche de A a l'oreillc de B : proces purement physique. Ensuite, le circuit se prolonge en B dans un ordre inverse : de l'oreille au cerveau, transmission physiologique de l'image acoustique ; dans le cerveau, association psychique de cette image avec le concept correspondant. Si B parle a son tour, ce nouvel acte suivra - de son cerveau a celui de A ...,.... exactement la meme marche que le premier et passera par Jes mernes phases successives, que nous figu. rerons comme suit : Audi lion Phonation -------"'"················~---C•ConcefZI i· Image acoustique ~--- Phonation ... ··--·····-·--··>N-----' Audition Cette analyse ne pretend pas etre complete ; on pourrait distinguer encore : la sensation acoustique pure, I'identification de cette sensation avec I'image acoustique latente, l'image musculaire de la phonation, etc. Nous n'avons tenu compte que des elements [uges essentiels ; mais notre figure permet de distinguer d'emblee Jes parties physiques (ondcs sonores) 29 des physiologiques (phonation et audition) et psychiques (images verbales et concepts). II est en effet capital de remarquer que l'image verhale ne se confond pas avec le son luimeme et qu'elle est psychique au meme titre que le concept qui lui est associe. Le circuit, tel que nous l'avons represente, pent se diviser encore: a) en une partie exterieure (vibration des sons allant de la bouche a l'oreille) et une partie interieure, comprenant tout le reste : b) en une partie psychique et une partie non-psychique, la seconde comprenant aussi bien les faits physiologiques dont les organes sont le siege, que lcs faits physiques exterieurs a l'individu ; c) en une partie active et une partie passive : est actif tout ce qui va du centre d'association d'un des sujets a l'oreille del'autre sujet, et passif tout ce qui va de l'oreille de celui-ci a son centre d'association , * (61) enfin dans la partie psychique localisee dans le cerveau, on peut appeler executif tout ce qui est actif ( c -> i) et receptif tout ce qui est passif (i ~ e). II faut ajouter une faculte d'association et de coordination, qui se manifeste des qu'il ne s'agit plus de signes isoles ; c'est cette faculte qui joue le plus grand role dans l'organisation de la langue en tant que systeme (voir p. 170 sv.).* (62) Mais pour bien comprendre ce role, il faut sortir de l'acte individuel, qui n'est que l'embryon du langage, et aborder le fait social. Entre tous les individus ainsi relies par le langage, il s'etablira une sorte de moyenne : tous reproduiront, - non exactement sans doute, mais approximativement - les memes signes unis aux memes concepts. Quelle . est l'origine de cette cristallisation sociale ? Laquelle des parties du circuit peut ~tre ici en cause ? Car 30 31 INTRODUCTION PLACE DE LA LANGUE DANS LE LANGAGE il est bien probable que toutes n'y participent pas egalement. 1 o les combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code*de la langue en vue d'exprimer sa pensee personnelle ; 20 le mecanisme psycho-physique qui lui permet' d'exterioriser ces combinaisons. * 11 est a remarquer que nous avons defini des choses et non des mots ; les distinctions etablies n'ont done rien a redouter de certains termes ambigus qui ne se recouvrent pas d'une langue a l'autre. Ainsi en allemand Sprache veut dire « Iangue » et « langage » ; Rede correspond a peu pres a « parole », mais y ajoute le sens special de « discours ». En latin sermo signifie plutot « langage » et « parole », tandis que lingua designe la langue, et ainsi de suite. Aucun mot ne correspond exactement a l'une des notions precisees plus haut ; c'est pourquoi toute definition faite a propos d'un mot est vaine ; c'est une mauvaise methods que de partir des mots pour definir Jes choses.* Recapitulons les caracteres de la langue : 1 o Elle est un objet bien defini dans l'ensemble heteroelite des faits de Iangage. On peut la localiser dans la portion determinee du circuit ou une image auditive vient s'associer a un concept. Elle est la partie sociale du langage, exterieure a l'individu, qui a lui seul ne peut ni la creer ni la modifier ; elle n'existe qu'en vertu d'une sorte de contrat passe entre les membres de la communaute. D'autre part, l'lndividu a besoin d'un apprentissage pour en connattre le jeu ; l'enfant ne se l'assimile que peu a pe;1.*Elle est.si bien une chose distincte qu'un homme prive de l'usage de la parole conserve la langue, pourvu qu'il comprenne Jes signes vocaux qu'il entend. 20 La langue, distincte de la parole, est un objet qu'on peut etudier separement, Nous ne parlons plus les langues mortes, mais nous pouvons fort bien nous assimiler leur organisme linguistique. Non seulement la science de la langue peut se passer des autres elements du langage, mais elle n'est possible que si ces autrcs elements n'y sont pas meles, La partie physique peut !tre ecartee d'emblee. Quand nous entendons parler une langue que nous ignorons, nous percevons bien les sons, mais, par notre · incomprehension, nous restons en dehors du fait social. La partie psychique n'est pas non plus tout entiere en jeu: le ~te executif reste hors de cause, car l'execution n'est jamais faite par la masse ; elle est toujours individuelle, et l'individu en est toujours le maitre ; nous l'appellerons 163) la parole.* C'est par .le fonctionnement des facultes receptive et coordinative que se iorment chez Jes sujets parlants des empreintes qui arrivent a ~tre sensiblement les memes chez tous. Comment faut-il se representer ce produit social pour que la langue apparaisse parfaitement degagee du reste ? Si nous pouvions embrasser la somme des images verbales emmagasinees chez tous les individus, nous toucherions le lien social qui constitue la langue. C'est un tresor depose par la pratique de la parole dans les sujets appartenant une meme communaute, un systeme grammatical existant virtuellement dans chaque cerveau, ou plus exactement dans les cerveaux d'un ensemble d'individus ; car la langue n'est complete dans aucun, elle n'existe parfaitement que 164 J dans la masse. * En separant la langue de la parole, on separe du meme coup : 1° ce qui est social de ce qui est individuel; 20 ce qui est essentiel de ce qui est accessoire et plus ou moins ( 65J accidentel. * La langue n'est pas une fonction du sujet parlant, elle est le produit que l'individu enregistre passivement ; elle ne suppose jamais de premeditation, et la reflexion n'y intervient que pour l'activite de classement dont il sera question p. 170 sv. La parole est au contraire un acte individuel de volonte et d'intelligence, dans lequel il convient de distinguer : a (66) (67) (68) (69) 32 LA SEMIOI.OGIE INTRODUCTION 30 Tandis que le langage est heterogene, la 1angue ainsi delimitee est de nature hornogene : c'est un systeme de signes ou il n'y a d'essentiel que l'union du sens et de l'image acoustique, et ou les deux parties du signe sont egalement psychiques. 4° La langue n'est pas moins que la parole un objet de nature concrete, et c'est un grand avantage pour l'etude. Les signes linguistiques, pour ~tre essentiellement psychiques, ne sont pas des abstractions ; les associations ratifiees par le consentement collectif, et dont l'ensemble constitue la langue, sont des realites qui ont leur siege dans le cerveau. En outre, les signes de la langue sont pour ainsi dire tangibles ; l'eeriture peut les fixer dans des images conventionnelles, tandis qu'il serait impossible de photographier dans tous leurs details les actes de la parole ; la phonation d'un mot, si petit soit-il, represente une infinite de mouvements musculaires extremement difficiles a connattre et a figurer. Dans la langue, au contraire, ii n'y a plus que l'image acoustique, et celle-ci peut se traduire en une image visuelle constante. Car si l'on fait abstraction de cette multitude de mouvements necessaires pour la realiser dans la parole, chaque image acoustique n'est, comme nous le verrons, que la somme d'un nombre limite d'elements ou phonemes, susceptibles a leur tour d'etre evoques par un nombre correspondant de signes (Jans l'ecriture. C'est cette possibilite de fixer les choses relatives a la langue qui fait qu 'un dictionnaire et une grammaire peuvent en Mre une representation fidele, la langue etant le depot des images acoustiques, et I'ecriture la forme (70) tangible de ces images." § 3. (71] 33 langage, est classable parmi les faits humains, tandis que le langage ne l'est pas. Nous venous de voir que la langue est une institution sociale ; mais elle se distingue par plusieurs traits des autres institutions politiques, juridiques, etc. Pour comprendre sa nature speciale, il faut faire intervenir un nouvel ordre de faits. La Iangue est un systeme de signes exprimant des idees, et par IA, comparable a l'eeriture, a l'alphabet des sourdsmuets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc., etc. Elle est seulement le plus important de ces systemes.* (72) On peut done concevoir une science qui etudie la vie des signes au sein de la vie sociole ; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par consequent de la psychologie generale ; nous la nommerons sem.iologiel (du grec semelon, « signe »):*Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, (73) quelles lois les regissent. Puisqu'elle n'existe pas encore, on ne peut dire ce qu'elle sera ; mais elle a droit a l'existence, sa place est determinee d'avance. La linguistique n'est qu'une partie de cette science generale, les lois que decouvrira la semiologie seront applicables a la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachee a un domaine bien deflni dans !'ensemble des faits humains. C'est au psychologue a determiner la place exacte de la semtologie! ; la tache du linguiste est de deflnir ce qui fait de la langue un systeme special dans l'ensemble des faits semiologiques. La question sera reprise plus bas ; nous ne retenons ici qu'une chose: si pour la premiere fois nous avons pu assigner a la linguistique une place panni les PLACE DE LA LANGUE DANS LES FAITS HUMAINS. * LA SEMIOLOGIE. Ces caracteres nous en font decouvnr un autre plus important. La langue, ainsi delimitee dans l'ensemble des faits de t. Ou se gardera de confondre la shniologie avec la shnantique, qui etudle les ch°angements de aigni{icalion, et dont F. de S. n'a pas fait un expose methodlque ; mail; on en trouvera le princlpe fondamental formule It la page 109. 2. Cf. Ad. NAVILLE, ClauiflcatiDn du ,ciuu:a, 2• M., p. 104. INTRODUCTION sciences, c'est parce que nous l'avons rattacbee A la semiologie. Pourquoi celle-ci n'est-elle pas encore reconnue comme science autonome, ayant comme toute autre son objet propre? C'est qu'on toume dans un cercle: d'une part, rienn'est plus propre que la Iangue a faire comprendre la nature du probleme semiologique ; mais, pour le poser convenablement, il faudrait etudier la langue en elle-meme ; or, jusqu'ici, on l'a presque toujours abordee en fonction d'autre chose, A d'autres points de vue. 11 y a d'abord la conception superficielle du grand public : il ne voit dans la langue qu'une nomenclature (voii' p. 97), ce qui supprime toute recherche sur sa nature (74) veritable.* Puis ii y a le point de vue du psychologue, qui etudie le meeanisme du signe chez l'individu ; c'est la methode la plus facile, mais elle ne conduit pas au dela de l'execution individuelle et n'atteint pas le signe, qui est social par nature. Ou bien encore, quand on s'apercoit que le signe doit etre etudie socialement, on ne retient que les traits de la langue qui la rattachent aux autres institutions, celles qui dependent plus ou moins de notre volonte ; et de Ia sorte on passe a cote du but, en negligeant Jes caracteres qui n'appartiennent qu'aux systemes semiologiquesen general et a la langue en particulier. Car le signe echappe toujours en une certaine mesure a Ia volonte individuelle ou sociale, c'est la son caraetere essentiel • mais c'est celui qui apparait le moins a premiere vue. Ainsi ce caractere n'apparatt bien que dans la Iangue, mais il se manifeste dans les choses qu'on etudie le moins, et par contre-coup on ne voit pas bien la necessite ou l'utilite particuliere d'une science semiologique, Pour nous, au contraire, le probleme linguistique est avant tout semiologique, et tous nos developpements empruntent leur signifi- LA SEMIOl.OGIE 35 cation a ce fait important. Si l'on veut decouvrir la veritable nature de la langue, il faut la prendre d'abord dans ce qu'elle a de common avec tous les autres systemes du meme ordre ; et des facteurs linguistiques qui apparaissent comme tres importants au premier abord (par exemple le jeu de l'appareil vocal), ne doivent etre consideres qu'en seconde ligne, s'ils ne servent qu'a distinguer la langue des autres systemes. Par la, non seulement on eclairera le probleme linguistique, mais nous pensons qu'en considerant Jes rites, les coutumes, etc ... comme des signcs, ces faits apparaitront sous un autre [our, et on sentira le besoi~ de les grouper dans la semiologie et de les expliquer par Jes lois de cette science. LINGUISTIQUE DE LA LANGUE ET DE LA PAROLE CHAPITRE car ils n'atteignent que la substance materielle des mots. S'ils attaquent la langue en tant que systeme de signes, ce n'est qu'indirectement, par le changement d'mterpretation qui en resulte ; or ce phenomena n'a rien de phonetique (voir p. 121). 11 peut etre interessant de rechercher les causes de ces changements, et l' etude des sons nous y aidera ·; mais cela n'est pas essentiel : pour la science de la langue, il suffira toujours de constater les transformations de sons et de calculer IV LINGUISTIQUE DE LA LANGUE ET LINGUISTIQUE (75) DE LA PAROLE* a En accordant la science de la langue sa vraie place dans l'ensemble de l'etude du langage, nous avons du meme coup situe la linguistique tout entiere. Tous les autres elements du langage, qui constituent la parole, viennent d'eux-memes se subordonner a cette premiere science, et c'est grace a cette subordination que toutes les parties de la linguistique trouvent Ieur place naturelle. Considerons, par exemple, la production des sons necessaires la parole : les organes vocaux sont aussi exterieurs la langue que les appareils electriques qui servent transcrire }'alphabet Morse sont etrangers a cet alphabet ; et la phonation, c'est-a-dire l'execution des images acoustiques, n'affecte en rien le systeme lui-meme. Sous ce rapport, on peut comparer la langue a une symphonie, dont la realite est independante de la maniere dont on l'execute ; lcs fautes que peuvent commettre les musiciens qui la jouent ne compromet(76) tent nullement cette realite. * A cette separation de la phonation et de la langue on opposera peut-etre les transformations phonetiques, les alteratio~s de sons qui se produisent dans la parole et qui exercent une influence si profonde sur les destinees de la langue ellememe. Semmes-nous vraiment en droit de pretendre que eelle-ci existe independamment de ces phenomenes ? Oui, a a 37 a leurs effets. Et ce que nous disons de la phonation sera vrai de toutes les autres parties de la parole. L'activite du sujet parlant doit Hre etudiee dans un ensemble de disciplines qui n'ont de place dans la linguistique que par leur relation avec la langue. L'etude du Iangage comporte done deux parties : I'une, essentielle, a pour ohjet la langue, qui est sociale dans son essence et independante de l'individu ; cette etude est uniquement psychique ; l'autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage. c'est-a-dire la parole y compris la phonation : elle est psycho-physique.* (77] Sans doute, ces deux objets sont etroitement lies et se supposent l'un l'autre : la langue est necessaire pou, que l.a parole soit intelligible et produise tous ses effets ; mars celle-ci est necessaire pour que la langue s'etablisse ; historiquemcnt, le fait de parole precede toujours. Comment s'aviserait-on d'associer une idee a une image verbale, si l'on ne surprenait pas d'abord cette association dans un acte de parole ? D'autre part, c'est en entendant les autres que nous apprenons notre langue maternelle ; elle n'arrive a se deposer dans notre cerveau qu'a la suite d'innombrables experiences. Enfin, c'est la parole qui fait evoluer la langue : ce sont les impressions recues en entendant les autres qui modifient nos habitudes linguistiques. Il y a done interdependance de la langue et de la parole ; celle-ia est a la fois )'instrument ct le produit de celle-ci. Mais tout 38 IN'nlODUCTION cela ne les empeche pas d'etre deux choses absolument dis(78) tinctes.* La langue existe dans la collectivite sous la forme d'une somme d'empreintes deposees dans chaque cerveau, a peu pres comme un dictionnaire dont tous Jes exemplaires, identiques, seraient repartis entre les individus (voir p. 30). C'est done quelque chose qui est dans chacun d'eux, tout en etant commun a tous et place en dehors de la volonte des depositaires. Ce mode d'existence de la langue peut etre represente par la formule : (79) 1 +1 +1 + 1... = I (modele*collectif). De quelle maniere la parole est-elle presents dans cette meme collectivite ? Elle est la somme de ce que les gens disent, et elle comprend : a) des combinaisons individuelles, dependant de la volonte de ceux qui parlent, b) des actes de phonation egalement volontaires, necessaires pour l'execution de (80) ces combinaisons.* 11 n'y a done rien de collectif daus la parole ; les manifestations en sont individuelles et momentanees. lei Il n'y a rien de plus que la somme des cas particuliers selon la formule: (1 + l' + l" + 1"'... ). Pour toutes ces raisons, ii serait chimerique de reunir sous un meme point de vue la langue et la parole. Le tout global du langage est inconnaissable, parce qu'il n'est pas homogene, tandis que la distinction et la subordination proposees eclairent tout. Telle est la premiere bifurcation qu'on rencontre des qu'on cherche a faire la theorie du langage. II faut choisir entre deux routes qu'il est impossible de prendre en meme temps ; elles doivent etre suivies separement. On peut a la rigueur conserver le nom de linguistique a chacune de ces deux disciplines et parler d'une linguistique (81) de la parole:"'Maisii ne faudra pas la confondre avec la lin- LINGUISTIQUE DE I.A LANGUE ET DE LA PAROLE 39 guistique proprement dite, celle dont la langue est l'unique objet. Nous nous attacherons uniquement a cette derniere, et si, au cours de nos demonstrations, nous empruntons des lumieres a l'etude de la parole, nous nous efforceronsde ne [amais effacer les Iimites qui separent les deux domaines. £LtMENTS CHAPITRE ~L~MENTS (82) INTERNES V ET ~L~MENTS DE LA LANGUE * EXTERNES Notre definition de la langue suppose que nous en ecartons tout ce qui est etranger a son organisme, a son systeme, en un mot tout ce qu'on designe par le terme de « linguistique (83) exteme ».*Cette linguistique-la s'occupe pourtant de choses importantes, et c'est surtout a elles que l'on pense quand on ab.orde l'etude du langage. Ce sont d'abord tous les points par lesquels la linguistique touche a l'ethnologie, toutes les relations qui peuvent exister entre l'histoire d'une langue et celle d'une race ou d'une civilisation .Ces deux histoires se melent et entretiennent des rapports reciproques. Cela rappelle un peu les correspondances constatees entre les phenomenas linguistiques proprement dits (voir p. 23 sv.), Les mceurs d'une nation ont un contre-coup sur sa langue, et, d'autre part, c'est dans une large mesure [84) la langue qui fait la nation.* En second lieu, ii faut mentionner les relations existant entre la langue et l'histoire politique. De grands faits historiques comme la conquete romaine, ont eu une portee incalculable pour une foule de faits linguistiques, La colonisation, qui n'est qu'une forme de la conquete, transporte un idiome dans des milieux diflerents, ce qui entraine des changements dans cet idiome. On pourrait citer a l'appui toute espece de faits : ainsi la Norvege a adopte le danois en s'unissant politiquement au Danemark ; ii est vrai qu'aujourd'hui les INTERNES ET EXTERNES DE LA LANGUE 41 Norvegiens essaient de s'affranchir de cctte influence linguistique. La politique interieure des Etats n'est pas moins importante pour la vie des langues : certains gouvernements, comme la Suisse, admettent la coexistence de plusieurs idiomes ; d'autres, comme la France, aspirent a l'unite linguistique. Un degre de civilisation avance favorise le developpement de certaines langues speciales (langue juridique, tenninologie scientifique, etc).* (85) Ceci nous amene a un troisieme point : les rapports de la langue avec des institutions de toute sorte, l'~lise, I'ecole, etc. Celles-ci, a leur tour, sont intimement liees avec le developpement litteraire d'une langue, phenomene d'autant plus general qu'il est lui-meme, inseparable de l'histoire politique. La langue litteraire depasse de toutes parts Ies limites que semble lui tracer la litterature ; qu'on pense a l'influence des salons, de la cour, des academies. D'autre part elle pose la grosse question du conflit qui s'eleve entre elle et les dialectes locaux (voir p. 267 sv.) ; le linguiste doit aussi examiner les rapports reciproques de la langue du livre et de la langue courante ; car toute langue litteraire, produit de la culture, arrive a detacher sa sphere d'existence de la sphere naturelle, celle de la langue parlee. 86 J Enfin tout ce qui se rapporte a l'extension geographique des langues et au fractionnement dialectal releve de la linguistique exteme. Sans doute, c'est sur ce point que la distinction entre elle et la linguistique inteme paratt le plus paradoxale, tant le phenomene geographique est etroitement associe a !'existence de toute langue; et cependant, en realite, il ne touche pas a l'organisme interieur de l'idiome.* [87) On a pretendu qu'il est absolument impossible de separer toutes ces questions de l'etude de la langue proprement dite. C'est un point de we qui a prevalu surtout depuis qu'on a tant insiste sur ces « Realia •· De meme que la plante est modifiee dans son organisme interne par des factcurs etrangers : terrain, climat, etc., de meme l'orga- * [ 42 INTRODUCTION nisme grammatical ne depend-ii pas constamment des facteurs externes du changement linguistique ? 11 semble qu'on explique mal les termes techniques, les emprunts dont la langue fourmille, si on n'en considere pas la provenance. Est-ii possible de distinguer le developpement naturel, organique d'un idiome, de ses formes artiticielles, telles que la langue litteraire, qui sont dues a des facteurs externes, par consequent inorganiques ? Ne voit-on pas constamment se developper une langue commune a c~te des dialectes locaux? Nous pensons que l'etude des phenomenes linguistiques extemes est tres fructueuse ; mais ii est faux de dire que sans eux on ne puisse connaitre l'organisme linguistique inteme. Prenons comme exemple l'emprunt des mots etrangers ; on pent constater d'abord que ce n'est nullement un element constant dans la vie d'une langue. 11 y a dans certaines vallees retirees des patois qui n'ont pour ainsi dire jamais admis un seul terme artificiel venu du dehors. Dirat-on que ces idiomes sont hors des conditions regulieres du langage, incapables d'en donner une. idee, que ce sont eux qui demandent une etude « teratologique • comme n'ayant pas subi de melange ? Mais surtout le mot emprunte ne compte plus comme tel, des qu'il est etudie au sein du systeme , ii n'existe que par sa relation et son opposition avee les mots qui lui sont associes, au meme titre que n'importe quel signe autochtone. D'une fa~on generale, ii n'est jamais indispensable de connaitre les cir(88) constances au milieu desquelles une langue s'est developpee.* Pour certains idiomes, tels que le zend et le paleo-slave, on ne sait meme pas exactement quels peoples les ont parles ; mais cette ignorance ne nous gene nullement pour les etudier interieurement et pour nous rendre compte des transf orma(89) tions qu'ils ont subies.*En tout cas, la separation des deux points de vue s'impose, et plus on l'observera rigoureusement mieux cela vaudra. ELEMENTS INTERNES ET EXTERNES DE LA LANGUE 43 La meilleure preuvc en est que chacun d'eux cree une methode distincte. La linguistique externe peut accumuler detail sur detail sans se sentir serree dans l'etau d'un systeme, Par exemple, chaque auteur groupera comme il l'entend les faits relatifs a I'expansion d'une langue en dehors de son territoire ; si l'on cherche les facteurs qui ont cree une langue litteraire en face des dialectes, on pourra toujours user de la simple enumeration ; si l'on ordonne les faits d'une Iacon plus ou moins systernatique, ce sera uniquement pour les besoins de la clarte. Pour la linguistique interne, il en va tout autrement : elle n'admet pas une disposition quelconque ; la langue est un systeme qui ne connatt que son ordre propre. Une comparaison avec le jeu d'echecs'[e fera mieux sentir. La, ii est rela- (90) tivement facile de distinguer ce qui est exteme de ce qui est inteme : le fait qu'il a passe de Perse en Europe est d'ordre exteme ; interne, au contraire, tout ce qui conceme le systeme et les regles. Si je remplace des pieces de bois par des pieces d'ivoire, le changement est indifferent pour le systeme : mais si je diminue ou augmente le nombre des pieces, ce changement-la atteint profondement la « grammaire » du jeu. II n'en est pas moins vrai qu'une certaine attention est necessaire pour faire des distinctions de ce genre. Ainsi dans chaque eas on posera la question de la nature du phenomene, et pour la resoudre on observera cette regle : est inteme tout ce qui change le systeme a un degre quelconque.* (91] PRESTIGE DE L'ECRlruRE § 2. 45 PRESTIGE DE L'ECRITURE i CAUSES DE SON ASCENDANT SUR LA FORME PARLEE.* CHAPITRE REPR~SENTATION VI DE LA LANGUE PAR L'~CRITURE (92) § 1. Langue et ecriture sont deux systemes de signes distincts ; l'unique raison d'etre du second est de representer le premier; l'objet linguistique n'est pas defini par la combinaison du mot ecrit et du mot parle ; ce dernier constitue a lui seul cet objet. Mais le mot ecrit se mele si intimement au mot parle dont ii est l'image, qu'il finit par usurper le role principal ; on en vient donner autant et plus d'importance a la representation du signe vocal qu'il ee signe lui-meme. C'est comme si l'on croyait que, pour connattre quelqu'un, il vaut mieux regarder sa photographie que son visage. Cette illusion a existe de tout temps, et les opinions courantes qu'on colporte sur la langue en sont entachees, Ainsi l'on croit communement qu'un idiome s'altere plus rapidement quand l'ecriture n'existe pas : rien de plus faux. L'ecriture peut bien, dans certaines conditions, ralentir les changements de la langue, mais inversement, sa conservation n'est nullement compromise par l'absence d'ecriture. Le lituanien, qui se parle encore aujourd'hui .dans la Prusse orientale et une partie de la Bussie, n'est connu par des documents ecrits que depuis 1540 ; mais a cette epoque tardive, ii offre, dans l'ensemble, une image aussi fldele de l'indoeuropeen que le latin du me siecle avant Jesus-Christ. Cela seul suffit pour montrer combien la langue est independante de l'ecriture. Certains faits linguistiques tres tenus se sont conserves sans le secours d'aucune notation. Dans toute la periode du vieux haut allemand on a ecrit toten, f uolen et stozen. tandis qu'a la fin du xue siecle apparaissent les graphies toten, fiielen, contre siiaen qui subsiste. D'ou provient cette difference 'l Partout ou elle s'est produite, il y avait un II a NECESSITE D'ETUDIER CE SUJET,* L'objet concret de notre etude est done le produit social depose dans le cerveau de chacun, c'est-a-dire la langue. Mais ce produit differe suivant les groupes linguistiques : ce qui nous est donne, ce sont les langues. Le linguiste est oblige d'en connaltre le plus grand nombre possible, pour tirer de leur observation et de leur comparaison ce qu'il y a d'universel en elles. Or nous ne les connaissons generalement que par l'ecriture. Pour notre langue maternelle elle-meme, le document intervient a tout instant. Quand ii s'agit d'un idiome parle a quelque distance, ii est encore plus necessaire de recourir au temoignage ecrit : a plus forte raison pour ceux qui n'existent plus. Pour disposer dans tousles cas de doc. .ments directs, il faudrait qu'on etlt fait de tout temps ce qui se fait actuellemcnt a Vienne et a Paris : une collection d'echantillons pho(93) nographiques de toutes les langues.'*Encore faudrait-il recourir a l'ecriture pour faire connaitre aux autres les textes consignes de cette maniere. Ainsi, bien que l'ecriture soit en elle-meme etrangere au systeme interne, ii est impossible de faire abstraction d'un precede par lequel la langue est sans cesse flguree ; ii est necessaire d'en connaitre l'utilite, les defauts et les dangers. (94) 46 INTRODUCTION dans la syllabe suivante ; le protogermanique offrait •dau­ pyan, •folyan, mais •stautan. Au seuil de la periode litteraire, vers 800, ce y s'affaiblit a tel point que l'ecriture n'en conserve aucun souvenir pendant trois siecles ; pourtant ii avait laisse une trace legere dans la prononciation ; et voici que vers 1180, comme on l'a vu plus haut, ii reparait miraculeusement sous fonne d' " umlaut » I Ainsi sans le secours de l'ecriture, cette nuance de prononciation s'etait exactement transmise. La Iangue a done une tradition orale independante de l'eeriture, et bien autrement fixe ; mais le prestige de la fonne ecrite nous empeche de le voir. Les premiers linguistes s'y sont trompes, comme avant eux les humanistes. Bopp lui-meme ne fait pas de distinction nette entre la lettre et le son ; a le lire, on croirait qu'une langue est inseparable de son alphabet. Ses successeurs imrnediats sont tombes dans le meme piege ; la graphie th de la fricative p a fait croire a Grimm, non seulement que ce son est double, mais encore que c'est une occlusive aspiree ; de la la place qu'il lui assigne dans sa loi de mutation consonantique ou « Lautverschiebung • (voir p, 199). Aujourd'hui encore des hommes eclaires confondent la langue avec son orthographe ; Gaston Deschamps ne disait-il pas de Berthelot « qu'il avait preserve le franeais de la ruine » parce qu'il s'etait oppose a la reforme orthogra(95) phique .?* Mais comment s'explique ce prestige de l'ecriture ? 1 o D'ahord l'image graphique des mots nous frappe comme un objet permanent et solide, plus propre que le son a constituer l'unite de la langue a travers le temps. Ce lien a beau ~tre superficiel et creer une unite purement factlce : il est beaucoup plus facile saisir que le lien naturel, le ,s'Eml veritable, celui du son. 20 Chez la plupart des individus les impressions visuelles sont plus nettes et plus durables que les impressions acoustiques ; aussl s'attachent-ils de preference aux pre- a 47 LES SYSTEl\!Es n'EcHITURE mieres. L'image graphique finit par s'imposer aux depens du son. 3° La langue litteraire accroit encore I'importance immeritee de l'ecriture. Elle a ses dictionnaires, ses grammaires ; c'est d'apres le livre et par le livre qu'on enseigne a l'ecole ; la langue apparatt reglee par un code ; or ce code est lui-meme une regle ecrite, soumise a un usage rigoureux : I'orthographe, et voila ce qui confere a l'ecriture une importance primordiale. On finit par oublier qu'on apprend a parler avart d'apprendre a ecrire, et le rapport naturel est renverse. 4° Enfin, quand il y a desaccord entre la langue et l'orthographe, le debat est toujours difficile a trancher pour tout autre que le linguiste ; mais comme celui-ci n'a pas voix au chapitre, la forme ecrite a presque fatalement le dessus, parce que toute solution qui se reclame d'elle est plus aisee ; l'ecriture s'arroge de ce chef une importance a laquelle elle n'a pas droit. § 3. LES SYSTE~IES D 'ECRITURE * I ~Hi! II n'y a que deux systemes d'ecriture : 1 ° Le systerne ideographique, dans lequel le mot est represente par un signe unique ct etranger aux sons dont ii se compose. Ce signe se rapporte a l'ensemble du mot, et par la, indirectement, a l'idee qu'il exprime. L'exemple classique de ce systeme est I'ecriture chinoise. 2° Le systeme dit comrnunement « phonetique », qui vise a reproduire la suite des sons se succedant dans le mot. Les ecritures phonetiques sont tantot syllabiques, tantot alphabetiques, c'est-a-dire basees sur Jes elements irreductibles de la parole. D'ailleurs les ecritures ideographiques deviennent volontiers mixtes : certains ideogramrnes, detournes de leur valeur premiere, finissent par representer des sons isoles." 1~71 48 INTRODUCTION Nous avons dit que le mot ecrit tend a se substituer dans notre esprit au mot parle : cela est vrai pour les deux. systemes d'ecriture, mais cette tendance est plus forte dans le premier. Pour le Chinois, l'ideogramme et le mot parle sont au meme titre des signes de I'idee ; pour lui l'ecriture est une seconde Iangue, et dans la conversation, quand deux. mots parles ont le meme son, il lui arrive de recourir au mot ecrit pour expliquer sa pensee, Mais cette substitution, par le fait qu'elle peut etre absolue, n'a pas les memes consequences facheuses que dans notre ecriture ; les mots chinois des differents dialectes qui correspondent a une meme idee s'incorporent egalement bien au meme signe graphique. Nous bornerons notre etude au systeme phonetique, et tout specialement a celui qui est en usage aujourd'hui et dont le prototype est l'alphabet grec, Au moment ob un alphabet de ce genre s'etablit, ii retlete la langue d'une facon assez rationnelle, a moins qu'il ne s'agisse d'un alphabet emprunte et deja entache d'inconsequences. Au regard de la logique, l'alphabet grec est particulierement remarquable, comme nous le verrons p. 64. Mais cette harmonie entre la graphie et la prononciation ne dure pas. Pourquoi ? C'est ce qu'il faut examiner. § 4. (98] CAUSES DU DESACCORD ENTRE LA GRAPHIE ET LA PRONONCIATION.* Ces causes sont nombreuses ; nous ne retiendrons que les plus importantes. D'abord la langue evolue sans cesse, tandis que I'ecriture tend a rester immobile. 11 s'ensuit que la graphie finit par ne plus correspondre a ce qu'elle doit representer. Une notation, consequents a un moment donne, sera absurde un siecle plus tard. Pendant un temps, on modifie le signe graphique pour le conformer aux changements de prononeia- DESACCORD ENTRE LA GRAPHIE ET LES SONS 49 tion. ensuite on y renonce. C'est ce qui est arrive en franeais pour oi. On prononcait : au x1e siecle. au xme siecle, au x1ve siecle. au xixe siecle. On ecrivait : 1. 2 3. 4. rei, lei roi, loi rei, lei. roe, loe roi, loi. roi, loi. rwa, lwa roi, loi. Ainsi, [usqu'a la deuxieme epoque on a tenu compte des changements survenus dans la prononciation ; a une etape de l'histoire de la langue correspond une etape dans celle de la graphie. Mais a. partir du xive siecle I' ecriture est restee stationnaire, tandis que la langue poursuivait son evolution, et des ce moment il y a eu un desaccord toujours plus grave entre elle et l'orthographe. Enfin, comme on con· tinuait a. joindre des termes discordants, ce fait a eu sa repercussion sur le systeme meme de i'ecriture : l'expression graphique oi a pris une valeur etrangere aux elements dont elle est Iormee. On pourrait multiplier indetiniment Ies exemples. Ainsi pourquoi ecrit-on mais et /ail ce que nous prononcons me et /e ? Pourquoi c a-t-il souvent en francais la valeur de s ? C'est que nous avons conserve des graphiques qui n'ont plus de raison d'etre. Cette cause agit dans tous les temps: actuellement notre l mouillee se change en jod; nous disons eveyer, mouyer, comme essuyer, nettoyer ; mais nous continuons a ecrire eoeiller, mouiller. Autre cause du desaccord entre la graphie et la prononciation : quand un peuple emprunte a un autre son alphabet, il arrive souvent que les ressources de ce systeme graphique sont mal appropriees a sa nouvelle fonction ; on est oblige de recourir a des expedients ; par exemple, on se servira de deux lettres pour designer un seul son. C'est le cas pour le ft (fricative dentale sourde) des langues germaniques : l'alpha- 50 INTRODUCTION DESACCORD ENTRE LA GRAPHIE bet latin n'offrant aucun signe pour le representer, on le rend.it par th. Le roi merovingien Chilperic essaya d'ajouter aux lettres latines un signe special pour ce son ; mais il n'y reussit pas, et l'usage a consacre th. L'anglais du moyen age avait un e Ierme (par exemple dans sed « semence ») et un e ouvert (par exemple dans led « conduire ») ; l'alphabet n'offrant pas de signes distincts pour ces deux sons, on imagina d'ecrire seed et lead. En francais, pour representer la chuintante s, on recourut au signe double ch, etc., etc. Il y a encore la preoccupation etymologique : elle a ete preponderante a certaines epoques, par exemple a la Renaissance. Souvent merne c'est une fausse etymologie qui impose une graphie ; ainsi, on a introduit un d dans notre mot poids, comme s'il venait du latin pondus, alors qu'en realite ii vient de pensum. Mais il importe peu que l'application du principe soit correcte ou non : c'est le principe meme de l'ecriture etymologique qui est errone. Ailleurs, la cause echappe ; certaines chinoiseries n'ont pas meme l'excuse de l'etymologie. Pourquoi a-t-on ecrit en allemand lhun au lieu de tun ? On a dit que le h represente l'aspiree qui suit la consonne ; mais alors ii fallait l'introduire partout oil la meme aspiration se presente, et une foule de mots ne l'ont jamais recu (Tugend, Tisch, etc.). I ~Hl] § 5. EFFETS DE CE DESACCORD. * II serait trop long de classer les inconsequences de l'ecriture. Une des plus malheureuses est Ia multiplicite des signes pour le merne son. Ainsi pour f nous avons en francais : j, g, ge (joli, geler, geai) ; pour z : z et s ; pour s, c, '~ et t (nation) ; ss (chasser), sc (acquiescer), s~ (acquiescanti, x (dix) ; pour k: c, qu, k, ch, cc, cqu (acquerir). Inversement plusieurs valeurs sont figurees par le merne signe : ainsi t rcpresente t ou s, (lOOJ g represente g ou etc.* z, ET LES SONS 51 Signalons encore les « graphies indirectes ». En allemand, bien qu'il n'y ait point de consonnes doubles dans Zettel, Teller, etc., on ecrit tt, ll a seule fin d'indiquer que la voyelle precedents est breve et ouverte. C'est par une aberration du meme genre que l'anglais ajoute un e muet final pour allonger la voyelle qui precede ; comparez made (prononcez med) et mad (prononcez mad). Cet e, qui interesse en realite l'unique syllabe, en cree une seconde pour l'ceil. Ces graphies irrationnelles correspondent encore a quelque chose dans la langue ; mais d'autres ne riment a rien. Le francais actuel n'a pas de consonnes doubles, sauf dans les futurs anciens mourrai, courrai : neanmoins, notre orthographe fourmille de consonnes doubles illegitimes (bourru, sotiise; soutfrir, etc.). 11 arrive aussi que, n'etant pas fixee et cherchant sa regle, l'ecriture hesite ; de la ces orthographes fluctuantes qui representent les essais faits a diverses epoques pour figurer les sons. Ainsi dans ertha, erdha, erda, ou bien thri, dhri, dri, du vieux haut allemand, th, dh, d figurent bien le merne element phonique ; mais lequel ? Impossible de le savoir par l'ecriture. II en resulte cette complication que, en face de deux graphics pour une meme forme, on ne pent pas toujours decider s'il s'agit reellement de deux prononciations. Les documents de dialectes voisins notent le meme mot les uns asca, les autres ascha ; si ce sont les memes sons, c'est un cas d'orthographe fluctuante ; sinon, la difference est phonologique et dialectale, comme dans les formes grecques paizii, poizdo, paidd». Ou bien encore il s'agit de deux epoques successives; on rencontre en anglais d'abord hwal, hweel, etc., puis what, wheel, etc., sornmes-nous en presence d'un changement de graphie ou d'un changement phonetique ? Le resultat evident de tout cela, c'est que l'ecriture voile la vue de la langue : elle n'est pas un veternent, mais un tra- 52 53 INTRODUCTION DESACCORD ENTRE LA GRAPHIE ET LES SONS vestissement, On le voit bien par l'orthographe du mot francais oiseau, oil pas un des sons du mot parle (wazo) n'est represente par son signe propre ; il ne reste ricn de I'image de la langue. Un autre resultat, c'est que moins l'ecriture represente ce qu'elle doit representer, plus se renforce la tendance a la prendre pour base ; les grammairiens s'acharnent a attirer l'attention sur la forme ecrite. Psychologiquement, la chose s'explique tres bien, mais elle a des consequences facheuses. L'emploi qu'on fait des mots « prononcer » et « prononciation » est une consecration de cet abus et renverse le rapport legitime et reel existant entre l'ecriture et la langue. Quand on dit qu'il faut prononcer une lettre de telle ou telle Iacon, on prend I'image pour le modele. Pour que oi puisse se prononcer wa, il faudrait qu'il existat pour lui-meme. En realite, c'est wa qui s'ecrit oi. Pour expliquer cette bizarrerie, on ajoute que dans ce cas il s'agit d'une prononciation exceptionnelle de o et de i ; encore une expression fausse, puisqu'elle implique une dependance de la langue a l'egard de la forme ecrite, On dirait qu'on se permet quelque chose contre l'ecriture, comme si le signe graphique etait la norme. Ces fictions se manifestent jusque dans les regles gram· maticales, par exemple celle de l'h en francais. Nous avons des mots a initiale vocalique sans aspiration, mais qui ont recu h par souvenir de leur forme latine ; ainsi liomme (anciennement ome), a cause de homo. Mais nous en avons d'autres, venus du germanique, dont l'h a ete reellernent prononce : hache, hareng, honie, etc. Tant que l'aspiration subsista, ces mots se plierent aux lois relatives aux consonnes initiales ; on disait : deu liaches, Le hareng, tandis que, selon la loi des mots commencant par une voyelle, on disait deu­z­bommes, l'omme. A cet.te epoquc, la regl« : « devant li aspire la liaison et l'elision ne se font pas » etait correcte. Mais actuellernent cette formule est vide de sens ; I'll aspire n'cxiste plus, a moins qu'on n'appelle de ce nom cette chose qui n'est pas un son, mais devant laquelle on ne fait ni liaison ni elision. C'est done un cercle vicieux, et l'h n'est qu'un ~tre fictif issu de I'ecriture. Ce qui fixe la prononciation d'un mot, ce n'est pas son orthographe, c'est son histoire. Sa forme, a un moment donne, represents un moment de l'evolution qu'il est force de suivre et qui est reglee par des lois precises. Chaque etape peut etre flxee par celle qui precede. La seule chose a considerer, celle qu'on oublie le plus, c'est l'ascendance du mot, son etymologie. Le nom de la ville d'Auch est en transcription phonetique. C'est le seul cas ou le ch de notre orthographe represente a la fin du mot. Ce n'est pas une explication que de dire : ch final ne se prononce s que dans ce mot. La seule question est de savoir comment le latin Auscii a pu en se transformant devenir os ; l'orthographe n'importe pas. Doit-on prononcer gageure avec o ou avec ii ? Les uns repondent : gazor. puisque heure se prononce or. D'autres disent : non, mais gaWr, car ge equivaut a i: dans geole par exemple. Vain debat I La vraie question est etymologique : gageure a ete Iorme sur gager comme tournure sur iourner ; ils appartiennent au merne type de derivation : gaiiir est seul [ustifle ; gaior est une prononciation due uniquement a l'equivoque de l'ecriture. Mais la tyrannie de la lettre va plus loin encore : a force de s'imposer a la masse, elle influe sur la langue et la modifie. Cela n'arrive que dans les idiomes tres litteraires, ou le documeht ecrit joue un role considerable. Alors l'image visuelle arrive a creer des prononciations vicieuses ; c'est la proprement un fait pathologique. Cela se voit souvent en francais. Ainsi pour le nom de famille Lefevre (du latin /aber), il y avait deux graphies, l'une populaire et simple, Lefevre, l'autre savante et etymologique, Lefebvre. Grace a la confusion de u et u dans l'ancienne ecriture, Lefebvre a ete lu Lefe­ os s INTRODUCTION bure, avec un b qui n'a jamais existe reellement dans le mot, et un u provenant d'une equivoque. Or maintenant cette f orme est reellement prononcee, II est probable que ces deformations deviendront toujours plus frequentes, et que l'on prononcera de plus en plus les lettres inutiles. A Paris, on dit deja : sept femmes en faisant sonner le t ; Darmesteter prevoit le jour oil l'on prononcera msme les deux lettres finales de vingt, veritable monstruosite (101 J orthographique.* Ces deformations phoniques appartiennent bien a la Iangue, seulement elles ne resultent pas de son jeu nature} ; elles sont dues a un facteur qui lui est etranger. La linguistique doit les mettre en observation dans un compartiment special : ce sont des cas teratologiques. CHAPITRE VII LA PHONOLOG IE § 1. DEFINITION.* Quand on supprime l'ecriture par la pensee, celui qu'on prive de cette image sensible risque de ne plus apercevoir qu'une masse informe dont il ne sait que faire. C'est comme si l'on retirait ii l'apprenti nageur sa ceinture de liege. 11 faudrait substituer tout de suite le naturel a l'artificiel ; mais cela est impossible tant qu'on n'a pas etudie les sons de la langue ; car detaches de leurs signes graphiques, ils ne representent plus que des notions vagues. et l'on prefere encore l'appui, meme trompeur, de I'ecriture. Aussi les premiers linguistes, qui ignoraient tout de la physiologie des sons articules, sont-ils tombes tout instant dans ces piegee : JAcher la lettre, c'etait pour eux perdre pied; pour nous, c'est un premier pas vers la verite ; car c'est l'etude des sons euxmemes qui nous f ournit le secours que nous cherchons, Les linguistes de l'epoque moderne l'ont enfin compris ; reprenant pour leur compte des recherches inaugurees par d'autres (physiologistes, theoriciens du chant, etc.), ils ont dote la linguistique d'une science auxiliaire qui l'a affranchie du mot ecrit. La physiologie des sons (all. Laut- ou Sprachphysiologie) est souvent appelee « phonetique • (all. Phonetik, angl, phonetics). Ce terme nous semble impropre ; nous le remplaeons par celui de phonologie. Car phonetique a d'abord a (102) 56 INTRODUCTION designe et doit continuer a designer l'etude des evolutions des sons; l'on ne saurait confondre sous un meme nom deux etudes absolument distinctes. La phonetique est une science historique ; elle analyse des evenements, des transformations et se meut dans le temps. La phonologie est en dehors du temps, puisque le mecanisme de l'articulation reste toujours (103) semblable a lui-meme." Mais non seulement ces deux etudes ne se confondent pas, elles ne peuvent meme pas s'opposer. La premiere est une des parties essentielles de la science de la langue ; la phonologie, elle, - il faut le repeter, - n'en est qu'une discipline auxiliaire et ne releve que de la parole (voir p. 36). Sans doute on ne voit pas bien a quoi serviraient les mouvements phonatoires si la langue n'existait pas ; mais ils ne la constituent pas, et quand on a explique tous les mouvements de l'appareil vocal necessaires pour produire chaque impression acoustique, on n'a eclaire en rien le probleme de la langue. Celle-ci est un systeme base sur l'oppesition psychique de ces impressions acoustiques, de meme qu'une tapisserie est une ceuvre d'art produite par I'opposition visuelle entre des fils de couleurs diverses ; or, ce qui importe pour l'analyse, c'est le jeu de ces oppositions, non les precedes par lesquels les couleurs ont ete obtenues. Pour l'esquisse d'un systeme de phonologle nous renvoyons a l'Appendice, p. 63 ; ici, nous rechercherons seulement quel secours la linguistique peut attendre de cette science pour echapper aux illusions de l'ecnture. § 2. L'ECRITURE PHONOLOGIQUE,* (104) Le linguiste demande avant tout qu'on lui fournisse un moyen de representer les sons articules qui supprime toute equivoque. De fait, d'innombrables systemes graphiques ont [105) ete proposes." 57 DEFINITION DE LA PHONOLOGIE Quels sont les principes d'une veritable ecriture phonologique ? Elle doit viser a representer par un signe chaque element de la chaine parlee. On ne tient pas toujours compte de cette exigence : ainsi les phonologistes anglais, preoccupes de classification plutot que d'analyse, ont pour certains sons des sign es de deux et meme trois lettres. En [ 106J outre la distinction entre sons explosifs et sons implosifs (voir p, 77 sv.) devrait, comme nous le dirons, etre faite rigoureusement. Y a-t-il lieu de substituer un alphabet phonologique a l'orthographe usuelle ? Cette question interessante ne peut ~tre qu'effleuree ici ; selon nous I'ecritere phonologique doit rester au service des seuls linguistes. D'abord, comment faire adopter un systeme uniforme aux Anglais, aux Allemands, aux Franeais, etc. l En outre un alphabet applicable a toutes les langues risquerait d'etre encombre de signes diacritiques ; et sans parler de I'aspect desolant que presenterait une page d'un texte pareil, ii est evident qu'a force de preciser, cette ecriture obscurcirait ce qu'elle veut eclaircir, et embrouillerait le lecteur. Ces inconvenients ne seraient pas compenses par des avantages suffisants. En dehors de la science, l'exactitude phonologique n'est pas * tres desirable." 11 y a aussi la question de la lecture. Nous lisons de deux manieres : le mot nouveau ou inconnu est epele lettre apres lettre ; mais le mot usuel et familier s'embrasse d'un seul coup d'ceil, Independamment des lettres qui le composent ; l'image de ee mot acquiert pour nous une valeur ideographique. lei l'orthographe traditionnelle peut revendiquer ses droits : il est utile de distinguer Lant et temps, ­ et, est et ail, - du et du, - il deuai: et ils deuaient, etc. Souhaitons seulement de voir l'ecriture usuelle debarrassee de ses plus grosses absurdites ; si dans I'enseignement des langues un alphabet phonologique peut rendre des services, on ne saurait en generaliser I'emploi, [107) 58 (108) CRITIQUE INTRODUCTION § 3. CRITIQUE DU TEl\lOIGNAGE DE L'ECRITURE.* C'est done une erreur de croire qu'apres avoir reconnu le caractere trompeur de l'ecriture, la premiere chose a faire soit de reformer l'orthographe. Le veritable service que nous rend la phonologie est de nous permettre de prendre certaines precautions vis-a-vis de cette forme ecrite, par laquelle nous devons passer pour arriver a la langue. Le temoignage de l'ecriture n'a de valeur qu'a la condition d'etre interprets. Devant chaque cas il faut dresser le systeme phonologique de l'idiome etudie, c'est-a-dire le tableau des sons qu'il met en eeuvre ; chaque langue, en effet, opere sur un nombre determine de phonemes bien differencies. Ce systeme est la seule realite qui interesse le linguiste. Les signes graphiques n'en sont qu'une image dont l'exactitude est a determiner, La difficulte de cette determination varie selon les idiomes et les cireonstances. Quand il s'agit d'une langue appartenant au passe, nous en sommes reduits a des donnees indirectes ; quelles sont alors les ressourees a utiliser pour etablir le systems phonologique? to D'abord des indices exiemes, et avant tout le temoignage des contemporains qui ont decrit les sons et la prononeiation de leur epoque, Ainsi les grammairiens franeats des xv18 et xvne sieeles, surtout ceux qui voulaient renseigner les etrangers, nous ont laisse beaueoup de remarques interessantes. Mais cette source d'information est tres peu sare, paree que ces auteurs n'ont aucune methode phonologique. Leurs descriptions sont faites avee des termes de fortune, sans rigueur seientifique. Leur temoignage doit done ~tre a son tour interprete. Ainsi les noms donnes aux sons f ournissent des indices trop sou vent ambigus : Jes grammairiens grecs designaient Jes sonores (eomme b, d, g) par le terme de consonnes « moyennes » (mesai), et les sourdes DU TEMOI<.NAGE DE L1ECRITURE 59 (eomme p, t, k) par eelui de psilal, que Jes Latins traduisaient par tenues. 20 On peut trouver des renseignements plus surs en combinant ces premieres donnees avec les indices iniernes, que nous classcrons sous deux rubriques. a) Indices tires de la regularite des evolutions phonetiques. Quand ii s'agit de determiner la valeur d'une lettre, it est tres important de savoir ce qu'a ete a une epoque anterieure le son qu'elle represents. Sa valeur actuelle est le resultat d'une evolution qui permet d'ecarter d'emblee certaines hypotheses. Ainsi nous ne savons pas exactement quelle etait la valeur du ~ sanscrit, mais comme il continue le k palatal indo-europeen, cette donnee limite nettement le champ des suppositions. Si, outre le point de depart, on connait encore l'evolutiou parallele de sons analogues de la meme langue a la meme epoque, on peut raisonner par analogie et tirer une proportion. Le probleme est naturellement plus facile s'il s'agit de determiner une prononciation intermediaire, dont on connatt a la fois le point de depart et le point d'arrivee.*Le au [1091 Irancais (par exemple dans sauter) etait necessairement une diphtongue au moyen age, puisqu'il se trouve place entre un plus ancien al et le o du franeais moderne ; et si l'on apprend par une autre voie qu'a un moment donne la diphtongue au existait encore, il est bien certain qu'elle existait aussi dans la periode precedente, Nous ne savons pas exactement ce que figure le z d'un mot comme le vieux haut allemand wazer ; mais les points de repere sont, d'une part, le plus ancien water, et de l'autre, la forme moderne wasser. Ce z doit done etre un son interrnediaire entre t et s ; nous pouvons rejeter toute hypothese qui ne serait conciliable qu'avec le t ou avec le s ; il est par exemple impossible de croire qu'il ait represents une palatale, car entre .... 60 INTRODUCTION deux articulations dentales on ne peut supposer qu'une dentale. b) Indices contemporains. Ils sont de plusieurs especes. Ainsi la diversite des graphies : on trouve ecrit, a une certaine epoque du vieux haut allemand : wazer, zehan, ezan, mais jamais macer, cehan, etc. Si d'autre part on trouve aussi esan et essan, waser et uiasser. etc., on en conclura que ce z avait un son tres voisin de s, mais assez different de ce qui est represente par c a la rneme epoque, Quand plus tard on rencontrera des formes comme wacer, etc., cela prouvera que ces deux phonemes, jadis nettement distincts, se sont plus ou moins confondus. Les textes poetiques sont des documents precieux pour la connaissance de la prononciation : selon que le systeme de versification est Ionde sur le nombre des syllabes, sur la quantite ou sur la conformite des sons (alliteration, assonance, rime), ces monuments nous fourniront des renseignements sur ces divers points. Si le grec distingue certaines longues par la graphie (par exemple 6, note ro), pour d'autres ii neglige cette precision ; c'est aux poetes qu'il faut demander des renseignements sur la quantite de a, i et u. En vieux franeais la rime permet de connaltre, par exemple, jusqu'a quelle epoque les consonnes finales de gras et faz (latin, /acio ex je fais ») ont ete differentes, a partir de quel moment elles se sont rapprochees et confondues. La rime et I'assonance nous apprennent encore qu'en vieux fran\:3is les e provenant d'un a latin (par exemple pere de patrem, tel de talem, mer de mare) avaient un son tout different des autres e. Jamais ces mots ne riment ou n'assonent avec elle (de ilia), vert (de viridem), belle (de bella), etc., etc. Mentionnons pour terrniner la graphie des mots empruntes a une langue etrangere, les jeux de mots, les coq-a-l'ane, etc. Ainsi en gotique, kawtsjo renseigne sur la prononciation de cautio en bas latin. La prononciation rwe pour roi est attes- CRITIQUE DU TE~10IGNAGE DE L'ECRITURE 61 tee pour la fin du xvnre siecle par l'anectode suivante, citee par Nyrop, Grammaire historique de la langue [rancaise, 13, p. 178 : au tribunal revolutionnaire on demande a une femme si elle n'a pas dit devant temoins qu'il fallait un roi ; elle repond « qu'elle n'a point parle d'un roi tel qu'etait Capet ou tout autre, mais d'un rouei ttiolite, instrument a filer. ,, * (110) Tous ces precedes d'information nous aident a connattre dans une certaine mesure le systeme phonologique d'une epoque et a rectifier le temoignage de l'ecriture tout en le mettant a profit. Quand il s'agit d'une langue vivante, la scule methode rationnelle consiste : a) a etablir le systerne des sons tel qu'il est reconnu par l'observation directe ; b) a mettre en regard le systeme des signes qui servent a representer - imparfaitement - les sons. Beaucoup de grammairiens s'en tiennent encore a l'ancienne methode, critiquee plus haut, qui consiste a dire comment chaque lettre sc prononce dans la langue qu'ils veulent decrire. Par ce moyen ii est impossible de presenter clairement le systerne phonologique d'un idiome. Cependant, il est certain qu'on a deja Iait de grands progres dans ce domaine, et que les phonologistes ont beaucoup contribue a reformer nos idees sur l'ecriture et l'orthographe. APPEND ICE PRINCIPES DE PHONOLOGIE CHAPITRE PREMIER LES ESPECES PHONOLOGIQUES § 1. DEFINITION DU PHONEME.* (111) [Pour cette partie nous avons pu utiliser la reproduction stenographique de trois conferences faites par F. de S. en 1897 sur la Theorie de la syllabe, ou il touche aussi aux principes generaux du premier chapitre ; en outre une bonne partie de ses notes personnelles ont trait a la phonologie ; sur bien des points elles eclairent et completent les donnees fournies par les cours I et III. (Ed.)J* [112) Beaucoup de phonologistes s'attachent presque exclusivement a l'acte de phonation, c'est-a-dire a la production des sons par les organes (larynx, bouche, etc.), et negligent le c~te acoustique. Cette methode n'est pas correcte : non seulement l'impression produite sur l'oreille nous est donnee aussi directement que l'image motrice des organes, mais encore c'est elle qui est la base naturelle de toute theorie.'* ( 113) La donnee acoustique existe deja inconsciemment lorsqu'on aborde les unites phonologiques ; c'est par l'oreille que 64 PRI!llCIPES DE PHONOLOGIE nous savons ce que c'est qu'un b, un t, etc. Si l'on pouvait reproduire au moyen d'un cinernatographe tous les mouvements de la bouche et du larynx executant une chatne de sons, il serait impossible de decouvrir des subdivisions dans cette suite de mouvements articulatoires ; on ne sait ou un son commence, ou l'autre finit. Comment afflrmer, sans l'impression acoustique, que dans f iil, par exemple, il y a trois unites, et non deux ou quatre ? C'est dans la chaine de la parole entendue que l'on peut percevoir immediatement si un son reste ou non semblable a lui-merne ; tant qu'on a l'impression de quelque chose d'hornogene, ce son est unique. Ce qui importe, ce n'est pas non plus sa duree en croches ou doubles croches (cf. fa.I et fii[), mais la qualite de l'irnpression. La chalne acoustique ne se divise pas en temps egaux, mais en temps hornogenes, caracterises par l'unite d'impression, et c'est la le point de depart nature! [114 J pour l'etude phonologique.* A cet egard I'alphabet grec primitif merite notre admiration. Chaque son simple y est represents par un seul signe graphique, et reciproquernent chaque signe correspond a un son simple, toujours le rneme. C'est une decouverte de genie, dont Jes Latins ont herite, Dans la notation du mot bdrbaros « barbare », BAPBAPOl:, chaque Jettre corres- llIIl1111 pond a un temps hornogene ; dans la figure ci-dessus la ligne horizontale represente la chaine phonique, les petites barres verticales Jes passages d'un son a un autre. Dans l'alphabet grec primitif, on ne trouve pas de graphies complexes comme notre « ch » pour ni de representations doubles d'un son unique comme « c II et « s » pour s, pas non plus de signe simple pour un son double, comme 1:z: » pour ks. Ce principe, necessaire et suffisant pour une bonne ecriture phonologique, les Grecs J'ont realise presque lntegralementt, s, J. II est vral qu'lls ont a:rlt x. e .• pour kh; th, ph; f>EPO repmente DEFINITION DU PHONEME 65 Les autres peuples n'ont pas apercu ce principe, et leurs alphabets n'analysent pas la chaine parlee en ses phases acoustiques homogenes. Les Cypriotes, par exemple, se sont arretes a des unites plus complexes, du type pa, ti, ko, etc. ; on appelle cette notation syllabique ; designation quelque peu inexacte, puisqu'une syllabe peut etre Iormee sur d'autres types encore, par exemple pak, lra, etc. Les Semites, eux, n'ont marque que les consonnes ; un mot comme b<irbaros aurait ete note par eux BRBRS. La delimitation des sons de la chaine parlee ne pent done reposer que sur l'impression acoustique ; mais pour leur description, il en va autrement. Elle ne saurait etre faite que sur la base de l'acte articulatoire, car les unites acoustiques prises dans leur propre chaine sont inanalysables. 11 faut recourir a la chaine des mouvements de phonation ; on remarque alors qu'au meme son correspond le merne acte : b (temps acoustique) = b' (temps articulatoire). Les premieres unites qu'on obtient en decoupant la chaine parlee seront composees de b et b' ; on les appelle phonemes ; le phoneme est la somme des impressions acoustiques et des mouvements articulatoires, de l'unite entendue et de l'unite parlee, l'une conditionnant l'autre : ainsi c'est deja une unite complexe, qui a un pied dans chaque chalne." { 115J Les elements que l'on obtient d'abord par l'analyse de la chalne parlee sont comme les anneaux de cette chaine, des moments irreductibles qu'on ne peut pas considerer phlro ; mats c'est une innovation posterieure ; Jes inscriptions archaiques notent KHAPI}: et non XAPI}:. Les mernes inscriptions ofTrent deux slgnes pour k, le kappa et le koppa, mais le fail est different : il s'agissait de noter deux nuances reelles de la prononclation, le J.: etant tan tot palatal, tantot velaire ; d'ailleurs le kappa a disparu dans la suite. En fin, point plus delicat, !es inscriptions primitives grecqucs cl latines notent souvent une consonne double par une lettre simple ; ainsi le mot latin f uisse a ete ecrlt FU JSE; done infraction au principe, puisque ce doubles dure deux temps qui, nous le verrons, ne sont pas homogenes et donnent des impressions distlnctcs ; mats erreur excusable, pulsque ces deux sons, sans se confondre, presentent un caractere commun (cf. p. 79 sv.). PRINCIPES DE PHONOLOGlE en dehors du temps qu · ils occupent , Ainsi un ensemble comme ta sera toujours un moment plus un moment, un fragment d'une certaine etendue plus un autre fragment. En revanche le fragment irreductible t, pris a part, peut Hre considere in abstrado, en dehors du temps. On peut parler de t en general, comme de l'espece T (nous designerons les especes par des majuscules), de i comme de I'espece I, en ne s'attachant qu'au caractere distinctif, sans se preoccuper de tout ce qui depend de la succession dans le temps. De la meme facon un ensemble musical, do, re, mi ne peut etre traite que comme une serie concrete dans le temps ; mais si je prends un de ses elements irreductibles, je puis le considerer in abstraao. Apres avoir analyse un nombre suffisant de chaines parlees appartenant a diverses langues, on arrive a connaitre et a classer les elements avec lesquels elles operent ; on constate alors que, si l'on neglige des nuances acoustiquement indifferentes, le nombre des especes donnees n'est pas indeflni, On en trouvera la liste et la description detaillee dans les ouvrages speciaux- ; ici nous voudrions montrer sur quels principes constants et tres simples toute classification de ce I 116 J genre est Iondee." Mais disons tout d'abord quelques mots de l'appareil vocal, du jeu possible des organes et du role de ces memes organes comme producteurs du son. !l17J § 2. L'APPAREIL VOCAL ET SON FONCTIONNEMENTI.* 1. Pour la description de l'appareil, nous nous bornons a une figure schernatique, ou A designe la cavite nasale, B la i. Cf. Sievers, Grundztuje der Phonetik, 5• ed. 1902; Jespersen, Lehrbuch der Phonelik, 2• ed. 1913 : Roudet, Elements de pbanetique gt!ntrale, 1910. 2. La description un peu sommairc de F. de Saussure a ete completee dapres le Lehrbuch der Ptionetik de M. Jespersen, auquel nous avons aussJ emprunte le principe cl 'a pres lequel les fonnules des phonemes seront L0APPAREIL VOCAL ET SON FONCTJONNEl\1ENT 67 cavite buceale, C le larynx, contenant la glotte a entre les deux cordes vocales. Dans la bouche ii est essentiel de distinguer les levres a. et a, la langue ~ - y (~ designant la pointe et y tout le reste), les dents superieures d, le palais, eomprenant une partie anterieure, osseuse et inerte f-h, et une partie posterieure, molle et mobile ou voile du palais i, enfin la luette 6. Les lettres grecques designent les organes actifs dans l'articulation, les lettres latines les parties passives. La glotte e, formee de deux muscles paralleles ou cordes vocales. s'ouvre par leur ecartement ou se ferme par leur resserrement. La fermeture complete n'entre pour ainsi dire pas en ligne de compte ; quant a I'ouverture, elle est tantot large, tantot etroite. Dans le premier cas, l'air passant librement, les cordes vocales ne vibrent pas ; dans le second, le passage de l'air determine des vibrations sonores. 11 n'y a pas d'autre alternative dans l'emission normale des sons. La cavite nasale est un organe tout a fait immobile ; le passage de l'air peut etre arrete par le relevernent de la luette 6, rien de plus ; c'est une porte ouvertc ou Iermee. etablies ci-dessous, Mais ii s'agit la de questions de forme, demise au point, et le lecteur se convaincra que ces changements n'alterent nulle part la pensee de F. de S. (Ed.). "I I I 68 PRINCJPES DE PHONOLOGIE Quant a la cavite buccale, elle offre un jeu possible tres varie : on peut augmenter la longueur du canal par les levres, enfler ou desserrer les joues, retrecir et rnerne fermer la cavite par Jes mouvements in finiments divers des levres et de la langue. Le role de ces memes organes comme producteurs du son est en raison directe de leur mobilite : meme uniformite dans la fonction du larynx et de la cavite nasale, meme diversite dans celle de la cavite buccale. L'air chasse des poumons traverse d'abord la glotte, ii y a production possible d'un son Iarynge par rapprochement des cordes vocales. Mais ce n'est pas le jeu du larynx qui peut produire les variates phonologiques permettant de distinguer et de classer Jes sons de la langue ; sous ce rapport le son larynge est uniforme. Percu directement, tel qu'il est emis par la glotte, ii nous apparaitrait a peu pres invariable dans sa qualite. Le canal nasal sert uniquement de resonateur aux vibrations vocales qui le traversent ; il n'a done pas non' plus le role de producteur de son. Au contraire, la cavite buccale cumule les fonctions de generateur de son et de resonateur. Si la glotte est largement ouverte, aucune vibration laryngienne ne se produit, et le son qu'on percevra n'est parti que de la cavite buccale (nous laissons au physicien le soin de decider si c'est un son ou simplement un bruit). Si au contraire le rapprochement des cordes vocales fail vibrer ta glotte, la bouche intervient principalement comme modiflcateur du son larynge, Ainsi, dans la production du son, les facteurs qui peuvent cntrer en jeu sont l'expiration, l'articulation buccale, la vibration du larynx et la resonance nasalc. Mais enurnerer ces facteurs de production du son, ce n 'est pas encore determiner Jes elements diflerentiels des phonemes. Pour classer ces derniers. ii importe bien moins de L1APPAREIL VOCAL ET SON FONCTJONNEMENT 69 savoir en quoi ils consistent que ce qui les distingue les uns des autres. Or un facteur negatif peut avoir plus d'importance pour la classification qu'un facteur positif. Par exemple }'expiration, element positif, mais qui intervient dans tout acte phonatoire, n'a pas de valeur differenciatrice ; tandis que l'absence de resonance nasale, facteur negatif, servira, aussi bien que sa presence, a caracteriser des phonemes. L'essentiel est done que deux des facteurs enumeres plus haut, sont constants, necessaires et suffisants pour la production du son: a} l'expiration, b) l'articulation buccale, tandis que les deux autres peuvent manquer ou se surajouter aux premiers : c) la vibration du larynx, d) la resonance nasale. D'autre part, nous savons deja que a, c et d sont uniformes, tandis que b comporte des varietes infinies. En outre il faut se souvenir qu'un phoneme est identifle quand on a determine l'acte phonatoire, et que reciproquement on aura determine toutes Jes especes de phonemes en identifiant tous les actes phonatoires. Or ceux-ci, comme le montre notre classification des facteurs en jeu dans la production du son, ne se trouvent differencies que par les trois derniers. II faudra done etablir pour chaque phoneme : quelle est son articulation buccale, s'il comporte un son larynge (--.,) ou non ( [] ), s'il comporte une resonance nasale ( .•.. ) ou non ( [] . Quand l'un de ces trois elements n'est pas determine, !'identification du son est incomplete ; mais des qu'ils sont connus tous les trois, leurs combinaisons d.iverses determinent toutes les especes essentielles d'actes phonatoires. 70 PRINCIPES CLASSfflCATION DE PHONOLOGIE On obtient ainsi le schema des variations possibles : I b Expiration Art. bucc. c [] a d [) II IJI IV Expiration Art. bucc. Expiration Art. bucc. Explratron - [) [] ..... -- Art. bucc. . .... La colonne I designe les sons sourds. I I les sons sonores, III les sons sourds nasalises, IV les sons sonores nasalises. Mais une inconnue subsiste: la nature de l'articulation buccale ; il importe done d'en determiner les varietes possibles. § 3. (118) CLASSIFICATION DES SONS D'APRES LEUR ARTICULATION BUCCALE.* On classe generalement lessons d'apres le lieu de leur articulation. Notre point de depart sera different. Quelle que soit la place de l'articulation, elle presente toujours une certaine aperture, c'est-a-dire un certain degre d'ouverture entre deux limites extremes qui sont : l'occlusion complete et l'ouverture maximale. Sur cette base, et en allant de l'aperture minimale a l'aperture maximale, les sons seront classes en sept categories designees par les chiffres 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6. C'est seulement a l'interieur de chacune d'elles que nous repartirons les phonemes en divers types d'apres le lieu de leur articulation propre. Nous nous conf ormerons a la terminologie courante, bien qu'elle soit imparfaite bu incorrecte sur plusieurs points : des termes tels que gutturales, palatales, dentales, liquides, etc. soot tous plus ou moins illogiques. II serait plus rationnel de diviser le palais en un certain nombre d'aires ; de la sorte, et en tenant compte de l'articulation Iinguale, on pourrait toujours dire vis-a-vis de quel point se trouve DES SONS 71 dans chaque cas le resserrement principal. Nous nous Insplrerons de cette Idee, et, utilisant les lettres de la figure p. 67, nous symboliserons chaque articulation par une formule oh le chiffre d'aperture se trouve place entre la lettre grecque marquant l'organe actif (a gauche) et la lettre latine designant l'organe passif (a droite). Ainsi ~ o e veut dire qn'avec le degre d'aperture correspondant a l'occlusion complete, la pointe de la langue ~ s'applique cor.tre les alveoles des dents superieures e. Enfln, dans l'interieur de chaque articulation, les diverses especes de phonemes se distinguent par les concomitances - son larynge et resonance nasale - dont l'absence aussi bien que la presence sera un element de diflerenciation. C'est d'apres ce principe que nous allons classer les sons. II s'agit d'un simple schema de classification rationnelle ; on ne doit done pas s'attendre ~ y trouver des phonemes d'un caractere complexe ou special, quelle que soit leur importance pratique, par exemple .es aspirees (ph, db, etc.), les affriquees (ts, dz, pf, etc.), les consonnes mouillees, les voyelles faibles (;} ou e muet, etc.), ni inversement des phonemes simples qui sont depourvus d'irnportance pratique et n'entrent pas e11 ligne de compte comme sons difTe· rencies. A. - APERTURE ZERO : Occt.usrvss. Cette classe renferme tous les phonemes ob ten us par la f ermeture complete, l'occlusion hermetique mais momentanee de la cavite buccale. 11 n'y a pas lieu d'exarniner si le son est produit au moment de la fermeture ou a celui de l'ouverture ; en realite ii peut se produire des deux manieres (voir p. 79 sv.). D'apres le lieu d'articulation on distingue trois types principaux d'occlusives : le type labial (p, b, m), le type dental (t, d, n), le type dit guttural (k, g, h). Le premier s'articule avec les deux levres ; dans le second l'extremite de la langue s'applique sur l'avant d11 palais; 72 PRINCIPES CLASSIFICATION DE PHONOLOGIE dans le troisieme le dos de la langue est en contact avec l'arriere du palais. Dans beaucoup de langues, notamment en indo-europeen, on distingue nettement deux articulations gutturales, l'une, palatale, sur f-h, l'autre, velaire, sur i. Mais ailleurs, en fran~is par exemple, on neglige cette difference, et l'oreille assimile un k d'arriere, comme celui de court, a un k d'avant, comme celui de qui. Le tableau suivant montre les formules de ces divers phonemes: LAUIALES - p aoa [] [[ b (m) -aOa -aOa - --- -.... [] DJl:NTALES -I ~Oe [) n ~,~ a ··-I , I \fl ) ~.tJOe I () ..... ounURALES k s -yOh -yOh [] [] (n) YOh ..,..._,.._,,. ,..,,...,.,,... [] . ~ . . ' Les nasales m, n, ii sont proprement des occlusives sonores nasalisees ; quand on prononce amba, la luette se releve pour fenner les fosses nasales au moment oil l'on passe de m a b. En theorie chaque type possede une nasale sans vibration glottale, ou sourde ; c'est ainsi que dans les langues scandinaves m sourd existe apres unc sourde ; on en trouverait aussi des exemples en francais, mais les sujets parlants n'y voient pas un element differential. Les nasales figurent entre parentheses dans le tableau ; en effet si leur articulation comporte une fermeturc complete de la bouche, l'ouverture du canal nasal leur conlere un caractere d'aperture superieur (voir classe C). 8. ­ APERTURE 1 ; FRICATIVES OU SPIRANTES, caractensees par une fermcture incomplete de la cavite buccale, perrnettant le passage de l'air. Le termc de spirante est tout a fait 73 DES SONS general ; celui de fricative, sans rien dire sur le degre de fermeture, rappelle l'impression de frottement produite par le passage de l'air (lat. /riciire). Dans cette classe on ne peut plus s'en tenir a trois types, comme dans la premiere categorie. D'abord les labiales proprement dites (correspondant aux occlusives p et b), sont d'un emploi tres rare ; nous en faisons abstraction ; elles sont ordinairement rernplacees par les labio-dentales, produites par le rapprochement de la levre inferieure et des dents U et v franeais) ; les dentales se divisent en plusieurs varietes, suivant la forme que prend l'extremite de la langue dans le resserrement ; sans Jes detailler, nous designerons par ~. ~· et fr les diverses formes de la pointe de la langue. Dans lea sons qui interessent le palais, l'oreille distingue generalement une articulation d'avant (palatales) et une articulation d'arriere (velaires)'. DENT ALES LABIO-DBNT, I aid [] [] D - aid [) PALATAL'ES d 3 13 1 .t f31d '3' Id [] [) y' x YII YI/ YI .........,..... [) I[]~ OUTTURALES X' [] - p y I [) [) YI I """"" u : B'id [) I I I ! 6" Jd 6" td p = d= :, = .. _ th dans thing th • ttun Irancals 11 • al rh g ch • • , chant genie ich = x• = allemand f = [) anglals • = "( = X = [II [J ''"ff"'"'II [] y " nil. Nord , g allemund ch all. Nord g , rose • liegen • T,,gt! • Bach 1. Fldele A sa methode de simplification, F. de Saussure n'a pas eru devolr faire la meme distinction :'I propos de la classe A, matgre l'lmportauee consldernble des deux series I<, el K1 en tndo-curopeen. II ~- u la une omission toute voloutaire ( Sd.). 74 Y a-t-il dans les fricatives ce qui correspondrait a n, m, ti, etc. dans les occlusives, c'est-a-dire un v nasal. un z nasal. etc. ? II est facile de le supposer ; ainsi on entend un u nasal dans le francais inuenler ; mais en general la fricative nasale n'est pas un son dont la langue ait conscience. c. ­ APERTURE 2 : D. - APERTURE 3 : NASALES 75 CLASSIFICATION DES SONS PRINCIPES Ot PHONOLOGIE (voir plus haut, p. 72). LIQUIDES. Deux sortes d'articulations relevant de ccttc classe : 1) L'articulation laierole ; la langue appuie centre la partie anterieure du palais, mais en laissant une ouverture a droite et a gauche, position figuree par un ! dans nos formules. D'apres le lieu d'articulation, on distingue l dental, palatal ou « mouille ,, et l guttural ou velaire. Dans presque toutes les langues ces phonemes sont des sonores, au meme titre que b, z. etc. Cependant la sourde n'est pas impossible ; elle ex.iste meme en Irancais, ou un l suivant une sourde sera prononce sans le son Iarynge (par exemple dans pluie, par opposition a bleu) ; mais nous n'avons pas conscience de cette difference. Inutile de parler de I nasal, tres rare et non differencie, bien qu'il existe, surtout apres un son nasal (par exemple dans le francais branlanl). 2) L'articulation oibrante : la langue est moins rapprochee du palais que pour I, mais elle vibre, avec un nombre d'ailleurs variable de battements (signe v dans les Iorrnules), • et par la on obtient. un degre d'aperture equivalent a celui des laterales. Cette vibration peut etre produite de deux Iacons : avec la pointe de la langue appliquee en avant sur Jes alveoles (r dit « roule » du Irancais), ou en arriere, avec la partie posterieure de la langue (r grasseye), On peut repeter a propos des vibrantes sourdes ou nasales ce qui a ete dit des laterales. r i r t -- yl 3/-h yl3 i ~ __,...,, a13e [] ]] [) I r av 3e ~ l] Y3bV """""' [] I I I I I I I ! Au dela du degre 3, nous entrons dans un autre domaine : des consonnes nous passons aux voyelles. Jusqu'ici, nous n'avons pas fait prevoir cette distinction ; c'est que le mecanisme de la phonation reste le meme. La formule d'une voyelle est exactement comparable a celle de n'importe quelle consonne sonore. Au point de vue de l'articulation buccale, il n'y a pas de distinction a faire. Seul l'effet acoustique est different. Passe uncertain degre d'aperture, la bouche fonctionne principalement comme resonateur. Le timbre du son larynge apparait pleinement et le bruit buccal s'eflace. · Plus la bouche se ferme, plus le son larynge est intercepte ; plus on l'ouvre, plus le bruit diminue ; c'est ainsi que, tout a fait mecaniquement, le son predomine dans la voyelle. E. - APERTURE 4 : i u ii. Par rapport aux autres voyelles, ces sons supposent une fermeture encore considerable, assez voisine de celle des consonnes. II en resulte certaines consequences qui apparaitront plus tard, et qui justifient le nom de semi­voyelles donne generalement a ces phonemes. i se prononce avec levres tirees (signe -) et articulation 0) d'avant, u avec levres arrondies (signe et articulation d'arriere, ii avec la position des levres de u et l'articulation de i. Comme toutes les voyelles, i u ii ont des f ormes nasalisees ; mais elles sont rares et nous pouvons en faire abstraction. 11 est a remarquer que les sons ecrits in et WJ dans 76 PRINCIPES DE PHONOLOGIE l'orthographe francaise correspondent a autre chose (voir plus bas). Existe-t-il un i sourd, c'est-a-dire articule sans le son larynge ? La meme question se pose pour u et ii et pour toutes Jes voyelles ; ces phonemes, qui correspondraient aux consonnes sourdes, existent, mais ne doivent pas etre confondus avec Jes voyelles chuchotees, c'est-a-dire articulees avec la glotte I u I relachee. On peut assimiler les voyelles 0y4i • Y4/ sourdes aux h aspi"""""' """""' L] res prononces de0 vant ell es; ainsi dans hi on entend d'abord un i sans vibration, puis un i normal. al r~ F. - APERTURJ:: 5 : e o o, dont l'articulation correspond respectivement a celle de i u a. Les voyelles nasalisees soot frequentes (e o 6, par exemple en francais dans pin, pont, brun). Les fonnes sourdes sont I'h aspire de he ho ho. N. B. - Beaucoup de langues distinguent ici plusieurs degres d'aperture ; ainsi le francais a au moins deux series, l'une dite fermee f!Q e (p. ex. dans de, dos, deux), l'autre ouverte ~ p p (p. ex. dans mer, mort, meurf). t -•ys/ 0 a y6h """-- 0 O ~ (J 0 ----u y 51 oy5/ """" [J a y6h ... _,..._..._.,,. ..... I I -ys, _,..,.,. I - ..... I Q I I O Y5 i ,..._,._ . .... 0 oy5/ "'-"'- . .... G. - APERTURE 6 : a, ouverture maximale, qui a une fonne nasallsee, un pen plus resserree, ii est vrai, d (par exemple dans grand), et une fonne sourde, l' h de ha. CHAPITRE II LE PHONEME DANS LA CHAINE PARLEE § 1. NECESSITE D'ETUDIER LES SONS DANS LA CHAINE PARLEE.*(1191 On peut trouver dans les traites speciaux et surtout dans les ouvrages des phoneticiens anglais de minutieuses analyses des sons du langage.* (120] Suffisent-elles pour que la phonologie reponde a sa destination de science auxiliaire de la linguistique ? Tant de details accumules n'ont pas de valeur en eux-memes ; la synthese importe seule. Le linguiste n'a nul besoin d'etre un phonologiste consomme ; il demande simplement qu'on lui fournisse un certain nombre de donnees necessaires pour l'etude de la langue. Sur un point la methode de cette phonologie est particuIierement en defaut ; elle oublie trop qu'il y a dans la langue non seulement des sons, mais des etendues de sons parles ; elle n'accorde pas encore assez d'attention a leurs rapports reciproques. Orce n'est pas cela qui nous est donne d'abord ; la syllabe s'offre plus directement que les sons qui la composent. On a vu que certaines ecritures primitives ont marque les unites syllabiques : ce n'est que plus tard qu'on est arrive au systeme alphabetique. En outre, ce n'est jamais une unite simple qui embarrasse en linguistique : si, par exemple, a un moment donne, dans une langue donnee, tout a devient o, ii n'en resulte rien ; on peut se horner a constater le phenomene, sans cher- 78 PRINCIPES DE PHONOLOGIE cher a l'expliquer phonologiquement. La science des sons ne devient precieuse que lorsquc deux ou plusieurs elements se trouvent impliques dans un rapport de dependance interne ; car il y a une limite aux variations de l'un d'apres les variations de l'autre ; le fait seul nu'il y a deux elements entraine un rapport et une regle, ce qui est tres different d'une constatation. Dans la recherche du principe phonologique, la science travaille done a contresens en marquant sa predilection pour les sons isoles, 11 suffit de deux phonemes pour qu'on ne sache plus ou on en est. Ainsi en vieux haut allemand hag[, balg, wagn, lang, donr, dorn, sont devenus plus tard hagal, balg, wagan, Lang, donnar, dorn ; ainsi, selon la nature et l'ordre de succession en groupe, le resultat est different : tantot une voyelle se developpe entre deux consonnes, tantot le groupe reste compact. Mais comment fonnuler la Joi ? D'ou provient la difference ? Sans doute des groupes de consonnes (gl, lg, gn, etc.) contenus dans ces mots. 11 est bien clair qu'ils se composent d'une occlusive qui dans un des cas est precedee, et dans l'autre suivie d'une liquide ou d'une · nasale ; mais qu 'en resulte-t-il ? Aussi longtemps que g et n sont supposes quantites homogenes, on ne comprend pas pourquoi le contact g-n produirait d'autres effets que n-g. A cote de la phonologie des especes, ii y a done place pour une science qui prend pour point de depart Jes groupes binaires et les consecutions de phonemes, et c'est tout autre chose. Dans l'etude des sons Isoles, ii suffit de constater la position des organes ; la qualite acoustique du phoneme ne fait pas question ; elle est flxee par l'oreille ; quant a l'articulation, on a toute liberte de la produire son gre. Mais des qu'il s'agit de prononcer deux sons combines, la question est moins simple ; on est oblige de tenir compte de la discordance possible entre l'effet cherche et l'eflet produit ; ii n'est pas toujours en notre pouvoir de prononcer ce que nous avons voulu. La liberte de lier des especes phonologiques est limitee par a L'ntPLOSION ET L'EXPLOSION 79 la possibilite de lier les mouvements articulatoires. Pour rendre compte de ce qui se passe dans Jes groupes, ii y a a etablir une phonologie ou ceux-ci seraient consideres comme des equations algebriques ; un groupe binaire implique un certain nombre d'elements mecaniques et acoustiques qui se conditionnent reciproquement ; quand l'un varie, cette variation a sur Jes autres une repercussion necessaire qu'on pourra calculer. Si dans le phenomena de la phonation quelque chose ofTre un caractere universe} qui s'annonce comme superieur a toutes Jes diversites locales des phonemes, c'est sans doute cette mecanique reglee dont il vient d'etre question. On voit par la l'importance que la phonologie des groupes doit avoir pour la linguistique generate. Tandis qu'on se Lorne generalement a donner des regles pour articuler tous les sons, elements variables et accidentels des langues, cette phonologie combinatoire circonscrit les possibilites et fixe Jes relations constantes des phonemes interdependants. Ainsi le cas de hag[, balg, etc. (voir p. 78), souleve la question si discutee des sonantes indo-europeennes ; or c'est le domaine ou l'on peut le moins se passer d'une phonologie ainsi concue, car la syllabation est pour ainsi dire le seul fait qu'elle mette en jeu du commencement a la fin. Ce n'est pas l'unique probleme qu'on ait a resoudre par cette methode ; mais un fait est certain : il devient presque impossible de discuter la question des sonnantes en dehors d'une appreciation exacte des lois qui regissent la combinaison des phonemes. § 2. L'll\tPLOSION ET L1EXPLOSION.* Nous partons d'une observation fondamentale : quand on prononce un groupe appa, on percoit une difference entre Jes deux p, dont l'un correspond a une f ermeture, le second a une ouverture. Ces deux impressions sont assez analogues (1211 80 PRINCIPES DE PHONOLOGIE L'IMPLOSION ET L'EXPLOSION pour qu'on ait represents la suite pp par un seul p (voir p. 66, note). Cependant c'est cette difference qui nous permet de distinguer par des signes speciaux (> ") les deux p de appa (appa) et de les caracteriser quand ils ne se suivent pas dans la chatne (cf. apta, atpa). La meme distinction peut se poursuivre au dela des occlusives ets'applique aux fricatives (a}Ja), aux nasales amma, aux liquides (alla), et en general a tous tendons pas resoudre par la toutes Jes difficultes que souleve Ia division de la chalne parlee en syllabes, mais poser seulement une base rationnelle pour l'etude de ce probleme, Encore une remarque. 11 ne faut pas conf ond.re les mouvements fermants et ouvrants que necessite I'emission des sons avec les diverses apertures de ces sons eux-memes, N 'importe quel phoneme peut ~tre aussi bien implosif qu'explosif ; mais ii est vrai que l'aperture influe sur !'implosion et l'explosion, en ce sens que la distinction des deux mouvements devient d'autant moins nette que !'aperture du son est plus grande. Ainsi avec i u ii, on pe~oit encore tres bien la difference ; dans aria, ii est possible de saisir un i fermant et un i ouvrant ; de meme dans auua, alilia on distingue nettement le son implosif du son explosif qui suit, a tel point que, contrairement a son habitude, l'ecriture marque parfois cette distinction ; le w anglais, le ; allemand et souvent le y frani;ais (dans yeux, etc.) representent des sons ou~ants" (u, i) par opposition a u et i qui sont employes pour u et r. Mais a un degre d'aperture plus eleve (e et o), l'implosion et I'explosion, theoriqueme.nt concevables (cf. aeea, aooa), sont tres malaisees a distinguer en pratique. Enfin, comme on I'a vu plus haut, au degre le plus eleve, a ne presente plus ni implosion ni explosion, car pour ce phoneme l'aperture efface toute difference de ce genre. les phonemes jusqu'aux voyelles (aooa) sauf a. On a appele la fermeture implosion et l'ouverture explosion; un p est dit implosif {p) ou explosif (p). Dans le meme sens on peut parler de sons fermants et de sons ouvrants. Sans doute, dans un groupe comme appa, on distingue, outre l'implosion et l'explosion, un temps de repos dans Jequel l'occlusion se prolonge ad libitum, et s'il s'agit d'un phoneme d'aperture plus grande, comme dans le groupe alla, c'est I'emission du son lui-meme qui continue dans l'immobilite des organes. D'une facon generale, ii y a dans toute chatne parlee de ces phases intermediaires que nous appellerons tenues ou articulations sistantes. Mais elles peuvent etre assimilees aux articulations implosives, parce que leur effet est analogue ; il ne sera tenu compte dans la suite que des implosions ou des explosions 1. Cette methode, qui ne serait pas admissible dans un traite complet de phonologic, se justifie dans un expose qui ramene il un schema aussi simple que possible le phenomene de la syllabation considere dans son facteur essentiel ; nous ne pre1. C'est la un des points de la theorle qui preterit le plus A la discussion Pour prevenlr certalnes objections, on peut faire remarquer que toute articulation slstante, comme celle d'un /, est la resultante de deux forces : 1 ° la presslon de l'air contre les parols qui lui sont opposees et 2° la reststance de ces parols, qui se resserrent pour faire equlllbre a cette presslon. La lenue n'est done qu'une Implosion contlnuee. C'est pourquol, sl l'on fall sulvre une Impulsion et une tenue de meme espece, l'e!Yet est contlnu d'un bout a l'outre. A ce titre, II n'est pas llloglque de reunlr ces deux genres d'artlculation en une unlte mecanlque et ocoustJque. L'exploslon s'oppese au contralre A l'une et a l'autre reunles : elle est par definition un desserrement ; volr aussl § 6 (Ed.). 81 II faut done dedoubler le tableau des phonemes sauf pour a, et etahlir comme suit la Iiste des unites irreduetibles : > pp, etc. etc. Ill etc. i f, m, < -e i y, r r, etc. e e, a. etc. etc. 82 PRINCIPES Loin de supprimer les distinctions consacrees par la graphie (y w), nous les gardens soigneusement ; la justification de ce point de vue se trouve plus loin, § 7. Pour la premiere fois, nous sommes sortis de l'abstraction ; pour la premiere f ois apparaissent des elements concrets, indecomposables, occupant une place et representant un temps dans la chatne parlee ; on peut dire que P n'etait rien sinon une unite abstraite reunissant les caracteres communs de j, et de p, qui seuls se rencontrent dans la realite, exactement de meme que B P M sont reunis dans une abstraction superieure, Jes labiales. On parle de P comme on parlerait d'une espece zoologique ; il y a des exemplaires males et femelles, mais pas d'exemplaire ideal de l'espece. Ce sont ces abstractions que nous avons distinguees et classees jusqu'ici : mais il etait necessaire d'aller au dela et d'atteindre l'element concret. Ce fut une grande erreur de la phonologie de considerer comme des unites reelles ces abstractions, sans examiner de plus pres la definition de l'unite. L'alphabet grec etait arrive a distinguer ces elements abstraits, et l'analyse qu'il suppose etait, nous l'avons dit, des plus remarquables ; mais c'etait pourtant une analyse incomplete, arretee a un certain degre. En effet qu'est-ce qu'un p, sans autre determination ? Si on le considere dans le temps, comme membre de la chaine parlee, ce ne peut etre ni p specialement, ni p, encore moins pf>, ce groupe etant nettement decomposable ; et si on le prend en dehors de la chaine et du temps, ce n'est plus qu'une chose qui n'a pas d'existence propre et dont on ne peut rien faire. Que signifie en soi un groupe tel que l + 9 ? Deux abstractions ne peuvent former un moment dans le temps. Autre chose est de parler de ik, de Lk, de Lk, de lk, et de reunir ainsi les veritahles elements de la parole. L'on voit pourquoi il suffit de deux elements pour embarrasser la phonologie traditionnelle, et ainsi se trouve dernontree l'impossibilite 83 EXPLOSIONS ET IMPLOSIONS COMBINEES DE PHONOLOGIE de proceder, comme elle le fait, par unites phonologiques abstraites. On a emis la theorie que dans tout phoneme simple considere dans la chaine, par exemple p dans pa ou apa, il y a successivement une implosion et une explosion (a.pa). Sans doute toute ouverture doit etre precedee d'une fermeture ; pour prendre un autre exemple encore, si je dis je devrai, apres avoir opere la fermeture du r, articuler avec la luette un r ouvrant pendant que l'occlusion du p se forme vers les levres. Mais pour repondre a cette objection, il suffit de bien specifier quel est notre point de vue. Dans l'acte phonatoire que nous allons analyser, nous ne tenons compte que des elements differentiels, saillants pour l'oreille et capables de servir a une delimitation des unites acoustiques dans la chaine parlee, Seules ces unites acoustico-motrices doivent etre considerees ; ainsi l'articulation du r explosif qui accompagne celle du p explosif est pour nous inexistante, parce qu'elle ne produit pas un son perceptible, ou du moins qu'elle ne compte pas dans la chaine des phonemes. C'est la un point essentiel dont il faut bien se penetrer pour comprendre les developpements qui suivent. Ip, § 3. COMBINAISONS DIVERSES DES EXPLOSIONS ET DES (1221 IMPLOSIONS DANS LA CHAINE.* Voyons maintenant ce qui doit resulter de la consecution des explosions et des implosions dans les quatre combinaisons theoriquement possibles : 1 ° 2° 30 40 >>· < >, > <. < > ). On peut < <, toujours, sans rompre la chaine parlee, joindre deux phonemes dont l'un est explosif et le second implosif. Ex. : id, yin, etc. (cf. sanscrit krla­, Irancais kite « quilter», indo-europ. ymlo­, etc.). Sans doute, certaines combinaisons, telles que kl. etc., 10 GROUPE EXPLOSIVO-IMPLOSIF ( kz. 84 PRINCIPES DE PHONOLOGIE n'ont pas un effet acoustique susceptible de realisation pratique, mais il n'en est pas moins vral qu'apres avoir articule un k ouvrant, les organes sont dans la position voulue pour proceder a un ressserrement sur un point quelconque, Ces deux phases phonatoires peuvent se succeder sans se gener mutuellement. 20 GROUPE IMPLOSIVO-EXPLOSIF ( Dans les memes conditions, et sous les memes reserves, il n'y a aucune impossibilite a joindre deux phonemes dont l'un est implosif et le second explosif ; ainsi im, ici, etc. (cf. grec baima, franeais acli/, etc.). Sans doute ces moments articulatoires successifs ne se suivent pas aussi naturellement que dans le cas precedent. Il y a entre une premiere implosion et une premiere explosion cette difference que l'explosion, tendant a une attitude neutre de la bouche, n'engage pas le moment suivant, tandis que l'implosion cree une position determinee qui ne peut pas servir de point de depart a une explosion quelconque, 11 faut done toujours quelque mouvement d'accommodation destine a obtenir la position des organes necessaire pour I'articulation du second phoneme ; ainsi, pendant qu'on execute le s d'un groupe sp, il faut fermer les levres pour preparer le p ouvrant. Mais l'experience montre que ce mouvement d'accommodation ne produit rien d'appreciable, si ce n'est un de ces sons furtifs dont nous n'avons pas a tenir compte, et qui ne genent en aucun cas la suite de la chaine. 3° CHAINON EXPLOSIF ( Deux explosions peuvent se produire consecutivernent ; mais si la seconde appartient a un phoneme d'aperture moindre ou d'aperture egale, on n'aura pas la sensation acoustique d'unite qu'on trouvera dans le cas contraire et que presentaient les deux cas precedents ; peut se prononcer (pka), mais ces sons ne f orment pas chaine, parce que les especes P et K sont d'egale aperture. C'est cette prononciation peu naturelle qu'on obtiendrait en s'arretant apres le premier a de > < ). < < ). pk EXPLOSIONS ET IMPLOSIONS COMBIN£ES cha­pica 1. Au contraire 85 fir donne une impression de continuite (cf. priz); rg ne fait pas davantage difficulte (cf. rien). Pourquoi? C'est qu'a l'instant oil la premiere explosion se produit, les organes ont deja pu se placer dans la position voulue pour wcuter la deuxieme explosion sans que l'effet acoustique de la premiere eo ait ete gene ; par exemple dans pru;, pendant qu'on prononce p, les organes se trouvent deja en r. Mais ii est impossible de prononcer en chatnon continu la serie invene rp i non pas qu'il soit mecaniquement impossible de prendre la position de pen meme temps qu'on articule un; ouvrant, mais parce que le mouvement de cet rencontrant l'aperture moindre de j,, ne pourra pas etre pereu. Si done on veut faire entendre rf,, il faudra s'y prendre A deux fois et l'emisaion sera rompue. Un chatnon explosif continu peut comprendre plus de deux elements, pourvu qu'on passe toujours d'une ouverturemoindre a une ouverture plus grande (par exemple krwa). En faisant abstraction de certains cas particuliers sur lesquels nous ne pouvons insister 1, on peut dire que le nombre possible des explosions trouve sa limite naturelle dans le nombre des degres d'aperture qu'on peut pratiquement distinguer. r. I. Sans doute certaius groupes de cette eategorie sont tres usites da111 eertalnes langues (p. ex. kl initial en grec : cf. kldnii); rnals blen que fuciles a\ prononcer, lls n'o!Trent pas d'unlte acoustiquc (Voir la note sutvante), 2. lei par une simplification voulue, on ne cousldere dans le phoneme que son ,.tcgre u'aperture, sans tenir compte nl du lieu, ni du caractere partkuller de I'articulation (si c'est une sourde ou unc sonore, une vlbrante ou une lateralc, etc.), Les conclusions tlrees du prlucipe unique de l'aperture ne peuvent done pas s'appllquer a tous les cas reels sans exception. Ainsi dans L111 groupe conuue trua lcs trois premiers clements peuvent dilTicilement se prononcer sans rupture de chuiue : tryli (a moms que le ne se fonde avec l'T en le palatalisant) ; pourtant ces trois elements try fonnent un chatnon explosif parfait (cf. d'uilleurs p. 94 apropos de meu~ trier, etc.) : au contruire tnoa ne tait pas dillirulte. Citons encore des chatuons, connue ptnlu, etc., uu il est bieu difficile de 11c pas pronuncer la uasule huplostvement (jUTl{(l). Ces ,·:1:1 uherrunts apparulssent surtout duns l'exploslon, qui est par nature un acte instuutune ct ue !IOUITre pas <le retar- Y demeuts. (Ed.). 86 PRINCIPES DE PHONOLOGIE FRONTIERE > >) 40 Le CHAINON IMPLOSIF ( est regt par la loi inverse Tant qu'un phoneme est plus ouvert que le suivant, on a l'impression de continuite (par exemple si cette condition n'est pas remplie, si le phoneme suivant est plus ouvert ou de meme aperture que le precedent, la prononciation reste possible, mais l'impression de continuite n'est pl,us la : ainsi de asrta a le meme caractere que le groupe pk de cha­pka (voir plus haut, p. 84 sv.). Le phenomene est entierement parallele a celui que nous avons analyse dans le chainon explosif : dans H, let, en vertu de son degre d'aperture ~nferieur, dispenser de l'explosion ; ou, si l'on prend un chamon dont les deux phonemes ne s'articulent pas au meme point, comme ne dispense pas d'exploser, mais, ce qui revient au meme, ii en couvre completement l'explosion au moyen de son articulation plus fermee. Sinon, comme dans le cas inverse l'explosion furtive, mecaniquement indispensable, vient rompre la chaine parlee. On voit que le chainon implosif, comme le chain on explosif, peut comprendre plus de deux elements, si chacun d'eux a une ouverture superieure a celui qui suit (cf. Laissant de cote les ruptures de chainons, placons-nous maintenant devant la chaine continue normale, qu'on pourrait appeler « physiologique », telle qu'elle est representee par le mot Irancais particuliirement, soit parllkil[yermd. Elle est caracterisee par une succession de chainons explosifs et implosifs gradues, correspondant a une succession d'ouverturcs et de fermetures des organes buccaux. La chaine normale ainsi definie donne lieu aux constatations suivantes, dont !'importance est capitale. zr, rt), sr rm, I'm l'r mr, arsf). (123) § 4. FRONTIERE DE SYLLABE ET POINT VOCALIQUE,* Si dam, une chaine de sons on passe d'une implosion a une explosion ( I<), on obtient un elTct particulier qui est l'indice de la [rontiere de syllabe, par exemple dans iic > DE SYLLABE ET POINT VOCAL}QUE 87 de particulieremeni. Cette coincidence reguliere d'une condition mecanique avec un effet acoustique determine assure au groupe implosivo-explosif une existence propre dans I'ordre phonologique : son caractere persiste quelles que soient les especes dont ii est compose ; il constitue un genre contenant autant d'especes qu'il y a de combinaisons possibles. La frontiere syllabique peut etre, dans certains cas, placee en deux points differents d'une meme serie de phonemes, suivant qu'on passe plus ou moins vite de l'implosion a l'explosion. Ainsi dans un groupe ardra, la chatne n'est pas rompue, qu'on COUpe OU puisque ard, chatnon implosif, est aussi bien gradue que a;, chainon explosif. II en serait de meme pour iilye de part.iculierement. < ou En second lieu, nous remarquerons qu'a l'endroit oil l'on passe d'un silence a une premiere implosion ( par exemple dans de artiste, ou d'une explosion a une implosion comme dans de pariiculierement, le son on se produit cette premiere implosion se distingue des sons voisins par un effet propre, qui est l'effet vocalique. Celui-ci ne -, depend pas du tout du degre d'ouverture plus garnd du son a, car dans r le. produit aussi bien ; ii est inherent a la premiere implosion, quelle que soit son espece phonologique, c'est-a-dire son degre d'aperture ; peu importe aussi qu'elle vienne apres un silence ou une explosion. Le son qui donne cette impression par son caractere de premiere implosive peut etre appele point vocalique. On a donne aussi a cette unite le nom de sonante, en appelant consonantes tous les sons precedents ou suivants de la meme syllabe. Les termes de voyelles et consonnes, designent comme nous l'avons vu p. 75, des especes differentes ; sonantes et consonantes designent au contraire des fonctions dans la syllabe. Cette double terminologie permet d'eviter une confusion qui a longtemps regne. Ainsi l'espece I est la meme ardra aliJ'e ( < > ), ardra, lilye). art prt, > ), part 88 PRINCIPES CRITIQUE DE PHONOLOGIE dans fidele et dans pied: c'est une voyelle ; mais elle est sonante dans fidele et consonante dans pied. L'analyse montre que les sonantes sont toujours implosives et les consonantes tantot implosives (par exemple i dans l'anglais bot, ecrit • boy ») tantot explosives (par exemple dans le francais ecrit « pied »). Cela ne fait que confinner la distinction etablie entre les deux ordres. II est vrai qu'en fait, e o a sont regulierernent des sonantes ; mais c'est une simple coincidence : ayant une plus grande aperture que tous les autres sons, ils sont toujours au commencement d'un chain on implosif. Inversement les occlusives, qui ont l'aperture minimale, sont toujours consonantes. Dans la pratique ce sont les phonemes d'aperture 2, 3 et 4 (nasales, liquides, semi-voyelles) qui jouent l'un ou l'autre role selon leur entourage et la nature de leur articulation. y [124J § 5. CRITIQUE DES THEORIES pye, DE LA SYLLABATJON. * L'oreille percoit dans toute chaine parlee la division en syllabes, et dans toute syllabe unc sonante. Ces deux faits sont connus, mais on peut se demander quelle est leur raison d'etre. On a propose diverses explications : 1 ° Remarquant que certains phonemes sont plus sonores que d'autres, on a cherche a faire reposer la syllabe sur la sonorite des phonemes. Mais alors pourquoi des phonemes sonores tels que i et u ne Iont-ils pas necessairement syllabes? Et puis, ou s'arrete la sonorite, puisque des fricatives comme s peuvent faire syllabe, par exemple dans psi ? S'il s'agit seulement de la sonorite relative de sons en contact, comment expliquer des groupes tels que (ex. : indo-europ. •wlkos « loup »), ou c'est l'element le moins sonore qui fait syllabe? 2° M. Sievers a le premier etabli qu'un son classe parmi les voyelles peut ne pas dormer I'impression de voyelle (nous avons vu que par exemple yet w ne sont pas autre chose wt DES THEORIES DE LA SYLLABATION 89 que i et u) ; mais quand on demande en vertu de quoi se produit la double fonction, ou le double effet acoustique (car le mot « fonction » ne veut pas dire autre chose), on repond : tel son a telle fonction selon qu'il reeoit ou non l'« accent syllabique ». C'est la un cercle vicieux : ou bien je suis libre en toute circonstance de dispenser a mon gre l'accent syllabique qui eree les sonantes, alors il n'y a aucune raison de l'appeler syllabique plutot que sonantique ; ou bien, si l'accent syllabique a un sens, c'est apparemment qu'il se reclame des lois de la syllabe. Non seulement on ne fournit pas ces lois, mais on donne a cette qualite sonantique le nom de « silbenbildend », com.me si a son tour la formation de la syllabe dependait de cet accent. On voit comment notre methode s'oppose aux deux premieres : par l'analyse de la syllabe, telle qu'elle se presente dans la chalne, nous avons obtenu l'unite irreductible, le son ouvrant ou le son fermant, puis combinant ces unites, nous sommes arrives a definir la limite de syllabe et le point vocalique. Nous savons des lors dans quelles conditions physiologiques ces effets acoustiques doivent se produire. Les theories critiquees plus haut suivent la marche inverse : on prend des especes phonologiques isolees, et de ees sons on pretend deduire la limite de syllabe et la place de la sonante. Or etant donnee une serie quelconque de phonemes, ii peut y avoir une maniere de les articuler plus naturelle, plus commode qu'une autre ; mais la faculte de choisir entre les articulations ouvrantes et f ermantes subaiste dans une large mesure, et c'est de ce choix, non des especes phonologiques directement, que dependra la syllabation. Sans doute cette theorie n'epuise ni ne resout toutes les questions. Ainsi l'hiatus, d'un emploi si frequent, n'est pas autre chose qu'un chalnon implosif rompu, avec ou sans intervention de la volonte : Ex. (dans il cria) OU (dans ebahi). i-a a-i 90 PRINCIPES LES PHONEMES DE PHONOLOGIE 11 se produit plus facilement avec les especes phonologiques de grands aperture. 11 y a aussi le cas des chainons explosifs rompus, qui sans Mre gradues, entrent dans la chaine phonique au meme titre que les groupes normaux ; nous avons touche ce cas a propos du grec kteitu), p. 85, note. Soit encore, par exempie, le groupe pzia : il ne peut se prononcer normalement que pzta : il doit done comprendre deux syllabes, et ii Jes a en effet si I'on fait entendre nettement le son larynge de z ; mais si le z s'assourdit, comme c'est un des phonemes qui demandent le moins d'ouverture, l'opposition entre z et a fait qu'on ne percoit plus qu'une syllabe et qu'on entend a peu pres pzia. Dans tous les cas de ce genre, la volonte et l'intention peuvent, en intervenant, donner le change et tourner dans une certaine mesure Jes necessites physiologiques : ii est souvent difficile de dire exactement quelle part revient a chacun des deux ordres de facteurs. Mais quoi qu'il en soit, la phonation suppose une succession d'implosions et d'explosions, et c'est la la condition fondamentale de la syllabation. (125] § 6. DUREE DE L1ll\lPLOSION ET DE L'EXPLOSION, * En expliquant la syllabe par le jeu des explosions et des implosions, on est conduit a une observation importante qui n'est que la generalisation d'un fait de metrique. On distingue dans Jes mots grecs et latins deux sortes de longues : celles de nature (mater) et celles de position (f ii.clus). Pourquoi f ac est-ii mesure long dans fact us ? On repond : a cause du groi pe cl ; mais si cela tient au groupe en soi, n'importe que.le syllabe comrnencant par deux consonnes aura aussi la cuantite longue ; pourtant ii n'en est rien (cf. dtens, etc.). La veritable raison est que l'explosion et l'implosion sont DE QUATRIEME 91 APERTURE essentiellement differentes sous le rapport de la duree. La prmiere est toujours si rapide qu'elle reste une quantite irrationnelle pour l'oreille ; c'est pour cela aussi qu'elle ne donne jamais l'impression vocalique. Seule l'implosion peut ~tre appreciee ; d'ou le sentiment qu'on reste plus longtemps sur la voyelle par laquelle elle commence. On sait d'autre part que les voyelles placees devant un groupe forme d'occlusive ou fricative + liquide sont traitees de deux facons : dans palrem l'a peut etre long ou bref : cela tient au meme principe. En effet, tr et tr sont egalement prononcables ; la premiere maniere d'articuler permet a l'a de rester bref ; la seconde cree une syllabe longue. Le meme traitement double de l'a n'est pas possible dans un mot comme faclus, puisque seul t est prononcable a l'exclusion de ct. § 7. LES PHONE:\IES DE QUATRIEME APERTURE. LA DIPHTONGUE. QUESTIONS (126) DE GRAPHIE.* Enfin les phonemes de quatrierne aperture donnent lieu observations. Nous avons vu p. 81 que, contrairement a ce que l'on constate pour d'autres sons, l'usage a ~onsacre pour ceux-la une double graphie (w = u= y i. i = i). C'est que dans des groupes tels que aiya, auwa on percoit, mieux que partout ailleurs, la distinction marquee par et i et u donnent nettement l'impression de voyelles, i et u celle de consonnes1. Sans pretendre expliquer ce fait, nous observons que cc i consonne n'existe jamais sous l'aspect fermant. Ainsi on ne peut avoir un ai dont l'i fasse le merne efTet que le y dans aiya (comparez l'anglais boy avec le francais pied) ; c'est done par position que y est consonne et i voyelle, puisque ces varietes de a certaines u. = < u; >; 1. 11 ne Caul pas ecntondre eel d~ment lie quutrieme aperture avec In fricative palatale douce (licge11 duns I'allemand du Nord). Celle espece Phonologique uppurtlent aux cousounes et en a tous Jes curacteres, I I 92 PRINCIPES LES PHONEMES DE QUATRIEME DE PHONOLOGIE l'espece I ne peuvent pas se manifester partout egalement. Les memes remarques s'appliqucraient a u et ui, ii et iii. Ceci eclaire la question de la diphtongue. · Elle n'est qu'un cas special du chainon implosif ; les groupes et sont absolument paralleles ; il n'y a entre eux qu'une difference d'aperture du second element : une diphtongue est un chainon implosif de deux phonemes dont le second est relativement ouvert, d'ou une impression acoustique particuliere : on dirait que la sonante continue dans le second element du groupe. Inversement un groupe comme ne se distingue en rien d'un groupe comme Ira, sinon par le degre d'aperture de la derniere explosive. Ceci revient a dire que les groupes appeles par les phonologistes diphtongues ascendantes ne sont pas des diphtongues, mais des groupes explosivo-implosifs dont le premier element est relativement ouvert, mais sans qu'il en results rien de particulier au po~nt de vue acoustique (tya). Quant aux groupes du type uo, avec l'accent sur ii et i, tels qu'on les trouve dans certains dialectes allemands (cf. buob, liab), ce ne sont egalement que de fausses diphtongues qui ne donnent pas l'impres~~on d'unit~ comme az, etc. ; on ne peut pas prononcer uo comme implos. + implos. sans rompre la chaine, a moins qu'un artifice n'impose a ce groupe l'unite qu'il n'a pas naturellement. Cette definition de la diphtongue, qui la rarnene au principe general des chainons irnplosifs, montre qu'elle n'est pas, comme on pourrait le croire, une chose discordante, inclassee parmi les phenomenes phonologiques. II est inutile de lui faire une case a part. Son caractere pro pre n 'a en realite aucun interet ni aucune importance : ce n'est pas la fin de la sonante qu'il importe de fixer, mais son commencement. ( 127] M. Sievers et beaucoup de linguistes'" clistinguent par l'ecriture i, u, ii. ~· 'J, etc. ct !, u, ij. r, n, etc. = (( unsilbisches » i, i =-~ I! silbisches » i), et ils ecrivent mirta, aria au.ta tya za, ou, a APERTIJRE 93 ma!rla, miana, tanms que nous ecnvons mirta, moiria, myarta. Ayant constate que i et y sont de meme espece phonologique, on a voulu avoir avant tout le meme signe generique (c'est toujours la meme idee que la chatne sonore se compose d'especes juxtaposees I). Mais cette notation. bien que reposant sur le temoignage de l'oreille, est au rebours du bon sens et etface [ustement la distinction qu'Il unporterait de faire. Par la : 1 o on conf ond i, u ouvrants (= y. w) et i, u fermants ; on ne peut, par exemple, faire aucune distinction eotre newo et neuo ; 20 inversement, on scinde en deux i, u fermants (cf. mirta et mairta). Voici quelques exemples des inconvenients de cette graphie. Soit l'ancien grec dwts et aust, et d'autre part rhewo et rhetlma : ces deux oppositions se produisent exactement dans les memes conditions phonologiques et se traduisent normalelement par la meme opposition graphique ·: swvant que le u est suivi d'un phoneme plus ou moins ouvert, ii devient tantOt ouvrant (w), tantot fermant (u). Qu'on ecrive dui», dusi. rheu»; rheuma; et tout est efface. De meme en indoeuropeen les deux series mater, miiirai, mideres, miitrsu et siineu, siinewai, siinewes, sunusu. sont strictement paralleles dans leur double traitement de r d'une part, de u de l'autre ; dans la seconde au moins I'opposition des implosions et des explosions eclate dans l'ecriture, tandis qu'elle est obscurcie par la graphie critiquee ici (siinz..re, siineuai, siinel!,es, sunusu). Non seulement ii faudrait conserver les distinctions faites par I'usage, entre ouvrants et fermants (u : w, etc.), mais on devrait les etendre ll tout le systeme et ecrire, par exemple: mater, miiuai, mateFes, miitrsu ; alors le jeu de la syllabation apparattrait avec evidence ; les points vocaliques et les limites de syllabes se deduiraient d'euxm!mes. Note des ediieur«. ­ problanes. Ces theories eclairent plusieurs dont F. de Saussure a touche quelques-uns 94 PRINCJPES DE PHONOLOGIE dans ses lecons. Nous en donnerons quelques specimens. 1. M. Sievers cite beritlJ.n'}n (allemand berillenen) comme exemple typique du fait que le meme son peut fonctionner alternativement deux fois comme sonante et deux fois comme consonante (en realite n ne fonctionne ici qu'une fois comme consonante, et il faut ecrire beritnnn ; mais peu importe). Aucun exemple n'est plus frappant precisement pour montrer que « son >> et « espece • ne sont pas synonymes. En efTet, si l'on restait sur le meme n, c'est-a-dire sur l'implosion et l'articulation sistante, on n'obtiendrait qu'une seule syllabe longue. Pour creer une alternance de n sonants et consonants. ii faut faire suivre l'implosion (premier n) de I'explosion (second n), puis reprendre l'implosion (troisieme n), Comme les deux implosions ne sont precedees d'aucune autre, elles ont le caractere sonantique. 2. Dans les mots franeais du type meurtrier, ouurier, etc., les finales ­trier, ­orier ne formaient autrefois qu'une syllabe (quelle que fut d'ailleurs leur prononciation, cf. p. 85 note). Plus tard on s'est mis ales prononcer en deux syllabes (meur­ tri­er, avec OU sans hiatus, c'est-a-dire OU Le changement s'est produit, non en placant un « accent syllabique II sur l'element i, mais en transformant son articulation explosive et une articulation implosive. Le peuple dit ouuerier pour ouurier : phenomene tout semblable, seulement c'est le second element au lieu du troisieme qui a change d'articulation et est devenu sonant : < "'> >< uorye +- uvrye. Un e a pu se developper apres coup devant l'r sonant. 3. Citons encore le cas si connu des voyelles prothetiques devant s suivi de consonne en Iraneais : latin seidum + isciuum +- francais escu, ecu. Le groupe sk, nous l'avons vu >< p. 85. est un chatnon rompu ; sk est plus naturel. Mais cet s implosif doit faire point vocalique quand ii est au commencement de la phrase ou que le mot precedent se termine par ­t;te tr1ye). >, APPLICATIONS 95 une consonne d'aperture faihle. L'i ou l'e prothetiques ne font qu'exagerer cette qualite sonantique ; tout caractere phonologique peu sensible tend a se grossir quand on tient a le conserver. C'est le meme phenornene qui se reproduit dans le cas de esclandre et dans les prononciations populaires esqueletle, estatue. C'est encore lui qu'on. retrouve dans cette prononciation vulgaire de la preposition de, que l'on transcrit par ed : un ceil ed lanche. Par syncope, de tanche est devenu d'tanche ; mais pour se faire sentir dans cette position, le d doit etre implosif : dtanche, et une voyelle se developpe devant lui comme dans !es cas precedents. 4. II est a peine necessaire de revenir sur la question des sonantes indo-europeennes, et de se demander par exemple pourquoi le vieux-haut-allemand hagl s'est transforrne en hagal, tandis que balg est reste intact. Le l de ce dernier mot, second element d'un chainon implosif (batg), joue le role de consonante et n 'avait aucune raison de changer de fonction. Au contraire le l, egalement implosif, de hagl faisait point vocalique. Etant sonantique, il a pu developper devant lui une voyelle plus ouvrante (un a, s'il faut en croire le temoignage de la graphic). D'ailleurs, elle s'est assombrie avec le temps, car aujourd'hui Hagel se prononce de nouveau hagi. C'est meme ce qui fait la difference entre la prononciation de ce mot et celle de franeais aigle ; l'l est fermant dans le mot germanique et ouvrant dans le mot Irancais avec e muet final (~gle). PREMI~RE PRINCIPES P ARTIE GENERAUX CHAPITRE PREMIER NATURE DU SIGNE LINGUISTIQUE § 1. SIGNE, SIGNIFIE, SIGNIFJANT,* 112~1 Pour certaines personnes la langue, ramenee a son principc essentiel, est une nomenclature, c'est-a-dire une liste de termes correspondant a autant de choses.*Par exemple : 112~1 Cettc conception est critiquable a bien des egards. Elle suppose des idees ARBOR toutes faites preexistant aux mots (sur ce point, voir plus loin, p. 155) ; elle ne nous dit pas si le nom est de nature vocale ou psyEQUOS chique, car arbor peut ~tre eousidere sous l'un ou I'autre aspect ; enfin elle etc. etc. laisse supposer que le lien qui unit un nom a une chose est une operation toute simple, ce qui est bien loin d'etre vrai. Cependant cette vue simpliste peut nous rapprocher de la verite, en nous montrant que 98 PRINCIPES GENERAUX l'unite linguistique est une chose double, faite du rapprochement de deux termes. On a vu p. 28, a propos du circuit de la parole, que les termes impliques dans le signe linguistique sont tous deux psychiques et sont unis dans notre cerveau par le lien de l'association. lnsistons sur ce point. Le signe linguistique unit non une chose et un nom, 1130) mais un concept et une image acoustique1.* Cette derniere n'est pas le son materiel, chose purement physique, mais p:u I l'empreinte psychique* de ce son, la representation que nous en donne le temoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s'il nous arrive de l'appeler « materielle », c'est seulement dans ce se. · et par opposition a l'autre terme de l'association, le concept, generalernent plus abstrait. Le caractere psychique de nos images acoustiques apparait bien quand nous observons notrc propre Jangage. Sans remuer les levres ni la langue, nous pouvons nous parler a nous-memes ou nous reciter mentalement une piece de vers. C'est parce que Jes mots de la langue sont pour nous des images acoustiques quil faut eviter de parler des « phonemes » dont ils sont composes. Ce terrne, impliquant une idee d'action vocale, ne peut convenir qu'au mot parle, a la realisation de l'image interieure dans le discours. En parlant des sons et des syllabes d'un mot, on evite ce malentendu, pourvu qu'on se souvienne qu'il s'agit de l'image acoustique. 1. Ce terme d'Image acousttque paraitra peut-etre trop ctrolt, pulsqu'a cote de la representation des sons d'un mot ii y a aussi celle de son articulation, l'image musculaire de I'acte phonatoire. Mais pour F. de Saussure la langue est essentiellement un depot, une chose recue du dehors (volr p. 30). L'image acoustique est par excellence la representation naturelle du mot en tant que fait de langue virtue}, en dehors de toute realisation par la parole. L'aspect moteur pcut done etre sous-entendu ou en tout cas n'occuper qu'une place subordonnee par rapport a l'image acoustiqu((Ed.). SIGNE, SIGNIFIE, STGNJFIANT 99 I Le signe linguistique est done une entite psychique a deux faces, qui peut etre representee par la figure : Ces deux elements sont intimement unis et s'appellent l'un l'autre. Que nous cherchions le sens du mot latin arbor ou le 1---------1 mot par lequel le latin designe le concept « arbre », il est clair que seuls les rapprochements consacres par la langue nous apparaissent conformes a la rea- l I lite, et nous ecartons n'importe quel autre qu'on pourrait imaginer.* (132) Cette definition pose une importante question de terminologie.*Nous appelons signe la combinaison du concept et (133) de l'image acoustique : rnais dans l'usage courant ce terme designe generalement l'image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appele signe, ce n'est qu'en tant qu'il porte le concept « arbre », de telle sorte que l'idee de la partie sensorielle implique celle du total. L'arnbiguite disparaitrait si l'on designait les trois notions ici en presence par des norns qui s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour designer le total, et de remplacer concept et image acouslique respectivement par signifie et signifiant ; ces derniers termes ont l'avantage de marquer l'opposition qui les separe soil entre eux, soit du total dont ils font partie. Quant a siqne, si nous nous en contentons, c'est que r.ous ne 100 L1ARBITRAIRE DU SIGNE PRINCIPES GENERAUX savons par quoi le remplacer, la langue usuelle n'en sugge[134] rant aucun autre," Le signe linguistique ainsi deflni possede deux caracteres primordiaux. En les enoneant nous poserons les principes memes de toute etude de cet ordre. (135) § 2. PREMIER PRINCIPE: L'ARBITRAIRE au meme, sur la convention. Les signes de politesse, par exemple, doues souvent d'une certaine expressivite natutelle (qu'on pense au Chinois qui salue son empereur en se prosternant neuf fois [usqu'a terre), n'en soot pas moins fixes par une regle , c'est cette regle qui oblige a les employer, non leur valeur intrinseque. On peut done dire que les signes entierement arbitraires realisent mieux que les autres l'ideal du precede semiologique ; c'est pourquoi la langue, le plus complexe et le plus repandu des systemes d'expression, est aussi le plus caracteristique de tous ; en ce sens la linguistique peut devenir le patron general de toute serniologle, bien que la langue ne soit qu'un systeme particulier, On s'est servi du mot symbole pour designer le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. II y a des inconvenients a l'admettre, justement a cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractere de n'etre jamais tout a fait arbitraire ; ii n'est pas vide, ii ya un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifle, Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas etre remplace par n'importe quoi, un char, par exemple.* ( 1401 Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. II ne doit pas donner l'idee que le signifiant depend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer a un signe une fois etahli dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immo­ tiue, c'est-a-dire arbitraire par rapport au signifie, avec lequel ii n'a aucune attache naturelle dans la realite." l 141 I Signalons en terminant deux objections qui pourraient ~tre faites a l'etablissement de ce premier principe : 1° On pourrait s'appuyer sur les onomatopees*pour dire 11421 que le choix du signifiant n'est pas toujours arbitraire. Mais elles ne sont jamais des elements organiques d'un systeme linguistique. Leur nombre est d'ailleurs bien moins grand DU SIGNE.'* Le lien unisssant le signifiant au signifie est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total resultant de l'association d'un signifiant a un signifie, nous pouvons [1361 dire plus simplement : le signe linquistique est arbitraire," Ainsi l'idee de« sceur » n'est Hee par aucun rapport interieur avec la suite de sons s­u­r qui lui sert de signifiant ; ii pourrait etre aussi bien represente par n'importe quelle autre : a preuve les differences entre les langues et l'existence meme de langues differentes : le signifle (( bceuf » a pour signifiant I>­(,­/ d'un cote de la frontiere, et o­k­s (Ochs) de (137] 101 l'autre," Le principe de l'arbitraire du signe n 'est conteste par personne ; mais il est souvent plus aise de decouvrir une verite que de lui assigner la place qui lui revient. Le principe enonce plus haut domine toute la linguistique de la langue ; ses consequences sont innombrables. 11 est vrai qu'elles n'apparaissent pas toutes du premier coup avec une egale evidence ; c'est apres bien des detours qu'on les decouvre, et avec elles (138) l'importance primordiale du principe." Une remarque en passant : quand la semiologie sera organisee, elle devra se demander si les modes d'expression qui reposent sur des signes entierernent naturels - comme [139) la pantomime lui reviennent de droit.* En supposant qu'elle les accueille, son principal objet n'en sera pas moins l'ensemble des systemes Iondes sur l'arbitraire du signe. En etTet tout moyen d'expression recu dans une societe repose en principe sur une habitude collective ou, ce qui revient II: 102 PRINCIPES GENERAUX qu'on ne le croit. Des mots comme /ouet ou glas peuvent frapper certaines oreilles par une sonorite suggestive ; mais pour voir qu'ils n'ont pas ce caractere des l'origine, ii suffit de remonter a leurs formes latines (/ouel derive de f agus « hetre », glas = classicilm) ; la qualite de leurs sons actuels, ou plutot celle qu'on leur attribue, est un resultat fortuit de l'evolution phonetique, Quant aux onomatopees authentiques (celles du type glou-glou, tic­lac, etc.), non seulement elles sont peu nombreuses, mais leur choix est deja en quelque mesure arbitraire, puisqu'elles ne sont que l'imitation approximative et deja a demi conventionnelle de certains bruits (comparez le Irancais ouaoua et l'allemand wauwau). En eutre, une fois introduites dans la langue, elles sont plus ou moins entrainees dans l'evolution phonetique, morphologique, etc. que subissent les autres mots (cf. pigeon, du latin vulgaire pipio, derive lui-merne d'une onomatopee) : preuve evidente qu'elles ont perdu quelque chose de leur caractere premier pour revetir celui du signe linguistique en general, qui est imrnotive. 11431 20 Les exclamations." tres voisines des onornatopees, donnent iieu a des remarques analogues et ne sont pas plus dangereuses pour notre these. On est tente d'y voir des expressions spontanees de la realite, dictees pour ainsi dire par la nature. Mais pour la plupart d'entre elles, on peut nier qu'il y ait un lien necessaire entre le signifie et le signifiant. 11 suffit de comparer deux langues a cet egard pour voir combien ces expressions varient de l'une a l'autre (par exernple au francais aie I correspond l'allemand au /) On sait d'ailleurs que beaucoup d'exclamations ont commence par etre des mots a sens determine (cf. diable I mordieu I = mort Dieu, etc.). En resume, les onornatopees et les exclamations sont d'importance secondaire, et leur origine symbolique en partie contestable. CARACTERE LINEAIRE DU SIGNIFIANT 103 § 3. SECOND PRINCIPE; CARACTERE LINEAIRE DU SIGNIFIANT.* (1441 Le signifiant, etant de nature auditive, se deroule dans le temps seul et a les caractercs qu'il emprunte au temps : a) ii represenie une etendue, et b) cette eiendue est mesurable dans une seule dimension : c'est une ligne.* (145) Ce principe est evident, mais ii semble qu'on ait toujours neglige de I'enoncer, sans doute parce qu'on l'a trouve trop . simple ; cependant ii est f ondamental et les consequences en sont incalculables ; son importance est egale a celle de la premiere loi. Tout le mecanisme de la langue en .depend (vo~r p. 170). Par opposition aux signifiants vi~uel~ (s1g~aux mantimes, etc.). qui peuvent ofTrir des complications simultanees sur plusieurs dimensions, Jes signifiants acoustiques ne disposent que de la ligne du temps ; leurs elements se presentent l'un apres l'autre ; ils forment une chaine. Ce caractere apparait immediatement des qu'on les represente par l'ecriture et qu'on substitue la ligne spatiale des signes graphiques a la succession dans le temps. Dans certains cas cela n'apparait pas avec evidence. Si par exemple j 'accentue une syllabe, ii semble que j 'accumule sur le merne point des elements significatifs differents. Mais c'est une illusion ; Ia syllabe et son accent ne constituent qu'un acte phonatoire ; ii n'y a pas dualite a l'interieur ~e cet ac~e, mais seulement des oppositions diverses avec ce qui est a cote (voir a ce sujet p. 180). IM::\tUTABILITE DU SIGNE CHAPITRE ll IMMUTABILIT~ ET MUTABILIT~ DU SIGNE § 1. IMMUTABILITE.* Si par rapport a I'idee qu'il represente, le signifiant apparatt comme librement choisi, en rcvanche, par rapport a la communaute linguistique qui l'emploie, ii n'est pas libre, ii est impose. La masse sociale n'est point consultee, et le signifiant choisi par la langue, ne pourrait pas ~tre remplace par un autre. Ce fait, qui semble envelopper une contradiction, pourrait etre appele familierement « la carte forcee ». On dit A la langue : « Choisissez I \) mais on ajoute : « Ce sera ce signe et non un autre. » Non seulement un individu serait incapable, s'il le voulait, de modifier en quoi que ce soit le choix qui a ete fait, mais la masse elle-meme ne peut exercer sa souverainete sur un seul mot; elle est Hee a la langue telle qu'elle est. La langue ne peut done plus etre assimilee a un contrat pur et simple, et c'est justement de ce cote que le signe linguistique est particulierement interessant a etudier ; car si l'on veut demontrer que la loi admise dans une collectivite est une chose que l'on subit, et non une regle librement consentie, c'est bien la langue qui en offre la preuve la plus eclatante. Voyons done comment le signe linguistique echappe a notre volonte, et tirons ensuite les consequences importantcs qui decoulent de ce phenomena. [146' 105 A n'importe quelle epoque et si naut quc nous remontions, la langue apparait toujours comme un heritage de l'epoque precedente. L'acte par lequel, a un moment donne, Jes noms seraient distribues aux choses, par lequcl un contrat serait passe entre les concepts et Jes images acoustiques - cet acte, nous pouvons le concevoir, mais ii n'a jamais ete constate. L'idee que Jes choses auraient pu se passer ainsi nous est suggeree par notre sentiment tres vif de l'arhitraire du signe. En Iait, aucune societe ne connait ct n'a jamais connu la langue autremcnt que comme un produit herite des generations precedentes et a prendre tel quel, C'est pourquoi la question de l'origine du langage n'a pas l'importance qu'on lui attribue generalementf Ce n'est pas meme une question (147) a poser ; le seul objet reel de la linguistique, c'est la vie normale et reguliere d'un idiorne deja constitue. Un etat de langue donne est toujours le produit de facteurs historiques, et ce sont ces facteurs qui expliquent pourquoi le signe est immuable, c'est-a-dire resiste a toute substitution arbitraire. Mais dire que la langue est un heritage n'explique rien si l'on ne va pas plus loin. Ne peut-on pas modiller d'un moment a l'autre des lois existantes et heritees '? Cctte objection nous amene a placer la langue dans son cadre social ct a poser la question comme on la poserait pour les autres institutions sociales, Celles-ci, comment se transmettent-elles '? Voila la question plus generate qui enveloppe celle de l'immutabilite. Il faut d'abord apprecier le plus ou moins de Iiberte dont jouissent Jes uutres institutions ; on Verra que pour chacune d'elles il y a une balance diflerente entre la tradition imposee et l'action libre de la societe. Ensuite on recherchera pourquoi, dans une categorie donnee, les facteurs du premier ordre sont plus ou moins puissants que ceux de l'autre. Enfin, revenant a la langue, on se demandera pourquoi le facteur historique de la transmission la 106 PRINC.IPES lMMUTABILITE GENERAUX domine tout entiere et exclut tout changement linguistique general et subit. Pour repondre A cette question, on pourrait faire valoir bien des arguments, et dire, par exemple, que les modifications de la langue ne sont pas liees a la suite des generations, qui, loin de se superposer les unes aux autres comme les tiroirs d'un meuble, se melent, s'interpenetrent et contiennent chacune des individus de tous les ages. On rappellerait aussi la somme d'eflorts qu'exige l'apprentissage de la langue maternelle, pour conclure de la a I'impossibilite d'un changement general. On ajouterait que la reflexion n'intervient pas dans la pratique d'un idiome ; que les sujets sont, dans une large mesure, inconscients des lois de la langue ; et s'ils ne s'en rendent pas compte, comment pourraient-ils Jes modifier ? Fussent-ils meme conscients, il faudrait se rappeler que les faits linguistiques ne provoquent guere la critique, en ce sens que chaque peuple est generalement satisfait de la langue qu'il a recue. Ces considerations sont importantes, mais elles ne sont pas topiques : nous pref erons les suivantes, plus essentielles, plus directes, dont dependent toutes les autres : 1. - Le caradere arbitraire du signe. Plus haut, il nous faisait admettre la possibilite theorique du changement ; en approfondissant, nous voyons qu'en fait, l'arbitraire meme du signe met la langue a l'abri de toute tentative visant a la modifier. La masse, fO.t-elle meme plus consciente qu'elle ne l'est, ne saurait la discuter. Car pour qu'une chose soit mise en question, ii faut qu'elle repose sur une norme raisonnable. On peut, par exemple, debattre si la forme monogame du mariage est plus raisonnable que la forme polygame et faire valoir des raisons pour l'une et l'autre. On pourrait aussi discut.er un systeme de symboles, parce que le symbole a un rapport rationnel avec la chose signifiee (voir p. 101) ; mais pour la langue, systeme de signes arbitraires, cette base fait defaut, et avec elle se derobe tout terrain solide de dis- 107 DU SIGNE cussion ; il n'y a aucun motif de preferer saur a sister, Ochs l bau], etc. 2. - La multitude des signes tiecessaires pour constituer n'importe quelle langue. La portee de ce fait est considerable. Un systeme d'ecriture compose de vingt quaranre lettres peut a la rigueur etre remplace par un autre. II en serait de meme pour la langue si elle renf ermait un nombre limite d'elements ; mais les signes linguistiques sont innombrables. 3. - Le caractere trop complexe du sysleme. Une langue constitue un systeme. Si, comme nous le verrons, c'est le cote par lequel elle n'est pas corr., -letement arbitraire et oil ii regne une raison relative, c'est aussi le point oil apparatt l'incompetence de la masse a la transformer. Car ce systeme est un mecanisme complexe ; l'on ne peut le saisir que par la reflexion ; ceux-la memes qui en font un usage journalier l'ignorent profondement, On ne pourrait concevoir un tel changement que par l'intervention de specialistes, grammairiens, logiciens, etc. ; mais l'experience montre que jusqu'ici les ingerences de cette nature n'ont eu aucun a succes, a La resistance de l'inertie collective Louie innova­ tion linquistique. La langue - et cette consideration prime toutes les autres - est a chaque moment l'affaire de tout le monde ; repandue dans une masse et maniee par elle, elle "st une chose dont tous les individus se servent toute la journee.*Sur ce point, on ne peut etablir aucune compa- I 148 J raison entre elle et les autres institutions. Les prescriptions d'un code, les rites d'une religion, les signaux maritimes, etc., n'occupent jamais qu'un certain nombre d'individus la fois et pendant un temps Iimite ; la langue, au contraire, chacun y participe a tout instant, et c'est pourquoi elle subit sans cesse I'influence de tous. Ce fait capital suffit a montrer l'impossibilite d'une revolution. La langue est de toutes les institutions sociales celle qui off re le moins de prise aux initia4. - a 108 PRINCIPES GENERAl'X tives. Elle fait corps avec la vie de la masse sociale, et celle-ci, etant naturellement inertc, apparait avant tout comme un facteur de conservation. Toutefois ii rre suffit pas de dire que la langue est un produit des forces sociales pour qu'on voie clairement qu'elle n'est pas libre ; se rappelant qu'elle est toujours l'heritage d'une epoque precedente, il faut ajouter que ces forces sociales agissent en fonction du temps. Si la langue a un caractere de Iixite, ce n'est pas seulement parce qu'elle est attachee au poids de la collectivite, c'est aussi qu'elle est situee dans le temps. Ces deux faits sont inseparables. A tout instant, la solidarite avec le passe met en echec la liberte de choisir. Nous disons homme et chien parce qu'avant nous on a <lit [14llj homme et chien~Cela n'empeche pas qu'il ny ait dans le phenomene total un lien entre ces deux facteurs antinomiques : la convention arbitraire en vertu de laquelle le choix est libre, et le temps, grace auquel le choix se trouve fixe. C'est parce que le signe est arbitraire qu'il ne connait d'autre loi que celle de la tradition, et c'est parce qu'il se fonde sur la tradition l1 ;>0 I qu'il peut etre arbitraire.* 1151 J § 2. MUTABILJTE.'* Le temps, qui assure la continuite de la iangue, a un autre effet, en apparence contradictoire au premier : celui d'alterer plus ou moins rapidement les signes linguistiques et, en un certain sens, on peut parler a la fois de l'immutabilite et de 1152 I la mutabilite du signe 1.* En derniere analyse, Jes deux faits sont solidaires : le 1. On auralt tort de reprocher A F. de Saussure d'~tre lllogtque ou paradoxal en attribuant a la langue deux qualltes contradictoires. Par l'opposltlon de denx termes frappants. II a voulu seulement marquer tortement cette verite, que la langue se transforme sans que Jes sujets pulssent la transformer. On peut dire aussl qu'elle est Intangible, mals non Inalterable (Ed.). MUTABILITE DU SIGNE 109 signe est daos le cas de s'alterer parce qu'il se continue. Ce qui domine dans toute alteration, c'est la persistance de la uiatiere ancienne ; I'infidelite au passe n'est que relative. Voila pourquoi le principe d'alteration se fonde sur le prineipe de continuite. L'alteration dans le temps prend diverses formes, dont chacune foumirait la matiere d'un important chapitre de linguistique.*Sans entrer dans le detail, voici ce qu'il est 11~.j J important de degager, Tout d'abord, ne nous meprenons pas sur le sens attache ici au mot alteration. Il pourrait faire croire qu'il s'agit specialement des changements phonetiques subis par le signifiant, ou bien des changements de sens qui atteignent le concept . signifie. Cette vue serait insuffisante. Quels que soient les facteurs d'alteratlons, qu'il agissent isolernent ou combines, ils aboutissent toujours a un deplacement du rapport enire le signifie et le signifiant. * I 1 =><1 t Voici quelques exemples. Le latin neciue signifiant « tuer • est devenu en Iraneais noyer, avec le sens que l'on connait. Image acoustique et concept ont change tous les deux ; mais ii.est inutile de distinguer les deux parties du phenomena ; ii suffit de constater in globo que le lien de l'idee et du signe*(t5tiJ s'est relache et qu'il y a eu un deplacement dans leur rapport. Si au lieu de comparer le neciire du latin classique avec notre Iraneais noyer, on l'oppose au necare du latin vulgaire du 1vti ou du ve siecle, signifiant « noyer "• le cas est un peu different ; mais ici encore, bien qu'il n'y ait pas alteration appreciable du signiflant, il y a deplacement du rapport eotre l'idee et le signe. L'ancien allemand dritteil, « le tiers 1>, est devenu en allemand modeme Driiiel. Dans ce cas, quoique le concept sott reste le meme, le rapport a ete change de deux fa~ns : le signifiant a ete modifie non seulement daos son aspect materiel, mais aussi dans sa forme grammaticale ; ii n'implique plus I'idee de Teil ; c'est un mot simple. D'une 110 PRINCIPES GEN£RAUX maniere ou d'une autre, c'est toujours un deplacement de rapport. En anglo-saxon, la f onne prelitteraire f ot « le pied • est restee fol (angl. mod. foo(), tandis que son pluriel •toti, « les pieds 1, est devenu /et. (angl. mod. feef). Quelles que soient les alterations qu'il suppose, une chose est certaine : ii y a eu deplacement du rapport ; ii a surgi d'autres correspon(156) dances entre la matiere phonique et l'idee.* Une langue est radicalement impuissante a se defendre contre les facteurs qui deplacent d'instant en instant le rapport du signifie et du signifiant. C'est une des consequences de l'arbitraire du signe. Les autres institutions humaines - les coutumes, les lois, etc. - sont toutes f ondees, a des degres divers, sur Ies rapports- naturels des choses ; ii y a en elles une convenance necessaire entre les moyens employes et les fins poursuivies. Meme la mode qui fixe notre costume n'est pas entierement arbitraire : on ne peut s'ecarter au-dela d'une certaine mesnre des conditions dictees par le corps humain. La Iangue, au contraire, n'est limitee en rien dans le choix de ses moyens, car on ne voit pas ce qui empecherait d'associer une idee (157) quelconque avec une suite quelconque de sons.* Pour bien faire sentir que la langue est une institution pure, Whitney a fort justement insiste sur le caractere (158) arbitraire des signes~ et par la, ii a place la linguistique sur son axe veritable. Mais ii n'est pas alle jusqu'au bout et n'a pas vu que ce caractere arbitraire separe radicalement la langue de toutes les autres institutions. On le voit bien par la maniere dont elle evolue ; rien de plus complexe : situee a la fois dans la masse sociale et dans le temps, personae ne peut rien y changer, et, d'autre part, l'arbitraire de ses signes entratne theoriquement la Iiherte d'etablir n'importe quel rapport entre la matiere phonique et les idees. 11 en resulte que ces deux elements unis dans les signes gardent chacun leur vie propre dans une proportion inconnue MUTUALITE DU SIGNE 111 ailleurs, et que la langue s'altere, ou plutot evolue, sous }'influence de tous les agents qui peuvent atteindre soit les sons soit Jes sens. Cette evolution est fatale ; il n 'y a pas d'exemple d'une langue qui y resiste, Au bout d'un certain temps on peut toujours constater des deplacements seasibles. Cela est si vrai que ce principe doit se verifier meme a propos des langues artificielles. Celui qui en cree une la tient en main tant qu'elle n'est pas en 'circulation ; mais des l'instant qu'elle remplit sa mission et devient la chose de tout le monde, le controle echappe. L'esperanto est un essai de ce genre ; s'il reussit, echappera-t-il a la Joi fatale ? Passe le premier moment, ia langue entrera tres probablement dans sa vie semiologique ; elle se transmettra par des lois qui n'ont rien de commun avec celles de la creation reflechie, et l'on ne pourra plus revenir en arriere. L'homme qui pretendrait composer une langue imrnuable, que la posterite devrait accepter telle quelle, ressemblerait a la poule qui a couve un ceuf de canard : la langue creee par lui serait emportee hon gre mal gre par le courant qui entraine toutes les langues." 1159) La continuite du signe dans le temps, lie a l'alteration dans le temps, est un principe de la serniologie generate ; on en trouverait la confirmation dans les systernes d'ecriture, le langage des sourds-muets, etc. Mais sur quoi se fonde la necessite du changement ? On nous reprochera peut-etre de n'avoir pas ete aussi explicite sur cc point que sur le principe de I'immutabilite : c'est que nous n 'avons pas distingue les diflerents facteurs d'alteration ; ii faudrait Jes envisager dans leur variete pour savoir jusqu'a quel point ils sent necessaires. Les causes de la continuite sont a priori a la portee de l'observateur ; ii n'en est pas de meme des causes d'alteration a travers le temps. II vaut mieux renoncer provisoirelllent a en rendre un compte exact et se horner a parler en 112 PRINCIPES GENERAUX general du deplacement des rapports ; le temps altere toutes choses ; il n'y a pas de raison pour que la langue echappe a (160) cette loi universelle.* Recapitulons les etapes de notre demonstration, en nous reportant aux principes etablis dans l'introduction. 1 o Evitant de steriles definitions de mots, nous avons d'abord distingue, au sein du phenomene total que represente le langage, deux facteurs : la langue et la parole. La langue est pour nous le langage moins la parole. Elle est l'ensemble des habitudes linguistiques qui permettent a un sujet de comprendre et de se faire comprendre. 20 Mais cette definition laisse encore la langue en dehors de sa realite sociale ; elle en fait une chose Irreelle, puisqu'elle ne comprend qu'un des aspects de la realite, l'aspect individuel ; il faut une masse par/ante pour qu'il y ait une langue. A aucun moment, et contrairement a l'apparence, celle-ci n'existe en dehors du fait social, parce qu'elle est un l161} phenomene semiologique," Sa nature sociale est un de ses caracteres internes ; sa definition complete nous place devant deux choses inseparables, comme le montre le schema : Mais dans ces conditions, la langue est viable, non vivante; nous n'avons tenu compte que de Ia realite sociale, non du fair historique.* (162} 30 Comme le signe linguistique est arbitraire, il semble que la langue, ainsi defiuie, soit un systeme libre, Masse organisable a volonte, dependant uniparlan.Je quement d'un principe rationnel. Son caractere social, considere en luimeme, ne s'oppose pas precisement a ce point de vue. Sans doute la psychologie collective n'opere pas sur une matiere purement logique ; ii faudrait tenir compte de tout ce qui fait flechir la raison dans les relations pratiques MUTABITILE DU SIGNE 113 d'individu a individu. Et pourtant, ce qui nous empeche de regarder la langue comme une simple convention, modifiable au gre des interesses, ce n'est pas cela : c'est I'action du temps qui se combine avec celle de la force sociale ; en dehors de la duree, la realite linguistique n'est pas complete et aucune conclusion n'est possible. Si l'on prenait la langue dans le temps, sans la masse parlante - supposons un individu isole vivant pendant plusieurs siecles, - on ne constaterait peut-etre aucune alteration ; le temps n'agirait pas sur elle. Inversement si l'on considerait la masse parlante sans le temps, on ne verrait pas l'effet des forces sociales agisssant leur la langue Pour ~tre dans la realite ii f aut done ajouter a notre premier schema un signe qui indique la marche du temps : Des lors la langue n'est pas libre, parce que le temps permettra aux forcessociales s' exercant sur elle de developper leurs Masse effets, et on arrive au principe µarlan.lc de continuite, qui annule la liberte. Mais la continuite impli que necessairement l'alteration. le deplacement plus ou moins considerable des rapports. SCIENCES DES VALElJRS ; LElJR DUALITE INTERNE 115 a CHAPITRE III LA LINGUISTIQUE STATIQUE ET LA LINGUISTIQUE EVOLUTIVE § 1. (163] DUALITE INTERNE OPERANT DE TOUTES LES SCIENCES SUR LES VALEURS.* Bien peu de linguistes se doutent que l'intervention du facteur temps est propre a creer a la linguistique des difficultes particulieres et qu'elle place leur science devant deux routes absolument divergentes. La plupart des autres sciences ignorent cette dualite radicale • le temps n'y produit pas d'efTets particuliers. L'astronomie, a constate que les astres subissent de notables changements ; elle n'a pas ete obligee pour cela de se scinder en deux disciplines. La geologic raisonne presque constamment sur des successivites : mais lorsqu'elle vtent a s'occuper des Hats fixes de la terre, elle n'en fait pas un objet d'etude radicalement distinct. II y a une science descriptive du droit et une histoire du droit ; personne ne les oppose l'une a l'autre, L'histoire politique des Etats se meut entierement dans le temps ; cependant si un historien fait le tableau d'une epoque, on n'a pas l'impression de sortir de l'histoire. Inversement, la science des institutions politiques est essentiellement descriptive, mais elle peut fort hien, a l'occasion, traiter une (1641 question historique sans que son unite soit troublec.x Au contraire la dualite dont nous parlous s'impose deja iJDperieusement aux sciences economiquee. lei, l'encontre de ce qui se passait dans les cas precedents, l'economie politique et l'histoire economique constituent deux disciplines nettement separees au sein d'une meme science ; Jes ouvrages parus recemment sur ces matieres accentuent cette distinction.*En procedant de la sorte on obeit, sans bien s'en ren- 1165] dre compte, a une necesslte interieure : or c'est une necessite toute semblable qui nous oblige a scinder la linguistique en deux parties ayant chacune son principe propre. C'est que la, comme en economie politique, on est en face de la notion de valeur ; dans Jes deux sciences, il s'agit d'un sys­ time d'iquivalence entre des choses d'ordres differents : dans l'une un travail et un salaire, dans l'autre un signifie et un signifian t. * I 1661 11 est certain que toutes Jes sciences auraient lnteret marquer plus scrupuleusement les axes sur lesquels sont situees les choses dont elles s'occupent ; ii faudrait partout distinguer selon la figure suivante : 1 o l' axe des simulia­ (AB), concernant les rapports entre choses C coexistantes, d'ou toute intervention du temps est exclue, et 20 l' axe des suc­ cessiviles (CD), sur leqilel on ne peut jamais consi- A B derer qu'une chose a la fois, mais ou sont situees toutes les choses du premier axe avec leurs chan gements. O Pour Jes sciences traVaillant sur des valeurs, cette distinction devient une necesaite pratique, et dans certains cas une necessite absolue. Dans ce domaine on peut mettre les savants au defl d'orgalliser leurs recherches d'une facon rigoureuse sans tenir compte a neites 116 DUALl'ft INTERNE ET HISTOIRE DE LA LINGUISTIQUE PRINCIPES GENERAUX des deux axes, sans distinguer le systeme des valeurs considerees en soi, de ces memes valeurs considerees en fonction du temps. C'est au linguiste que cette distinction s'impose le plus imperieusement ; car la langue est un systeme de pures valeurs que rien ne determine en dehors de l' etat momentane de ses termes. Tant que par un de ses cotes une valeur a sa racine dans les choses et leurs rapports naturels (comme c'est le cas dans la science economique - par exemple un fonds de terre vaut en proportion de ce qu'il rapporte), on peut [usqu'a un certain point suivre cette valeur dans le temps, tout en se souvenant qu'a chaque moment elle depend d'un systeme de valeurs contemporaines. Son lien avec les choses lui donne malgre tout une base naturelle, et par la les appreciations qu'on y rattache ne sont jamais completement arbitraire ; leur variabilite est limitee. Mais nous venons de voir qu'en linguistique les donnees naturelles J16i) n'ont aucune place.* Ajoutons que plus un systeme de valeurs est complexe et rigoureusement organise, plus il est necessaire, a cause de sa cornplexite merne, de l'etudier successivement selon Jes deux axes. Or aucun systerne ne porte ce caractere a l'egal de la langue : nulle part on ne constate une pareille precision des valeurs en jeu, un si grand nombre et une telle diversite de termes, dans une dependance reciproque aussi stricte. La multiplicite des signes, deja invoquee pour expliquer la continuite de la langue, nous interdit absolument d'etudier simultanement les rapports dans le temps et les rapports dans le systerne. Voila pourquoi nous distinguons deux linguistiques. Comment les designerons-nous ? Les termes qui s'offrent ne.sont pas tous egalement propres a marquer cette distinction. Ainsi histoire et ,1 linguistique historique » ne sont pas \ 168) utilisables, car ils appellent des idees trop vagues": comme l'histoire politique comprend la description des epoques aussi 111 bien que la narration des evenements, on pourrait s'imaginer qu'en decrivant des etats de la langue succesifs on etudie la langue selon l'axe du temps ; pour cela, ii faudrait envisager aeyarement les phenomenes qui font passer la langue d'un ~tat ll un autre. Les termes d'evolution et de linguistique evolutive sont plus precis, et nous les emploierons souvent ; par opposition on peut parter de la science des etats de langue ou lingulstique statique.* (1691 Mais pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phenomenes relatifs au meme objet, nous preferons parler de linguistique synchronique et de linguistique diachronique.*Est synchronique tout ce qui se rap- l 1701 porte a l'aspect statique de notre science, diachronique tout ee qui a trait aux evolutions. De meme synchronie et diachro­ nie designeront respectivement un etat de langue et une phase d'evolution. § 2. LA DUALITE INTERNE ET L HJSTOIRE DE LA LJNGUISTJQUE!" ( 171 j La premiere chose qui frappe quand on etudie les faits de langue, c'est que pour le sujet parlant leur succession dans le temps est inexistante : il est devant un etat. Aussi le linguiste qui veut comprendre cet etat doit-il faire table rase de tout ce qui l'a produit et ignorer la diachronie. 11 ne peut entrer dans ta conscience des sujets parlants qu'en supprimant le passe. L'intervention de l'histoire ne peut que fausser son jugement. II serait absurde de dessiner un panorama des Alpes en le prenant simultanement de plusieurs sommets du Jura ; un panorama doit etre pris d'un seul point. De meme pour la langue : on ne peut ni la deerire ni fixer des normes pour l'usage qu'en se plaeant dans un certain etat. Quand le linguiste suit l'evolution de la langue, il ressemble a l'observateur en mouvement qui va d'une extremite a l'autre du Jura pour noter les deplacernents de la perspective. k.-, ........... ,,. ' 118 PRINCIPES GENERAUX Depuis que la linguistique modeme existe, on peut dire qu'elle s'est absorbee tout entiere dans la diachronie. La grammaire comparee de l'indo-europeen utilise les donnees qu'elle a en mains pour reconstruire hypothetiquemeot un type de langue antecedent ; la comparaison n'est pour elle qu 'un moyen de reconstituer le passe. La methode est la meme dans l'etude particuliere des sous-groupes (langues romanes, langues germaniques, etc.) ; les etats n'interviennent que par fragments et d'une Iacon tres imparfaite. Telle est la tendance inauguree par Bopp ; aussi sa conception de (172) la langue est-elle hybride et hesitante.* D'autre part, comment ont precede ceux qui ont etudie la langue avant la fondation des etudes linguistiques, c'esta-dire les ,, grammairiens » inspires par les methodes traditionnelles ? 11 est curieux de constater que leur point de vue, sur la question qui nous occupe, est absolument irreprochable. Leurs travaux nous montrent clairement qu'ils veulent decrire des etats ; leur programme est strictement synchronique. Ainsi la grammaire de Port-Royal essaie de decrire l'etat du Irancais sous Louis XIV et d'en determiner les valeurs. Elle n'a pas besoin pour cela de la. langue du moyen age ; elle suit fldelement l'axe horizontal (voir p. 115) sans jamais s'en ecarter ; cette methode est done juste, ce qui ne veut pas dire que son application soit parfaite. La grammaire traditionnelle ignore des parties entieres de la langue, telle que la formation des mots ; elle est normative et croit devoir edicter des regles au lieu de constater des faits ; les vues d'ensemble lui font defaut ; souvent meme elle ne sait pas distinguer le mot ecrit du mot (173) parle, etc.* On a reproche a la grammaire classique de n'etre pas scientifique ; pourtant sa base est moins critiquable et son objet mieux defini que ce n'est le cas pour la linguistique inauguree par Bopp. Celle-ci, en se placant sur un terrain mal delimite, ne sait pas exactement vers quel but elle tend. Elle est EXEMPLES 119 a cheval sur deux domaines, parce qu'elle n'a pas su distinguer nettement entre les etats et les successivites, Apres avoir accorde une trop grande place a l'histoire, la linguistique retournera au point de vue statique de la grammaire traditionnelle, mais dans un esprit nouveau et avec d'autres precedes, et la methode historique aura contribue a ce rajeunissernent ; c'est elle qui, par contre-coup, fera mieux comprendre les etats de langue. L'ancienne grammaire ne voyait que le fait synchronique ; la linguistique nous a revele un nouvel ordre de phenornenes ; mais cela ne suffit pas ; ii faut faire sentir l'opposition des deux ordres pour en tirer toutes les consequences qu'elle comporte.* r 174 l § 3. LA DUALITE INTERNE ILLUSTREE P,\R DES EXEMPLEs.* I 175j L'opposition entre les deux points de vue - synchronique et diachronique - est absolue et ne souflre pas de compromis.*Quelques faits nous montreront en quoi consiste cette I 176 ! difference et pourquoi elle est irreductible. Le latin crispus, u ondule, crepe », a fourni au franeais un radical crep­, d'ou les verbes crepir ti recouvrir de mortier », et decrepit, 11 enlever le mortier », D'autre part, a un un certain moment. on a ernprunte au latin le mot decrepi­ tus, « use par l'age », dont on ignore I'etymologie. et on en a fait decrepit. Or ii est certain qu'aujourd'hui la masse des sujets parlants etahlit un rapport entre « u11 mur decrepi 11 et c1 un homme decrepit », bien qu'historiquement ces deux mots n'aient rien a faire l'un avec l'autre : on parle souvent de la facade decrepite d'une maison. Et c'est un fait statique, puisqu'il s'agit d'un rapport entre deux termes coexistants dans la langue. Pour qu'il se produise, le concours de certains phenomenes d'evolution a ete necessaire ; il a fallu que crisp­ arrive a se prononcer crep­, ct qu'a un certain moment on ernprunte un mot nouveau au latin : ces 120 PRINCIPES GtNERAUX faits diachroniques - on le voit clairement - n'ont aucun rapport avec le fait statique qu'ils ont produit ; ils soot d'ordre different. Voici un autre exemple, d'une portee tout a fait generale. En vieux-haut-allemand le pluriel de gast « l'hote », fut d'aiord gasti, celui de hant « la main », hanti, etc. etc, Plus tard cet i- a produit un umlaut, c'est-a-dire a eu pour effet de changer a en e dans la syllabe precedente : gasti ._ gesti hanti­» henti. Puis cet ­i a perdu son timbre d'ou gesti­+­ geste, etc. En consequence on a aujourd'hui Gast : Giiste, Hand : Hiuuie, et toute une classe de mots presente la meme difference entre le singulier et le pluriel. Un fait a peu pres semblable s'est produit en anglo-saxon : on a eu d'abord Jot « le pied n, pluriel */Ni ; top, la dent », pluriel •topi ; gos, « l'oie n, pluriel •gosi, etc. ; puis par un premier changement phonetique, celui de l'urnlaut, */{;ti est devenu *feli, et par un second, la chute de l'i final, *feti a donne flt ; des lors, /ot a pour pluriel /et ; top, tep; gos, gcs (angl. mod. : foot: <( /eel, tooth : teeth, goose: geese). Precedemrnent, quand on disait gast : gasti, fol : foti, le pluriel etait marque par la simple adjonction d'un i ; Gast : Gaste et fol : fel montrent un mecanisrne nouveau pour marquer le plurieJ. Ce mecanisme n'est pas le meme dans les deux cas : en vieil anglais, il y a seulement opposition de voyelles ; en allemand, ii y a en plus, la presence ou }'absence de la finale ­e ; mais cet te difference n'importe pas ici. Le rapport entre un singulier et son pluriel, quelles qu'en soient les formes, peut sexprimer a chaque moment par un axe horizontal, soit : •«------ .,.. • Epoque A. • ~ ->- • Epoque B. Les faits, quels qu'ils soient, qui ont provoque le passage 121 EXEMPLES d'une fonne a l'autre, seront au contraire situes sur un axe vertical, ce qui donne la figure totale : • t • *• t *• Epoque A. Epoque B. Notre exemple-type suggere bon nombre de reflexions qui rentrent directement dans notre sujet : to Ces faits diachroniques n'ont nullement pour but de mar· quer une valeur par un autre signe : le fait que gasti a donne gesti, gesle ( Gdsie) n'a rien a voir avec le pluriel des substantifs ; dans tragit -+- trdgt, le meme umlaut interesse Ia flexion verbale, et ainsi de suite. Done un fait diachronique est un evenement qui a sa raison d'etre en lui-meme ; les consequences synchroniques particulieres qui peuvent en decouler lui sont completement etrangeres." I 1 ·,71 20 Ces faits diachroniques ne tendent pas meme a changer le systeme. On n'a pas voulu passer d'un systeme de rapports a un autre ; la modification ne porte pas sur l'agencement mais sur les elements agences." 11,81 Nous retrouvons ici un principe deja enonce : jamais le systeme n'est modifle directement ; en lui-meme il est· immuable ; seuls certains elements sont alteres sans egard a la solidarite qui les lie au tout. C'est comme si une des planetes qui gravitent autour du soleil changeait de dimensions et de poids : ce fait isole entrainerait des consequences generales et deplacerait l'equilibre du systeme solaire tout entier. Pour exprimer le pluriel, il faut l'opposition de deux termes : ou Jot: •foti, ou fol : /et ; ce sont deux precedes egalement possibles, mais on a passe de I'un a l'autre pour ainsi dire sans y toucher; ce n'est pas l'ensernble qui a ete deplaee ni un systeme qui en a engendre un autre, mais un element du premier a ete change, et cela a suffi pour faire naitre un autre systeme. 30 Cette observation nous fait mieux comprendre le earactere toujours fortuit d'un etat. Par opposition a l'idee 122 PRINCIPES GENERAUX fausse que nous nous en faisons volontiers, la langue n'est pas un mecanisme cree et agence en vue des concepts a exprimer. Nous voyons au contraire que l'etat issu du changement n'etait pas destine a marquer les signiflcations dont il s'impregne. Un etat fortuit est donne : fol: iet, et l'on s'en empare pour lui faire porter la distinction du singulier et du pluriel ; fol : fel n'est pas mieux fait pour cela que ;ot: •toti Dans chaque etat l'esprit s'insuffle dans une matiere donnee et la vivifie. Cette vue, qui nous est inspiree par la linguistique historique, est inconnue a la grarnmaire traditionnelle, qui n'aurait jamais pu l'acquerir par ses propres methodes. La plupart des philosophes de la langue l'ignorent egalement : et cependant rien de plus important au point de vue I 179 J philosophique.* 40 Les faits appartenant a la serie diachronique sont-ils au moins du meme ordre que ceux de la serie synchronique ? En aucune Iacon, car nous avons etabli que les changements se produisent en dehors de toute intention. Au contraire le fait de synchronie est toujours significatif : il fait toujours appel a deux termes simultanes ; ce n'est pas Giiste qui exprime le pluriel, mais l'opposition Gast : Giiste. Dans le fait diachronique, c'est juste I'inverse : il n'interesse qu'un seul terme, et pour qu'une forme nouvelle ( Giiste) apparaisse, il faut que l'ancienne (gasti) lui cede la place. Vouloir reunir dans la meme discipline des faits aussi disparates serait done une entreprise chimerique. Dans la perspective diachronique on a affaire a des phenomenes qui n'ont aucun rapport avec les systemes, bien qu'ils les conditionnent. Voici d'autres exemples qui confirmeront et completeront les conclusions tirees des premiers. En francais, l'accent est toujours sur la derniere syllabe, a moins que celle-ci n'ait un e muet (a). C'est un fait synchronique, un rapport entre l'ensemble des mots francais EXEMPLES 123 et l'accent, D'ou derive-t-il ? D'un etat anterieur. Le latin avait un systeme accentuel different et plus complique : l'accent etait sur la syllabe penultieme quand celle-ci etait Jongue : si elle etait breve, il etait reporte sur l'antepenultieme (cf. amfcus, dn'ima). Cette loi evoque des rapports qui n'ont pas la moindre analogie avec la loi francaise, Sans doute, c'est le meme accent en ce sens qu'il est reste aux memes places ; dans le mot francais ii frappe toujours la syllabe qui le portait en latin : amicum +- ami, dnimam +dme. Cependant les deux formules soot diflerentes dans les deux moments, parce que la forme des mots a change. Nous savons que tout ce qui etait apres l'accent ou bien a disparu, ou bien s'est reduit a e muet. A la suite de cette alteration du mot, la position de l'accent n'a plus ete la meme vis-a-vis de l'ensemble ; des lors les sujets parlants, conscients de ce nouveau rapport, ont mis instinctivement l'accent sur la derniere syllabe, merne dans les mots d'emprunt transmis par l'ecriture (facile, consul, ticket, burqraue, ete.), 11 est evident qu'on n'a pas voulu changer de systeme, appliquer une nouvelle formule, puisque dans un mot comme amlcum -+- ami, l'accent est toujours reste sur la merne syllabe ; mais ii s'est interpose un fait diachronique : la place de l'accent s'est trouvee changee sans qu'on y ait touche, Une loi d'accent, comme tout ce qui tient au systeme linguistique, est une disposition de termes, un resultat fortuit et involontaire de l'evolution." [180) Voici un cas encore plus frappant. En paleoslave slooo, • mot », fait a l'instrum. sg. slouetm. au nom. pl. slova, au gen. pl. slov», etc. ; dans cette declinaison chaque cas a sa desinence. Mais aujourd'hui les voyelles « faibles n b et 'b, representants slaves de r et 11 indo-europeen, ont disparu ; d'ou en tcheque, par exemple, slooo, slovem, sloua, slov ; de meme iena, « femme », accus. sg. zenu, nom. pl. zeny, gen. pl. ien. lei le geniti! (slov, :enl a pour exposant zero~ (181) On voit done qu'un signe materiel n'est pas necessaire pour (182) 124 PRINCIPES GENERAUX exprimer une idee ; la langue pcut sc contenter de l'opposition de quelque chose avec rien ; ici, par exemple, on reconnatt le gen. pl. ien simplement ace qu'il n'est ni zena ni wr.u, ni aucune des autres formes. II semble etrange a premiere vue qu'une idee aussi particuliere que celle du genitif pluriel ait pris le signe zero ; mais c'est justement la preuve que tout vient d'un pur accident. La langue est un mecanisme qui continue a fonctionner malgre les deteriorations qu'on lui fait subir. Tout ceci confirme les principes deja Iormules et que nous resumons comme suit : La langue est un systeme dont toutes les parties peuvent et doivent etre considerees dans leur solidarite synchronique. Les alterations ne se faisant jamais sur le bloc du systeme, mais sur l'un ou l'autre de ses elements, ne peuvent etre etudiees qu'en dehors de celui-ci. Sans doute chaque alteration a son contre-coup sur le systeme ; mais le fait initial a porte sur un point seulement ; ii n'a aucune relation interne avec les consequences qui peuvent en decouler pour I'ensemble. Cette difference de nature entre termes successifs et termes coexistants, entre faits partiels et faits touchant le systeme, interdit de faire des unset des autres la matiere d'une seule (183I science.* § 4. LA (184) DIFFERENCE DES DEUX ORDRES ILLUSTREE PAR DES COMPARAISONS.* Pour montrer a la fois l'autonomie et I'interdependance du synchronique et du diachronique, on peut comparer le preinier a la projection d'un corps sur un plan. EI\ effet toute projection depend directement du corps projete, et pourtaut elle en differe, c'est une chose a part. Sans cela ii n'y aurait pas toute une science des projections ; il suffirait de considerer les corps eux-memes. En linguistique, COMPARAISONS 125 meme relation entre la realite historique et un etat de Iangue, qui en est comme la projection a un moment. donne. Ce n'est pas en etudiant lcs corps, c'est-a-dire Jes evenements diachroniques qu'on connaitra Jes etats snychrouiques, pas plus qu'on n'a une notion des projections geornetriques pour avoir etudie, meme de tres pres, Jes diverses especes de corps. De merne encore si l'on coupe transversalement la tige d'un vegetal, on remarque sur la surface de section un dessin plus ou moins complique ; ce n'est pas autre chose qu'une perspective des fibres longitudinales, et l'on apercevra celles-ci en pratiquant une section perpendiculaire a la premiere. lei encore une des perspectives depend de l'autre : la section longitudinale nous montre les fibres elles-memes qui constituent la plante, et la section transversale leur groupement sur un plan particulier ; mais la seconde est distincte de la premiere car elle fait constatei entre les fibres certains rapports qu'on ne pourrait jamais saisir sur un plan longitudinal," (1851 Mais de toutes les comparaisons qu'on pourrait imaginer, la plus demonstrative est cellc qu'on etablirait entre le jeu de la langue et une partie d'echecs.tDe part et d'autre, on (186) est en presence d'un systeme de valeurs et on assiste a leurs modifications. Une partie d'echecs est comme une realisation artificielle de ce que la langue nous presente sous une forme naturelle. Voyons la chose de plus pres. D'abord un etat du jeu correspond bien a un etat de la langue. La valeur respective des pieces depend de leur 126 PRINCIPES G£N£RAUX position sur l'echiquler, de msme que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes. En second lieu, le systeme n'est jamais que momentane ; il varie d'une position a l'autre. 11 est vrai que les valeurs dependent aussi et surtout d'une convention immuable, la regle du jeu, qui existe avant le debut de la partie et persiste apres chaque coup. Cette regle admise une fois pour toutes existe aussi en matiere de langue ; ce sont les principes constants de la semiologie. Enfin, pour passer d'un equilibre a l'autre, ou - selon notre terminologie - d'une synchronie a l'autre, le deplacement d'un piece suffit; il n'y a pas de remue-menage general. Nous avons la le pendant du fait diachronique avec toutes ses particularites, En eflet : a) Chaque coup d'echecs ne met en mouvement qu'une seule piece ; de meme dans la langue Jes changements ne portent qua sur des elements isoles. b) Malgre cela le coup a un retentissement sur tout Je systeme ; il est impossible au joueur de prevoir exactement Jes limites de cet effet. Les changements de valeurs qui en resulteront seront, selon l'occurence, ou nuls, ou tres graves, ou d'importance moyenne. Tel coup peut revolutionner l'ensernble de la partie et avoir des consequences meme pour les pieces momentanement hors de cause. Nous venons de voir qu'il en est exactement de meme pour la langue. c) Le deplacement d'une piece est un fait absolument distinct de l'equilibre precedent et de l'equilibre subsequent. Le changement opere n'appartient a aucun de ces deux etats : or les etats sont seuls importants. Dans une partie d'echecs, n'importe quelle position donnee a pour caractere singulier d'etre affranchie de ses antecedents ; il est totalement indifferent qu'on y soit arrive (187) par une voie ou par une autre~ celui qui a suivi toute la METHODES ET PRINCIPES DES DEUX LINGUISTIQUES 127 partie n'a pas le plus leger avantage sur le curieux qui vient inspecter l'etat du jeu au moment critique ; pour decrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant. Tout ceci s'applique egalement a la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du synchronique. La parole n'opere jamais que sur un etat de langue, et les changements qui interviennent entre les etats n'y ont eux-memes aucune place. II n'y a qu'un point oil la comparaison soit en defaut ; le [oueur d'echecs a l'intention d'operer le deplacernent et d'exercer une action sur le systeme ; tandis que la langue ne premedite rien ; c'est spontanement et fortuitement que ses pieces a elle se deplacent -- ou plut6t se modifient ; I'umlaut de Hii.nde pour hanii, de Giiste pour gasti (voir p. 120), a produit une nouvelle formation de pluriel, mais a fait surgir aussi une forme verbale comme lriigt pour tragit, etc. Pour que la partie d'echecs ressernblat en tout point au jeu de la langue, ii faudrait supposer un joueur inconscient ou inintelligent. D'ailleurs cette unique difference rend la comparaison encore .plus instructive, en montrant l'absolue necessite de distinguer en linguistique Jes deux ordres de phenomenas. Car, si des faits diachroniques sont irreductibles au systeme synchronique qu'ils conditionnent, lorsque la volonte preside a un changement de ce genre, a plus forte raison le seront-ils lorsqu'ils mettent une force aveugle aux prises avec l'organisation d'un systeme de signes. § 5. LES DETJX LINGUISTIQUES METHODES OPPOSEES DANS LEURS ET LEURS PRINCIPES. * L'opposition entre le diachronique et le synchronique eclate sur tous les points. Par exemple - et pour commencer par le fait le plus I 188 128 129 PRINCIPES GENERAUX LOI SYNCHRONIQUE ET LOI DIACHRONIQUE apparent - ils n'ont pas une egale importance. Sur ce point, ii est evident que l'aspect synchronique prime l'autre, puisque pour la masse parlante ii est la vraie et la seule realite (voir p. 117). II en est de meme pour le linguiste : s'il se place dans la perspective diachronique, ce n'est plus la Janque qu'il apereoit, mais une serie d'evenements qui la modifient. On affirme souvent que rien n'est plus important que de connaitre la genese d'un etat donne ; c'est vrai dans un certain sens : les conditions qui ont Iorme cet etat nous eclairent sur sa veritable nature et nous gardent de certaines illusions (voir p. 121 sv.) ; mais cela prouve [ustemeat que la diachronie n'a pas sa fin en elle-meme. On peut dire d'elle ce qu'on a dit du journalisme : elle mene a tout a condition qu'on en sorte. Les methodes de chaque ordre different aussi, et de deux seulement ne necessite pas, mais repousse une semblable specialisation ; les termes qu'elle considere n'appartiennent pas forcement a une meme langue (comparez I'indo-europeen •esti, le grec tsti l'allemand ist, le franeais est). C 'est justement la succession des faits diachroniques et Jeur multiplication spatiale qui cree la diversite des idiomes. Pour justifier un rapprochement entre deux formes, il suffit qu'elles aient entre elles un lien historique, si indirect soit-il. Ces oppositions ne sont pas les plus frappantes, ni les plus profondes : l'antinomie radicale entre le fait evolutif et le fait statique a pour consequence que toutes les notions relatives a l'un ou a l'autre sont dans la meme mesure irreductibles entre elles. N'importe laquelle de ces notions peut servir a demontrer cette verite, C'est ainsi que le c phenomena II synchronique n'a rien de commun avec le diachronique (voir p. 122) ; l'un est un rapport entre elements simultanes, l'autre la substitution d'un element a un autre dans le temps, un evenement. Nous verrons aussi p, 150 que les Identites diachroniques et synchroniques sont deux choses tres diflerentes : historiquement la negation pas est identique au substantif pas, tandis que, pris dans la langue d'aujourd'hui, ces deux elements sont parfaitement distincts. Ces constatations suffiraient pour nous faire comprendre la necessite de ne pas confondre les deux points de vue ; mais nulle part elle ne se manifeste plus evidemment que dans la distinction que nous allons faire main tenant. manieres : a) La synchronie ne connatt qu'une perspective, celle des sujets parlants, et toute sa methode consiste a recueillir leur ternoignage ; pour savoir dans quelle mesure une chose est une realite, ii faudra et ii suffira de rechercher dans (189] quelle mesure elle existe pour la conscience des sujets:*La linguistique diachronique, au contraire, doit distinguer deux perspectives, l'une, prospediue, qui suit le cours du temps (190) l'autre retrospective~ qui le remonte : d'ou un dedoublement de la methods dont il sera question dans la cinquieme partie, b) Une seconde difference decoule des limites du champ qu'emhrasse chacune des deux disciplines. L'etude synchronique n'a pas pour objet tout ce qui est simultane, mais seulement I'ensemble des faits correspondant a chaque langue ; dam; la mesure on cela sera necessaire, Ia separation ira jusqu'aux dialectes et aux sous-dialectes. Au fond le terme de synchronique n'est pas assez precis ; il devrait etre remplace par celui, un peu long ii est vrai, de idiosyn­ ( 191I chronique.* Au contraire la linguistique diachronique non § 6. ( 192) LOI SYNCHRONIQUE ET LOI DIACHRONIQUE.* On parle couramment de lois en linguistique ; mais faits de la langue sont-ils reellement regis par des et de quelle nature peuvent-ils ~tre ·? La langue etant institution sociale, on peut penser a priori qu'elle les lois une est 130 PRINCIPES GENERAUX reglee par des prescriptions analogues a celles qui regissent les collectivites. Or toute loi sociale a deux caracteres fondamentaux: elle est imperative et elle est generale; elle s'impose, et elle s'etend a tousles cas, dans certaines limites de temps et de lieu, bien entendu. Les lois de la langue repondent-elles a cette definition ? Pour le savoir, la premiere chose a faire, d'apres ce qui vient d'etre dit, c'est de separer une fois de plus les spheres du synchronique et du diachronique. II ya la deux problemes qu'on ne doit pas conf ondre : parler de loi linguistique en general, c'est vouloir etreindre un fantome. Voici quelques exemplcs empruntes au grec, ct oil les u lois » des deux ordres sont conf ondues a dessein : 1. Les sonores aspirees de I'indo-europeen sont devenues des sourdes aspirees : *dhilmos +- thilm6s u scuffle de vie 11, *bhero +- phero {( je porte », etc. 2. L'accent ne remonte jamais au dela de l'antepenul- tieme. 3. Tous les mots se terminent par une voyelle ou pars, n, r, A l'exclusion de toute autre consonne. 4. s initial devant une voyelle est devenu h (esprit rude) : •septm (latin seplem)-+- heptd. 5. m final a ete change en n : •jugom -+- zug6n (cf. latin jugum1). 6. Les occlusives finales sont tombees : •gunaik -+- gunai, •ephereL +- ephere, •epheront +- eplieron. La premiere de ces lois est diachronique : ce qui etait dh est devenu th, etc. La seconde exprime un rapport entre I'unlte du mot et l'accent, une sorte de contrat entre deux 1. D'apres MM. Meillet (Mt!m. de la Soc. de Linqu., IX, p. 365 et suiv.) et Gauthiot (La fin de mot en indo-europeen, p. 158 et suiv.), l'indo-europeen ne connalssait que -n final a l'exclusion de -m ; si l'on admet cette theorie, ii sufflra de fommler ainsi la loi 5 : tout -n linal I, e. a ete conserve en grec ; sa valour demonstrative n'en sera pas diminuee, puisque le phenomene phonetique aboutissant a la conservation d'un etat ancien est de meme nature que celui qui se traduit par un changement (voir p. 200) (Ed.). LOI SYNCHRONIQUE ET LOI DIACHRONIQUE 131 termes coexistants : c'est une loi synchronique. II en est de mime de la troisieme, puisqu'elle concerne l'unite du mot et sa fin. Les lois 4, 5 et 6 sont diachroniques : ce qui etait s est devenu h ; - n a rernplace m ; ­ t, k, etc., ont disparu sans laisser de trace. II faut remarquer en outre que 3 est le resultat de 5 et 6 ; deux faits diachroniques ont cree un fait synchronique. Une fois ces deux categories de lois separees, on verra que 2 et 3 ne sont pas de meme nature que 1, 4, 5, 6. La loi synchronique est generale, mais elle n'est pas imperative. Sans doute elle s'impose aux individus par la contrainte de l'usage collectif (v. p. 107). mais nous n'envisageons pas ici une obligation relative aux sujets parlants. Nous voulons dire que dans la langue aucune force ne garantit le maintien de la regularite quand elle regne sur quelque point. Simple expression d'un ordre existant, la Joi synchronique constate un etat de choses ; elle est de meme nature que celle qui constaterait que les arbres d'un verger sont disposes en quinconce. Et l'ordre qu'elle definit est precaire, precisernent parcc qu'il n'est pas imperatif. Ainsi rien n'est plus regulier que la loi synchronique qui regit l'accent latin (loi exactement comparable a 2) ; pourtant ce regime accentuel n'a pas resiste aux facteurs d'alteration, et il a cede devant une loi nouvelle, celle du Irancais (voir plus haut p. 122 sv.), En resume, si l'on parle de loi en synchronie, c'est dans le sens d'arrangernent, de principe de regularite. La diachronie suppose au contraire un facteur dynamique par lequel un efTet est produit, une chose executee, Mais ce caractere imperatif ne suffit pas pour . qu'on applique la notion de loi aux faits evolutifs ; on ne parle de loi que lorsqu'un ensemble de faits obeis-ent a la merne regle, ct malgre certaines apparences contraires, les evenements diachroniques ont toujours un caractere accidentel et particulier. * ( 193} 132 PRINCIPES GENERAUX Pour les faits semantiques, on s'en rend compte immediatement; si le francais pouire « jument » a pris le sens de « piece de bois, solive », cela est du a des causes particulieres et ne depend pas des autres changements qui ont pu se produire dans le meme temps; ce n'est qu'un accident parmi tous ceux qu'enregistre I'histoire d'une langue. Pour les transformations syntaxiques et morphologiques, la chose n'est pas aussi claire au premier abord. A une certaine epoque presque toutes les formes de l'ancien cas sujet ont disparu en francais ; n'y a-t-il pas la un ensemble de faits obeissaat a la meme loi ? Non, car tous ne sont que Ies manifestations multiples d'un seul et meme fait isole. C'est la notion particuliere de cas sujet qui a ete atteinte et sa disparition a entraine naturellement celle de toute une serie de formes. Pour quiconque ne voit que les dehors de la langue, le phenomene unique est noye dans la multitude de ses manifestations ; rnais lui-meme est un dans sa nature profonde, et il constitue un evenement historique aussi isole dans son ordre que le changement semantique subi par poutre ; il ne prend I'apparence d'une loi « que parce qu'il se realise dans un systeme : c'est l'agencement rigoureux de ce dernier qui cree l'illusion que le fait diachronique obeit aux memes conditions que le synchronique. Pour les changements phonetiques enfin, il en est exactement de .meme ; et pourtant on parle ccuramment de lois phonetiques, On constate en effet qu'a un moment donne, dans une region donnee, tous les mots presentant une meme particularite nhonique sont atteints du merne changement ; ainsi la loi 1 de la page 130 (*dhiimos _. grec thiimos) frappe tous les mot grecs qui renfermaient une sonore aspiree (cf. *nebhos .­ tiepnos. "medhu -+- methu, *angho _. dtikh», etc.) ; la regle 4 (*sepim .­ hepta) s'applique a serpo _. herpo, *siis _. hus, et a tous les mots commencant par s. Cette regularite, qu'on a quelquefois contestee, nous paralt tres bien etablie ; les exceptions apparentes n'atte- LOI SYNCHRONIQUE ET LOI DIACHHONIQUE 133 nuent pas la fatalite des changements de cette nature, car elles s'expliquent soit par des lois phonetiques plus speciales (voir l'exemple de trikhes : thrikst p. 138) soit par l'intervention de faits d'un autre ordre (analogie, etc.). Rien ne semble done mieux repondre a Ia definition donnee plus haut du mot loi. Et pourtant, quel que soit le nombre des cas on une loi phonetique se verifle, tous les faits qu'elle emhrasse ne sont que les manifestations d'un seul fait par· ticulier. La vraie question est de savoir si les changements phone- tiques atteignent les mots ou seulement les sons ; la reponse n'est pas douteuse : dans nepbo«. methu, dnkb», etc., c'est un certain phoneme, une sonore aspiree indo-europeenne qui se change en sourde aspiree, c'est l's initial du grec primitif qui se change en h, etc., et chacun de ces faits est isole, Independant des autres evenements du meme ordre, independant aussi des mots on ii se produit1. Tous ces mots se trouvent naturellement modifies dans leur matiere phonique, mais cela ne doit pas nous trompcr sur la veritable nature du phoneme. Sur quoi nous fondons-nous pour affirmer que Jes mots eux-memes ne sont pas directement en cause dans les transformations phonetiques ? Sur cette constatation bien simple que de telles transformations leur sont au fond etrangeres et ne peuvent les atteindre dans leur essence. L'unite du mot n'est pas constituee uniquement par l'ensemble de ses phonemes ; elle tient a d'autres caracteres que sa qualite t. II va sans dire que Ies cxemples cites cl-dessus ont un caractere purement schematique : Ia linguistlque actuellc s'eflorce avec raison de ramener des series aussi larges que possible de changernents phonetiques a un meme principc initial ; c'est ainsi que 1\1. Mcillet expllque toutes les transformations des occlusives grecques par uu alfaiblissement progressit de leur articulation (voir Metn. de la Soc. de Lituj., IX, p. 163 et suiv.), C'est naturellement aces fa its generaux, 1:\ ou ii existent, que s'appllquent en derniere · analyse ces conclusions sur le curactere des changemeuts phonettques (Ed.). 134 PRINCIPES CONFUSION DES DEUX ORDRES GENERAUX materielle. Supposons qu'une corde de piano soit faussee : toutes les fois qu'on la touchera en executant un air, il y aura une fausse note ; mais oil ? Dans la melodic ? Assurernent non ; ce n'est pas elle qui a ete atteinte ; le piano seul a etc endommage, II en est exactement de merne en phonetique. Le systeme de nos phonemes est l'instrument dont nous jouons pour articuler les mots de la langue ; qu'un de ces elements se modifie, les consequences pourront etre diverses, mais le fait en Iui-merne n'interesse pas les mots, qui sont, pour ainsi dire, les melodies de notre repertoire. Ainsi les faits diachroniques sont particuliers ; le deplacement d'un systerne se fait sous l'action d'evenements qui non seulernent lui sont etrangers (voir p. 121), mais qui sont (194} isoles et ne forment pas systeme entre eux.* Resumons : les fails synchroniques, quels qu'ils soient, presentent une certaine regularite, mais ils n'ont aucun caractere irnperatif ; les faits diachroniques, au contraire, s'imposent a la langue, mais ils n'ont rien de general. En un mot, et c'est la que nous voulions en venir, ni Jes uns ni les autres ne sont regis par des lois dans le sens deflru plus haut, et si l'on veut malgre tout parler de lois linguistiques, ce terme recouvrira des significations enticrernent differentes scion qu'il sera applique aux choses de l'un ou de l'autre ordre. (195) § 7. Y A-T-IL UN POINT DE \'UE PANCHRO~IQUE '?* Jusqu'ici nous avons pris le tcrme de loi dans le sens juridique. Mais y aurait-il peut-etre dans la langue des leis dans le sens oil I'entendent Jes sciences physiques et natnrellcs, c'est-a-dire des rapports qui se verifient partout et toujours '? En un mot, la languc ne pcut-clle pas etrc (·! udiec au point de \'UC panchronique '? Sans doutc. Ainsi puisqu'il sc produit d St' produirn tou[ours des chnngcmcn ts phone! iq ucs, on pl'U t considerer cc 135 phenomene en general comme un des aspects constants du Iangage ; c'est done une de ses lois. En linguistique comme dans le jeu d'echecs (voir p. 125 sv.), ii ya des regles qui survivent a tous les evenements. Mais ce sont la des principes generaux existants independamment des faits concrets ; qu'on parle de fails particuliers et tangibles, i1 n'y a pas de point de vue panchronique. Ainsi chaque changement phonetique, quelle que soit d'ailleurs son extension, est limite a un temps et un territoire determines ; aucun ne se produit dans tous les temps et dans tous les lieux ; ii n'existe que diachroniquement. C'est justement un critere auquel on peut reconnaitre ce qui est de la langue et ce qui n'en est pas. Un fait concret susceptible d'une explication panchronique ne saurait lui appartenir. Soit le mot chose : au point de vue diachronique, ii s'oppose au latin causa dont ii derive; au point de vue synchronique, a tous les termes qui peuveut lui etre associes en francais moderne. Seuls les sons du mot pris en eux-memes (sqz) donnent lieu a l'observation panchronique : mais ils n'ont pas de valeur linguistique; et meme au point de vue panchronique soz, pris dans une chatne comme iin soz admirable « une chose admirable », n'est pas une unite, c'est une masse inf orme, qui n'est delimitee par rien ; en effet, pourquoi Sf!Z plutot que oza ou nsq ? Ce n'est pas une valeur, parce que cela n'a pas de sens. Le point de vue panchronique n'atteint jamais les faits particuliers de la langue. des § 8. CONSEQUENCES DE LA CONFUSION DU SYNCHRONIQUE ET DU DIACHRCJNIQUE.* Deux cas peuvent se presenter : a) La verite synchronique parait etre la negation de la verite diachronique, et a voir les choses superficiellement, on s'imagine qu'il faut choisir en fait ce n'est pas necessaire ; l'une des verites n'exclut pas l'autre. Si depit a signi- ( 196( 136 PRINCIPES GENERAUX fie en franeais « mepris », cela ne l'empeche pas d'avoir actuellement un sens tout different ; etymologie et valeur synchronique sont deux choses distinctes. De meme encore, la grammaire traditionnelle du francais moderne enseigne que, dans certains cas, le participe present est variable et s'accorde comme un adjectif (cf. « une eau couranle »), et que dans d'autres ii est invariable (cf. « une personne courant dans la rue »). Mais la grammaire historique nous montre qu'il ne s'agit pas d'une seule et meme forme : la premiere est la continuation du participe latin (currentem) qui est variable, tandis que l'autre vient du gerondif ablatif invariable (currendo)1. La verite synchronique contredit-elle a la verite diachronique, et faut-il condamner la grammaire traditionnelle au nom de la grammaire historique ? Non, car ce serait ne voir que la moitie de la realite ; il ne faut pas croire que le fait historique importe seul et suffit a constituer une langue. Sans doute, au point de vue des origines, il y a deux choses dans le participe courant ; mais la conscience linguistique les rapproche et n'en reconnatt plus qu'une : cette verite est aussi absolue et incontestable que l'autre. b) La verite synchronique concorde tellement avec la verite diachronique qu'on .,.les confond, ou bien l'on juge superflu de les dedoubler, Ainsi on croit expliquer le sens actuel du mot pere en disant que pater avait la meme signification. Autre exemple : a bref latin en syllabe ouvcrte non initiale s'est change en i : a cote de f acio on a conficio, a cote de amicus, inimicus, etc. On formulc souvent la loi en disant que le a de facio devient i dans conficio, parce qu'il n'est plus dans la premiere syllabe. Ce n'est pas exact: jamais le a de /aczo n'est « devenu • i dans con{icw. Pour retablir la verite, ii faut distinguer deux epoques et qua1. Cette theorie, generalement admise, a ete recemment combattue par M. E. Lerch (Das invariable Participium praesenli, Erlangen 1913), rnals, croyons-nous, sans succes ; ii n'y avalt done pas lieu de supprimer un exemple qui, en tout etat de cause, conserveralt sa valeur didactique (Ed.). CONFUSION DES DEUX ORDRES 137 tre term.es : on a dit d'abord facio - confacio ; puis confacilJ s'etant transforme en conficio, tandis que facio subsistait sans changcment, on a prononee facio -- confici», Soit : f acio ~ t conf acio Epoque A. + /acio -++- conficio Epoque B. Si un « changement » s'est produit, c'est entre con/acio et conficio ; or la regle, mal formulee, ne mentionnait meme pas le premier I Puis a cote de ce changement, naturellement diachronique, ii y a un second fait absolument distinct du premier et qui concerne l'opposition purement synchronique entre facio et confici». On est tente de t:lire que ce n'est pas un fait, mais un resultat. Cependant, c'est bien un fait dans son ordre, et meme tous les phenomenes synchroniques soot de cette nature. Ce qui empeche de reconnaitre la veritable valeur de l'opposition facio - conficio, c'est qu'elle n'est pas tres significative. Mais que l'on eonsidere les couples Gast ­ Giisie, gebe ­ qibt, on verra que ces oppositions soot, elles aussi, des resultats Iortuits de I'evolution phonetique, mais n'en constituent pas moins, dans l'ordre synchronique, des phenomenes grammaticaux essentiels. Comme ces deux ordres de phenomenes se trouvent par ailleurs etroitement lies entre eux, l'un conditionnant l'autre, on finit par croire qu'il ne vaut pas la peine de les distinguer ; en fait la linguistique les a confondus pendant des dizaines d'annees sans s'apercevoir que sa methode ne valait rien. Cette erreur eclate cependant avec evidence dans certains cas. Ainsi pour expliquer le grec phukt6s, on pourrait penser qu'il suffit de dire : en grec g ou kh se changent en k devant consonnes sourdes, en exprimant la chose par des eorrespondances synchroniques, telles que phugefn : phuktds. lekhos : lekiron, etc. Mais on se heurte a des cas comme trfkhes : thriksl, ou l'on constate une complication : le CONCLUSIONS 138 passage» de t a th. Les formes de ce mot ne peuvent s'expliqucr qu'historiquement, par la chronologie relative. Le theme primitif *thrikh, suivi de la desinence -sr, a donne thriksi, phenornene tres ancien, identique a celui qui a produit lektron, de la racine lekh­, Plus tard, toute aspiree suivie d'une autre aspiree dans le meme mot a passe a la sourde, et *thrikhes est devenu triklies : thriksl echappait naturellement a cetlc loi. u (197) § 9. tot d'une multitude de faits similaires dans la sphere de la parole ; cela n'infinne en rien la distinction etablie cidessus, elle s'en trouve merne conflrmee, puisque dans l'histoire de toute innovation on rencontre toujours deux moments distincts : 1 ° celui ou elle snrgit chez les individus ; 20 celui ou elle est devcnue un fait de langue, identique exterieurement, mais adopte par la collectivite. Le tableau suivant indique la forme rationnelle que doit prendre l'etude linguistiquc : CoNCLL'SIONS.* Langage Ainsi la linguistique se trouvc ici devant sa seconde bifurcation. II a fallu d'abord choisir entre la languc et la parole (voir p. 36) : nous voici maintenant a la croisee des routes qui conduisent l'une, a la diachronic, l'autre a la synchronie. Une fois en possession de ce double principe de classification, on peut ajouter que tout ce qui est diachronique dans (1981 la langue ne t' est que par la parole.* C'est dans la parole que se trouve le germe de tous Jes changements : chacun d'eux est lance d'abord par un certain nombre d'invididus avant d'entrer dans l'usage. L'allemand moderne dit : zch war, wir uiaren, tandis que l'ancien allemand, [usqu'au xvre siecle, conjuguait : ich was, wir uiaren (l'anglais dit encore : I was, we were). Comment s'est eflectuee cette substitution de war a was ? Quelques personnes, influencees par uiaren, ont cree war par analogic ; c'etait un fait de parole ; cctte Iorme, souvent repeiee, ct acceptee par la communaute, est devenue un fait de langue. Mais toutes les innovations de la parole n'ont pas le rueme succes, et tant qu'elles demeurent individuelles, ii n'y a pas a en tenir cornpte, puisque nous etudions la langue ; elles ne rentrent dans notre champ d'observation qu'au moment ou la collectivite lcs a accueillies. Un fait d'evolution est toujours precede d'un fait, ou plu- 130 ( Synchronie I.angue { ( Diachronic ) Parole II faut reconnaitre que la fonne theorique et ideale d'une science n'cst pas toujours cclle que lui imposent les exigences de la pratique, En linguistique ces exigences-la sont plus imperieuses que partout ailleurs ; elles excusent en quelque rnesure la confusion qui regne actuellement dans ees recherches. Meme si lcs distinctions etablies ici etaient admises une fois pour toutcs, on ne pourrait peut-etre pas imposer, au nom de cet ideal, une orientation precise aux investigations. Ainsi dans l'etude synchronique de l'ancien francais le linguiste opere avec des faits et des principes qui n'ont rien de commun avec ceux que lui ferait decouvrir l'histoire de cette meme langue, du xnr au XX" siecle ; en revanche ils sont comparables a ceux que revelerait la description d'une langue bantoue actuelle, du grec attique en 400 avant JesusChrist ou enfin du franeais d'aujourd'hui. C'est que ces divers exposes reposent sur des rapports similaires ; si chaque idiome fonne un systems ferme, tous supposent certains principes constants, qu'on retrouve en passant de l'un a l'autre, parce qu'on reste dans le meme ordre. Il n'en est pas autrement de l'etude historique : que l'on parcoure une periode deter- y 140 ' PRINCIPES GtNtRAUX minee du Iraneais (par exemple du xme au :xxe siecle), ou une periode du javanais, ou de n'importe quelle langue, partout on opere sur des faits similaires qu'il su.ffirait de rap. procher pour etablir les verites generates de l'ordre diachronique. L'ideal serait que chaque savant se consacre a l'une ou l'autre de ces recherches et embrasse le plus de faits possible dans cet ordre ; mais ii est bien difficile de posseder scientifiquement des langues aussi differentes. D'autre part chaque langue forme pratiquement une unite d'etude, et l'on est amene par la force des choses la considerer tour tour statiquement et historiquement. Malgre tout ii ne faut jamais oublier qu 'en theorie cette unite est superficielle, tan dis que f 199) la disparite des idiomes cache une unite profonde.*Que dans l'etude d'une langue I'observation se porte d'un cote ou de l'autre, il faut a tout prix situer chaque fait dans sa sphere et ne pas confondrc les methodes. Les deux parties de la linguistique, ainsi delimltees, feront sueeessivement l'objet de notre etude. La linguistique synchronique s'occupera des rapports logiques et psychologiques reliant des termes coexistants et formant systeme, tels qu'ils sont apereus par la meme conscience collective. La linquisiique diachronique etudiera au contraire les rapports reliant des tennes successifs non apercus par une meme conscience collective, et qui se substituent les uns aux autres sans former SI§teme entrc eux. a a DEUXI~ LINGUISTIQUE PARTIE SYNCHRONIQUE CHAPITRE PREMIER GENERALIT~S * (200) L'oLjet de la linguistique synchronique generate est d'etablir Ies principes fondamentaux de tout systeme Idiosynchronique, Ies facteurs constitutifs de tout etat de langue. Bien des choses deja exposees dans ce qui precede appartiennent plutot a la synchronie ; ainsi les proprietes generales du signe peuvent etre considerees comme partie integrante de cette derniere, bien ou'elles nous aient servi prouver la necessite de distinguer les deux linguistiques. C'est a la synchronie qu'appartient tout ce qu'on appelle la a grammaire generale » ; car c'est seulement par les etats de langue que s'etablissent les diflerents rapports qui sont du ressort de la grammaire, Dans ce qui suit nous n'envisageons que certains principes essentiels, sans lesquels on ne pourrait pas aborder les problemes plus speciaux de la statique, ni expliquer le detail d'un etat de langue. D'une facon generate, ii est beaucoup plus difficile de faire de la linguistique statique que de l'histoire.*Les faits (201) d'evolution sont plus concrete, ils parlent davantage a !'imagination ; les rapports qu'on y observe se nouent a 1.INGUISTIQUE SYNCHfi.ONIQUE entre termes successifs qu'on saisit sans peine ; ii est aise, souvent meme amusant, de suivre une serie de transformations. Mais la linguistiquc qui se meut dans des valeurs et des rapports coexistants presente de bien plus grandes difficultes, En pratique, un etat de langue n'est pas un point, mais un cspace de temps plus ou moins long pendant lequel la somme des modifications survenues est minime. Cela peut etre dix ans, une generation, un siecle, davantage merne. Une langue changera a peine pendant un long intervalle, pour suhir ensuite des transformations considerables en quelques annees. De deux langues coexistant dans une meme periode, l'une peut evoluer beaucoup et l'autre presque pas ; dans ce dernier cas l'etude scra necessairement synchronique, dans l'autre diachronique. Un etat absolu se definit par I'ahsence de changements, et commc malgre tout la langue se transforme, si peu que ce soit, etudier un etat de langue revient pratiquement a negliger Jes changernents peu impertants, de meme que Jes mathernaticiens negligent les quantites inflnitesimales dans certaines operations, tclles que le calcul des logarithmes. Dans l'histoire politique on distingue Yepoque, qui est un point du temps, et la periode, qui embrasse une certaine duree, Cependant l'historien parle de l'epoque des Antonius, de l'epoque des Croisades, quand il considere un ensemble de caracteres qui sont restes constants pendant ce temps. On pourrait dire aussi que la linguistique statique s'occupe d'epoques ; mais etat est preferable ; le commencement et la fin d'une epoque sont generalement marques par quelque revolution plus ou moins brusque tendant a mcdifier l'etat de choses etabli, Le mot etat evite de faire croire qu'il se produise rien de semblable dans la langue, En outrc le terme d'epoque, precisement parce qu'il est emprunte a l'histoire, fait moins penser a la langue ellememe qu'aux circonstances qui l'entourent et la condi- GENERALITES 143 tionnent ; en un mot elle evoque plutot l'idee de ce que nous avons appele la linguistique externe (voir p. 40). D'ailleurs la delimitation dans le temps n'est pas Ia seule difflculte que nous rencontrons dans Ia definition d'un etat de langue ; le meme probleme se pose a propos de l'espace, Bref, la notion d'etat de languc ne peut etre qu'approxirnative. En linguistique statique, comme dans la plupart des sciences, aucune demonstration n'est possible sans une simplification convcntionnclle des donnees.* (202) ENTITES CONCRETES ET UNITES nique,*comme une sonorite determines est une qualite du concept. On a souvent compare cette unite a deux faces avec l'unite de la personne humaine, composee du corps et de I'ame, Le rapprochement est peu satisfaisant. On pourrait penser plus justement a un compose chimique, l'eau par exemple ; e'est une combinaison d'hydrogene et d'oxygene ; pris I\ part, chacun de ces elements n'a aucune des proprietes de I t eau. * 2° L'entite linguistique n'est completement determinee que lorsqu'elle est delimitee, separee de tout ce qui l'entoure sur la chaine phonique:* Ce sont ces entites dellmitees ou unites qui s'opposent dans le mecanisme de la langue.* Au premier abord on est tente d'assimiler les signes Iinguistiques aux signes visuels, qui peuvent coexister dans l'espace sans se confondre, et I'on s'imagine que la separation des elements significatifs peut se faire de la meme facon, sans necessiter aucune operation de l'esprit. Le mot de « forme » dont on se sert souvent pour les designer - cf. les expressions (( forme verbale ». <, forme nominale » - contribue a nous entretenir dans cette erreur. Mais on sait que la chaine phonique a pour premier caractere d'etre lineaire (voir p. 103). Consideree en elle-merne, elle n'est qu'une ligne, un ruban continu, oil l'oreille ne percoit aucune division suffisante et et precise ; pour cela il faut faire appel aux significations," Quand nous entendons une langue inconnue, nous sommes hors d'etat de dire comment la suite des sons doit etre analysee ; c'est que cette analyse est impossible si I'on ne tient compte que de l'aspect 'phonique du phenomena Iinguistique. Mais quand nous savons quel sens et quel role il faut attribuer chaque partie de la chaine, alors nous voyons ces parties se detacher les unes des autres, et le ruban amorphe se decouper en fragments ; or cette analyse n'a rien de IIlateriel. CHAPITRE II LES ENTIT~S CONCRtl'ES (203} 145 DE LA LANGUE § 1. ENTITES ET UNITES. DEFINiTIONS.* Les signes dont la langue est composee ne sont pas des abstractions, mais des ohjets reels (voir p. 32); ce sont euxet leurs rapports que la linguistique etudie ; on peut les appeler les er,tites concretes de cette science. Rappelons d'abord deux principes qui dominent toute la question: 10 L'entite linguistique n'existe que par l'association du signifiant et du signifie (voir p. 99) ; des qu'on ne retient qu'un de ces elements, elle s'evanouit ; au lieu d'un objet concret, on n'a plus devant soi qu'une pure abstraction. A tout moment on risque de ne saisir qu'une partie de l'entite en croyant l'em.brasser dans sa totalite ; c'est ce qui arriverait par exemple, si l'on divisait la chaine parlee en syllabes ; la syllabe n'a de valeur qu'en phonoiogie. Une suite de sons n'est linguistique que si elle est le support d'une idee ; prise en ellememe elle n'est plus que Ia matiere d'une etude physiologique. II en est de meme du signifie, des qu'on le separe de son signifiant. Des concepts tels que a maison », « blanc », « voir », etc., consideres en eux-memes, appartiennent a la phsychologie ; ils ne deviennent entites linguistiques que par association avec des images acoustiques ; dans la langue, un concept est une qualite de la substance pho- a ~I (204) t205J (206) (207) (208) 146 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE DIFFICULTES En resume la langue ne se presente pas comme un ensemble de signes delimites d'avance, dont il suffirait d'etudier les significations et l'agencement ; c'est une masse indistincte oil I'attention et l'habitude peuvent seules nous faire trouver des elements particuliers. L'unite n'a aucun earactere phonique special, et la seule definition qu'on puisse en donner est la suivante : une tranche de sonorite qui est, l'exdusion de a ee qui precede et de ee qui suit dans la cha'ine parlee, le signifiant d'un certain concept. [209) § 2. METHODE DE y :I I I I (l o.' ~ ~· y' Soit en franeais sizlaprd : puis-jecouper cette chaine apres l et poser siil comme unite ? Non : il suffit de considerer les concepts pour voir que cette division est fausse. La coupe en syll~~e : siz­la­prd n'a rien non plus de linguistique a priori. Les seules divisions possibles soot : 1 ° si-i-la-pra (u si je la prends »), et 20 si-i-l-apra (u si je l'apprends »), et elles sont determinees par le sens qu'on attache a ces (210) paroles.* Pour verifier Je resultat de cette operation et s'assurer qu'on a bien aflaire a une unite, ii faut qu'en comparant 147 une serie de phrases oil la merne unite se rencontre, on puisse dans chaque cas separer celle-ci du reste du contexte en constatant que le sens autorise cette delimitation. Soient les deux membres de phrase : lafrrsdiivd cc la force du veut » et abudiors « a bout de force » : dans l'un comme dans l'autre, le meme concept coincide avec la meme tranche phonique*/rrs ; c'est [211) ' done bien une unite linguistique. Mais dans ilmsiorsaparl« u il me force a parler », frrs a un sens tout different; c'est done une autre unite. § 3. DELIMITATION.* Celui qui possede une langue en delimite les unites par une methode fort simple - du moins en theorie, Elle consiste a se placer dans la parole, envisagee comme document de langue et a la representer par deux chaines paralleles, celle des concepts (a), et celle des images acoustiques (b). Une delimitation correcte exige que les divisions etablies dans la chaine acoustique (a~ "i ) correspondent A celles de la chaine des concepts (a'~·'(' ): PRATIQUES DE LA DELIMITATION DJFFICULTES PRATIQUES DE LA DELIMITATION.* (212) Cette methode, si simple en theorie, est-elle d'une application aisee ? On est tente de le croire, quand on part de l'idee que les unites a decouper sont les mots :' car qu'estee qu'une phrase sinon une combinaison de mots, et qu'y-a-t-il de plus immediatement saisissable ? Ainsi, pour reprendre l'exemple ci-dessus, on dira que la chaine parlee sizlaprd se divise en quatre unites que notre analyse permet de delimiter et qui sont autant de mots : si­je­l'­apprends. Cependant nous sommes mis immediatement en defiance en constatant qu'on s'est beaucoup dispute sur la nature du mot, et en y reflechissant un peu, on voit que ce qu'on entend par la est incompatible avec notre notion d'unite con- erete," Pour s'en convaincre, qu'on pense seulement a cheval et son pluriel chevaux. On <lit couramment que ce sont deux. formes du meme nom ; pourtant, prises dans leur totalite, elles sont bien deux choses distinctes, soit pour le sens, soit pour Jes sons. Dans mwa (« le mois de decemhre ») et muiaz (cc un mois apres >>), on a aussi le meme mot sous deux aspects distincts, et ii ne saurait etre question d'une unite concrete : le sens est bien le meme, mais les tranches de sonorites sont diflerentes, Ainsi, des qu'on veut assimiler les unites concretes a des mots, on se trouve a (213) 148 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE en face d'un dilemme : ou bicn ignorer la relation, pourtant evidente, qui unit cheval a cheoaux, mwa a mwaz, etc., et dire que ce sont des mots diflercnts, - ou bien, au lieu d'unites concretes, se contenter de l'abstraction qui reunit les diverses formes du meme mot. Il faut chercher l'unite concrete ailleurs que dans le mot. Du rcste beaucoup de mots soot des unites complexes, ou l'on distingue aisement des sousunites (suffixes, prefixes, radicaux) ; des derives comme desir­ eux, malheur­eux se divisent en parties distinctes dont chacune a un sens et un role evidents. Inversement ii y a des unites plus larges que les mots : les composes (porte­plume), les locutions (s'il vous plait), Jes formes de flexion (ii a ete), etc. Mais ces unites opposent a la delimitation les memes difficultes que les mots proprement dits, et il est extremement difficile de debrouiller dans une chaine phonique le jeu des unites qui s'y rencontrent ct <le dire sur quels elements concrets une langue opere. Sans doute les sujets parlants ne connaissent pas ces difficultes ; tout ce qui est significatif a un degre quelconque leur apparait comme un element concret, et ils le distinguent infaillement dans le discours. Mais autre chose est de sentir ce jeu rapide et delicat des unites, autre chose d'en rendre compte par une analyse methodique. Une theorie assez repandue pretend que les seules unites [2141 concretes sont les phrases": nous nc parlons que par les phrases, et apres coup nous en extrayons les mots. Mais d'abord jusqu'a quel point la phrase appartient-elle a la Iangue (voir p. 172) ? Si cllc releve de la parole, elle ne saurait passer pour I'unite linguistique. Admettons cependant que cette difliculte soil ecartee. Si nous nous representons l'ensemble des phrases susceptibles d'etre prononcees, leur caractere le plus frappant est de ne pas se ressembler du tout entre clles. Au premier abord on est tente d'assimiler l'immense diversite des phrases a la diversite non moins grande des individus qui composent une CONCLUSION SUR LES UNITES 149 espece zoologique ; mais c'est une illusion : chez les animaux d'une meme espece les caracteres communs sont · bien plus unportants que les differences qui les separent ; entre les phrases, au contraire, c'est la diversite qui domine, et des qu'on cherche ce qui les relie toutes a travers cette diversite, on retrouve, sans l'avoir cherche, le mot avec ses caracteres grammaticaux, et l'on retombe dans les memes difflcultes. § 4. CONCLUSION.* Dans la plupart des domaines qui sont objets de science, la question des unites ne se pose meme pas : elles sont donnees d'emblee. Ainsi, en zoologie, c'est l'animal qui s'offre des le premier instant. L'astronomie opere aussi sur des unites separees dans l'espace : les astres ; en chimie, on peut etudier la nature et la composition du bichromate de potasse sans douter un seul instant que ce soit un objet bien deflni. Lorsqu'une science ne presents pas d'unite concretes Immediatement reconnaissables, c'est qu'elles n'y sont pas essentielles. En histoire, par exemple, est-ce l'individu, l'epoque, la nation ? On ne sait, mais qu'importe ? On peut faire eeuvre histotique sans etre au clair sur ce point. Mais de meme que le jeu d'echecs est tout entier dans la combinaison des differentes pieces, de meme la langue a le caractere d'un systeme base completement sur l'opposition de ses unites concretes. On ne peut ni se dispenser de les connaitre, ni faire un pas sans recourir a elles ; et pourtant leur delimitation est un probleme si delicat qu'on se demande si elles sont reellement donnees. La langue presente done ce caractere etrange et frappant de ne pas offrir d'entites perceptibles de prime ahord, sans qu'on puisse douter cependant qu'elles existent et que c'est leur jeu qui la constitue. C'est la sans doute un trait qui la distingue de toutes les autres institutions semiologiques. (215) 1"" ! CHAPITRE (216] IDENTITES, III REALITES, VALEURS * La constatation faite tout a l'heure nous place devant un probleme d'autant plus important que, en linguistique statique, n'importe quelle notion primordiale depend directement de l'idee qu'on se fera de l'unite et merne se confond avec elle. C'est ce que nous voudrions montrer successivernent a propos des notions d'identite, de realite et de valeur synchronique. 1217) A. Qu'est-ce qu'une identite*synchronique ? II ne s'agit pas ici de l'identite qui unit la negation pas au latin passum ; elle est d'ordre diachronique, - il en sera question ailleurs, p. 249, - mais de celle, non moins interessante, en vertu de laquelle nous declarons que deux phrases comme « je ne sais pas » et 1c ne dites pas cela » contiennent le merne element. Question oiseuse, dira-t-on : il y a identite parce que dans les deux phrases la meme tranche de sonorite (pas) est revetue de la merne signification. Mais cette explication est insuffisante, car si la correspondance des tranches phoniques et des concepts prouvc l'Identite (voir plus haut l'exemple cc la force du vent » : cc a bout de force »), la reciproque n'est pas vraie : il peut y avoir identite sans cette correspondance. Lcrsque, dans une conference, on entend repeter a plusieurs reprises le mot Messieurs !, on a le sentiment qu'il s'agit chaque Iois de la rneme expression, et pourtant les variations de debit et l'intonation la presentent, dans les divers passages, avec IDENTITES, REALITES, v ALEURS 151 des differences phoniques tres appreciables - aussi appreciables que celles qui servent ailleurs a distinguer des mots differents (cf. pomme et paume, goutte et je goate, fuir et fouir, etc.) ; en outre, ce sentiment de l'identite persiste, bien qu'au point de vue semantique non plus ii n'y ait pas identite absolue d'un Messieurs I a l'autre, de meme qu'un mot peut exprimer des idees assez differentes sans que son identite soit serieusement compromise (cf. « adopter une mode » et « adopter un enfant », la fleur du pommier » et « la fleur de la noblesse », etc.). Le mecanisme linguistique roule tout entier sur des Identltes et des differences, celles-ci n'etant que la contre-partie de celles-la. Le probleme des identites se retrouve done partout ; mais d'autre part. ii se contend en partie avec celui des entites et des unites, dont ii n'est qu'une complication, d'ailleurs feconde. Ce caractere ressort bien de la comparaison avec quelques faits pris en dehors du langage. Ainsi nous parlons d'identite a propos de deux express « Geneve-Paris 8 h. 45 du soir » qui partent a vingt-quatre heures d'intervalle. A nos yeux, c'est le meme express, et pourtant probablement locomotive, wagons, personnel. tout est different. Ou bien si une rue est demolie, puis rebatie, nous disons que c'est la meme rue, alors que materiellement ii ne subsiste peut-etre rien de l'aneienne. Pourquoi peut-on reconstruire une rue de fond en comble sans qu'elle cesse d'etre la meme ? Paree que l'entite qu'elle constitue n'est pas purement materielle ; elle est Iondee sur certaines conditions auxquelles sa matiere occasionnelle est etrangere, par exemple sa situation relat!vement aux autres ; pareillement, ce qui fait l'express, c est l'heure de son depart, son itineraire et en general toutes les circonstances qui le distinguent des autres express. Toutes les fois que les memes conditions sont realisees, on obtient les memes entites. Et pourtant celles-ci ne sont pas abstraites, puisqu'unc rue ou un express ne se 152 (2181 LINGUISTIQUE S'YNCHRONIQUE eoncotvent pas en dehors d'une realisation materielle. Opposons aux cas precedents celui - tout diflerent d'un habit qui m'aurait ete vole et que je retrouve a I'etalage d'un fripier. 11 s'agit la d'une entite materielle, qui reside uniquement dans la substance inerte, le drap, la doublure, les parements, etc. Un autre habit, si semblable soit-il au premier, ne sera pas le mien. Mais l'identite linguistique n'est pas celle de l'habit, c'est celle de l'express et de la rue. Chaque fois que j'emploie le mot Messieurs, j'en renouvelle la matiere ; c'est un nouvel acte phonique et un nouvel acte psychologique. Le lien entre les deux emplois du meme mot ne repose ni sur I'identite materielle, ni sur l'exacte similitude des sens, mais sur des elements qu'il faudra rechercher et qui feront toucher de tres pres a la nature veritable des unites linguistiques. B. Qu'est-ce qu'une realite synchronique*? Quels elements concrets ou abstraits de la langue peut-on appeler ainsi 'l Soit par exemple la distinction des parties du discours ; sur quoi repose la classification des mots en substantifs, adjectifs, etc. ? Se fait-elle au nom d'un principe purement logique, extra-linguistique, applique du dehors sur la grammaire comme les degres de longitude et de latitude sur le globe terrestre ? Ou bien correspond-elle a quelque chose qui ait sa place dans le systeme de la langue et soit conditionne par lui ? En un mot, est-ce une realite synchronique ? Cette seconde supposition parait probable, mais on pourrait defendre la premiere. Est-ce que dans u ces gants son" bon mordie • bon marclie est un adjectif ? Logiquement il en a le sens, mais grammaticalement cela est moins certain, car bon mardie ne se comporte pas comme un adjectif (il est invariable, ne se place jamais devant son substantif, etc.) ; d'ailleurs il est compose de deux mots ; or, justement la distinction des parties du discours doit servir a classer les mots de la langue ; comment un groupe de mots peut-il etre attribue a l'une de ces tDENTITES, REALITtS, VALEURS 153 • parties » ? Mais inversement on ne rend pas compte de cette expression quand on dit que bon est un adjectif et mar­ che un substantif. Done nous avons afiaire ici a un classement defectueux ou incomplet ; la distinction des mots en substanlifs, verbes, adjectifs, etc., n'est pas une realite linguistique indeniable." Ainsi la linguistique travaille sans cesse sur des concepts forges par les grammairiens, et dont on ne sait s'ils correspondent reellement a des facteurs constitutifs du systeme de la langue. Mais comment le savoir ? Et si ce sont des fantomes, quelles realites leur opposer ? Pour echapper aux illusions, il faut d'abord se convaincre que les entites concretes de la langue ne se presentent pas d'elles-memes a notre observation. Qu'on cherche a les saisir, et l'on prendra contact avec le reel ; partant de la, on pourra elaborer tous les classements dont la linguistique a besoin pour ordonner les faits de son ressort.* D'autre part, fonder ces classements sur autre chose que des entites concretes - dire, par exemple, que les parties du discours sont des facteurs de la langue simplement parce qu'elles correspondent a des categories logiques, - c'est oublier qu'il n'y a pas de faits Iinguistiques independants dune maniere phonique decoupee en elements significatifs.* C. Entin, toutes les notions touchees dans ce paragraphe ne different pas essentiellement de ce que nous avons appele ailleurs des valeurs.*Une nouvelle comparaison avec le jeu d'echecs nous le fera comprendre (voir p. 125 sv.), Prenons un cavalier : est-ii a lui seul un element du jeu ? Assurement non, puisque dans sa materialite pure, hors de sa case et des autres conditions du [eu, il ne represente rien pour le joueur et ne devient element reel et concret qu'une fois revetu de sa valeur et faisant corps avec elle. Supposons qu'au cours d'une partie cette piece vienne il !tre detruite ou egaree : peut-on la remplacer par une (219) 1220) 1221 J (2221 154 LlNGUISTIQUE SYNCHHONlQUE autre equivalente ? Certainement : non. seulement un autre cavalier, mais meme une figure depourvue de toute ressemblance avec celle-cl sera declaree identique, pourvu qu'on lui attribue la meme valeur. On voit done que dans les systemes semiologiques, comme la langue, ou les elements se tiennent reciproquement en equilibre selon des regles determinees, la notion d'identite se confond avec celle de 1223] valeur et reciproquement." Voila pourquoi en definitive la notion de valeur recouvre celles d'unite, d'entite concrete et de realite. Mais s'il n'existe aucune difference fondamentale entre ces divers aspects, il s'ensuit que le probleme peut etre pose successivement sous plusieurs formes. Que l'on cherche a determiner I'unite, la realite, I'entite concrete ou la valeur, cela reviendra toujours a poser la meme question centrale qui domine toute la linguistique statique. Au point de vue pratique, ii serait interessant de commencer par les unites, de les determiner et de rendre compte de leur diversite en les classant. 11 faudrait chercher sur quoi se fonde la division en mots - car le mot, malgre la difflculte qu'on a a le deflnir, est une unite qui s'impose a l'esprit, quelque chose de central dans le mecanisme de la langue ; - mais c'est la un sujet qui remplirait a lui seul un volume. Ensuite on aurait a classer les sous-unites, puis les unites plus larges, etc. En determinant ainsi les elements qu'elle manie, notre science remplirait sa tache tout entiere, car elle aurait ramene tous les phenomenes de son ordre a leur premier principe. On ne peut pas dire qu'on se soit jamais place devant ce probleme central, ni qu'on en ait compris la portee et la difflculte ; en matierc de langue on s'est toujours contente d'operer sur des unites mal definies. Cependant, malgre l'importance capitale des unites, il est preferable d'aborder le probleme par le cOte de la valeur, parce que c'est, selon nous, son aspect primordial. CHAPITRE IV LA VALEUR LINGUJSTIQUE § 1. LA LANGUE COMME PENSEE ORGANISEE PHONIQUE. * DANS LA MATIEHE [224] Pour se rendre comptc que la langue ne peut etre qu'un systeme de valeurs pures, il suffit de considerer Jes deux elements qui entrent en jeu dans son fonctionnement: Jes Idees et les sons. Psychologiquement, abstraction faite de son expression par Jes mots, notre pensee n'est qu'une masse amorphe et indistincte. Philosophes et linguistes se sont toujours accordes a reconnaitre que, sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idees d'une facon claire et constante. Prise en elle-meme, la pensee est comme une nebuleuse ou rien n'est necessairement delirnite. 11 n'y a pas d'idees preetablies, et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue. * [225] En face de ce royaume flottant, Jes sons ofTriraient-ils par eux-memes des entites circonscrites d'avance ? Pas davantage. La substance phonique n'est pas plus fixe ni plus rigide; ce n'est pas un moule dont la pensee doive necessaircmcnt epouser Jes formes, mais une matiere plastique qui se divise a son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensee a besoin. Nous pouvons done representer le fait linguistique dans son ensemble, c'est-a-dire la langue, comme une serie de subdivisions 156 LINOUISTIQU6 PENSEE SYNCHRONlQUn. contigues dessinees a la fois sur le plan indefini des idees confuses (A) et sur celui non moins indeterrnine des sons (B) ; c'est ce qu'on peut figurer tres approximativement par le schema: ET MATIERE PHONJQUE La langue est encore comparable a une feuille de papier : la pensee est le recto et le son le verso ; on ne peut decouper le recto sans decouper en merne temps le verso; de merne dans la langue, on nc saurait isoler ni le son de la pensee, ni la pensee du son ; on n'y arriverait que par une abstraction dont le resultat serait de faire de la psychologie pure ou de la phonologie pure. La linguistique travaillc done sur le terrain limitrophe ou les elem en ts des deux ordres sc combment ; cette combi­ naison produit une [orme, non une substance," Le role caracteristique de la langue vis-a-vis de la pensee n'est pas de creer un moyen phonique materiel pour I'expression des idees, mais de servir d'intermediaire entre la pensee et le son, dans des conditions telles que leur union aboutit necessairement a des delimitations reciproques d'unites. La pensee, chaotique de sa nature, est forcee se preciser en se decomposant. Il n 'y a done ni materialisation des penrees, ni spiritualisation des sons, mais ii s'agit de ce fait en quelque sorte rnysterieux, que la « penseeson » implique des divisions et que la langue elahore ses [226) unites en se constituant entre deux masses amorphes~Qu'on se represente l'air en contact avec une nappe d'eau : si la pression atmospherique change, la surface de l'eau se decompose en une serie de divisions, c'est-a-dire de vagues; ce sont ces ondulations qui donneront une idee de l'union, et pour ainsi dire de l'accouplement de la pensee avec la matiere phonique. On pourrait appelcr la langue le domainc des articulations, en prenant ce mot dans le sens deflni p. 26 : chaque terme Iinguistique est un petit mernbre, un articulus ou une idee se fixe dans un son et ou un son devient le signe d'une Idee. ae 157 1227] Ces vues font mieux comprcndre ce qui a etc dit p. 100 de l'arbitraire du signe. Non seulement les deux domaines relies par le fait linguistique sont confus et amorphes, mais le choix qui appelle telle tranche acoustique pour telle idee est parfaitement arbitraire. Si cc n 'Hait pas le cas, Ia notion de valeur perdrait quelque chose de son caractere, puisqu'elle contiendrait un element impose du dehors, Mais en fait les valeurs restent entiercmcnt relatives, et voila pourquoi le lien de I'idee ct du son est radicalement arhitraire.* (228) A son tour, l'arhitraire du signe nous fait mieux com· prendre pourquoi le fait social peut seul creer un systeme linguistique. La collectivite est necessaire pour etablir des valeurs dont l'unique raison d'etre est dans l'usage et le consentement general ; I'individu a lui seul est incapable d'en fixer aucune.* [229) En outre l'idee de valeur, ainsi determinee, nous montre que c'est une grande illusion de considerer un terme simplement comme l'union d'un certain son avec un certain concept. Le deflnir ainsi, ce serait l'isoler du systeme dont ii Iait partie ; cc serait croire qu'on peut commencer par les termes et construire le systerne en en faisant la somrne, alors qu'au contraire c'est du tout solidaire qu'il faut partir pour obtenir par analyse les elements qu'il renfcrme. Pour developper cette these nous nous placerons succes- 158 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE sivement au point de vue du signifle ou concept (§ 2), du signifiant (§ 3) et du signe total(§ 4). Ne pouvant saisir directement les entites concretes ou unites de la langue, nous opererons sur les mots. Ceux-ci, sans recouvrir exactement Ia definition de l'unite linguistique (voir p. 147), en donnent du moins une idee approximative qui a l'avantage d'etre concrete; nous les prendrons done comme specimens equivalents des termes reels d'un systeme synchronique, et les principes degages a propos des mots seront valables pour Ies entites en general. § 2. (230] LA VALEUR LINGUISTIQUE ASPECT CONCEPTUEL DE LA VALEUR 159 entre l'image auditive et le concept, dans les limites du mot eonsidere comme un domaine Ierme, ex.istant pour lui-meme. Mais voici l'aspect paradoxal de la question: d'un c6te, le concept nous apparait com.me la contre-partie de l'image auditive dans l'interieur du signe, et, de l'autre, ce signe [ui-meme, c'est-a-dire le rapport qui relie ses deux elements, est aussi, et tout autant la contre-partie des autres signes de la langue. Puisque la langue est un systeme dont tous les termes sont solidaires et ou la valeur de l'un ne resulte que de la presence simultanee des autres, selon le schema : CONSIDEREE DANS SON ASPECT COSCEPTUEL.* Quand on parle de la valeur d'un mot, on pense generalement et avant tout a la propriete qu'il a de representer une idee, et c'est la en effet un des aspects de la valeur linguistique. Mais s'il en est ainsi, en quoi cette valeur differet-elle de ce qu'on appelle la signification ? Ces deux mots seraient-ils synonymes ? Nous ne le croyons pas, bien que la confusion soit facile. d'autant qu'elle est provoquee, moins par l'analogie des termes que par la delicatesse de la distinc[231 I tion qu'ils marquent.* La valeur, prise dans son aspect conceptuel, est sans doute un element de la signification, et il est tres difficile de savoir comment celle-ci s'en distingue tout en etant sous sa dependance. Pourtant il est necessaire de tirer au clair cette question, sous peine de reduire la langue a une simple nomenclature (voir p. 97). Prenons d'abord la signification telle qu'on se la represente et telle que nous l'avons flguree p. 99. Elle n'est, comme l'indiquent les fleches de la figure, que la contre-partie de l'image auditive. Tout se passe comment se Iait-il que la valeur, ainsi definie, se confonde avec la signification, c'est-a-dire avec la contre-partie de l'image auditive ? Il semble impossible d'assimiler les rapports figures ici par des fleches horizontales a ceux qui sont representes plus haut par des fleches verticales. Autrement dit - pour reprendre la comparaison de la f euille de papier qu'on decoupe (voir p. 157), - on ne voit pas pourquoi le rapport constate entre divers morceaux A, B, C, D, etc., n'est pas distinct de celui qui existe entre le recto et le verso d'un meme morceau, soit A /A', B /B', etc. Pour repondre a cette question, constatons d'abord que meme en dehors de la langue, toutes Jes valeurs semblent regies par ce principe paradoxal. Elles sont toujours constituees : 1° par une chose dissemblable susceptible d'etre ichangie contre celle dont la valeur est a determiner; 2° par des choses similaires qu'on peut comparer avec celle dont la valeur est en cause. Ces deux facteurs sont necessaiies pour l'existence d'une valeur. Ainsi pour determiner ee que vaut une piece de 160 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE cinq francs, il faut savoir : 1° qu'on peut l'echanger conter une quantite determinee dune chose diflerente, par exemple du pain ; 20 qu'on peut la comparer avec une valeur similaire du meme systeme, par exemple une piece d'un franc, ou avec une monnaie d'un autre systeme (un dollar, etc.). De meme un mot peut etre echange contre quelque chose de dissemblable : une idee ; en outre, il peut etre compare avec quelque chose de meme nature: un autre mot. Sa valeur n'est done pas fixee tant qu'on se borne a constater qu'il peut etre « echange 1, contre tel ou tel concept, c'est-a-dire qu'il a telle ou telle signification ; il faut encore le comparer avec les valeurs similaires, avec les autres mots qui lui sont opposables. Son contenu n'est vraiment determine que par le concours de ce qui existe en dehors de lui. Faisant partie d'un systeme, il est revetu, non seulement d'une signification, mais aussi et surtout d'une valeur, et c'est tout autre chose. Quelques exemples montreront quil en est bien ainsi. Le Irancais mouton peut avoir la meme signification que l'anglais sheep, mais non la meme valeur, et cela pour plusieurs raisons, en particulier parce qu'en parlant d'une piece de viande appretee et servie sur la table, l'anglais dit mutton et non sheep. La difference de valeur entre sheep et mouton tient a ce qi,e le premier a a cote de lui un second terme, ce qui n'est pas le cas pour le mot francais. Dans l'interieur d'une meme langue, tous les mots qui expriment des idees voisines se limitent reciproquement : des synonymes comme tedouter, craindre, aooir peur n'ont de valeur propre que par leur opposition; si redouter n'existait pas, tout son contenu irait a ses concurrents. Inversement, il y a des termes qui s'enrichissent par contact avec d'autres ; par exemple, l'element nouveau introduit dans decrepit (<1 un vieillard decrepit ,1, voir p. 11 !)) resulte de la coexistence de decrepi (cc un mur decrepi 1,). Ainsi la valeur de n'importe quel terme est determinee par ce qui l'entoure; il n'est pas [usqu'au mot signifiant « soleil » dont on puisse ASPECT CONCEPTUEL DE LA VALEUR 161 immediatement fixer la valeur si l'on ne considere pas ce qu'il v. a au tour de lui; il v. a des langues oil il est impossible de dire c s'asseoir au soleil •· Ce qui est dit des mots s'applique a n'importe quel terme de la langue, par exemple aux entites grammaticales. Ainsi la valenr d'un pluriel francais ne recouvre pas celle d'un pluriel sanscrit, bien que la signification soit le plus souvent identique : c'est que le sanscrit possede trois nombres au lieu de deux (mes yeux, mes oreilles, mes bras, mes jambes, etc., seraient au duel); il serait inexact d'attribuer la meme valeur au pluriel en sanscrit et en francais, puisque le sanscrit ne peut pas employer le pluriel dans tous les cas oil il est de regle ea Iraneais ; sa valeur depend done bien de ce qui est en dehors et autour de lui. Si les mots etaient charges de representer des concepts donnes d'avance, ils auraient chacun, d'une langue a l'autre, des correspondants exacts pour le sens ; or il n'en est pas ainsi. Le francais dit indifferernment louer (une maison) pour « prendre a bail » et « donner a bail », la oil l'allemand emploie deux termes : mieten et vermieten ; il n'y a done pas correspondance exacte des valeurs. Les verbes schiiizen et urteilen presentent un ensemble de significations qui correspondent en gros a celles des mots francais estimer et juger ; cependant sur plusieurs points cette correspondance est en defaut, La flexion offre des exemples particulierement frappants. La distinction des temps, qui nous est si Iamiliere, est etrangere a certaines langues ; I'hebreu ne connait pas meme celle, pourtant fondamentale, entre le passe, le present et le futur. Le protogermanique n'a pas de forme propre pour le futur ; quand on dit qu'il le rend par le present, on s'exprime improprement, car la valeur d'un present n'est pas la meme en germanique que dans les langues pourvues d'un futur a cote du present. Les langues slaves distinguent regulierement deux aspects du verbe : le per- 162 LINGUISTIOUE SYNCHRONIQUE ASPECT f ectif represente l'action dans sa totalite, comme un point. en dehors de tout devenir ; l'imperfectif la montre en train de se faire, et sur la ligne du temps . categories font difflculte pour un Francais, parce que sa langue les ignore : si elles etaient predeterminees, ii n'en serait pas ainsi. Dans tons ces cas nous surprenons done, au lieu d'idits donnees d'avance, des oaleurs emanant du systeme. Quand on dit qu'elles correspondent a des concepts, on sous-entend que ceux-ci sont purement differentlels, definis non pas positivement par leur contenu, mais negativement par leurs rapports avec les autres termes du systeme. Leur plus exacte caracteristique est d'etre ce que les autres ne sont pas. On voit des lors I'interpretation reelle du schema du signe. Ainsi f 3. LA \'ALEUR .ces MATERIEL LlNGUlSTIQUE DE LA VALEUR 163 CONSIDEREE DANS SON ASPECT MATERIEL.* [233) Si Ja partie conceptuelle de la valeur est constituee uniquement par des rapports et des differences avcc les autres tennes de la langue, on pent en dire autant de sa partie materielle, Ce qui importe dans le mot, ce n'est pas le son lul-meme, mais les differences phoniques qui permettent de distinguer ce mot de tons Jes autres, car ce sont elles qui portent la signification. La chose etonnera peut-etre ; mais oil serait en verite la possibilite du contraire ? Puisqu'il n'y a point d'image vocale qui reponde plus qu'une autre a ce qu'elle est chargee de dire, ii est evident, meme a priori, que jamais un fragment de langue ne pourra Mre fonde, en derniere analyse, sur autre chose que sur sa non-coincidence avec le reste. Arbilraire et dijierentiel sont deux qualites correlatives. L'alteration des signes linguistiques montre bien cette correlation ; c'est precisernent parce que les termes a et b sont radicalement incapables d'arriver, comme tels, [usqu'aux regions de la conscience, - laquelle n'apercoit perpetuellement que la difference a/ b, - que chacun de ees termes reste libre de se modifier selon des lois etrangeres a leur fonction signi flcative. Le genitif pluriel teheque fen n'est caracterise par aucun signc positif (voir p. 123) ; pourtant le groupe de formes Jena : ien fonctionne aussi hien que iena : zeno qui l'a precede ; c'est que Ia difference des signes est scule en jeu ; zena ne vaut que parce qu'il est different. * [2341 Voici un autre exemple qui fait mieux voir encore ce qu'il y a de systematique dans ce jeu des differences phoniques : en grec ephPn est un irnparfait et esten un aorlste, bien qu'ils soient Iorrnes de Iacon identique ; c'est que le veut dire qu'en francais un concept « juger » est uni ~ l'image acoustique juger ; en un mot il symbolise la signification ; mais il est bien entendu que ce concept n'a rien d'initial, qu'il n'est qu'une valeur determinee parses rapports avec d'autres valeurs similaires, et que sans elles la signification n'existerait pas. Quand j'affirme simplement qu'un mot signifie quelque chose, quand je m'en tiens a l'association de l'image acoustique avec un concept, je fais une operation qui peut dans une certaine mesure etre exacte et dormer une idee de la realite ; mais en aucun cas je n'exprime le fait linguistique dans son essence et dans (232) son ampleur. * i ~ 164 LJNGUISTI(,}UE SYNCHRONIQUE premier appartient au systeme de l'indicatif present phimi c je dis », tandis qu'il n'y a point de present •stemi ; or c'est justement le rapport pheqil - ephen qui correspond au rapport entre le present et l'imparfait (cf. defkniimi ­edetknun), etc. Ces signes agissent done, non par leur valeur intrinseque, mais par leur position relative. D'ailleurs il est impossible que le son, element materiel, appartienne par lui-meme a la langue. Il n'est pour elle qu'une chose secondaire, une matiere qu'elle met en ceuvre, Toutes les valeurs conventionnelles presentent ce caraetere de ne pas se confondre avec l'element tangible qui leur sert de support. Ainsi ce n'est pas le metal d'une piece demonnaie qui en fixe la valeur , un ecu qui vaut nominalement cinq francs ne contient que la moitie de cette somme en argent ; ii vaudra plus ou moins avec telle ou telle effigie, plus ou moins en deca et au dela d'une frontiere politique. Cela est plus vrai encore du signifiant linguistique ; dans son essence, ii n'est aucunement phonique, il est incorporel, constitue, non par sa substance materielle, mais uniquement parles differences qui separent son image acoustique de tou(235 J tes les autres.* Ce principe est si essentiel qu'il s'applique a tous les elements materiels de la langue, y compris les phonemes. Chaque idiome compose ses mots sur la base d'un systeme d'elements sonores dont chacun forme une unite nettement delimitee et dont le nombre est parfaitement determine. Or ce qui les earacterise, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, leur qualite propre et positive, mais simplement le fait qu'ils ne se confondent pas entre eux. Les phonemes sont avant tout des (2361 entites oppositives, relatives et negatives." Ce qui le prouve, c'est la latitude dont lcs sujets [ouissent pour la prononciation dans la limite ou les sons restent distincts les uns des autres. Ainsi en Irancais, l'usage general de grasseyer l'r n'empeche pas beaucoup de personnes de le router; la langue n'en est nullement troublee ; ASPECT MATERIEL DE LA VALEUR 165 elle ne demande que la difference et n'exige pas, comme on pourrait l'imaginer, que le son ait une qualite invariable. Je puis meme prononcer l'r Iraneais comme ch allemand dans Bach, doch, etc., tandis qu'en allemand je ne pourrais pas employer r comme ch, puisque cette langue reconnait les deux elements et doit les distinguer. De meme en russe, ii n'y aura point de latitude pour t du cote de t' (t mouille), parce que le resultat serait de confondre deux sons diflerencies par la langue (cf. govorit' 1 parler » et govorit u il parle 1 ), mais ii y aura une liberte plus grande du cote de th (t aspire), parce que ce son n'est pas prevu dans le systeme des phonemes du russe.* (2371 Comme on constate un etat de choses identique dans cet autre systeme de signes qu'est l'ecriture, nous le prendrons comme terme de comparaison pour eclairer toute cette question.:"En fait: (2381 1° les signes de l'ecriture sont arbitraires , aucun rapport, par exemple, entre la lettre t et le son qu'elle designe , 2° la valeur des lettres est purement negative et diff erentielle ; ainsi une meme personne peut ecrire t avec des variantes telles que: La seule chose essentielle est que ce signe ne se confonde pas sous sa plume avec celui de l, de d, etc. ; 30 les valeurs de I'ecriture n'agissent que par leur opposition reciproque au sein d'un systeme deflni, compose d'un nombre determine de lettres. Ce caractere, sans etre identique au second, est etroitement lie avec lui, parce que tous deux dependent du premier. Le signe graphique etant arbitraire, sa forme importe peu, ou plutot n'a d'importance que dans les limites imposees par le systerne ; 4° le moyen de production du signe est totalement indif- I I (239) 167 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE LE SIGNE DANS SA TOTALITE ferent, car ii n'interesse pas le systeme (cela decoule aussi du premier caractere), Que j'ecrive les lettres en blanc ou en noir, en creux ou en relief, avec une plume ou un ciseau, cela est sans importance pour leur signification. puisque le propre de l'institution linguistique est justement de maintenir le parallelisme entre ces deux ordres de diffe- 166 § 4. LE rences. * 12421 Certains faits diachroniques sont tres caracteristiques a cet egard : ce sont les innombrables cas ou l'alteration du signifiant amene l'alteration de l'idee, et ou l'on voit qu'en principe la somme des ldees distinguees correspond a la somme des signes distinctifs. Quand deux termes se confondent par alteration phonetique (par exemple decrepit = decrepitus et decrepi de crispus), les idees tendront a se confondre aussi, pour peu qu'elles s'y pretent. Un terme se differencie-t-il (par exemple chaise et chaire) ? Infailliblement la difference qui vient de naitre tendra a devenir significative,*sans y reussir toujours, ni du premier coup. Inver- 12431 sement toute difference ideelle apercue par l'esprit cherche a s'exprimer par des signifiants distincts, et deux idees que l'esprit ne distingue plus cherchent a se confondre dans le meme signifiant. Des que l'on compare entre eux les signes -termes positifs - on ne peut plus parler de difference ; l'expression serait impropre, puisqu'elle ne s'applique bien qu'a la comparaison de deux images acoustiques, par exemple pere et mere, ou a celle de deux idees, par exemple l'idee « pere » et l'idee • mere » ; deux signes comportant chacun *un signifie et un 12441 signifiant ne sont pas diflerents, ils sont seulement distincts. Entre eux il n'y a qu'opposition. Tout le mecanisme du Iangage, dont ii sera question plus bas, repose sur des oppositions de ce genre et sur les differences phoniques*et conceptuelles qu'elles impliquent. SIGNE CONSIDERE DANS SA TOTALlTE.* Tout ee qui precede revient a dire que dans la langue ii n'y a que des differences. Bien plus : une difference suppose en general des termes positifs entre lesquels elle s'etablit ; mais dans la langue ii n'y a que des differences sans tames positifs. Qu'on prenne le signifle ou le signifiant, la langue ne comporte ni des idees ni des sons qui preexlsteraient au systeme linguistique, mais seulement des differences con(240] ceptuetles et des differences phoniques *issues de ce systeme, Ce qu'il y a d'idee ou de matiere phonique dans un signe importe moins que ce qu'il y a autour de lui dans les autres signes. I.a preuve en est que la valeur d'un terme peut ~tre modifiee sans qu'on touche ni a son sens ni a ses sons, rnais seulement par le f ait que tel autre terme voisin (2411 aura subi une modification (voir p. 160). Mais dire que tout est negatif dans la langue, cela n'est vrai que du signifie et du signifiant pris separement : des que l'on considere le signe dans sa totalite, on se trouve en presence d'une chose positive dans son ordre. Un systeme linguistique est une serie de differences de sons combinees avec une serie de differences d'idees ; rnais cette mise en regard d'un certain nombre de signes acoustiques avec autant de decoupures faites dans la rnasse de la pensee engendre un systerne de valeurs ; et c'est ce systeme qui constitue le lien efTectif entre les elements phoniques et psychiques a l'interieur de chaque signe. Bien que le signifie et le signifiant soient, chacun pris a part, purement differenticls et negatifs, leur combinaison est un fait positif ; c'est meme la seule espece de faits que comporte la langue, * Ce qui est vrai de la valeur est vrai aussi de l'unite (voir p. 154). C'est un fragment de chalne parlee correspondant a un certain concept; l'un et l'autre sont de nature purement diflerentlelle. Applique a l'unite, le principe de differenciation peut se ; i ~. 168 LINGUISTIQUE LE SIGNE DANS SA TOTALITE SYNCHRONIQUE formuler ainsi : les caracures de l'unile se con/ondent avec /'unite elle­mtme. Dans la langue, comme dans tout systeme semiologique, ce qui distingue un signe, voila tout ce qui le constitue. C'est la difference qui fait le caractere, comme elle fait la valeur et I'unite. Autre consequence, assez paradoxale, de ce meme principe : ce qu'on appelle communement un « fait de grammaire •> repond en derniere analyse a la definition de l'unite, car ii exprime toujours une opposition de termes ; seulement cette opposition se trouve etre particulierement significative, par exemple la formation du pluriel allemand du type N acht : N tichie. Chacon des terrnes mis en presence dans le fait grammatical (le singulier sans umlaut et sans e final, oppose au pluriel avec umlaut et -e) est constitue luimeme par tout un jeu d'oppositions au sein du systeme ; pris isolement, ni Nacht ni Niichie, ne sont rien : done tout est opposition. Autrement dit, on peut exprimer le rapport N acht : N ii.chte par une formule algebrique a/ b, ou a et b ne sont pas des termes simples, mais resultent chacun d'un ensemble de rapports. La langue est pour ainsi dire . .une algebre qui n 'aurait que des termes complexes. Parmi les oppositions qu'elle comprend, il y en a qui sont plus significatives que d'autres ; mais unite et fait de grammaire ne sont que des noms diflerents pour designer des aspects divers d'un meme fait general : le jeu des oppositions linguistiques. Cela est si vrai qu'on pourrait fort bien aborder le probleme des unites en commenc;ant par les faits de grammaire. Posant une opposition telle que Nacht: Nticiue, on se demanderait quelles sont les unites mises en jeu dans cette opposition. Sont-ce ces deux mots seulement ou toute la serie des mots similaires ? ou bien a et ii ? ou tous les singuliers et tous Jes pluriels ? etc. Unite et fait de grammaire ne se confondraient pas si les signes linguistiques etaient constitues par autre chose que des differences. Mais la langue etant cc qu'elle est, de quelque 169 c~t~ qu'on l'aborde, on n'y trouvera rien de simple ; partout et toujours ce meme equilibre complexe de termes qui se conditionncnt reciproquement. Autrement dit, la langue est une /orme et non une substance (voir p. 157). On ne saurait assez se penetrer de cette verite, car toutcs les erreurs de notre terminologie, toutes nos facons incorrectes de designer les choses de la langue proviennent de cette supposition involontaire qu'il y aurait une substance dans le phenomene Iinguistique. i ~. -,,--r DEFINITIONS i CHAPITRE V RAPPORTS SYNTAGMATIQUES ET RAPPORTS ASSOC IA T IFS § 1. (246 J DFFINTTIONS. * Ainsi, dans un etat de langue, tout repose sur des rapports ; comment fonctionnent-ils ? Les rapports et Jes differences entre termes linguistiques se deroulent dans deux spheres distinctes dont chacune est genera trice d'un certain ordre de valeurs; l'opposition entre ces deux ordres fait mieux cornprendre la nature de chaeun d'eux. lls correspondent a deux formes de notre activite mentale, toutes deux indispensables a la vie de la langue. D'une part, dans le discours, les mots contractent entre eux, en vertu de leur enchainement, des rapports Iondes sur le caractere lineaire de la Iangue, qui exclut la possibilite de prononcer deux elements a la Iois (voir p. 103). Ceuxci se rangent les uns a la suite des autres sur la chatne de la parole. Ces comhinaisons qui ont pour support l'etendue (2471 peuvent ~tre appelees syntagmes1.*Le syntagme se compose done toujours de· deux ou plusieurs unites consecutives (par exemple : re­lire ; centre tous ; la vie humaine ; Dieu est bon ; s'il fail beau temps, nous sortirons, etc.). Place dans est 1. D presque Inutile de faire observer que l'etude des synlagmts ne se confond pas avec la syntaxe: celle-cl, comme on le verra p. 185 et sulv., n'est qu'une partie de celle-la (Erl.). DES DEUX ORDRES DE RAPPORTS 171 un syntagme, un termc n'acquiert sa valeur que parce qu'il est oppose a ce qui precede ou ce qui suit, ou a tons les deux. D'autre part, en dehors du discours, les mots offrant quelque chose de commun s'associent dans la mernoire, et ii se Iorme ainsi des groupes au sein desquels regnent des rapports tres divers. Ainsi le mot enseignement fera surgir inconsciemment devant l'esprit une foule d'autres mots (enseigner, tenseiqner, etc., on bien armement, changement, etc .• ou hien education, apprenlissage) ; par un cOte ou un autre, tous ont quelque chose de commun entre eux. On voit que ces coordinations sont d'une tout autre espece que les premieres. Elles n'ont pas pour support l'etendue ; leur siege est dans le cerveau ; elles font partie de ce tresor Interieur qui constitue la langue chez chaque individu, Nous les appellerons rapports associati/s. [248 J Le rapport syntagmatique est in praesenlia ; ii repose sur deux ou plusieurs termes egalement presents dans une serie effective. Au contraire le rapport associatif unit des termes in absentia dans une serie mnemonique virtuelle. A ce double point de vue, une unite linguistique est comparable a une partie determinee d'un edifice, une colonne par exemple ; celle-ci se trouve, d'unc part, dans un certain rapport avec l'architrave qu'elle supporte ; cet agencement de deux unites egalemcnt presentes dans l'espace Iait penser au rapport syntagmatique ; d'autre part, si cette colonne est d'ordre doriquc, elle evoque la comparaison mentale avec les autres ordres (ionique, corinthien, etc.), qui soot des elements non presents dans l'espace : le rapport est associatif. Chacun de ces deux ordrcs de coordination appelle quelques remarques particuliercs. * 172 12491 LINGUISTIQUE § 2. LES RAPPORTS SYNTAGMATIQllES. 173 RAPPORTS ASSOCIATIFS SYNC.HRONIQUE caracterises par quelque anomalie morphologique maintenue par la seule force de l'usage (cf. difficulle vis-a-vis de facilile, etc., mourrai en face de dormirai, etc.). Mais ce n'est pas tout; il faut attribuer a la langue, noo A la parole, tous les types de syntagmes construits sur des fonnes regulieres. En efTet, comme il n'y a rien d'abstrait dans la langue, ces types n'existent que si elle en a enregistre des specimens suffisamment nombreux. Quand un mot comme indecorable surgit dans la parole (voir p. 228 sv.), il suppose un type determine, et celui-ci a son tour n'est possible que par le souvenir d'un nombre suffisant de mots semblables appartenant a la langue (impardonnable, intole­ rable, in/atigable, etc.). 11 en est exactement de meme des phrases et des groupes de mots etablis sur des patrons reguliers ; des combinaisons comme la lerre toume, que vous dit­il 'J etc., repondent a des types generaux, qui ont a leur tour leur support dans la langue sous fonne de souvenirs 12511 concrets.* Mais il faut reconnaitre que dans le domaine du syntagme ii n'y a pas de limite tranchee entre le fait de langue, marque de l'usage collectif, et le fait de parole, qui depend de la liberte individuelle. Dans une foule de cas, il est difficile de classer une combinaison d'unites, parce que l'un et l'autre facteurs ·ont concouru a la produire, et dans des proportions qu'il est impossible de determiner. * Nos exemples de la page 170 donnent deja a entendre que la notion. de syntagme s'applique non seulement aux mots, mais aux groupes de mots, aux unites complexes de toute dimension et de toute espece (mots composes, derives, membres de phrase, phrases entieres). Il ne suffit pas de considerer le rapport qui unit les diverses parties d'un syntagme entre elles (par exemple contre et tous dans contre lous, contre et maitre dans contremaitre) ; ii faut tenir compte aussi de celui qui relie le tout a ses parties (par exemple contre lous oppose d'une part a contre, de l'autre a tous, ou contremaitre oppose a contre et a mailre). On pourrait faire ici une objection. La phrase est le type par excellence du syntagme. Mais elle appartient a la parole, non a la langue (voir p. 30) ; ne s'ensuit-il pas que le syntagme releve de la parole '? Nous ne le pensons pas. Le propre de la parole, c'est la liberte des combinaisons ; il faut done se demander si tous les syntagmes sont egalement libres. On rencontre d'abord un grand nombre d'expressions qui appartiennent a la Iangue ; ce sont les locutions toutes faites, auxquelles I'usage mterdit de rien changer, meme si l'on peut y distinguer, a la reflexion, des parties significatives (cf. a quoi bon 'J ollotis done I etc.). 11 en est de meme, bien qu'a un moindre degre, d'expressions telles que pren­ dre la mouche, forcer la main a quelqu'uu, rompre une lance, ou encore avoir mal a (la tete, etc.), a force de (soins, etc.), que oous ensemble ?, pas a'esi besoiti de ... , etc., dont le caractere usuel ressort des particularites de leur signification ou [250] de leur syntaxe.* Ces tours ne peuvent pas etre improvises, ils sont fournis par la tradition. On peut citer aussi les mots qui, tout en se pretant parfaitement a l'analyse, sont § 3. L LES RAPPORTS ASSOCIATIFS. * Les groupes Iormes par association mentale ne se bornent pas a rapprocher les tennes qui presentent quelque chose de commun ; l'esprit saisit aussi la nature des rapports qui les relient dans chaque cas et cree par la autant de series associatives qu'il y a de rapports divers. Ainsi dans enseiqnement, enseiqner, enseignons, etc., il y a un element commun a tous les termes, le radical ; mais le 12521 174 RAPPORTS ASSOCIATIFS LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE mot en1eignemenl peut se trouver implique dans une serie basee sur un autre element commun, le suffixe (cf. ensei­ gnement, armement, changement, etc.) ; l'association peut reposer aussi sur la seule analogie des signifies (enseigne­ ment, instruction, apprentissage, education, etc.), ou au contraire, sur la simple communaute des images acoustiques (par exemple enseignement et justement)1. Done ii y a tantot communaute double du sens et de la forme, tantot communaute de forme ou de sens seulcment. Un mot quel conque pent toujours evoquer tout ce qui est susceptible de lui ~tre associe d'une maniere ou d'une autre. Tandis qu'un syntagme appelle tout de suite l'idee d'un ordre de succession et d'un nomhre determine d'elements, les termes d'une famille associative ne se presentent ni en nombre defini, ni dans un ordre determine. Si on associe desir­eux, ehaleur­eux, peur­eux, etc., on ne saurait dire d'avance quel sera le nombre des mots suggerespar la mernoire, ni dans quel ordre ils apparaitront. Un terme donne est comme le centre d'une constellation, le point oil convergent d'autres termes coordonnes, dont la somme est indeflnie (voir 12531 la figure p. 175).* Cependant, de ces deux caracteres de la serie associative, ordre indetermine et nombre indeflni, seul le premier se verifle toujours ; Je second peut manquer. C'est ce qui 1. Ce dernier cas est rare et. peut passer pour anonnal, car I'esprlt ecarte naturellement Jes associations propres A troubler !'intelligence du diseours ; mals son existence est prouvee par unc categoric inferieure de Jeux de mots reposant sur !es confusions absurdes qui pcuvent resulter de l'homonyrnle pure et simple, comme lorsqu'on dit: • Les musiciens produisent !es &on:t et les gralnetlers les vendent, , Ce cas dolt ~tre dlstlngue de celul ou une association, tout en etant tortutte, peut s'appuyer surun rapprochement d'ldees (cf. franc. ergot: erqoter, et all. blau: durchbliiuen, • rouer de coups •) ; ll s'ugit d'une interpretation nouvelle d'un des termes du couple ; ce sont des cas d'etvmologie populaire (voir p. 238) ; le fall est lnteressant pour I'evolution semantique, mais au point de vue synchrontque ii tom be tout simplcment dans la categoric: enseiqner : enseiqnemenl, menUonn~e plus haul (Ed.). 175 arrive dans un type earacteristique de ce genre de groupements, Jes paradigmes de flex.ion. En latin, dans dominus, domini, domins, etc., nous avons bien un groupe associatif forme par un element commun, le theme nominal domin­, ..•' ,,c. en.sein~er . _.,, :, ,'/ en.se!,Jll?Ons etc. I ,.. ,: i ap17ren~1'.3sage edur/alion etc . • e/c. I mais la serie n'est pas indeflnle comme celle de enseiqne­ ment, changement, etc. ; le nombre des cas est determine ; par contre leur succession n'est pas ordonnee spatialement, et c'est par un acte purement arbitraire que le grammairien les groupe d'une faeon plutot que d'une autre ; pour la conscience des sujets parlants le nominatif n'est nullement le premier cas de la declinaison, et les termes pourront surgir dans tel ou tel ordre selon }'occasion.* 12541 I L . MECANISME DE LA LANGUE CHAPITRE VI MECANISME DE LA LANGUE (255] (256) § 1. LES SOLIDARITES SYNTAGMATIQUES.* L'ensemble des differences phoniques * et conceptuelles qui constitue la langue resulte done de deux sortes de comparaisons ; les rapprochements sont tantot associatifs, tantot syntagmatiques ; les groupements de l'un et l'autre ordre sont, dans une large mesure, etablis par la langue ; c'est cet ensemble de rapports usuels qui la constitue et qui preside a son fonctionnement. La premiere chose qui nous frappe dans cette organisation, ce sont les solidariiis syntagmatiques : presque toutes les unites de la langue dependent soit de ce qui les entoure sur la chaine parlee, soit des parties successives dont elles se composent elles-memes. La formation des mots suffit a le montrer. Une unite telle que disireux se decompose en deux sous-unites (desir­eux), mais ce ne sont pas deux parties independantes ajoutees simplement l'une a l'autre (desir+eux). C'est un produit, une combinaison de deux elements solidaires, qui n'ont de valeur que par leur action reciproque dans une unite superieure (desir x eux). Le suffixe, pris isolement, est inexistant; ce qui lui confere sa place dans la langue, c'est une serie de termes usuels tels que cbaleur­eux, chanc­eux, etc. A son tour, le radical n'est pas autonome ; il n'existe que par combinaison avec un suffixe ; dans roul-is, l'ele- 177 ment roul­ n'est rien sans le suffixe qui le suit. Le tout vaut par ses parties, les parties valent aussi en vertu de leur place dans le tout, et voila pourquoi le rapport syntagmatique de la partie au tout est aussi important que celui des parties entre elles.* (257) C'est la un pnncipe general, qui se verifie dans tous les types de syntagmes enumeres plus haut, p. 172 ; ii s'agit toujours d'unites plus vastes, composees elles-memes d'unites plus restreintes, Jes unes et Jes autres etant dans un rapport de solidarite reciproque. La langue presente, ii est vrai, des unites independantes, sans rapports syntagmatiques ni avec leurs parties, ni avec d'autres unites. Des equivalents de phrases tels que oui, non, merci, etc., en sont de hons exemples. Mais ce fait, d'ailleurs exceptionnel, ne suffit pas a compromettre le principe general. Dans la regle, nous ne parlons pas par signes isoles, mais par groupes de signes, par masses orgarusees qui sont elles-memes des signes. Dans la langue, tout revient a des differences, mars tout revient aussi a des groupements. Ce mecanisme, qui consiste dans un jeu de termes successifs, ressemble au fonctionnement d'une machine dont les pieces ont une action reciproque bien qu'elles soient disposees dans une seule dimension. § 2. FONCTIONNEMENT SDIULTANE DES DEUX FOR'.\IES DE GROlJPE'.\IENTS.* Entre les groupements syntagmatiques, ainsi constitues, il y a un lien d'interdependance ; ils se conditionnent reciproquement. En effet la coordination dans l'espace contribue a creer des coordinations associatives, et celles-ci a leur tour sont necessaires pour I'analyse des parties du syntagme. Solt le compose de­faire. Nous pouvons le representer (258j 178 LINGUISTIQUE sur un ruban horizontal correspondant de'· faire a JNI la chaine parlee .. ,, deco#er depl.ci~er ,• · .. ,.. • la,te reTafre conire/'airt! deco,udre ~le. . etf:. .' ,•' De meme, si le latin quadruplex est un syntagme, qu'il s'appuie aussi sur deux series associatives : .••. quad,:iqle.s c,uad,:iFron.$ quadr;aj,'nla .• e/t. _,1·· , .. serait plus qu'une unite simple et scs deux parties ne seraient plus opposables l'une a l'autre. On comprend des lors le jeu de ce double svsteme dans le ~w~. Mais slmultanement et sur un autre axe, il existe dans le subsconcient une ou plusieurs series associatives comprenant des unites qui ont un element commun avec le syntagme, par exernple : de·­ra ire 179 MECANISME DE LA LANGUE SYNCHRONIQUE c'est ··. Jim/'}le.x lrlp/ex cenl~P,lt1x ·..... iilc. ·... C'est dans la rnesure ou ces autres formes flottent autour de dc/aire ou de quadruplex que ces deux mots peuvent etre decomposes en sous-unites, autrement dit, sont des syntagmes. Ainsi dc/aire serait inanalysable si les autres formes contenant de- ou faire disparaissaient de la langue ; il ne . Notre memoire tient en reserve tous les types de syntagmes plus ou moins complexes, de quelque espece ou etendue qu'ils puissent etre, et au moment de les employer, nous faisons intervenir les group es associatif s pour fixer notre choix. Quand quelqu'un dit marchons /, ii pense inconsciemment a divers groupes d'associations a l'intersection desquels se trouve le syntagme marchons ! Celui-ci figure d'une part dans la serie marche I marchez /, et c'est l'opposition de marchons I avec ces formes qui determine le choix ; d'autre part, marchons I evoque la serie montons I mangeons I etc., au sein de laquelle il est choisi par le merne precede ; dans chaque serie on sait ce qu'il faut faire varier pour obtenir la diflerenciation propre a l'unite cherchee, Qu'on change l'idee a exprimer, et d'autres oppositions seront necessaires pour faire apparaitre une autre valeur ; on dira par exemple marchez !, ou bien mon­ tons I Ainsi ii ne suffit pas de dire, en se placant a un point de vue positif, qu'on prend marchons 1 parce qu'il signifie ce qu'on veut exprimer. En realite I'idee appellc, non une forme, mais tout un systerne latent, grace auquel on obtient les oppositions necessaires a la constitution du signe. Celuici n'aurait par lui-merne aucune signification propre. Le jour ou il n'y aurait plus marche I marchez J en face de mar­ chons !, certaines oppositions tomberaient et la valeur de marchons ! serait changee ipso facto • Ce principe s'applique aux syntagmes et aux phrases de tous les types, meme les plus complexes. Au moment ou nous prononcons la phrase : « que vous dit-il ? », nous Iaisons varier un element dans un type syntagrnatique latent, par exemple « que le dit-il ? » - « que nous dit-il ? », 180 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE ARBITRAIRE etc., et c'est par la que notre choix se fixe sur le pronom vous. Ainsi dans cette operation, qui consiste a eliminer mentalement tout ce qui n'amene pas la differenciation voulue sur le point voulu, les groupements associatifs et les types syntagmatiques sont tous deux en jeu. Inversement ce precede de fixation et de choix regit lcs (259] unites les plus minimes et jusqu'aux elements phonologiques,* quand ils sont revetus d'une valeur. Nous ne pensons pas seulement a des cas comme pslil (ecrit « petite ») vis-a-vis de p.1ti (ecrit « petit »), ou lat. dotnini vis-a-vis de domino, etc., ou la difference repose par hasard sur un simple phoneme, mais au fait plus caracteristique et plus delicat, qu'un phoneme joue par Iui-meme un role dans le systeme d'un etat de langue. Si par exemple en grec m, p, t, etc., ne peuvent jamais figurer a la fin d'un mot, cela revient a dire que leur presence ou leur absence a telle place compte dans la structure du mot et dans celle de la phrase. Or dans tous les cas de ce genre, le son isole, comme toutes les autres unites, sera choisi a la suite d'une opposition mentale double : ainsi dans le groupe imaginaire anma, le son m est en opposition syntagmatique avec ceux qui l'entourent et en opposition associative avec tous ceux que l'esprit peut suggerer, soit: ABSOLU ET L'ARBITRAIRE RELATIF.'lt Le mecanisme de la langue peut etre presente sous un autre angle particulierernent important. Le principe fondamental de I'arbitraire du signe n'empeche pas de distinguer dans chaque langue ce qui est radicalement arbitraire, c'est-a-dire immotive, de ce qui ne l'est que relativement. Une partie seulement des signes Ainsi vingt est immotive, mais dix­neu/ ne l'est pas au meme degre, parce qu'il evoque les termes dont il se compose et d'autres qui lui sont associes, par exemple di:t, neu/, vingt­neu/, dix­huii, soizante­dix; etc. ; pris separement, dix et neu/ sont sur le meme pied que vingt, mais dixrntu/ presente un cas de motivation relative. Il en est de meme pour poirier, qui rappelle le mot simple poire et dont le suffixe ­ier fait penser a cerisier, pommier, etc. ; pour /rhie, chine, etc., rien de semblable. Comparez encore berger, completement immotive, et oacher, relativement motive ; de meme les couples geole et cachot, hache et couperet, concierge et pottier, jadis et auirejois, souoeni et /requonment, aveugle et boiteuz, sourd et bossu, second et deuzieme, all. Laub et fr. feuillage, fr. metier et all. Handwerk. Le pluriel anglais ships • navires » rappelle par sa formation toute la serie flags, birds, books, etc., tandis que men • hommes », sheep • moutons • ne rappellent rien. En grec d6so « je donnerai • exprime l'idee de futur par un signe qui eveille !'association de lilso, stlso, tupso, etc .• tan dis que eimi « j'irai • est tout fait isole. Ce n'est pas le lieu de rechercher les facteurs qui conditionnent dans chaque cas la motivation ; mais celle-ci est toujours d'autant plus complete que l'analyse syntagmatique est plus aisee et le sens des sous-unites plus evident. En effet, s'il y a des elements formatifs transparents, comme ­ier dans poir­ier vis-a-vis de eeris­ier, pomm­ier, etc., il en est d'autres dont la signification est trouble ou tout A fait nulle ; ainsi [usqu'a quel point le suffixe -ot correspondii a un element de sens dans cachot ?*En rapprochant des [261 J mots tels que coutdas, f airas, plairas, canevas, on a le vague sentiment que ­as est un element formatif propre a d L'ARBITRAIRE l81 motive. v § 3. RELATIP est absolument arbitraire ; chez d'autres intervient un phenomene qui pennet de reconnaitre des degres dans l'arbitraire sans le supprimer : le signe peut ~re relaiioemeni an ma (260) ABSOLU ET ARBITRAIRE L 182 LINGUISTIQUE SYNCHRONJQUE aux substantifs, sans qu'on puisse le deflnir plus exactement. D'ailleurs, meme dans les cas les plus favorables, la motivation n'est jamais absolue. Non seulement les elements d'un signe motive sont eux-memes arbitraires (cf. dix et neu/ de diz.neuf), mais la valeur du terme total n'est jamais egale a la somme des valeurs des parties ; poir x ier n'est pas egal a poir­s­ier (voir p. 176). Quand au phenomene lui-meme, il s'explique par les principes enonces au paragraphe precedent : la notion du relativement motive implique : 1° l'analyse du terme donne, done un rapport syntagmatique ; 20 l'appel a un ou plusieurs autres termes, done un rapport associatif. Ce n'est pas autre chose que le mecanisme en vertu duquel un terme quelconque se prete a l'expression d'une idee. Jusqu'ici, les unites nous sont apparues comme des valeurs, c'est-a-dire comme les elements d'un systeme, et nous les avons considereessurtout dans leurs oppositions ; maintenant nous reconnaissons les solidarites qui les relient ; elles sont d'ordre associatif et d'ordre syntagmatique, et ce sont elles qui limitent l'arbitraire. Dix­ neu/ est solidaire associativement de dix­huit, soixanie­dix etc., et syntagmatiquement de ses elements dix et neu/ (voir p. 177). Cette double relation lui confere une partie de sa valeur. Tout ce qui a trait a la langue en tant que systeme demande, c'est notre conviction, a etre aborde de ce point de vue, qui ne retient guere les linguistes : la limitation (262] de l'arbitraire.* C'est la meilleure base possible. En effet tout le systeme de la langue repose sur le principe irrationnel de I'arbitraire du signe qui, applique sans restriction, aboutirait a la complication supreme ; mais l'esprit reussit a introduire un principe d'ordre et de regularite dans certaines parties de la masse des signes, et c'est la le role du relativement motive. Si le mecanisme de la langue etait entierement rationnel, on pourrait l'etudier en luimeme ; mais comme il n'est qu'une correction partielle 1 I! ARBITRAJRE ABSOLU ET ARBITRAIRE RELATIF 183 d'un systeme naturellement chaotique, on adopte le point de we impose par la nature meme de la langue, en etudiant ce (263] mecanisme comme une limitation de l'arbitraire:* II n'existe pas de langue oil rien ne soit motive ; quant a en concevoir une ou tout le serait, cela serait impossible par definition. Entre les deux limites extremes - minimum d'organisation et minimum d'arbitraire - on trouve toutes les varietes possibles. Les divers idiomes renferment toujours des elements des deux ordres - radicaleruent arhitraires et relativement motives - mais dans des proportions tres 'variables, et c'est la un caractere important, qui peut cntrer en ligne de compte dans leur classement. En un certain sens - qu'il ne faut pas serrer de trop pres, mais qui rend sensible une des formes de cette opposition - on pourrait dire que les Iangues oil l'irnmotivite atteint son maximum sont plus lexicologiques, et celles oil il s'abaisse au minimum, plus grammalicales. Non que <, lexique » et « arbitraire » d'une part, « grammaire » et « motivation relative » de l'autre, soient toujours synonymes ; mais ii y a quelque chose de commun dans le principe. Ce sont comme deux poles cntre lesquels se meut tout le systerne, deux courants opposes qui se partagent le mouvement de la langue : la tendance a employer l'instrument lexicologique, le signe immotive, et la preference accordee a l'Instrument grammatical, c'est-a-dire a la regle de construction. On verrait par exemple que l'anglais donne une place beaucoup plus considerable :\ l'immotive que l'allemand; rnais le type de I'ultra-lexicologique est le chinois, tandis que l'indo-europeen et le sanscrit sont des specimens de l'ultra-grammatical. Dans l'interieur d'une rneme langue, tout le mouvement de l'evolution peut etre marque par un passage continuel du motive a l'arbitraire et de l'arbitraire au motive ; ce va-et-vient a souvent pour resultat de deplacer sensiblement les proportions de ces deux categories de 184 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE signes. Ainsi le franeais est caracterise par rapport au latin, entre autres choses, par un enorme accroissement de l'arbitraire: tandis qu'en latin inimicus rappelle in- et amicus et se motive par eux, ennemi ne se motive par rien ; ii est rentre dans l'arbitraire absolu, qui est d'ailleurs la condition essentielle du signe linguistique. On constaterait ce deplacement dans des centaines d'exemples : cf. constiire (stare) : coiiier, f abrica (Jaber) : forge, ma gist er (magis) : ma Ure, berbiciirius (berb'ix) : berger, etc. Ces changements donnent une physio(264) nomie toute particuliere au francais.* CHAPITRE VII LA GRAMMAIRE ET SES SUBDIVISIONS § 1. DEFINITIONS; DIVISIONS TRADITIONNELLES,* (265) La linguistique statique ou description d'un etat de langue peut ~tre appelee grammaire, dans le sens tres preeis, et d'ailleurs usuel, qu'on trouve dans les expressions « grammaire du jeu d'echec J), « grammaire de la Bourse », etc., ou ii s'agit d'un objet complexe et systematique, mettant en jeu des valeurs coexistantes. La grammaire etudie la langue en tant que systeme de moyens d'expression ; qui dit grammatical dit synchronique et significatif, et comme aucun systeme n'est a cheval sur plusieurs epoques a la fois, ii n'y a pas pour nous de «·grammaire historique 11; ce qu'on appelle ainsi n'est en realite que la linguistique diachronique.* (266) Notre definition ne concorde pas avec celle, plus restreinte, qu'on en donne generalement. C'est en effet la morphologie et la syntaxe reunies qu'on est convenu d'appeler grammaire, tandis que la lexicologie ou science des mots en est exclue. Mais d'abord ces divisions repondent-elles a la realite '! Sont-elles en harmonie avec les principes que nous venons de poser? La morphologie traite des diverses categories de mots (verbes, noms, adjectifs, pronoms, etc.) et des differentes formes de la flexion (conjugaison, declinaison). Pour sepa- 186 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE rer cette etude de la syntaxe, on allegue que cette demiere, a pour objet les fonctions attachees aux unites linguisticJ.ues tandis que la rnorphologie n'envisage que leur forrne ; eJle se contente par exemple de dire que le genetif du grec phrilax 1, gardien » est pbulakos, et la syntaxe renseigne sur l'emploi de ces deux forrnes. Mais cette distinction est illusoire : la serie des forrnes du substantif phulax ne devient paradigme de flex.ion que par la comparaison des fonctions attachees aux differentes forrnes; reciproquement; ces fonctions ne sont justiciables de la rnorphologie que si a chacune d'elles correspond un signe phonique determine. Une declinaison n'est ni une liste de forrnes ni une serie d'abstractions logiques, mais une combinaison de ces deux choses (voir p. 144): Iormes et fonctions sont solidaires, et il est difficile, pour ne pas dire impossible, de les separer. Linguistiquement, la morphologie n'a pas d'objet reel et autonome ; elle ne peut constituer une discipline distincte de la syntaxe. D'autre part, est-ii logique d'exclure la lexicologie de la grammaire ? A premiere vue les mots, tels qu'ils sont enregistres dans le dictionnaire, ne semblent pas donner prise a l'etude grammaticale, qu'on limite generalement aux rapports existants entre les unites. Mais tout de suite on constate qu'une foule de ces rapports peuvent etre exprimes aussi bien par des mots que par des moyens grammaticaux. Ainsi en latin fio et facio s'opposent de la meme maniere que dicor et dico, forrnes grammaticales d'un meme mot ; en russe la distinction du perfectif et de l'imperfectif est rendue grammaticalement dans sptosit' : sprdsivat' « demander », et lexicologiquement dans skauu' : govorlt' « dire ». On attribue generalement les prepositions a la grammaire ; pourtant la locution prepositionnelle en consi­ deration de est essentiellement lexicologique, puisque le mot consideration y figure avec son sens propre. Si l'on compare grec peilho : pdthomai avec !ran~. je persuade : DIVISIONS RATIONNELLES DE LA GRAMMAIRE 187 j'obeis, on voit que I'opposition est rendue grammaticalement dans le premier cas et lcxicologiquementdans le second. Quantite de rapports exprimes dans certaines langues par des cas ou des prepositions sont rendus dans d'autres par des composes, deja plus voisins des mots proprement dits (franc. royaume des cieux et all. Himmerleich), ou par des derives (franc. moulin a vent et polon. wiatr­ak) ou enfin par des mots simples (franc. bois de chauffage et russe drovd, franc. bois de construction et russe les). L'echange des mots simples et des locutions composees au sein d'une merne langue (cf. considerer et prendre en consideration, se venger de et tirer vengeance de) est egalernent tres frequent. On voit done qu'au point de vue de la fonction, le fait lexicologique peut se confondre avec Ie fait syntaxique. D'autre part, tout mot qui n'est pas une unite simple et irreductible ne se distingue pas essentiellement d'un membre de phrase, .d'un fait de syntaxe; l'agencement des sous-unites qui le composent obeit aux memes principes fondamentaux que la formation des groupes de mots. En resume, les divisions traditionnelles de la grammaire peuvent avoir leur utilite pratique, mais ne correspondent pas a des distinctions naturelles et ne soot unies par aucun lien logique. La grammaire ne peut s'edifler que sur un principe different et superieur. § 2. L DIVISIONS RATIONNELLES.* L'interpenetration de la morphologie, de la syntaxe et de la lexicologie s'explique par la nature au fond identique de tous les faits de synchronie. 11 ne peut y avoir entre eux aucune limite tracee d'avance. Seule la distinction etablie plus haut entre les rapports syntagmatiques et les rapports associatifs suggere un mode de classement qui s'impose de lui-meme, le seul qu'on puisse mettre a la base du systeme grammatical. {267 188 UNGUISTIQUE SYNCIIRONIQUE Tout ce qui compose un etat de langue doit pouvoir ltre ramene a une theorie des syntagmes et a une theorie des associations. Des maintenant certaines parties de la grammaire traditionnelle semblent se grouper sans effort dans l'un ou l'autre de ces ordres : la flexion est evidemment une forme typique de l'association des formes dans l'esprit des sujets parlants; d'autre part la syntaxe, c'est-a-dire, selon la definition la plus courante, la theorie des groupements de mots, rentre dans la syntagmatique, puisque ces groupements supposent toujours au moins deux unites distribuees dans l'espace. Tous les faits de syntagmatique ne se classent pas dans la syntaxe, mais tous les faits de syntaxe appartiennent a la syntagmatique. N'importe quel point de grammaire montrerait I'importance qu'il y a a etudier chaque question a ce double point de vue. Ainsi la notion de mot pose deux problemes distincts, selon qu'on la considere associativement ou syntagmatiqnement ; l'adjectif grand oflre dans le syntagme une dualite de fonue (gra garso « grand gareon » et grat dfa • grand enfant »), et associativement une autre dualite (masc. grd « grand», fem. grad« grande »). 11 faudrait pouvoir ramener ainsi chaque fait a son ordre, syntagmatique ou associatif, et coordonner toute la matiere de la· gramma.ire sur ses deux axes naturels ; seule cette repartition montrerait ce qu'il faut changer aux cadres usuels de la linguistique synchronique. Cette tache ne pent naturellement pas ~tre entreprise ici, on l'on se borne a poser les principes les plus generaux. CHAPITRE Vlll ROLE DES ENTITJ!S ABSTRAITES EN GRAMMAIRE*[268J 11 y a un sujet important qui n'a pas encore ete toucheet qui montre justement la necessite d'examiner toute question grammaticale sous les deux points de vue distingues plus haut. 11 s'agit des entites abstraites en grammaire. Envisageons-les d'abord sous l'aspect associatif. Associer deux formes, ce n'est pas seulement sentir .qu'elles offrent quelque chose de commun, c'est aussi distinguer la nature des rapports qui regissent les associations. Ainsi les sujets ont conscience que la relation qui unit enseianer a enseignement ou juger a jugement n'est pas la meme que celle qu'ils constatent entre enseignement et fugement (voir p. 173 sv.). C'est par la que le systeme des associations se rattache a celui de la grammaire. On peut dire que la somme des classements conscients et methodiques faits par le grammairien qui etudie un etat de langue sans Iaire intervenir l'histoire doit coincider avec la somme des associations, conscientes ou non, mises en jeu dans la parole. Ce sont elles qui fixent dans notre esprit les families de mots, les paradigmes de flexion, les elements formatifs : radicaux, suffixes, desinences, etc. (voir p. 253 sv.). Mais l'association ne degage-t-elle que des elements materiels ? Non, sans doute ; nous savons deja qu'elle rapproche des mots relies par le sens seulement (cf.enseigne- 190 LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE menf, apprentissage, education, etc.) ; ii doit en etr(\ <le merne en grammaire : soit les trois genitifs latins : 'domin­i, ,·,;g­is, ros­iirum ; les sons des trois desinences n'ofTrent aucune ana- logie qui donne prise a l'association ; mais elles sont pourtant rattachees par le sentiment d'une valeur commune qui dicte un emploi idcntique ; cela suflit pour creer l'association en l'absence de tout support materiel, et c'est ainsi que la notion de genitif en soi prend place dans la languc. C'est par un precede tout semblable que les desinences de flexion ­us -i ­6, etc. (dans dominus, dotnini, domino, etc.), sont reliees dans la conscience et degagent Jes notions plus generales de cas et de desinence casuelle. Des associations du meme ordre, mais plus larges encore, relient tous les substantifs, tous les adjectifs, etc., et fixent la notion des parties du discours. Toutes ces choses existent dans la langue, mais a titre d'entiles abstraiies ; leur etude est difficile, parce qu'on ne peut savoir exactement si la conscience des sujets parlants va toujours aussi loin que les analyses du grammairien. Mais l'essentiel est que les eniiies abstraites reposent toujours, en derniere analyse, sur Les eniiies concretes. Aucune abstraction grammaticale n'est possible sans une serie d'elernents materiels qui lui sert de substrat, et c'est toujours a ces elements qu'il faut revenir en fin de compte. Plaeons-nous maintenant au point de vue syntagmatique. La valeur d'un groupe est souvent liee a l'ordre de scs elements. En analysant un syntagme, le sujet parlant ne se borne pas a en distinguer les parties ; il constate entre elles un certain ordre de succession. Le sens du Irancais desir­eux ou du latin siqni­jer depend de la place respective des sous-unites : on ne saurait dire eux­desir ou [er­siqnum. Une valeur peut meme n'avoir aucun rapport dans un element concret (tel que -eux ou -fer) et resulter de la seule ordonnance des termes ; si par exemple en franeais Jes deux groupes je dois et dois­je ? ont des significations diflerentes ENTITES ADSTRAITES 191 cela ne tient qu'a l'ordre des mots. Une langue exprime quelquefois par la succession des termes une idee qu'une autre rendra par un on plusieurs termes concrets ; l'anglals, dans le type syntagmatique gooseberry wine << vin de groseilles », gold watch cc montre en or n, etc., exprime par l'ordre pur et simple des termes des rapports que le franeais moderne marque par des prepositions , a son tour, le franeais modcrne rend la notion de complement direct uniquement par la position du substantif apres le verbe transitif (cf. je cueille une {leur), tandis quc le latin et d'autres langues le font par l'emploi de l'accusatif, caracterise par des desirrences speciales, etc. Mais si l'ordre des mots est incontestablement une entite abstraite, il n'en est pas moins vrai qu'elle ne doit son existence qu'aux unites concretes qui la contienncnt et qui courent sur une seule dimension. Cc serait une erreur de croire qu'il y a une syntaxe incorporelle en dehors de ces unites materielles distribuees dans l'espace. En anglais Ifie man I have seen (u l'homme que j'ai vu 1)) nous montre un fait de syntaxe qui semble represente par zero, tandis que le francais le rend par que. Mais c'est justement la cornparaison avcc le fait de syntaxe francais qui produit cette illusion que le neant peut exprimer quelque chose ; en realite, les unites materielles, alignees dans un certain ordre, creent seules cette valeur. En dehors d'une somme de termes concrets on ne saurait raisonner sur un cas de syntaxe. D'ailleurs, par le seul fait que l'on comprend un complexus linguistique (par exemple les mots anglais cites plus haut), cette suite de termes est l'expression adequate de la pensee. Une unite materielle n'existe que par le sens, la fonction dont elle est revetue ; ce principe est particulierernent important pour la connaissance des unites restreintes, parce qu'on est tente de croire qu'elles existent en vertu de leur pure materialite, que par exemple aimer ne doit son 192 I Ji LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE existence qu'aux sons qui le composent. Inversement comme on vient de le voir - un sens, une fonction n'existent que par le support de quelque forme materielle ; si ce principe a ete formule apropos des syntagmes plus eteridus ou types syntaxiques, c'est qu'on est porte a y voir des abstractions immatertelles planant au-dessus des termes de la phrase. Ces deux principes, en se completant, concordent avec nos affirmations relatives a la delimitation des unites (voir p. 145). TROISIEME PARTIE LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE I: CHAP ITRE PREMIER G~N~RALIT~S I: l * La linguistique diachronique etudie, non plus les rapports entre termes coexistants d'un etat de langue, mais entre termes successifs qui se substituent les uns aux autres dans le temps. En etTet I'immobilite absolue n'existe pas (voir p. 110 sv.); toutes les parties de la langue sont soumises au chair gement ; a chaque periode correspond une evolution plus au moins considerable. Celle-ci peut varier de rapidite et d'intensite sans que le principe lui-meme se trouve inflrme ; le fleuve de la langue coule sans interruption ; que son cours soit paisible ou torrentucux, c'est une consideration secondaire. 11 est vrai que cette evolution ininterrompue nous est souvent voilee par l'attention accordee a la langue litteraire ; celle-ci, comme on le verra p. 267 sv., se superpose a la langue vulgaire, c'est-a-dire a la langue naturelle, et est soumise a d'autres conditions d'existence. Une fois formee, elle reste en general assez stable, et tend a demeurer identique a elle-meme ; sa dependance de l'ecriture lui assure des garanties speciales de conservation. Ce n'est (269) 194 195 UNGUISTIQUE DIACHRONIQUE GENERALITES done pas elle qui peut nous montrer a quel point sont variables les langues naturelles degagees de toute reglementation litteraire, La phonetique, et la phonetique tout entiere, est le premier objet de la linguistique diachronique ; en effet l'evolution des sons est incompatible avec la notion d'etat ; comparer des phonemes ou des groupes de phonemes avec ce qu'ils ont ete anterieurement, cela revient a etablir une diachronie. L'epoque antecedente peut etre plus ou moins rapprochee ; mais quand l'une et l'autre se confondent, la phonetique cesse d'intervenir ; il n'y a plus que la description des sons d'un etat de langue, et c'est a la phonologie de le faire. Le caractere diachronique de la phonetique s'accorde fort bien avec ce principe que rien de ce qui est phonetique n'est significatif ou grammatical, dans le sens large du terme (voir p.36). Pour faire l'histoire des sons d'un mot, on peut ignorer son sens, ne- considerant que son enveloppe materielle, y decouper des tranches phoniques sans se demander si elles ont une signification; on cherchera - par exemple ce que devient en grec attique un groupe ­euio­, qui ne signifie rien. Si l'evolution de la langue se reduisait a celle des sons, l'opposition des objets propres aux deux parties de la linguistique serait tout de suite lumineuse : on verrait clairement que diachronique equivaut a non-grammatical, comme synchronique a grammatical. Mais n'y-a-t-il que les sons qui se transforment avec le temps ? Les mots changent de signification, les categories grammaticales evoluent ; on en voit qui disparaissent avec les formes qui servaient a les exprimer (par exemple le duel en latin). Et si tous Jes faits de synchronie associative et syntagmatique ont leur histoire, comment maintenir la distinction absolue entre la diachronie et la synchronie ? Cela devient tres difficile des que l'on sort de la phonetique pure. Remarquons cependant que beaucoup de changements tenus pour grammaticaux se resolvent en des changements phonetiques. La creation du type grammatical de l'allemand Hand: Hiinde, substitue a hant: hanii (voir p. 120), s'explique entierement par un fait phonetique. C'est encore un fait phonetique qui est a la base du type de composes Springbrunnen, Reiischule, etc. ; en vieux haut allemand le premier element n'etait pas verbal, mais substantif ; beta­hiis voulait dire « maison de priere » ; cependant la voyelle finale etant tombee phonetiquement (beta­e­bei­, etc.), il s'est etabli un contact semantique avec le verbe (beten, etc), et Bethaus a fini par signifier « maison pour ·prier». Quelque chose de tout semblable s'est produit dans les composes que l'ancien germanique formait avec le mot lien « apparence exterieure » (cf. mannolicii « qui a l'apparence d'un homme », redolich « qui a l'apparence de la raison »], Aujourd'hui, dans un grand nombre d'adjectifs (cf. oerzeiblidi, glaub­ lich, etc.), ­lich est devenu un suffixe, comparable a celui de pardonn­able, croij­able, etc., et en meme temps l'interpretation du premier element a change : on n'y apercoit plus un substantif, mais une racine verbale ; c'est que dans un certain nombre de cas, par chute de la voyelle finale du premier element (par exemplc redo­­+red­), celui-ci a ete assimile a une racine verbale (red­ de reden). Ainsi dans glaublich, glaub­ est rapproche de glauben plutot que de Glaube, et malgre Ia difference du radical, sichl­ lich est associe a sehen et non plus a Sicht. Dans tous ces cas et bien d'autres semblables, la distinction des deux ordres reste claire ; il faut s'en souvenir pour ne pas affirmer a la legere qu'on fait de la grammaire historique quand, en realite, on se meut successivement dans le domaine diachronique, en etudiant le changement phonetique, et dans le domaine synchronique, en examinant les consequences qui en decoulent. 196 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE Mais cette restriction ne leve pas toutes les difficultes. L'evolution d'un fait de grarrunaire quelconque, groupe associatif ou type syntagmatique, n'est pas comparable a celle d'un son. Elle n'est pas simple, elle se decompose en une foule de faits particuliers dont une partie seulement rentre dans la phonetique, Dans la genese d'un type syntagmatique tel que le futur francais prendre ai, devenu pretulrai, on distingue au minimum deux faits, l'un psychologique : la synthese des deux elements du concept, l'autre phonetique et dependant du premier : la reduction des deux accents du groupe a un seul (prendre al+­prendrai). La flexion du verbe fort germanique (type all. moderne geben, gab, gegeben, etc., cf. grec leipo, elipon, leloipa, etc.), est Iondee en grande partie sur le jeu de l'ablaut des voyelles radicales. Ces alternances (voir p. 215 sv.) dont le systeme etait assez simple a l'origine, resultent sans doute d'un fait purement phonetique ; mais pour que ces oppositions prennent une telle importance fontionnelle, il a fallu que le systeme primitif de la flexion se simplifie par une serie de proces divers : disparition des varietes multiples du present et des nuances de sens qui s'y rattachaient, disparition de l'imparfait, du futur et de l'aoriste, elimination du redoublement du parfait, etc. Ces changements, qui n'ont rien d'essentiellement phonetique, ont reduit la flexion verbale a un groupe restreint de formes, oil les alternances radicales ont acquis une valeur significative de premier ordre. On peut affirmer par exemple que l'opposition e : a est plus significative dans geben : gab que l'opposition e: o dans le grec leipo: ldoipa, a cause de l'absence de redoublernent dans le parfait allemand. Si done la phonetique intervient le plus souvent par un cote quelconque dans l'evolution, elle ne peut l'expliquer tout entiere ; le facteur phonetique une fois elimine, on trouve un residu qui semble justifier l'idee « d'une histoirc de la grammaire » ; c'est la qu'est la veritable difficulte ; la T r' I GENERALITES 197 . tiion --qui. d 01it \;Atre main . t enue - en t re l e diac h rom. distmc que et le synchronique demanderait des explications delicates, incompatibles avec le cadre de ce cours1• Dans ce qui suit, nous etudions successivement les changements phonetiques, l'alternance et les faits d'analogie, pour terminer par quelques mots sur l'etymologie populaire et l'agglutination. t., A cette raison dldactlque et exterieure s'en ajoute peut-etre une autre : F. de Saussure n'a [amals aborde dans ses leeons ia llngulstlque de la parole (v. p, 36 sv.). On se souvtent qu'un nouvel usage commence touJours par une serle de falls lndlviduels (volr p. 138). On pourralt admettre que l'auteur refusait a ceux-ci le caractere de falls grammatlcaux, en ce sens qu'un acte Isole est torcement etranger a la Iangue et a son systeme Jequel ne depend que de l'ensemble des habitudes collectives. Tant que les fails appartiennent a la parole, lls ne sont que des manleres speciales et tout occaslonnelles d'utiliser le systeme etabll. Ce n'est qu'au moment ot& une Innovation, souvent repetee, se grave dans la memolre et entre dans Je systeme, qu'elle a pour effet de deplacer I'equlllbre des valeurs et que la langue se trouve ipso /aclo et spontanement changee. On pourralt appliquer a I'evolutlon grammatlcnle ce qui est dit pp. 36 et 121 de l'evolutlon phonetlque : son devenir est exterieur au systeme, car celul-el n'est Jamais apercu dans son evolution ; nous le trouvons autre de moment en moment. Cet essai d'expllcation est d'allleurs une simple suggestion de notre part ( ss.). -r I CONDITIONS DES CHANGEMENTS PHONETIQUES [our, confirmerait la parfaite regularite de ces transformations. § 2. CHAPITRE II LES CHANGEMENTS PHONETIQUES § 1. (270) LEUR REGULARITE ABSOLUE.* On a vu p. 132 que le changement phonique n'atteint pas les mots, mais les sons. C'est un phoneme qui se transforme : evenement isole, comme tous les evenements diachroniques, mais qui a pour consequence d'alterer d'une facon identique tous les mots on figure le phoneme en question ; c'est en ce sens que les changements phonetiques sont absolument reguliers. En allemand tout i est devenu ei, puis ai : uiin, triben, linen, zit, ont donne \Vein, treiben, leihen, Zeit ; tout ii. est devenu au: hiis, ziin, riicn­e­Haus, Zaun, Rauch ; de merne ii s'est change en eu : hiisir+Hiiuser, etc. Au contraire la diphtongue ie a passe a i, que l'on continue a ecrire ie : cf. bieqen, lieb, Tier. Parallelement, tous les uo sont devenus i1 : muot­s­Mui, etc. Tout z (voir p. 59) a donne s (ecrit ss) : wazer­Wasser, Iliezen­s­Iliessen, etc. Tout h interieur a disparu entre voyelles : lihen, seben­s­Ieien, seen (ecrits leihen, sehen). Tout w s'est translorme en v labiodental (ecrit w): uxuer­e­uiosr (Wasser). En francais, tout l mouille est devenu y (jod) : piller, bouillir se prononcent piy(!, buyir, etc. En latin, ce qui a ete s intervocalique apparait comme r a une autre epoque : •genesis, •asena­generis arena. etc. N'importe quel changement phonetique, vu sous son vrai 199 CONDITIONS DES CHANGEMENTS PHONETIQUES. Les exemples precedents montrent deja que les phenomenes phonetiques, loin d'etre toujours absolus, sont le plus souvent lies a des conditions determinees : autrement dit, ce n'est pas l'espece phonologique qui se transforme, mail, le phoneme tel qu'il se presente dans certaines conditions d'entourage, d'accentuation, etc. C'est ainsi que s n'est devenu r en latin qu'entre voyelles et dans quelques autres positions, ailleurs il subsiste (cf. est, senex, equos). · Les changements absolus sont extremement rares ; ils ne paraissent sou vent tels que par le caractere cache ou trop general de la condition ; ainsi en allemand i devient ei, ai, mais seulement en syllabe tonique; le k, indo-europeen devient h en germanique (cf. indo-europeen k.olsom, latin collum all. Hals); mais le changement ne se produit pas apres s (cf. grec skotos et got. skadus « omhre »). D'ailleurs la division des changements en absolus et conditionnels repose sur une vue superficielle des choses ; ii est plus rationnel de parler, comme on le fait de plus en plus, de phenomenes phonetiques spontanes et combina­ loires.* Ils sont spontanes quand ils sont produits par une r271 f cause interne, et combinatoires quand ils resultent de la presence d'un ou plusieurs autres phonemes. Ainsi le passage de o indo-europeen a a germanique (cf. got. skadus, all. Hals, etc.) est un fait spontane. Les mutations consonantiques ou « Lauioerschiebunqen » du germanique sont le type du changement spontane : ainsi le k, indo-europeen devient h en proto-germanique (cf. lat. collum et got. hals). le protogermanique t, conserve en anglais, devient z (prononce ts) en haut allemand (cf. got. taihun, angl. ten, all. zehn). Au contraire, le passage de lat. ct, pt a italien tt (cf. :um+ :;li:;::;•::E comblna.Tette folio, :.:;::0 fait toire, puisque le premier element a ete assimile au second. L'umlaut allemand est du aussi a une cause externe, la presence de i dans la syllabe suivante : tandis que gast ne change pas, gasti donne gesti, Giisle. Notons que dans l'un et I'autre cas le resultat n'est nullement en cause et qu'il n'importe pas qu'il y ait ou non changement. Si par exemple on compare got. fisks avec lat. piscis et got. skadus avec grec sk6tos, on constate dans le premier cas persistance de l'i, dans I'autre, passage de o A a ; de ces deux sons, le premier est reste tel quel, le second a change ; mais l'essentiel est qu'ils ont agi par eux-memes. Si un fait phonetique est combinatoire, ii est. toujours conditionnel ; mais s'il est spontane, ii n'est pas necessairement absolu, car ii peut ~tre conditionne negativement par l'absence de certains facteurs de changement. Ainsi le k; indo-europeen devient spontanement qu en latin (cf. quattuor, inquiiina, etc.), mais ii ne faut pas qu'il soit suivi, par exemple, de o ou de u (cf. eotiidie, colo, secundus, etc.). De meme, la persistance de i indo-europeen dans got. fisks, etc. est liee a une condition : ii ne faut pas qu'il soit suivi de r ou h, auquel cas ii devient e, note ai (cf. wair = lat. oir et maihstus = all. Mist). a, § 3. POINTS DE METHODE. Les formules qui expriment les phenomenas doivent tenir compte des distinctions precedentes, sous peine de les presenter sous un jour faux. Voici quelques exemples de ces inexactitudes. D'apres l'ancienne formulation de la loi de Verner, 1t en germanique tout p non initial a ete change en d si I'aecent le suivait 11 : cf. d'une part •ta}er+­*Jader (all. \later), *lipume+­*liaume all. lilten), d'autre part, •pris (all. drei), *broper (all. Bruder), *lijo all. leide), ou p subsiste). attri:::~:•r:l: ::;:0:·accent et intro:i: Iormule une clause restrictive pour J> initial. En realite, le phenornene est tout different: en germanique, comme en latin, J> tendait a se sonoriser spontanement a I'interieur du mot; seul l'accent place sur la voyelle precedente a pu I'en empecher. Ainsi tout est renverse : le fait est spontane, non combinatoire, et l'accent est un obstacle au lieu d'etre la cause provoquante 11 faut dire : « Tout p interieur est devenu a moins que l'accent place sur la voyelle precedents ne s'y soit oppose. Pour bien distinguer ce qui est spontane et ce qui est combinatoire, ii faut analyser les phases de la transformation et ne pas prendre le resultat mediat pour le resultat lmmediat. Ainsi pour expliquer la rotacisation (cf. latin •genesis+­generis), ii est inexact de dire que s est devenu r entre deux voyelles, car s, n'ayant pas de son larynge, ne peut jamais donner r du premier coup. En realite il y a deux actes : s devient z par changement combinatoire ; mais z, n'ayant pas ete maintenu dans le systeme phonique du latin, a ete remplace par le son tres voisin r, et ce changement est spontane. Ainsi par une grave erreur on confondait en un seul phenomena deux faits disparates; la faute consiste d'une part a prendre le resultat mediat pour l'immediat (s +- r au lieu de z -+- r) et d'autre part, a poser le phenomene total comme combinatoire, alors qu'il ne l'est pas*dans sa premiere partie. C'est comme si l'on (272) disait qu'en francais e est devenu a devant nasale. En realite ii y a eu successivement changement combinatoire, nasalisation de e par n (cf. lat. uenium +- Iranc. vent, lat. femi­ na +- Iranc. [em» fem.J) puis changement spontane de e en ci (cf. v<i.nt, f<i.m;,, actuellement vci, /am). En vain objecterait-on que cela n'a pu se passer que devant consonne nasale : il ne s'agit pas de savoir pourquoi e s'est nasalise, mais seulement si la transformation de e en ci est spontanee ou combinatoire. L 202 LJNGUISTIQUE DJACHRONJQUE La plus grave erreur de methode que nous rappelons ici bien qu'elle ne se rattache pas aux principes exposes plus haut, consiste a fonnuler une loi phonetique au present, comme si les faits qu'elle embrasse existaient une fois pour toutes, au lieu qu'ils naissent et meurent dans une portion du temps. C'est le chaos, car ainsi on supprime toute succession chronologique des evenements. Nous avons deja insiste sur ce point p. 137 sv., en analysant les phenomenes successifs qui expliquent la dualite trikhes : lhriksi. Quand on dit : « s devient r en latin », on fait croire que la rotacisation est inherente a la nature de la langue, et l'on reste embarrasse devant des exceptions telles que causa, risus, etc. Seule la fonnule : « s intervocalique est devenu r en latin a une certaine epoque » autorise a penser qu'au moment ou s passait a r, causa, risus, etc., ri'avaient pas des intervocalique et etaient a l'abri du changement ; en efTet on disait encore caussa, r'issus. C'est pour une raison analogue qu'il faut dire : « ii est devenu e en dialecte ionien (cf. mater­+­ m€ter, etc.), car sans cela on ne saurait que faire de formes telles que pdsa, phiisi, etc. (qui etaient encore pansa, phansi, etc .. a l'epoque du changement). § 3. CAUSES DES CHANGEMENTS PHONETIQUES. La recherche de ces causes est un des problemes les plus difficiles de la linguistique. On a propose plusieurs explications, dont aucune n'apporte une lumiere complete. I. On a dit que la race aurait des predispositions trac;ant d'avance la direction des changements phonetiques. 11 y a la une question d'anthropologie comparee : mais l'appareil phonatoire varie-t-t-il d'une race a l'autre? Non, guere plus que d'un individu a un autre ; un negre transplants des sa naissance en France parle le franeais aussi bien que les indigenes, De plus, quand on se sert d'expressions telles que « l'organe italien » ou « Ia bouche des Germains n'ad- CAUSES DES CHANGEMENT PHONETIQUES 203 met pas cela », on risque de transformer en caractere permanent un fait purement historique ; c'est une errcur comparable a celle qui fonnule un phenornene phonetique au present ; pretendre que l'organe ionien est contraire a Ta long et le change en e, est tout aussi faux que de dire : a « devient ,1 e en ionien. L'organe ionien n'avait aucune repugnance a prononcer )'ii, puisqu'il l'admet en certains cas. Il ne s'agit done pas d'une incapacite anthropologique, mais d'un changement dans les habitudes articulatoires. De meme le latin, qui n'avait pas conserve l's intervocalique (*genesis­+­generis) l'a reintroduit un peu plus tard (cf. *rissus­+­ri.sus); ces changements n'indiquent pas une disposition pennanente de l'organe latin. 11 y a sans doute une direction generale des phenornenes phonetiques a une epoque donnee chez un peuple determine ; les monophtongaisons des diphtongues en francais moderne sont les manifestations d'une seule et meme tendance ; mais on trouverait des courants generaux analogues dans l'histoire politique, sans que leur caractere purement historique soit mis en doute et sans qu'on y voie une influence directe de la race. II. On a souvent considere Jes changetnents phonetiques comme une adaptation aux conditions du sol et du climat. Certaines langues du Nord accumulent Jes consonnes, certaines langues du Midi font un plus large emploi des voyelles, d'ou leur son harmonieux. Le climat et les conditions de la vie peuvent bien influer sur la langue, mais le probleme se complique des qu'on entre dans le detail : ainsi a cote des idiomes scandinaves, si charges de consonnes, ceux des Lapons et des Finnois sont plus vocaliques que l'italien lui-rneme. Op. notera encore que l'accumulation des consonnes dans I'allemand actuel est, dans bien des cas, un fait tout recent, du a des chutes de voyelles posttoniques ; que certains dialectes du Midi de la LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE France repugnent moins que le franeais du Nord aux groupes consonantiques, que le serbe en presente autant que le russe moscovite, etc. III. On a fait intervenir la loi du moindre effort, qui remplacerait deux articulations par une seule, ou une articulation difficile par une autre plus commode. Cette idee, quoi qu'on dise, merite l'examen : elle peut elucider la cause du phenomene dans une certaine mesure, ou indiquer tout au moins la direction ou ii faut la chercher. La loi du moindre effort semble expliquer uncertain nombre de cas: ainsi le passage de I'occlusive a la spirante (habere ..... avoir), la chute de masses enormes de syllabes finales dans beaucoup de langues, les phenomenes d'assimilation (par exemple ly-+- ll, •aiyos - gr. dllos, tn ..... nn, •atnos ..... lat. annus), la monophtongaison des diphtongues, qui n'est qu'une variete de I'assimilation (par exemple ai ­ ,, franc, maium ..... m,zo « maison »), etc. Seulement on pourrait mentionner autant de cas on il se passe exactement le contraire. A la monophtongaison on peut opposer par exemple le changement de i ii ii. allemand en ei au eu. Si l'on pretend que l'abregement slave de a, e en a, e est du au moindre effort, alors ii faut penser que le phenomene inverse presente par l'allemand (Jiiter ..... V ater, geben ..­ geben) est du au plus grand effort. Si l'on tient la sonore pour plus facile a prononcer que la sourde (cf. opera ..... prov. obra), l'inverse doit necessiter un effort plus grand, et pourtant I'espagnol a passe de ! ax. (cf. hixo « le fils » ecrit hijo), et le germanique a change b d gen pt k. Si la perte de l'aspiration (cf. indo-europeen. • bherl> ..... germ. beran) est considereecomme une diminution de l'effort, que dire de l'allemand, qui la met la ou elle n'existait pas (Tanne, Pule, etc. prononces Thanne, Phute) ? Ces remarques ne pretendent pas refuter la solution proposee. En fait on ne peut guere determiner pour chaque langue ce qui est plus facile ou plus difficile a prononcer- CAUSES DES CHANGEMENTS PHONETIQUES 205 S'il est vrai que l'abregement correspond a un moindre effort dans le sens de la duree, ii est tout aussi vrai que les prononciations negligees tombent dans la longuc et que la breve demande plus de surveillance. Ainsi, en supposant des predispositions diflerentes on peut presenter deux faits opposes sous une meme coulcur. De meme, la ob k est devenu t§ (cf. lat. cedere ­ ital. cedere), il semble, a ne considerer que les termes extremes du changement, qu'il y ait augmentation d'effort ; mais l'impression serait peut-etre autre si l'on retablissait le chatne : k devient k' palatal par assimilation a la voyelle suivante: puis k' passe a ky ; la prononciation n'en devient pas plus difficile: deux elements enchevetres dans k' ont ete nettement differencies: puis de ky, on passe successivement a ty, ­tx.', tt, partout avec effort moins grand. 11 y aurait la une vaste etude a faire.qui, pour ~tre complete, devrait considerer a la fois le point de vue physiologique(question de l'articulation) et le point de vue psychologique(question de l'attention). IV. Une explication en faveur depuis quelques annees attribue les changements de prononciation a notre education phonetique dans l'enfance. C'est apres beaucoup de tatonnements, d'essais et de rectifications que l'enfant arrive a prononcer ce qu'il entend autour de lui ; la serait le germe des changements ; certaines inexactitudes non corrigees l'emporteraient chez l'individu et se fixeraient dans la generation qui grandit, Nos enfants prononcent souvent t pour k, sans que nos langues presentent dans leur histoire de changement phonetique correspondent; mais il n'en est pas de meme pour d'autres deformations ; ainsi a Paris beaucoup d'enfants prononcent fl'eur, bl'ancaveclmouille; oren italien c'est par un proces analogue que florem a passe a fl'ore puis l fiore. Ces constatations meritent toute attention, mais laissent le probleme intact; en efTet on nevoit pas pourquoi une gene- 206 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE ration convient de retenir telles inexactitudes a ]'exclusion de telles autres, toutes etant egalement naturelles ; en fait le choix des prononciations vicieuses apparalt purement arbitraire, et l'on n'en apereoit pas la raison. En outre, pourquoi le phenomena a-t-il reussi a percer cette Iols-ci plutot qu'une autre? · Cette observation s'applique d'ailleurs a toutes les causes precedentes, si leur action est admise ; l'influence du climat, la predisposition de la race, la tendance au moindre effort existent d'une Iacon permanente ou durable ; pourquoi agissent-elles d'une maniere intermittente, tantot sur un point et tantot sur un autre du systeme phonologique ? Un evenement historique doit avoir une cause determinante ; on ne nous dit pas ce qui vient, dans chaque cas, declancher un changement dont la cause generate existait depuis longtemps. C'est la le point le plus difficilea eclaircir. V. On cherche quelquefois une de ces causes determinantes dans l'etat general de la nation a un moment donne. Les langues traversent des epoques plus mouvementees que d'autres : on pretend les rattacher aux periodes agitees de l'histoire exterieure et decouvrir ainsi un lien entre l'instabilite politique et l'instabilite linguistique; cela fait, on croit pouvoir appliquer aux. changements phonetiques les conclusions concernant la langue en general. On observe par exemple que Jes plus graves bouleversementsdu latin dans son passage aux langues romanes coincident avec l'epoque tres troublee des invasions. Pour ne pas s'egarer, ii faut tenir la main a deux distinctions : a) La stabilite politique n'influe pas sur la langue de la meme Iacon que l'instabilite ; ii n'y a la aucune reciprocite. Quand l'equilibre politique ralentit l'evolution de la langue, ii s'agit d'une cause positive quoique exterieure, tandis que l'instabilite, dont I'eflet est inverse, ne peut agir que negativement. L'immobilite, la fixation relative d'un idiome peut provenir de faits exterieurs a la langue (influence CAUSES DES CHANGEMENTS PHONETIQUES 207 d'une cour, de l'ecole, d'une academic, de l'ecriture, etc.), qui a leur tour se trouvent favorises positivement par l'equilibre social et politique. Au contraire, si quelque bouleversement exterieur survenu dans l'etat de la nation precipite l'evolution linguistique, c'est que la langue revient simplement a l'etat de liberte ou elle suit son cours regulier.*L'immobilite du latin a l'epoque classique est due [273] a des faits exterieurs et ne peut se comparer avec les changaments qu'il a subis plus tard, puisqu'ils se sont produits d'eux-memes, par l'absence de certaines conditions exterieures. b) 11 n'est question ici que des phenomenes phonetiques et non de toute espece de modifications de la langue. On comprendrait que les changements grammaticaux relevent de cet ordre de causes ; Jes faits de grammaire tiennent toujours a la pensee par quelque cote et subissent plus facilement le eontre-coup des boulcversements exterieurs, ceux-ci ayant une repercussion plus immediate sur l'esprit, Mais rien n'autorise a admettre qu'aux epoques agitees de l'histoire d'une nation correspondent des evolutions precipitees des sons d'un idiome. Du reste on ne peut citer aucune epoque, meme parmi celles ou la langues est dans une immobilite factice, qui n'ait connu aucun changement phonetique. VI. On a recouru aussi a l'hypothese du « substrat linguistique anterieur » : certains changements seraient dus a une population indigene absorbee par des nouveaux venus. Ainsi la difference entre la langue d'oc et la langue d'oil correspondrait a une proportion ditlerente de l'element celtique autochtone dans deux parties de la Gaule ; on a applique aussi cette theorie aux diversites dialectales de I'italien, que l'on ramene, suivant Jes regions, a des influences liguriennes, etrusques, etc. Mais d'abord cette hypothese suppose des circonstances qui se rencontrent rarement ; en outre, ii faut preciser : veut-on dire qu'en 208 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE adoptant la langue nouvelle, les populations anterieures y ont introduit quelque chose de leurs habitudes phoniques 'I Cela est admissible et assez naturel ; mais si l'on fait appel de nouveau aux facteurs imponderables de la race, etc., nous retombons dans les obscurites signalees plus haut. VII. Une derniere explication - qui ne merite guere ce nom - assimile les changements phonetiques aux changements de la mode. Mais ces derniers, personne ne les a expliques : on sait seulement qu'lls dependent des lois d'imitation, qui preocupent beaucoup les psychologues. Toutefois, si cette explication ne resout pas le probleme, elle a l'avantage de le faire rentrer dans une autre plus vaste : le principe des changements phonetiques serait purement psychologique. Seulement, oil est le point de depart de l'lmitation, voila le mystere, aussi bien pour les changements phonetiques que pour ceux de la mode. § 5. L'ACTION DES CHANGEMENTS PHONETIQUES EST ILLIMITEE. Si l'on cherche a evaluer l'efTet de ces changements, on voit tres vite qu'il est illimite et incalculable, c'est-a-dire qu'on ne peut pas prevoir oil ils s'arreteront. Il est pueril de croire que le mot ne peut se transformer que [usqu'a uncertain point comme s'il y avait quelque chose en lui qui put le preserver. Ce caractere des modifications phonetiques tient a la qualite arbitraire du signe linguistique, qui n'a aucun lien avec la (27 4 J signification.* On peut bien constater a un moment donne que lessons d'un mot ont eu a souffrir et dans quelle mesure, mais on ne saurait dire d'avance [usqu'a quel point il est devenu ou deviendra meconnaissable. Le germanique a fait passer l'indo-europeen •aiwom (cf. lat. aevom) a •aiwan, •aiwa, •aiw, comme tous les mots presentant la meme finale ; ensuite •aiw est devenu en ancien allemand ew, comme tous les mots renfermant le groupe AC1'10N ILLIMITEE DE CES CHANGEMENTS 209 aiw ; puis, comme tout w final se change en o, on a eu eo; a son tour io a passe a eo, io, d'apres d'autres regles tout aussi generates ; io a donne ensuite ie, [e, pour aboutir en allemand moderne a je (cf. « das schonste, was ich je gesehen babe»). A ne considerer que le point de depart et le point d'arrlvee, le mot actuel ne renf erme plus un seul des elements primitifs ; cependant chaque etape, prise Isolement, est absolument certaine et reguliere ; en outre chacune d'elles est limitee dans son efTet, mais l'ensemble donne I'impression d'une somme illimitee de modifications. On ferait les memes constatations sur le latin calidum, en le comparant d'abord sans transition avcc ce qu'il est devenu en francais moderne (J9, ecrit a chaud »), puis en retablissant les etapes : calidum, calidu, caldu, cald, call, tsalt, tiaut, saut l()I, s9. Comparez encore lat. vulg, •waidanju­+­ ge (ecrit, again»), minus­mwe (ecrit « moins »), hoc illi +- wi (ecrit «oui »). Le phenomena phonetique est encore illimite et incalculable en ce sens qu'il atteint n 'importe quelle espece de signe, sans faire de distinction entre un adjectif, un substantif, etc., entre un radical, un suffixe, une desinence, etc. 11 doit en etre ainsi a priori, car si la grammaire intervenait, le phenomena phonetique se confondrait avec le fait synchronique, chose. radicalement impossible. C'est la ce qu'on peut appeler le caractere aveugle des evolutions de sons.* [275 J Ainsi en grec s est tombe apres n non seulement dans *khiinses 1, oies », •menses « mois » (d'ou khines, menes), ol1 il n'avait pas de valeur grammaticale, mais aussi dans les formes verbales du type *elensa, +ephansa. etc. (d'ou eteina, ephena, etc.), ou ii servait a caracteriser l'aoriste. En moyen haut allernand les voyelles posttoniques l e a o ont pris le timbre uniforme e (gibil +- Giebel, meistar +Meister), bien que la difference de timbre caracterisat 210 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE nombre de desinences ; c'est ainsi que l'acc. sing. boton et le gen. et dat. sing. boten se sont confondus en boten. Si done les phenomenes phonetiques ne sont arretes par aucune limite, ils doivent apporter une perturbation profonde dans l'organisme grammatical. C'est sous cet aspect que nous allons les considerer maintenant. CHAPITRE III CONStQUENCES GRAMMATICALES DE L'tVOLUTION PHON~TIQUE § 1. RUPTURE DU LIEN GRAMMATICAL.* Une premiere consequence du phenomena phonetique est de rompre le lien grammatical qui unit deux ou plusieurs termes. Ainsi ii arrive qu'un mot n'est plus senti comme derive de l'autre. Exemples : mansib ­ •mansioniiticus maison II menage La conscience linguistique voyait autrefois dans •mansrona­ ticus le derive de mansio, puis Jes vicissitudes phouetiques Jes out separes. De meme : (vervex ­ vervecarius) lat. pop. berbis: ­ berbiciirius brebis II berger Cette separation a naturellement son centre-coup sur la valeur : c'est ainsi que dans certains parters locaux berger arrive a signifier specialement « gardien de bceufs •· De meme encore : Griilianopolis ­ grii.lianopolilanus Grenoble II Gresiuaudan decem ­ undecim dix II onze. Un cas analogue est celui de got. bitan I mordre » - (276] 212 biium LINGUISTIQl,1E DIACHRONIQUE nous avons mordu » - bitr u mordant, amer • ; par suite du changement t-+- ts (z), d'une part, et de la conservation du groupe tr d'autre part, le germanique occidental f 277] en a fait : bia<Jn, biJum II bitr.* L'evolution phonetique rompt encore le rapport normal qUi existait entre deux formes flechies d'un meme mot. Ainsi comes ­ comiien devicnt en vieux franeais cuens II comie, baro - barbnem -+- bu II baron, presbitu­ presbituum ­.. « prestre II proooire. Ailleurs, c'est une desinence qui se scinde en deux. L'indoeuropeen caracterisait tous les accusatifs singuliers par une mane finale --rd- (*ek,wom, •owim, *podm, •mat.um, etc.). En latin, pas de changement radical a cet egard ; mais en grec le traitement tres different de la nasale sonante et consonante a eree deux series distinctes de formes: hlppon, o(w)in: poda, mfuua. L'accusatif pluriel presente un fait tout semblable (cf. hlppous et podas). § 2. EFFACEMENT DE LA COMPOSITION DES MOTS. Un autre eflet grammatical du changement phonetique consiste en ce que les parties distinctes d'un mot, qui contribuaient a en fixer la valeur, cessent d'etre analysables: le mot devient un tout indivisible. Exemples : franc. ennemi (cf. lat. in­imicus ­ amicus), en latin perdere (cf. plus ancien per­dare ­ dare), amicio pour *ambjacio ­ jaci6), en allemand Drittel (pour drit­teil ­ tell). On voit d'ailleurs que ce cas se ramene a celui du paragraphe precedent: si par exemple ennemi est inanalysable, cela revient a· dire qu'on ne peut plus le rapprocher, comme in­imicus du simple amic:us ; la formule amicus ­ inimicus ami II ennemi 1. Ou -n 1 Ct. p. 130, note. EFFACEMENT DE LA COMPOSITION DES MOTS est toute semblable 213 a mansis ­ mansiimiiiicus maison II menage. Cf. encore: decem ­ undecim: dix II onze. Les fonnes simples hunc, hanc, hiic, etc., du la tin classique remontant a hon­ce, han­ce, bii­ce, comme le montrent des fonnes epigraphiques, sont le resultat de l'agglutination d'un pronom avec la particule -ce : on pouvait autrefois rapprocher hon­ce, etc., de ee-ce ; mais plus tard ­e etant tombe phonetiquement, cela n'a plus ete possible ; ce qui revient a dire qu'on ne distingue plus Jes elements de hunc hnnc, luic, etc. L'evolution phonetique commence par troubler l'analyse avant· de la rendre tout a fait impossible. La flex.ion nominale indo-europeenne offre un exemple de ce cas. L'indo-europeen declinait nom. sing. *pod­s, acc. *pod­m, dat. *pod­ai, loc. *pod­i, nom. pl. *pod­es, acc. •pod­ns, etc. : la flexion de *ek,wos, fut d'abord exactement parallele : *ek,wo­s, *ek,wo­m, *ek,wo­ai, *ek,wo­i, *ek,wo­es, *ek,wo­ns, etc. A cette epoque on degageait aussi facilement •ek,wo­ que •pod­. Mais plus tard Jes contractions vocaliques modifient cet etat : dat. *ek,woi, loc. •ek,woi, nom. pl. *ek,wos. Des ce moment la nettete du radical •ek,wo­ est compromise et l'analyse est amenee a prendre le change. Plus tard encore de nouveaux changements, tels que la differenciation des accusatifs (voir p. 212), effacent les dernieres traces de l'etat primitif. Les contemporains de Xenophon avaient probablement l'impression que le radical etait hipp­ et que les desinences etaient vocaliques (hipp­os, e!c.), d'ou separation absolue des types •ek,wo­s et •pod­s. Dans le domaine de la flexion, comme ailleurs, tout ce qui trouble l'analyse contrihue a relacher les liens grammatieaux, 214 LINGUISTIQUE § 3. IL N'Y DIACHRONIQUE A PAS DE DOUDLETS PHONETIQUES, Dans les deux cas envisages aux paragraphes 1 et 2, l'evolution separe radicalement deux termes unis grammaticalement a l'origine. Ce phenomena pourrait donner lieu a une grave erreur d'interpretation. Quand on constate I'identite relative de bas lat. bars: baro­ nem et la disparite de v. Iranc. ber: baron, n'est-on pas tente de dire qu'une seule et meme unite primitive (bar-) s'est developpee dans deux directions divergentes et a produit deux formes ? Non, car un meme element ne peut pas etre soumis simultanement et dans un meme lieu a deux transformations differentes ; ce serait cootraire a la definition meme du changement phonetique. Par elle-meme, l'evolution des sons n'a pas la vertu decreer deux formes au lieu d'une. Voici les objections qu'on peut faire a notre these; nous supposerons qu'elles sont introduites par des exemples : Collocii.re, dira-t-on, a donne coucher et colloquer. Non, seulement coucher ; colloquer n'est qu'un emprunt savant du mot latin (cf. ranson et redemption, etc.). Mais cathedra n'a-t-il pas donne chaire et chaise, deux mots authentiquement franeais ? En realite, chaise est une forme dialectale. Le parler parisien chaogeait r intervocalique en z ; il disait par exemple : pese, mise pour pere, mere ; le franeais litteraire n'a retenu que deux specimens de cette prononciation locale : chaise et besides ( doublet de berides venant de beryl). Le cas est exactement comparable a celui du picard rescape, qui vient de passer en francais commun et qui se trouve ainsi contraster apres coup avec rechappe. Si l'on a cote a cote cavalier et chevalier, cavalcade et dieuauchee, c'est que cava­ lier et cavalcade ont ete empruntes a l'italien. C'est au fond le meme cas que calidum, donnant en franeais chaud et en italien caldo. Dans tous ces exemples il s'agit d'emprunts. L1ALTERNANCE 215 Si maintenant on pretend que le pronom latin me est represente en francais par deux formes : me et moi (cf. «ii me voit et a c'est moi qu'il voit »), on repondra : C'est lat. me atone qui est devenu me ; me accentue a donne moi ; or la presence ou l'absence de l'accent depend, non des lois phonetiques qui ont fait passer me a me et moi, mais du role de ce mot dans la phrase; c'est une dualite grammaticale. De meme en allemand, •ur­ est reste ur­ sous l'accent et est devenu er­en protonique (cf. urlaub: erlauben); mais ce jeu d'accent lui-meme est lie aux types de composition on entrait ur-, et par consequent a une condition grammaticale et synchronique. Enfin, pour revenir a notre exemple du debut, les diflerences de formes et d'accent que presente le couple bdro : barbnem sont evidemment anterieures au changement phonetique. En fait on ne constate nulle part de doublets phonetiques. L'evolution des. sons ne fait qu'accentuer des differencesexistant avant elle. Partout ou ces differences ne sont pas dues a des causes exterieures comme c'est le cas pour les emprunts, elles supposent des dualites grammaticalcs et synchroniques absolument etrangeres au phenomene phonetique. § 4. L'ALTERNANCE. Dans deux mots tels que maison : menage, on est peu tente de chercher ce qui fait la difference des termes, soit parce que les elements differentiels (-ezo et -en-) se pretent mal a la comparaison, soit parce qu'aucun autre couple ne presente une opposition parallele. Mais il arrive souvent que les deux termes voisins ne different que par un ou deux elements faciles a degager, et que cette merne difference se repete regulierement dans une serie de couples paralleles ~ ii s'agit alors du plus vaste et du plus ordinaire des faits grammaticaux ob les changements phonetiques jouent un role : on l'appelle alternance. 216 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE o En Irancais tout latin place en syllabe ouverte est devenu eu sous l'accent et ou en protonique ; de la des couples tels que pouoons : peuuent, auote : ouurier, nouveau: neut, etc .• dans lesquels on degage sans effort un element de difference et de variation reguliere. En latin la rotacisation fait alterner gero avec qestus, oneris avec onus, maeror avec maestus, etc. En germanique s etant traite difleremment suivant la place de I'accent on a en moyen haut allemand jerliesen : [erloren, kiesen : qekoren, [riesen : ge/roren, etc. La chute de e indo-europeen se reflete en allemand moderne dans les oppositions beissen : biss, leiden : lilt, reiten : rill, etc. Dans tous ces exemples, c'est I'element radical qui est atteint ; mais ii va sans dire que toutes les parties du mot peuvent presenter des oppositions semblables. Rien de plus common, par exemple, qu'un prefixe qui apparait sous des formes diverses selon la nature de l'initiale du radical (cf. grec apo-didomi : ap-erchomai, franc. inconnu : inutile). L'alternance indo-europeenne e : o, qui doit bien, en fin 4e compte, remonter a une cause phonetique, se trouve dans un grand nombre d'elements suffixaux (grec hippos : hlppe, pher­o­tnen : pher­e­te, qen­os : qen­e­os pour •gen­es­­0s, etc.). Le vieux francais a un traitement special pour a latin accentue apres palatales ; d'ou une alternance e : ie dans nombre de desinences (cf. chant­er : jug­ier, cluuu­e : jug­ie, cban­tez : [uq­iez, etc.). L'alternance peut done etre definie: une correspotidance entre deux sons ou groupes de sons determines, permutant reguliere­ ment entre deux series de formes coexistantes. De meme que le phenomene phonetique nexplique pas a lui seul les doublets, ii est aise de voir qu'il n'est ni la cause unique ni la cause principale de l'alternance. Quand on dit que le latin uoo- est devcnu par changement phonetique neuv­ et nouo- (neuue ct nouveau), on forge une unite imaginaire et l'on meconnait unc dualite synchronique LES LOIS D1ALTERNANCE 217 preexistante ; la position differente de noo­ dans noo­us et dans nou­etlus est a la fois anterieure au changement phonetique et eminemment grammaticale (cf. baro : bortmemy. C'est cette dualite qui est a l'origine de toute alternance et qui la rend possible. Le phenomena phonetique n 'a pas brise une unite, il n'a fait que rendre plus sensible par l'ecart des sons one opposition de' termes coexistants. C'est une erreur, partagee par beaucoup de linguistes, de croire que l'alternance est d'ordre phonetique, simplernent parce que les sons en forment la matiere et que leurs alterations interviennent dans sa genese. En fait, qu'on la prenne a son point de depart ou son point d'arrivee, elle appartient toujours a la grammaire et a la synchronie. § 5. LES LOIS D'ALTERNANCE, Les alternances sont-elles reductibles a des lois, et de quelle nature sont ces lois ? Soit l'alternance e : i, si Irequente en allemand moderne : en prenant tous les cas en bloc et pele-mele (geben : gibt, Feld : Gefilde, Wetter : uiittem, hel/en : Hille, sehen : Sicht, etc.), on ne peut formuler aucun principe general. Mais si de cette masse on extrait. le couple geben: gibt pour l'opposer a schellen : schili, hel/en : hilJt, nehmen : nimmt, ete., on s'apercoit que cette alternance coincide avec une, distinction de temps, de personne, etc. ; dans Lang : Liinge stark : Starke, hart : Harte, etc., l_'opposition toute semblable a : e est liee a la formation de substantifs au moyen d'adjectifs, dans Hand: Hiuuie, Gast : Giiste, etc., a la formation du pluriel, et ainsi de tous les cas, si frequents, que les germanistes comprennent sous le nom d'ablaut (voyez encore finden : /and, ou finden : Fund, binden : band ou binden : Rund, schiessen : schoss : Schuss, fliessen : floss: Fluss, etc.). L'ablaut, ou variation vocalique radicale coincidant avec une opposition grammaticale, est un exemple 218 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE capital de l'alternance ; mais elle ne se distingue du phenomena general par aucun caractere particulier. On voit que l'alternance est d'ordinaire distribuee entre plusieurs termes de facon reguliere, et qu'elle coincide avec une opposition importante de fonction, de categorie, de determination. On peut parler de 101s grammaticales d'alternances ; mais ces lois ne sont qu'un resultat fortuit des faits phonetiques qui leur ont donne naissance. Ceux-ci creant une opposition phonique reguliere entre deux series de termes presentant une opposition de valeur, l'esprit s'empare de cette difference materielle pour la rendre significative et lui faire porter la difference conceptuelle (voir p. 121 sv.). Comme toutes les lois synchroniques, celles-ci sont de simples principes de disposition sans force imperative. II est tres incorrect de dire, comme on le fait volontiers, que le a de Nacht se change en ii dans le pluriel Niichte ; cela donne l'illusion que de l'un a l'autre terme ii intervient une transformation reglee par un principe imperatif. En realite nous a:vons affaire a une simple opposition de formes resultant de l'evolution phonetique. II est vrai que l'analogie, dont ii va etre question, peut creer de nouveaux. couples offrant la meme difference pho1278) nique*(cf. Kranz: Kranze sur Gast : Gaste, etc.). La loi semble alors s'appliquer comme une regle qui commande a l'usage au point de le modifier. Mais il ne faut pas oublier que dans la langue ces permutations sont a la merci d'influences analogiques contraires, et cela suffit a marquer que les regles de cet ordre sont toujours precaires et repondent entierement a la definition de la loi synchronique. 11 peut arriver aussi que la condition phonetique qui a provoque l'alternance soit encore manifeste. Ainsi Ies couples cites p. 217 avaient en vieux. haut allemand la forme : geban : gibit, feld : gafildi, etc. A cette epoque, quand le radical etait suivi d'un i,' ii apparaissait lui- AL TERNANCE ET LIEN GRAMMATICAL 219 meme avec i au lieu de e, tandis qu'il presentait e dans tous de lat. /acio : conficio, amicus inimicus, [acilis : diflicilis, etc., est egalement liee a une condition phonique que les sujets parlants auraient exprimee ainsi : l'a d'un mot du type /acio, amicus, etc., alteme avec i dans les mots de meme famille ou cet a· se trouve en syllabe interieure. Mais ces oppositions phoniques suggerent exactement les memes observations que toutes les lois grammaticales : elles sont synchroniques ; des qu'on l'oublie, on risque de commettre l'erreur d'interpretation deja signalee p. 136. En face d'un couple comme /acio : conficio, ii faut bien se garder de confondre le rapport entre ces termes coexistants avec celni qui relie les termes successifs du fait diachronique (con/acio ~ conficio). Si on est tente de le faire, c'est que la cause de la differenciation phonetique est encore visible dans ce couple ; mais son action appartient au passe, et pour les sujets, ii n'y a la qu'une simple opposition synchronique. Tout ceci confirme ce qui a ete dit du caractere strictement grammatical de l'alternance. On s'est servi, pour la designer, du terme, d'ailleurs tres correct, de permutation ; mais il vaut mieux l'eviter, precisement parce qu'on I'a souvent applique au changement phonetique et qu'il eveille une Iausse idee de mouvement la ou ii n'y a qu'un etat. les autres cas. L'alternance § 6. ALTERNANCE ET LIEN GRAMMATICAL. Nous avons vu comment I'evolution phonetique, en changeant la forme des mots, a pour effet de rompre les liens grammaticaux qui peuvent les unir. Mais cela n'est vrai que pour les couples isoles tels que maison : menage, Teil : Driltel, etc. Des qu'il s'agit d'altemance, ii n'en est plus de meme. II est evident d'abord que toute opposition phonique un 220 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE peu reguliere de deux elements tend a etablir un lien entre eux. Wetter est instinctivement rapproche de ·wittern, parce qu'on est habitue a voir e alterner avec i. A plus forte raison, des que les sujets parlants sentent qu'une opposition phonique est reglee par une loi generate, cette correspondance habituelle s'impose a leur attention et contribue a resserrer le lien grammatical plutot qu'a le relacher, C'est ainsi que l'ablaut allemand (voir p. 217), accentue la perception de l'unite radicale a travers les variations vocaliques. 11 en est de meme pour Jes alternances non significatives, mais liees a une condition purement phonique. Le prefixe re­ (reprendre, regagner, retoucher, etc.) est reduit a r­ devant voyelle (rouurir, racheter, etc.). De meme le prefixe in­, tres vivant bien que d'origine savante, apparait dans les memes conditions sous deux formes distinctes : dans inconnu, indigne, inoeriebre, etc.), et in­ (dans inaoouable, inutile, ines­ thnique, etc.). Cette difference ne rompt aucunement l'unite de conception, parce que sens et fonction sont coneus comme identiques et que la langue est fixee sur les cas oil elle emploiera l'une ou l'autre forme. e­ ( CHAPITRE IV L'ANALOGIE § 1. DEFINITION ET EXEMPLES.* [279) II resulte de ce qui precede que le phenomene phonetique est un facteur de trouble. Partout ou ii ne cree pas des alternances, il contribue a relacher Jes liens grammaticaux qui unissent Jes mots entre eux ; la somme des formes en est augmentee inutilement ; le mecanisme linguistique s'obscurcit et se complique dans la mesure ou les irregularites nees du changement phonetique l'emportent sur les formes groupees sous des types generaux ; en d'autres termes dans la mesure ou l'arbitraire absolu l'emporte sur l'arbitraire relatif (voir p. 183). Heureusement l'effet de ces transformations est contrebalance par I'analogiefC'est d'elle que relevent toutes les modi- [280) fications normales de l'aspect exterieur des mots qui ne sont pas de nature phonetique. L'analogie suppose un modele et son imitation reguliere. Une forme analogique est une forme faite a l'image d'une ou plusieurs autres d' apris une regle determinee. Ainsi le nominatif latin honor est analogique. On a dit d'abord honos : honosem, puis par rotacisation de l's honos: honorem. Le radical avait des lors une double forme ; cette dualite a ete eliminee par la forme nouvelle honor, creee sur le modele de orator: oratorem, etc., par un precede que nous etudierons plus bas et que nous ramenons des 222 LINGUISTIQUE maintenant au calcul de la quatrieme proportionnelle : oriitorem : orator = honorem : z, x = honor. On voit done que, pour contrebalancer l'action diversifiante du changement phonetique (honos : honorem), l'analogie a de nouveau unifie les formes et retabli la regularite (honor : honorem). En francais on a dit longtemps : il preuue, nous prouvons, ils preuuent, Aujourd'hui on dit il prouue, ils prouvent, formes qui ne peuvent s'expliquer phonetiquement ; il aime remonte au latin amat, tandis que nous aimons est analogique pour amons ; on devrait dire aussi amable au lieu de aimable. En grec, s a disparu entre deux voyelles: ­eso­ aboutit a -eo-(cf. geneos pour •genesos). Cependant on trouve cet s intervocalique au futur et a l'aoriste de tousles verbes a voyelles : luso, elii.sa, etc. C'est que l'analogie des formes du type tupso, aupsa, ou s ne tombait pas, a conserve le souvenir du futur et de l'aoriste ens. En allemand, tandis que Gast: Gdste, Baig; Biilge, etc., sont phonetiques, Kranz: Kranze (plus anciennement kranz : kranza), Hals: Halse (plus anc. halsa), etc., sont dus a I'imitation. L'analogie s'exerce en faveur de la regularite et tend a unifier les precedes de formation et de flexion. Mais elle a scs caprices : a cote de Kranz : Kranze, etc.. on a Tag : Tage, Salz: Salze, etc., qui ont resiste, pour une raison ou une autre, a l'analogie. Ainsi on ne peut pas dire d'avance [usqu'ou s'etendra I'imitation d'un modele, ni quels sont les types destines a la provoquer. Ainsi ce ne sont pas toujours les formes les plus nombreuses qui declanchent l'analogie. Dans le parfait grec, a cote de l'actif pepheuga, pepheugas, pepheugamen, etc., tout le moyen se flechit sans a : pephugmai, pephu.gmetha, etc., et la langue d'Homere nous montre que cet a manquait anciennement au pluriel et au duel de l'actif (cf. hom. idmen, ellcton, etc.). L'analogie 223 ANALOGIE ET CHANGEMENT DIACHRONIQUE est partie uniquement de la premiere personne du singulier de l'actif ct a gagne presque tout le paradigme du parfait indicatif. Ce cas est remarquable en outre parce qu'ici l'analogie rattache au radical un element ­a­, flexionnela I'origine, d'ou pepheu.ga­men ; l'inverse - element radical rattache au suffixe - est, comme nous le verrons p. 233, beaucoup plus frequent. Souvent, deux ou trois mots isoles suffisent pour creer une forme generate, une desinence, par exemple ; en vieux haut allemand, les verbes faibles du type habin, lobon, etc., ont un -m a la premiere pers. sing. du present : habem, lobom ; cet -m remonte a quelques verbes analoguesaux verbes en ­mi du grec: bim, siiim, gem, iuom, qui a eux seuls ont impose cette terminaison a toute la flexion faible. Remarquons qu'tci l'analogie n'a pas efface une diversite phonetique, mais generalise un mode de formation. § 2. LES PHENOMENES ANALOGIQUES NE SONT PAS DES CHANGEMENTS Les premiers linguistes n'ont pas compris la nature du phenomene de l'analogie, qu'ils appelaient « fausse analogie ». Ils croyaient qu'en inventant honor le latin « s'etait trompe II sur le prototype honiJs. Pour eux, tout ce qui s'ecarte de l'ordre donne est une irregularlte, une infraction a une forme ideale. C'est que, par une illusion tres caracteristique de l'epoque, on voyait dans l'etat origineldela langue quelque chose de superieur et de parfait, sans meme se demander si cet etat n'avait pas ete precede d'un autre. Toute liberte prise a son egard etait done une anomalie. C'est l'ecole neogrammairienne qui a pour la premiere fois assigne a l'analogie sa vraie place en montrant qu'elle est, avec les changements phonetiques, le grand facteur de l'evolution des langues, le precede par lequel elles passent d'un etat d'organisation a un autre. LINGUISTIQUE ANALOGIB ET CHANGEl\lENT DIACHRONIQUE Mais quelle est la nature des phenomenes analogiques ? Sont-ils, comme on le croit communement, des changements? Tout fait analogique est un drame a trois personnages, qui sont : 1° le type transmis, legitime, hereditaire (par exemple honos) ; 2° le concurrent (honor) ; 30 un personnage collectif, constitue par les formes qui ont cree ce concurrent (honorem. oral.or, oriitorem, etc.). On considere volontiers honor comme une modification, un « metaplasme ,, de ho11os ; c'est de ce dernier mot qu'il aurait tire la plus grande partie de sa substance. Or la seule forme qui ne soit rien dans la generation de honor, c'est precisement honos I On peut figurer le phenomene par le schema : J FORMES honos (qui n'e~lrl' pas en liqne de TRANSMISES honorem, orii.tor orii.torem ' ' 1 FORJ\IE NOUVELLE ­.. honor etc. (groupi generaleur). On le voit, il s'agit d'un « paraplasme », de l'installation d'un concurrent a cote d'une forme traditionnelle, d'une creation enfln. Tandis que le changement phonetique n'introduit rien de nouveau sans annuler ce qui a precede (honorem remplace honosem), la forme analogique n'entraine pas necessairement la disparition de celle qu'elle vient doubler. Honor et honos ont coexiste pendant un temps et ont pu etre employee l'un pour l'autre. Cependant, comme la Iangue repugne A maintenir deux sigmfiants pour one seule idee, le plus souvent la forme primitive, moins reguliere, tombe en desuetude et disparait. C'est ce resultat qui fait croire a une transformation : l'action analogique une fois achevee, l'ancien etat (honos: honorem) et le nouveau (honor : honorem) sont en apparence dans la meme opposition que celle qui resulte de l'evolution des sons. Cependant, au moment ou natt honor, compte). 225 rien n'est change puisqu'il ne remplace rien ; la disparitlon de honos n'est pas davantage ·un changement, puisque ce pMnomene est independant du premier. Partout ob l'on peut suivre la marche des evenements linguistiques, on voit que l'innovation analogique et l'elimlnatlon de la forme ancienne sont deux choses distinctes et que nulle part on ne . surprend une transformation. L'analogie a si peu pour earactere de remplacer une forme par une autre, qu'on la voit souvent en produire qui ne remplacent rien. En allemand on peut tirer un diminutif en -chen de n'importe quel substantif a sens concret ; si une forme Ele/anlchen s'mtroduisait dans la langue, elle ne snpplanterait rlen de preexistant. De meme en fran~is, sur le modele de pension : pensionnaire, reaction : reaction­ noire; etc., quelqu'un pent creer intementionnaire ou repres« sionnaire, signifiant « qui est pour !'intervention », cz pour la repression ». Ce processus est evidemment le meme que celui qui tout a l'heure engendrait honor : tous deux appellent la meme formule : reaction : reactionnaire = repression : x. x = repressionnaire. et dans l'un et l'autre cas il n'y a pas le moindre pretexts a parler de cliangement ; repressiotutaire ne remplace rien. Autre exemple : d'une part, on entend dire analogiquement finau.z; pour finals, lequel passe pour plus regulier ; d'autre part, quelqu'un pourrait former l'adjectif firmamental et lui donner un pluriel firmameniauz. Dira-t-on que dans finaux il y a changement et creation dans ftrmamentaux ? Dans les deux cas i1 y a creation. Sur le modele de mur : emmurer, on a fait tour : entourer et jour : ajourer (dans • un travail ajoure ") ; ces derives, relativement recents, nous apparaissent comme des creations. Mais si je remarque qu'a une epoque anterieure on possedait entorner et aior­ ner, construits sur torn et jorn, devrai-je changer d'opinion :6 declarer L::;:~:;o;a;:::R::::: que es modificationsTtout de ces mots plus anciens ? Ainsi l'illusion du « changement » analogique vient de ce qu'on etablit une relation avec un terme evince par le nouveau : mais c'est une erreur, puisque les formations qualifiees de changements (type honor) sont de· meme nature que celles que nous appelons creations (type repressionnaire, § 3. L'ANALOGIE PRINCWE DES CREATIONSDE LA LANGUE. Si apres avoir montre ce que l'analogie n'est pas, nous l'etudions a un point de vue positif, aussitot ii apparatt que son principe se confond tout simplement avec celui des creations linguistiques en general. Quel est-ii ? L'analogie est d'ordre psychologique ; mais cela ne suffit pas a la distinguer des phenomenes phonetiques, puisque ceux-ci peuvent etre aussi considerescomme tels (voir p. 208). Il faut aller plus loin et dire que l'analogie est d'ordre grammatical : elle suppose la conscienceet la comprehensiond'un rapport unissant Jes formes entre elles. Tandis que l'idee n'est rien dans le phenomenephonetique, son intervention est necessaire en matiere d'analogie. Dans le passage phonetique de s intervocalique a r en Jatin (cf. honosem ~ honorem), on ne voit intervenir ni la comparaison d'autres formes, ni le sens du mot : c'est le cadavre de la fonne honssem qui passe a honorem. Au contraire, pour rendre compte de l'apparition de honor en face de honbs, il faut faire appel a d'autres fonnes, commele montre la formule de la quatrieme proportionnelle : i5ratorem : oriilor = honsrem : x x =honor, et cette combinaison n'aurait aucune raison d'etre si l'esprit n'associait pas par leur sens les formes qui la composent. Ainsi tout est grammatical dans J'analogie ; mais ajoutons I de suite que :::::n~~a::::Nl'aboutissement: peut appartenir d'abord qu'a la parole ; elle est l'ceuvre occasionnelle d'un sujet isole. C'est dans cette sphere, et en marge de la langue, qu'il convient de surprendre d'abord le phenomena. Cependant ii faut y distinguer deux choses : 1 o la comprehension du rapport qui relie entre elles les formes generatrices ; 20 le resultat suggere par la comparaison, la forme improvisee par le sujet parlant pour }'expression de la pensee, Seul ce resultat appartient a la parole. L'analogie nous apprend done une fois de plus a separer la langue de la parole (voir p. 36 sv.) ; elle nous montre la seconde dependant de la premiere et nous fait toucher du doigt le jeu du mecanisme linguistique, tel qu'il est decrit p. 179. Toute creation doit etre precedee d'une comparaison inconsciente des materiaux deposes dans le tresor de la langue oil les formes generatrices sont rangees selon leurs rapports syntagmatiques et associatifs. Ainsi toute une partie du phenomena s'accomplit avant qu'on voie apparaitre la forme nouvelle. L'activite continuelle du langage decomposant les unites qui lui sont donnees contient en soi non seulement toutes les possibilites d'un parler conforme a l'usage, mais aussi toutes celles des formations analogiques. C'est done une erreur de croire que le processus generateur ne se produit qu'au moment ou surgit la creation ; les elements en sont deja donnes. Un mot que j 'improvise, comme in­decor­able, existe deja en puissance dans la langue ; on retrouve tous ses elements dans les syntagmes tels que decor­er, decor­oiion : pardonn­ able, mani­able : in­connu, in­sense, etc., et sa realisation dans la parole est un fait insignifiant en comparaison de la possibilite de le former. En resume, l'analogie, prise en elle-meme, n'est qu'un aspect du phenomene d'interpretation, une manifestation de l'activite generale qui distingue les unites pour les utiliser 228 UNGUISTIQUE ANALOGIE ET CREATION DIACHRONIQUE ensuite. Voila pourquoi nous disons qu'elle est tout entiere grammaticale et synchroniquc. Ce caractere de l'analogie suggere deux observations qui confirment nos vues sur l'arbitraire absolu et l'arbitraire relatif (voir p. 180 sv.) : to On pourrait classer les mots d'apres leur capacite relative d'en engendrer d'autres selon qu'ils sont eux-memes plus ou moins decomposables. Les mots simples sont, par definition. improductifs (cf. maqasin, arbre. radne, etc.). Magasinier n'a pas ete engendre par magasin ; ii a ete f orme sur le modele de prisonnier : prison, etc. De meme, emmagasiner doit son existence a l'analogie de emmailloter, eneadrer, encapuchonner, etc., qui contiennent maillot, cadre, capuchon, etc. II y a done dans chaque langue des mots productifs et des mots steriles, mais la proportion des uns et des autres varie. Cela revient en somme a la distinction faite p. 183 entre les langues a lexicologiques • et Ies langues a grammaticales •· En chinois, la plupart des mots sont indecomposables ; au contraire, dans une langue artificielle, ils sont presque tous analysables. Un esperantiste a pleine liberte de construire sur une racine donnee des mots nouveaux. 20 Nous. avons remarque p. 222 que toute creation analogique pent ~tre representee comme une operation analogue au calcul de la quatrieme proportionnelle, Tres souvent on se sert de cette formule pour expliquer le phenomene Iui-meme, tandis que nous avons cherche sa raison d'etre dans l'analyse et la reconstruction d'elements fournis par la langue. 11 y a conflit entre ces deux conceptions. Si la quatrieme proportionnelle est une explication suffisante, a quoi hon l'hypoth~ d'une analyse des elements ? Pour former indtcorable, nul besoin d'en extrai.re les el6ments (in-dkor- 229 prendre l'ensemble et de le placer dans }'eo.uath,n : pardonner: impardonnable, etc., = decorer : x. x = indecorable. De la sorte on ne suppose pas chez le sujet une operation eompliquee, trop semblable a l'analyse consciente du grammairien. Dans un cas comme Krantz : Kranze fait sur Gast: Gaste, la decomposition semble moins probable qne la quatrieme proportionnelle, puisque le radical du modele est tantot Gast­, tantot Gast­ ; on a du simplement reporter un caractere phonique de Gaste sur Kranze. Laquelle de ces theories correspond a la realite 'l Remarquons d'abord que le cas de Kranz n'exclut pas necessairement l'analyse. Nous avons constate des alternances dans des racines et des prefixes (voir p. 216), et le sentiment d'une alternance peut bien cxister a cote d'une analyse positive. Ces deux conceptions opposees se refletent dans deux doctrines grammaticales diflerentes. Nos grammaires europeennes operent avec la quatrieme proportionnelle ; elles expliquent par exemple la formation d'un preterit allemand en partant de mots complets ; on a dit a l'eleve : sur le modele de setzen : setzte, formez le preterit de lachen, etc. Au contraire la grammaire hindoue etudierait dans un chapitre determine les racines tsetz­, lacb­, etc.), dans un autre les terrninaisons du preterit (-le, etc.) ; elle donnerait les elements resultant de l'analyse, et on aurait a recomposer les mots cornplets. Dans tout dictionnaire sanscrit les verbes sent ranges dans l'ordre que leur assigne leur racine. Selon la tendancc dominante de chaque groupe linguistique, les theoriciens de la grammaire inclineront vers l'une ou l'autre des ces rnethodes. L'ancien latin semble favoriser le precede analytique, En voici une preuve manifeste. La quantile n'est pas la 230 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE meme dans /iidus et iidus, malgre fiiciO et iigO: ii !ant supposer que iidus remonte a •aglos et attribuer l'allongement de la voyelle a la sonore qui suit ; cette hypothese est pleinement confirmee par les langues romanes; l'opposition specio: spertus contre tego : ticius se reflete en francais dans depit ( =despectus) et toii (tectum): cf. con/icio: conlectus (franc, con­ fit), contre rego : rictus (directus +- franc, droit). Mais •agtos, •teglos, •regtos, ne sont pas herites de l'indo-europeen, qui disait certainement •aktos, •teklos, etc. ; c'est le latin prehistorique qui les a introduits, malgre la difficulte qu'il ya a prononcer une sonore devant une sourde. II n'a pu y arriver qu'en prenant fortement conscience des unites radicales ag­ teg­. Le latin ancien avait done a un haut degre le sentiment des pieces du mot (radicaux, suffixes, etc.) et de leur agencement. 11 est probable que nos Iangues modernes ne l'ont pas de facon aussi aigue, mais que l'allemand l'a plus que le francais (voir p. 256). 1 I ); · CHAPITRE V ANALOGIE ET tVOLUTION § 1. COMMENT UNE INNOVATION ANALOGIQUE EN'l'RE DANS L.\. LAN GUE, Rien n'entre dans la langue sans avoir ete essaye dans la parole, et tous lcs phenomenas evolutif s ont leur racine dans la sphere de l'individu. Ce principe, deja enonce p. 138, s'applique tout particulierement aux innovations analogiques. Avant que honor devienne un concurrent susceptible de remplacer honos, ii a fallu qu'un premier sujet l'improvise, que d'autres l'imitent et le repetent, [usqu'a ce .qu'il s'impose :i l'usage. 11 s'en faut que toutes les innovations analogiques aient cette bonne fortune. A tout instant on rencontre des combinaisons sans lendemain que la langue n'adoptera probablement pas. Le langage des enfants en regorge, parce qu'ils connaisscnt mal l'usage et n'y sont pas encore asservis ; ils disent viendre pour oetiir, mouru pour morl, etc. Mais le parler des adultes en offre aussi. Ainsi beaucoup de gens remplacent trayail par lraisait (qui se lit d'ailleurs dans Rousseau). Toutes ces innovations sont en soi parfaitemant regulieres ; elles s'expliquent de la meme Iacon que celles que la langue a acceptees ; ainsi viendre repose sur la proportion ; eteituirai : eieindre = oiendrai : x. x = uietuire, 232 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE et traisaii a ete fait sur le modele de pl a ire ; plaisait, etc ... La langue ne retient qu'une minime partie des creations de la parole ; mais celles qui durent sont assez nombreuses pour que d'une epoque a l'autre on voie la somme des formes nouvelles donner au vocabulaire et a la grammaire une tout autre physionomie. Tout le chapitre precedent montre clairement que l'analogie ne saurait ~tre a elle seule un facteur d'evolution , il n'en est pas moins vrai que cette substitution constante de forrnes nouvelles a des f ormes anciennes est un des aspects les plus frappants de la transformation des langues. Chaque Iois qu'une creation s'installe deflnitivement et elimine son concurrent, il y a vraiment quelque chose decree et quelque chose d'abandonne, et a ce titre l'analogie occupe une place preponderante dans la theorie de l'evolution. C'est sur ce point que nous voudrions insister. §, 2. LES INNOVATIONS SYMPTOMES DES CHANGEMENTS ANALOGIQUES D'INTERPRETATION. La langue ne cesse d'interpreter et de decomposer les unites qui lui sont donnees. Mais comment se Iait-il que cette interpretation varie constarnment d'une generation a l'autre ? 11 faut chercher la cause de ce changement dans la rnasse enorme des facteurs qui rnenacent sans cesse l'analyse adoptee dans un etat de langue. Nous en rappellerons quelquesuns. Le premier et le plus important est le changement phonetique (voir chap. 11). En rendant certaines analyses ambigues et d'autres impossibles, ii modifie Ies conditions de Ia decomposition, et du meme coup ses resultats, d'ou deplacement des limites des unites et modification de leur nature, Voyez ce qui a ete dit plus haut, p. 195, des composes tels que beta­hiis et redo­Lich, et p. 213 de la flexion nominate en indo-europeen, ANALOGIE ET CHANGEMENT D'INTERPRETATION 233 Mais ii n'y a pas que le fait phonetique. II y a aussi !'agglutination, dont ii sera question plus tard, et qui a pour effet de reduire a I'unite une combinaison d'elements ·, ensuite toutes sortes de circonstances exterieures au mot, mais suceptibles d'en modifier l'analyse. En effet puisque celle-ci resulte d'un ensemble de comparaisons, ii est evident qu'elle depend a chaque instant de l'entourage associatif du terme. Ainsi le superlatif indo-europeen •swtid­is­ to­s contenait deux suffixes independants : ­is­, marquant l'idee de comparatif (exemple lat. mag­is), et ­to­, qui designait la place determinee d'un objet dans une serie cf. grec tti­to­s « troisieme »). Ces deux suffixes se sont (agglutines (cf. grec hid­isto­s, ou plutot hid­ist­os). Mais A son tour cette agglutination a ete grandement Iavorisee par un fait etranger au superlatif: Jes comparatifs en is­ sont sortis de l'usage, supplantes par les formations en ­ios ; ­is­ n'etant plus reconnu comme element autonome, on ne l'a plus distingue dans ­isto­. Remarquons en passant qu'il y a une tendance generate a diminuer l'element radical au profit de l'element formatif, surtout lorsque le premier se termine par une voyelle. C'est ainsi qu'en latin le suffixe ­tat­ (oeri­tat­em, pour •oero­ttit­un, cf. grec dein6­tet­a) s'est empare de l'i du theme, d'ou l'analyse ver­itiit­em ; de meme Rom ii­nus, Albii­nus (cf. ainus pour •aes­ no-s) deviennent Rom­anus, etc. Or, quelle que soit l'origine de ces changements d'interpretation, ils se revelent toujours par l'apparition de formes analogiques. En effet, si les unites vivantes, ressenties par les sujets parlants a un moment donne, peuvent seuls donner naissance a des formations analogiques, reciproquement toute repartition deterrninee d'unites suppose la possihilite d'en etendre l'usage. L'analogie est done la preuve peremptoire qu'un element formatif existe a un moment donne comme unite significative. Meridiono.lis (Lactance) pour meridiiilis, montre qu'on divisait septentri­oniilis, 234 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE regi­oniilis, et pour montrer que le suffixe ­tat­ s'etait grossi d'un element i emprunte au radical on n'a qu'a alleguer celer­itiitem ; piig­anus, forme sur pag­us, suffit a montrer comment les Latins analysaient Rom­anus ; !'analyse de redlich (p. 195) est confirmee par l'existence de sterblich, Iorms avec une racine verbale, etc. Un exemple particulierement curieux montrera comment l'analogie travaille d'epoque en epoque sur de nouvelles unites. En francais moderne somnolent est analyse somnol­ent, comme si c'etait un participe present ; la preuve, c'est qu'il existe un verbe somnoler. Mais en latin on coupait somno­ lenlus, comme succu­lentus, etc., plus anciennement encore somn­olentus (e qui sent le sommmeil », de oiire, com me vin­olen­ tus <1 qui sent le vin >i). Ainsi l'efTet le plus sensible et le plus important de l'analogie est de substituer a d'anciennes formations.irregulieres et caduques, d'autres plus normales, composees d'elements vi van ts. Sans doute les choses ne se passent pas toujours aussi simplement : l'action de la langue est traversee d'une infinite d'hesitations, d'a peu pres, de demi-analyses. A aucun moment un idiome ne possede un systeme parfaitement fixe 12811 d'unites:"'Qu'on pense a ce qui a ete dit p. 213 de la flexion de·•ekwos en face de celle de •pods. Ces analyses imparfaites donnent lieu parfois a des creations analogiques troubles. Les formes indo-eurepeennes •geus­etai, •gus­tos, •gus­tis permettent de degager une racine geus­ gus­ « gouter »; mais en grec s intervocalique tombe, et l'analyse de qeuomai, geustos en est troublee ; il en resulte un flottement, et c'est tantot geus­ tantot geu­ que l'on degage ; a son tour l'analogie temoigne de cette fluctuation, et l'on voit merne des bases en eu­ prendre cet s final (exemple : pneu­, pnetima, adjectif verbal pneus­ios. Mais meme dans ces tatonnements l'analogie exerce une action sur la langue. Ainsi, bien qu'elle ne soit pas en ANALOGIE RENOVATRICE ET CONSERVATRICE 235 elle-meme un fait d'evolution, elle reflete de moment en moment les changements intervenus dans l'economie de la langue et les consacre par des combinaisons nouvelles " Elle est la [282) collaboratrice efficace de toutes les forces qui modifient sans cesse l'architecture d'un idiome, et ace titre elle est un puissant facteur d'evolution. § 3. L' ANALOGIE PRINCIPE DE RENOVATION ETDE CONSERVATION. On est parfois tente de se demander si l'analogie a vraiment l'importance que lui supposent les developpements precedents, et si elle a une action aussi etendue que les changements phonetiques, En fait l'histoire de chaque langue permet de decouvrir une fourmillement de faits analogiques accurnules les uns sur les autres, et, pris en bloc, ces continuels remaniements jouent dans l'evolution de la langue un role considerable, plus considerable meme que celui des changements de sons. Mais une chose interesse particulierement le linguiste : dans Ia masse enorme des phenomenes analogiques que representent quelques siecles d'evolution, presque tous lcs elements sont conserves ; seulement Ils sont distribues autrement. Les innovations de l'analogie sont plus apparentes que reelles. La langue est une robe couverte de rapiecages faits avec sa propre etofle. Les quatre cinquiemes du Irancais sont indo-europeens, si l'on pense a la substance dont nos phrases se composent, tandis que les mots transmis dans leur totalite, sans changement analogique, de la langue mere [usqu'au francais moderne, tiendraient dans l'espace d'une page (par exemple : est = •esti, les noms de nombres, certains vocables, tels que ours, nez, pire, cbien, etc.). L'immense majorite des mots sont, d'une maniere ou d'une autre, des combinaisons nouvelles d'elements phoniques arraches a des f ormes plus anciennes. Dans ce sens, on peut dire que l'analogie, precisement 236 LINGUISTJQUE DIACHRONIQUE -parce qu'elle utilise toujours la matiere ancienne pour ses innovations. est eminemment conservatrice. Mais elle n'agit pas moins profondement comme facteur de conservation pure et simple; on peut dire qu'elle intervient non seulement quand des materiaux preexistants sont distribues dans de nouvelles unites, mais aussi quand les formes restent identiques a elles-memes. Dans les deux cas il s'agit du meme proces psychologique. Pour s'en rendre compte, il suffit de se rappeler que son pnncipe est au fond identique a celui du mecanisme du langage (voir p. 226). Le latin agunt s'est transmis a peu pres intact depuis l'epoque prehistorique (ou l'on disait •agonti) jusqu'au seuil de i'epoque romane. Pendant cet intervalle, les gen6rations successives I'ont repris sans qu'aucune forme concurrente soit venue le supplanter. L'analogie n'est-elle pour rien dans celte conservation ? Au contraire, la stabilite de agunt est aussi bien son ceuvre que n'importe quelle innovation. Agunt est encadre dans un systeme ; il est solidaire de formes telles que dicunt, legunt, etc., et d'autres telles que agimus, agitis, etc. Sans cet entourage il avait beaucoup de chances d'etre remplace par une forme composee de nouveaux elements. Ce qui a ete transmis, ce n'est pas agunt, mais ag­unt; la forme ne change pas, parce que ag­ et -uni etaient reguIierement verifies dans d'autres series, et c'est ce cortege de formes associees qui a preserve agunt le long de la route. Comparez encore sex­tus, qui s'appuie aussi sur des series compactes : d'une part sex. sex­aginta, etc .• de l'autre quar­tus, quin­ tus, etc. Ainsi les formes se maintiennent parce qu'elles sont sans cesse refaites analogiquement ; un mot est compris a la fois comme unite et conune syntagme, et il est conserve pour autant que ses elements ne changent pas. Inverse· ment son existence n'est compromise que dans la mesure ou ses elements sortent de l'usage. Voyez ce qui se passe ANALOGIE RENOVATRJCE ET CONSERVATRICE 237 en francais pour dites et [aites, qui correspondent directement a latin dic­iiis, [ac­itis, mais qui n'ont plus de point d'appui dans la flexion verbale actuelle ; la langue cherche a les remplacer ; on entend dire disez, f aisez, sur le modele de plal­ sez, lisez, etc.. et ces nouvelles finales sont deja usuelles dans la plupart des composes (contredisez, etc.). Les seules formes sur lesquelles l'analogie n'ait aucune prise sont naturellement les mots isoles, tels que les noms propres specialement les noms de lieu (cf. Paris, Geneoe, Agen, etc.), qui ne permettent aucune analyse et par consequent aucune interpretation de leurs elements; aucune creation concurrente ne surgit a c6te d'eux. Ainsi la conservation d'une forme peut tenir a deux causes exactement opposees : l'isolement complet ou l'etroit encadrement dans un systeme qui, reste intact dans ses parties essentielles, vient constamment a son secours. C'est dans le domaine intermediaire des formes insuffisamment etayees par leur entourage que l'analogie novatrice peut deployer ses oftets. Mais qu'il s'agisse de la conservation d'une forme composee de plusieurs elements, ou d'une redistribution de la matiere linguistique dans de nouvelles constructions, le role de l'analogie est immense ; c'est toujours elle qui est en jeu. T CHAPITRE VI [283) L'ETYMOLOGIE POPULAIRE * II nous arrive parfois d'estropier les mots dont la forme et le sens nous sont peu familiers, et parf ois l'usage consacre ces deformations. Ainsi l'ancien francais coute­pointe (de coute, variante de couette, « couverture » et pointe, part. passe de poindre « piquer »), a ete change en courte­pointe, c~mm~ si c'etait un compose de l'adjectif court et du substantif pomte. Ces innovations, quelque bizarres qu'elles soient, ne se font pas tout a fait au hasard ; ce sont des tentatives d'expliquer approximativement un mot embarrassant en le rattachant a quelque chose de connu. , . On a donne a ce phenomena le nom d etymologie populaire. A premiere vue, ii ne se distingue guere de l'analogie. Quand un sujet parlant, oubliant l'existence de surdiie, cree analogiquement le mot sourdiie, le resultat est le meme que si, comprenant mal surdite, il l'avait deforme par souvenir de l'adjectif sourd ; et la seule difference serait alors que les constructions de l'analogie sont rationnelles, tandis que l'etymologie populaire precede un peu au hasard et n'aboutit qu'a des coq-a-l'ane. Cependant cette difference, ne concernant que les resultats, n'est pas essentielle. La diversite de nature est plus profonde ; pour faire voir en quoi elle consiste, commencons par donner quelques exemples des principaux types d'etymologie populaire. L'ETYMOLOGIE POPULAIRE 239 11 y a d'abord le cas on le mot recoit une interpretation nouvelle sans que sa forme soit changee. En allemand durchbliiuen « rouer de coups » remonte etymologiquement 8 bliuuxui II fustiger » ; mais on le rattache a blau, a cause des « bleus » produits par les coups. Au moyen ~ge l'allemand a emprunte au francais aoeniure, dont ii a fait regullerement iibeniiire, puis Abenteuer ; sans deformer le mot, on l'a associe avec Abend(« ce qu'on raconte le soir a la veillee »), si bien qu'au xvms siecle on I'a ecrit Abendteuer. L'ancien Irancais soufraite « privation » ( = suflracta de subfrangere) a donne l'adjectif souflreteux, qu'on rattache maintenant a souff rir, avec lequel ii n'a rien de commun. Lais est le substantif verbal de laisser ; mais actuellement on y voit celui de leguer et l'on ecrit legs; ii y a meme des gens qui le prononcent le­g­s ; cela pourrait donner a penser qu'il y a la deja un changement de forme resultant de I'interpretation nouvelle ; mais il s'agit d'une influence de la forme ecrite, par. laquelle on voulait, sans modifier la prononciation, marquer l'idee qu'on se faisait de I'origine du mot. C'est de la meme facon que homard, emprunte a l'ancien nordique humarr (cf. danois hummer) a pris un d final par analogie avec les mots Irancais en ­ard ; seulement ici l'erreur d'interpretation relevee par l'orthographe porte , sur la finale du mot, qui a ete confondue avec un suffixe usuel (cf. bauard, etc.).* {284) Mais le plus souvent on deforme le mot pour l'accommoder aux eiements qu'on croit y reconnaitre ; c'est le cas de choucroute (de Sauerkraut) ; en allemand dromediirius est devenu Trampeltier « l'animal qui pietine » ; le compose est nouveau, mais ii renferme des mots qui existaient deja, tram­ peln et Tier. Le vieux haut allemand a fait du latin marga­ rita mari­greoz « caillou de mer », en combinant deux mots deja connus. [2851 Voici enfin un cas paritculierement instructif : le latin carbunculus « petit charbon • a donne en allemand Kar­ * 240 LINGUISTIOUE DJACHRONIOUE (par association avec funkeln u etinceler ») et en francais escarboude, rattache a boude. Caljeier, calfelrer est devenu calfeutrer sous l'influence de [eutre. Ce qui frappe a premiere vue dans ces exernples, c'est que chacun renferme, a cote d'un element intelligible existant par ailleurs, une partie qui ne represente rien d'ancien (Karesear­, cal­). Mais ce serait une erreur de croire qu'il ya dans ces elements une part de creation, une chose qui ait surgi a propos du phenomena ; c'est le contraire qui est vrai : ii s'agit de fragments que l'interpretation n'a pas su atteindre ; ce sont, si l'on veut, des etymologies populaires restees a moitie chemin. Karfunkel est sur le meme pied que Abenteuer (si l'on admet que ­teuer est un residu reste sans explication) ; il est comparable aussi a homard on hom- ne rime a rien. Ainsi le degre de deformation ne cree pas de differences essentielles entre les mots maltraites par l'etymologie populaire ; ils ont tons ce caractere d'etre des interpretations pures et simples de formes incomprises par des Iormes connues. On voit des lors en quoi l'etyrnologie ressemble a l'analogic et en quoi elle en diflere. Les deux phenomenes n'ont qu'un caractere en commun : dans l'un et l'autre on utilise des elements significatifs fournis par la langue, mais pour le reste ils sont diametralement opposes. L'analogie suppose toujours l'oubli de la forme anterieure ; a la base de la forme analogique ii traisait (voir p. 231), il n'y a aucune analyse de la fonne ancienne il trayait ; l'oubli de cette forme est meme necessaire pour que sa rivale apparaisse. L'analogie ne tire rien de la substance des signes qu'elle remplace. Au contraire l'etymologie populaire se reduit a une interpretation de la forme ancienne ; le souvenir de celle-ci, meme confus., est le point de depart de la deformation qu'elle subit. Ainsi dans un cas c'est le souvenir, dans l'autre l'oubli qui est funkel L'ETYMOLOGIE POPULAIRE 241 il la base de l'analyse, et cette difference est capitale. L'etymologie populaire n'agit donc*quedans des conditions (286] particulieres et n'atteint que les mots rares, techniques ou ~trangers, que les sujets s'assimilent imparfaitement. L'analogie est, au contraire, un fait absolument general, qui appartient au fonctionnement normal de la langue. Ces deux phenomenes, si ressemblants par certains cotes, s'opposent dans leur essence ; ils doivent ~tre soigneusementdistingues, AGGLUTINATION ET ANALOGIE 243 d'un mot, comme nous l'avons vu p. 233 a propos du superlatif indo-europeen •swad­is­to­s et du superlatif grec l,ld­isto­s. CHAPITRE VII (2871 L'AGGLUTINATION* § 1. DEFINITION. A cote de l'analogie, dont nous venons de marquer l'importance, un autre facteur intervient dans la production d'unites nouvelles : c'est l'agglutination. Aucun autre mode de formation n'entre serieusement en ligne de compte : le cas des onomatopees (voir p. 101) et celui des mots forges de toutes pieces par un individu sans intervention de l'analogie (par exemple gaz), voire meme celui de l'etymologie populaire, n'ont qu'une importance minime ou nulle. L'agglutination consiste en ce que deux ou plusieurs termes originairement distincts, mais qui se rencontraient frequemment en syntagme au sein de la phrase, se soudent en une unite absolue ou difficilement analysable. Tel est le processus agglutinatif : processus, disons-nous, et non procede, car ce dernier mot implique une volonte, une intention, et l'absence de volonte est justement un caractere essentiel de l'agglutination. Voici quelques exemples. En francais on a dit d'abord ce cl en deux mots, et plus tard ceci : mot nouveau, bien que sa matiere et ses elements constitutifs n'aient pas change. Comparez encore : franc. tous jours ­. toujours, au jour d' hui -+- aujourd'hui, des ja -+- deja, vert jus ~ verjus. L'agglutination peut aussi souder les sous-unites En y regardant de plus pres, on distingue trois phases dans ee phenomene : 1 o la combinaison de plusieurs termes en un syntagme, comparable a tous les autres ; 2° l'agglutination proprement dite, soit la synthese des 6lements du syntagme en une unite nouvelle. Cette synthese se fait d'elle-meme, en vertu d'une tendance mecanique : quand un concept compose est exprime par une suite d'unites significatives tres usuelle, l'esprit, prenant pour ainsi dire le chemin de traverse, renonce a l'analyse et applique le concept en bloc sur le groupe de signes qui devient alors une unite simple ; 3° tous les autres changements susceptibles d'assimiler toujours plus l'ancien groupe a un mot simple : unification de I'accent (vert­jus ~ verjus), changements phonetiques speciaux, etc. On a souvent pretendu que ces changements phonetiques et accentuels (3) precedaient les changements intcrvenus dans le domaine de l'idee (2), et qu'il fallait expliquer la synthese semantique par l'agglutination et la synthase materielles ; ii n'en est probablement pas ainsi : c'est bien plutot parce qu'on a apercu une seule idee dans vert jus, tous jours, etc., qu'on en a fait des mots simples, et ce serait une erreur de renverser le rapport. § 2. AGGLUTINATION ET ANALOGIE, Le contraste entre l'analogie et l'agglutination est frappant: 1° Dans l'agglutination deux ou plusieurs unites se confondent en une seule par synthese (par exemple encore, de hanc horam), ou bien deux sous-unites n'en forment plus 244 LlNGUISTIQUE DIACRHONIQUE qu'une (cf. hid­isto­s, de •swiid­is­to­s,). Au contraire l'analogie part d'unites inferieures pour en faire une unite superieure. Pour creer pag­anus, elle a uni un radical pag­ et un suffixe ­anus. 20 L'agglutination opere uniquement dans la sphere syntagmatique ; son action porte sur un groupe donae ; elle ne considere pas autre chose. Au contraire l'analogie fait appel aux.series associatives aussi bien qu'aux syntagmes. · 30 L'agglutination n'offre surtout rien de volontaire, rien d'actif ; nous l'avons deja dit : c'est un simple processus meeanique, ou l'assemblage se fait tout seul. Au contraire. l'analogie est un precede, qui suppose des analyses et des combinaisons, une activite intelligente, une intention. On emploie souvent les termes de construction et de structure a propos de la formation des mots ; mais ces termes n'ont pas le meme sens selon qu'ils s'appliquent a l'agglutination ou a l'analogie. Dans le premier cas, ils rappellent la cimentation lente d'elements qui, en contact dans un syntagme, ont subi une synthese pouvant aller [usqu'au complet effacement de leurs unites originelles. Dans le cas de I'analogie, au contraire, construction veut dire agencement obtenu d'un seul coup, dans un acte de parole, par la reunion d'un certain nombre d'elements empruntes a diverses series associatives. On voit combien il importe de distinguer fun et l'autre mode de formation. Ainsi en latin possum n'est pas autre chose que la soudure de deux mots polis sum « [e suis le rnaitre » : c'est un agglutine ; au contraire, :;ignijer, agricola, etc., sont des produits de I'analogie, des constructions faites -fillf des modeles fournis par la langue. C'est aux creations analogiques seules qu'il faut reserver les termes de composes et de derioes), 1. Ceci revient a dire que ces deux phenornenss combinent leur action dans l'histoire de la langue ; mais !'agglutination precede toujours, et c'est elle qui fournit des modeles a l'analogie. Ainsl le type de composes AGGLUTINATION ET ANALOGIE 245 11 est souvent difficile de dire si une f orme analysable est nee par agglutination ou si elle a surgi comme construction analogique. Les linguistes ont discute a perte de vue sur les f ormes •es­mi, •es­ti, •ed­mi, etc., de l'indo-europeen. Les elements es-, ed­, etc., ont-ils ete, a une epoque tres ancienne, des mots veritables, agglutines ensuite avec d'autres : mi, ti, etc., ou hien •es­mi, •es­ti, etc., resultentils de combinaisons avec des elements extraits d'autrcs unites complexes du meme ordre, ce qui ferait remonter l'agglutination a une epoque anterieure a la formation des desinences en indo-europeen ? En l'absence de temoignages historiques, la question est probablement insoluble. L'histoire seule peut nous renseigner. Toutes les fois qu'elle permet d'affirmer qu'un element simple a cte autrefois deux ou plusieurs elements de la phrase, on est en face d'une agglutination : ainsi lat. hunc, qui remonte a horn ct (ce est attests epigraphiquement). Mais des que l'information historique est en defaut, il est bien difficile de determiner ce qui est agglutination et ce qui releve de l'analogie. qui a donne en grec hipp6-dromo-s, etc., est ne par agglutination partlelle Aune epoque de I'Indo-europeen ou les deslnences etalent lnconnues (ekwo dromo equlvalalt alors a un compose anglais tel que country house) ; mats c'est l'analogie qui en a fait une formation productive avant la soudure absolue des elements. 11 en est de meme du futur Iraneals (je feral, etc.), ne en latin vulgalre de !'agglutination de l'inflnitif avec le present du verbe habere (facere habeo = • j'al a faire •). Alnsl c'est par l'lnterventlon de l'analogle que !'agglutination cree des types syntaxlques et travaille pour la grammaire ; Ilvree a elle-rnerne, elle pousse la synthese des elements [usqu'a I'unlte absolue et ne produit que des mots Indecomposables et improductifs (type bane horam-. encore), c'est-a-dlre qu'elle travaille pour le lexlque (Ed.). UNITES, IDENTITES ET REALITES DIACHRONIQUES la formation des mots ; en voici un autre emprunte CHAPITRE VIII (288) UNITtS, IDENTms ET IIBALITts DIACHRONIQUES * La linguistique statique opere sur des unites qui existent selon l'enchainement synchronique. Tout ce qui vient d'etre dit prouve que dans une succession diachronique on n'a pas affaire a des elements delimites une fois pour toutes, tels qu'on pourrait les figurer par le graphique : --· 1 · 1--· I · 1-· 1 · EpoqueA EpoqueB Au contraire, d'un moment a l'autre ils se repartissent autrement, en vertu des evenements dont la langue est le theatre, de sorte qu'ils repondraient plutot a la figure: . . .1 , J l\' \/ , ___________ EpoqueA EpoqueB Cela resulte de tout ce qui a ete dit a propos des consequences de I'evolution phonetique, de l'analogie, de l'agglutination, etc. Presque tous les exemples cites jusqu'ici appartiennent a 247 a la syntaxe. L'indo-europeen ne connaissait pas les prepositions ; les rapports qu'elles indiquent etaient marques par des cas nombreux et pourvus d'une grande force significative. 11 n 'y avait pas non plus de verbes composes au moyen de preverbes, mais seulement des particules, petits mots qui s'ajoutaient a la phrase pour preciser et nuancer l'aetion du verbe. Ainsi, rien qui correspondtt au latin ire ob mortem • aller au-devant de la mort », ni a obire mortem ; on aurait dit : ire mortem ob. C'est encore I'etat du gree primitif : 1 ° oreos ba1no kdla ; oreos bafno signifie a lui seul • je viens de la montagne », le genitif ayant la valeur de l'ablatif ; kdta ajoute la nuance • en descendant ». A une autre epoque on a eu 20 kat/J. oreos ba1nii, ou kat/J. joue le r6le de preposition, ou encore 30 kata-bafno 6reos, par agglutination du verbe et de la particule, devenue preverbe. 11 y a ici deux ou trois phenomenes distincts, mais qui reposent tous sur une interpretation des unites : 1 o creation d'une nouvelle espece de mots, Jes prepositions, et cela par simple deplacement des unites recues, Un ordre particulier, indifferent a l'origine, dft peut-etre a une cause fortuite, a pennis un nouveau groupement : kata, d'abord independant, s'unit avec le substantif 6reos, et cet ensemble se joint a ba1no pour lui servir de complement ; 20 apparition d'un type verbal nouveau (katabafno) ; c'est un autre groupement psychologique, favorise aussi par une distribution speciale des unites et consolide par l'agglutination ; 30 comme consequence naturelle : affaiblissement du sens de la desinence du genitif (dre-os) ; c'est kata qui sera charge d'exprimer l'idee essentielle que le genitif etait seul a marquer autrefois : l'importance de la desinence -os en est diminuee d'autsnt. Sa disparition future est en germe dans le phenomene. Dans Jes trois cas ii s'agit done bien d'une repartition nouvel1e des unites, C'est la meme substance avec d'autres UNGUIS11QUE DIACHRONJQVB fonctions i car - chose ll remarquer - aucun changement phonetique n'est intervenu pour provoquer l'un ou l'autre de ces deplacements, D'autre part, hien que la matiere n'ait pas varie, il ne faudrait pas croire que tout se passe dans le domaine du sens : ii n'y a pas de phenomene de 1yntaxe sans l'union d'une certaine chatne de concepts ll une certaine chatne d'unites pboniques (voir p. 191), et c'est justement ce rapport qui a ete modifle. Les sons subsistent, mais Jes unites significativ.es ne sont plus lea memes, Nous avons dit p. 109 que l'alteration du signe est un deplacement de rapport entre le signifiant et le signifie. Cette definition s'applique non seulement a l'alteration des termes du systeme, mais il l'evolution du systeme Iui-meme , le phenomene diachronique dans son ensemble n'est pas autre chose. Cependant, quand on a constate un certain deplacement des unites synchroniques, on est loin d'avoir rendu compte de ce qui s'est passe dans la langue. 11 ya un probleme de l'unite diachronique en soi ; il consiste a se demander, ll propos de chaque evenement, quel est I'element soumis d.irectement a l'action transformatrice. Nous avons deja rencontre un probleme de ce genre a propos des changements phonetiques (voir p. 133) ; ils n'atteignent que le phoneme Isole, tandis que le mot, en tant qu'unite, lui est etranger. Comme il y a toutes sortes d'evenements diachroniques, on aura a resoudre quantite de questions analosues, et Jes unites qu'on delimitera dans ce domaine ne gorrespondront pas necessairement a celles du domaine cynchronique. Conformement au principe pose dans la premiere partie, la-notion d'unite ne peut pas ~tre la meme dans les deux ordres. En tous cas, elle ne sera pas completement elucidee tant qu'on ne l'aura pas etudiee sous ses deux aspects, statique et evolutif. Seule la solution du probleme de I'unite diachronique nous permettra de depasser usrrss, IDENTJTES ET REALlttS DIACHRONJOUES 249 Ies apparences du phenomene d'evolution et d'atteindre son essence. lei comme en synchronie la connaissance des unites est indispensable pour distinguer ce qui est illusion et ce qui est realite (voir p. 153). Mais une autre question, partlcullerement delicate, est celle de l'identite diachronique. En effet, pour que je puisse dire qu'une unite a persiste identique a elle-meme, ou que tout en persistant comme unite distincte, elle a change de f onne ou de sens - car tous ces cas sont possibles, - ii faut que je sache sur quoi je me fonde pour afflrmer qu'un element pris a une epoque, par exemple le mot Irancais chaud, est la meme chose qu'un element pris a une autre epoque, par exemple le latin calidum. A cette question, on repondra sans doute que calidum a dO devenir regulierement chaud par l'action des lois phonetiques, et que par consequent chaud = calidum. C'est ce qu'on appelle une identite phonetique. II en est de meme pour sevrer et sipatiue ; on dira au contraire que fl~urir n'est pas la meme chose que /Mrere (qui aurait donne • flouroir), etc. Ce genre de correspondance semble au premier abord recouvrir la notion d'identite diachronique en general. Mais en fait, ii est impossible que le son rende compte a lui seul de I'identite. On a sans doute raison de dire que lat. mare doit paraitre en Irancais sous la forme de mer parce que tout a est devenu e dans certaines conditions, parce que e atone final tombe, etc. ; mais affinner que ee sont ces rapports a+e, e+zcro, etc., qui constituent l'identite, c'est renverser les termes, puisque c'est. au contraire au nom de la correspondance mare : mer que je juge que a est devenu e, que e final est tombe, etc. Si deux personnes appartenant a des regions diflerentes de la France disent l'une se fdcher, l'autre se /ocher, la difference est tres secondaire en comparaison des faits grammaticaux qui pennettent de reconnattre dans ces deux 250 LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE formes distinctes une seule et meme unite de langue. Or l'identite diachronique de deux mots aussi differents que calidum et chaud signifie simplement que l'on a passe de l'un a l'autre a travers une serie d'identites synchroniques dans la parole, sans que jamais le lien qui les unit ait ete rompu par les transformations phonetiques successives. Voita pourquoi nous avons pu dire p. 150, qu'il est tout aussi interessant de savoir comment Messieurs I repete plusieurs fois de suite dans un discours est identique a lui-meme, que de savoir pourquoi pas (negation) est identique a pas (substantif) ou, ce qui revient au meme, pourquoi chaud est identique a coli­ dum. Le second probleme n'est en effet qu'un prolongement et une complication du premier. APPENDICES AUX TROISIEME ET QUATRIEME PARTIES* A. ANALYSE SUBJECTIVE ET ANALYSEOBJECTIVE, L'analyse des unites de la langue, faite a tous les instants par les sujets parlants, peut etre appelee analyse subjec­ tive; il faut se garder de la confondre avec l'analyse objective, fondee sur l'histoire. Dans une forme comme grec hippos, le grammairien distingue trois elements : une racine, un suffixe et une desinence (hlpp-o-s) ; le grec n'en apercevait que deux (hlpp-os, voir p. 213). L'analyse objective voit quatre sous-unites dans amabiis (am-ii-ba-s) ; les Latins coupaient amii­bii­s ; ii est meme probable qu'ils regardaient ­biis comme un tout flexionnel oppose au radical. Dans les mots francais entier (lat. in­teger « intact »), en/ant (lat. in­ /ans u qui ne parle pas n), enceinte (lat. in­cincta « sans ceinture »), l'historien degagera un preflxe commun en­, identique au inprivatif du latin ; l'analyse subjective des sujets parlants l'ignore totalement. Le grammairien est souvent tente de voir des erreurs dans les analyses spontanees de la langue ; en fait l'analyse subjective n'est pas plus fausse que la a fausse » analogie (voir p. 223). La langue ne se trompe pas ; son point de vue est different, voila tout. 11 n'y a pas de commune mesure entre l'analyse des individus parlants et celle de I'historien, bien que toutes deux usent du meme precede : la confrontation des series qui presentent un meme element. Elles se justifient l'une et l'autre, et chacune con- (289] 252 APPENDICES serve sa valeur propre ; mais en dernier ressort celJe des sujets importe seule, car elle est fondee directement sur les faits de langue. L'analyse historique n'en est qu'une forme derivee. Elle consiste au fond a projeter sur un plan unique les constructions des differentes epoques. Comme la decomposition spontanee, elle vise a connaitre les sous-unites qui entrent dans un mot, seulement elle fait la synthese de toutes les divisions operees au cours du temps, en vue d'atteindre la plus ancienne. Le mot est comme une maison dont on aurait change a plusieurs reprises la disposition interieure et la destination. L'analyse objective totalise et superpose ces distributions successives ; mais pour ceux qui occupent la maison, il n'y en a jamais qu'une. L'analyse hlpp-o-s, examinee plus haut, n'est pas Iausse, puisque c'est la conscience des sujets qui l'a etablie ; elle est simplement « anachronique », elle se reporte a une autre epoque que celle oil elle prend le mot. Ce hlpp-o-s ne contredit pas le hlpp--0s du grec classique, mais il ne faut pas le juger de la meme Iacon, Cela revient a poser une fois de plus la distinction radicale du diachronique et du synchronique. Et ceci permet au surplus de resoudre une question de methode encore pendante en linguistique. L'ancienne ecole partageait les mots en racioes, themes, suffixes, ete., et donnait ces distinctions une valeur absolue. A lire Bopp et ses disciples, on croirait que les Grecs avaient apporte avec eux depuis un temps immemorial un bagage de racines et de suffixes, et qu'ils s'occupaient a confectionner leurs mots en parlant, que pater. par exemple, etait pour eux rac. pa+sulT. ter, que d6s6 dans leur bouche representait la somme de do + so + une desinence personnelle, etc. On devait necessairemcnt reagir contre ces aberrations, et le mot d'ordre, tres [uste, de cette reaction, fut : observez ce qui se passe dans les langues d'aujourd'hui, dans le langage de tous lcs jours, ct n'attribuez aux periodes a DETERMINATION DES SOUS-UNITES 253 anciennes de la langue aucun processus, aucun phenomene qui ne soit pas constatable actuellement. Et comme le plus souvent la langue vivante ne permet pas de surprendre des analyses comme en faisait Bopp, les neogrammairiens, forts de leur principe, declarent que racines, themes, suffixes, etc., sont de pures abstractions de not.re esprit et que, si l'on en fait usage, c'est uniquernent pour la commodite de l'exposition, Mais s'il n'y a pas de justification a l'etahlissement de ces categories, pourquoi les etablir ? Et quand on le fait, an nom de quoi declare-t-on qu'une coupure comme bipp­o­s, par exemple, est preferable a une autre comme bipp­os 'I L'ecole nouvelle, apres avoir reconnu les defauts de l'ancienne doctrine, ce qui etait facile, s'est contentee de la rejeter en theorie, tandis qu'en pratique elle restait comme embarrassee dans un appareil scientifique dont, malgre tout, elle ne pouvait se passer. Des qu'on raisonne ces « abstractions », on voit la part de realite qu'elles representent, et un correctif tres simple suffit pour dormer a ces artifices du grammairien un sens Iegitime et exact. C'est ce qu'ou a essaye de faire plus haut, en montrant que, unic par un lien interieur a l'analyse subjective de la langue vivante, l'analyse objective a une place legitime et determinee dans la methode linguistiq ue. B. L' ANALYSE SUBJECTIVE ET LA DETERMINATION DES SOuS-UNITES. En matiere d'analyse, on ne peut done etablir une methode ni formuler des definitions qu'apres s'etre place dans le plan synchronique. C'cst ce que nous voudrions montrer par quelques observations sur les parties du mot : prefixes, racines, radicaux, suffixes, desinencesl. 1. F. de Saussure n'a pas aborde, du moins au point de vue synchronique, la question des mots composes. Cet aspect du probleme doit done APPENDICES DETERMINATION Commencons par la desinenee, c'est-a-dire la caracteris- tique flexionnelle ou element variable de fin de mot qui distingue les formes d'un paradigme nominal ou verbal. Dans zeugnu.­mi, zeugnu­s, zeugnu­si, zeugnu­men, etc., er j'attelle, etc. », les desinences, ­mi, ­s, ­si, etc., se delim.itent simplement parce qu'elles s'opposent entre elles et avec la partie anterieure du mot (zeugnu­). On a vu (pp. 123 et 163) a propos du genitif tcheque par opposition au nominatif que I'ahsence de desinence peut jouer le meme role qu'une desinence ordinaire. Ainsi en gree zeugnu / « attelle I » oppose a zeugnu­te I er attelez ! JI, etc., ou le vocatif rhetor I oppose a rhitor­os, etc., en franeais mar.§ (ecrit er marche I»), oppose a mar§o (ecrit er marchons I»), sont des fonnes flechies a desinence zero. Par I'eliminaticn de la desinence on obtient le thhne de flexion ou radical, qui est, d'une facon generale, l'element commun degage spontanement de la comparaison d'une serie de mots apparentes, flechis ou non, et qui porte l'idee commune a tous ces mots. Ainsi en Iranc;ais dans Ia serie roulis, rouleau, rouler, roulage, roulemeni, on perc;oit sans peine un radical roul-. Mais !'analyse des sujets parlants distingue sou vent dans une meme · famille de mots des radicaux de plusieurs especes, ou mieux de plusieurs degres, L'element zeugnfL·, degage plus haut de zedgnil· mi, zerignu­s, etc., est un radical du premier degre ; ii n'est pas irreductible, car si on le compare avec d'autres series (zeugnumi, zeukiss, zetlksis, zeuktb', zugon, ete., d'une part, zeugnumi, deikniuni, 6rnumi, etc., d'autre part), la division zeug­nu se presentera d'elle-meme. Ainsi zeug­ (avec ses formes alternantes zeug­ zeuk­ zug­, voir p. 220) zena, zen, reserve ; 11 va sans dire que la distinction diachronique etablie plus haut entre les composes et les agglutlnes ne saurait ttre transportee telle quelle lei, o~ ii s'aglt d'analyser un etat de langue, D est il peine besoin de faire rem.arguer que cet expose, relatif aux sous-unites, ne pretend pas resoudre la question plus delicate soulevee pp. 147 et 154, ttre entterement de la diflnltJon. du mot considere comme unite (Ed.). DES SOUS-UNITES 255 est un radical du second degre ; mais ii est, lui, irreductible, car on ne peut pas pousser plus loin la decomposition par compa raison des f ormes parentes. On appelle racine cet element irreductible et commun a tous les mots d'une meme famille. D'autre part, comme toute decomposition subjective et synchronique ne peut separer les elements materiels qu'en envisageant la portion de sens qui revient a chacun d'eux, la racine est a cet egard l'element ou le sens commun a tous les mots parents atteint le maximum d'abstraction et de generalite. Naturellement, cette indetermination varie de racine a racine ; mais elle depend aussi, dans une certaine mesure, du degre de reductibilite du radical ; plus celui-ci subit de retranchements, plus son sens a de chances de devenir abstrait. Ainsi zeuqmdtion designe un « petit attelage », zeugma un « attelage ,, sans determination speciale, enfin zeug­ renferme l'idee indeterminee d' « atteler n, Il s'ensuit qu'une racine, cornme telle, ne peut constituer un mot et recevoir l'adjonction directe d'une desinence. En effet nn mot represents toujours une idee relativement determinee, au moins au point de vue grammatical, ce qui est contraire a la generalite et a l'abstraction propres a la racine. Que faut-il alors penser du cas tres frequent ou racine et theme de flexion semblent se con· fondre, comme on le voit dans le grec phloks, gen. phlog6s • flamme "• compare a la racine phleg­ : phlog­ qui se trouve dans tous les mots de la meme famille (cf. phleg­o, etc.) ? N'est-ce pas en contradiction avec la distinction que nous venons d'etablir ? Non, car ii faut distinguer phleg­: phlog­ il sens general et phlog­ a sens special, sous peine de ne considerer que la forme materielle a , l'exclusion du sens. Le meme element phonique a ici deux valeurs differentes ; i1 constitue done deux elements linguistiques distincts (voir p. 147). De meme que plus haut zeugnii. I « attelle I », nous apparaissait comme un mot flechi a desinence zero. nous APPENDICES DETERMINATION a dirons que phl6g­ 11 flamme I) est un theme suffixe zero. Aucune confusion n'est possible : le radical reste distinct de la racine, meme s'il lui est phoniquement identique, La racine est done une realite pour la conscience des sujets parlants. Il est vrai qu'ils ne la detachent pas toujours avec une egale precision ; il y a sous ce rapport des differences, soit au sein d'une meme langue, soit de langue a langue. Dans certains idiomes, des caracteres precis signalent la racine a l'attention des sujets. C'est le cas en allemand, ob elle a un aspect assez uniforme ; presque toujours monosyllabique (cl. skeit­, bind­, hait­, etc.), elle obeit a certaines regles de structure : les phonemes n'y apparaissent pas dans un ordre quelconque ; certaines comhinaisons de consonnes, telles que occlusive + liquide en sont proscrites en finale : werk­ est possible, uiekr­ ne l'est pas; on rencontre 1zelf­, uierd­, on ne trouverait pas hefl­, wedr. Rappelons que les alternances regulieres, surtout entre voyelles, renforcent bien plus qu'elles n'aflaiblissent le sentiment de la racine et des sous-unites en general ; sur ce point aussi l'allemand, avec le jeu varie de ses ablauts (voir p. 21 ?), differe profondement du francais. Les racines semitiques ont, a un plus haut degre encore, des caracteres analogues. Les alternances y sont tres regulieres et determinent un grand nombre d'oppositions complexes (cf. hebreu q~al, 'llaltem, qt,ol, qiJlii., etc., toutes formes d'un meme verbe signifiant « tuer ») ; de plus elles presentent un trait qui rappelle le monosyllabisme allemand, mais plus frappant : elles renferment toujours trois consonnes (voir plus loin, p. 315 sv.), Sous ce rapport, le francais est tout different. 11 a peu d'alternances et, a cote de racines monosyllabiques (roul-, marcb­, mang­), il en a beaucoup de deux et meme trois syllahes (commenc-, besit­, epouvant­). En outre les formes de ces racines offrent, notamment dans leurs finales, des DES SOUS-UNITES comhinaisons trop diverses pour ~tre reductibles A des r~l~ (cl. tu­er, reqn­er, guid­er, grond­er, souffl­er, tard­ er, enir­er, hurl­er, etc.). 11 ne faut done pas s'etonner s1 le sentiment de la racine est fort peu developpe en fran~s. La determination de la racine entratne par contre-coup eelle des prefixes et suffixes. Le prefixe precede la partie du mot reconnue comme radicale, par exemple bupo- dans le grec hupo­zeu.gnii.mi. Le suffi.xe est I'element qui s'ajoute A la racine pour en faire un radical (exemple : zeug­mat­), ou un premier radical pour en faire un du second degre (par exemple zeugmat­io­). On a vu plus haut que cet element, eomme la desinence, peut ~tre represente par zero. L'extraction du suffixe n'est done qu'une autre face de I'analyse du radical. Le suffixe a tantot un sens concret, une valeur semantique, comme dans zeuk­iir­, ou ­ter­ designe l'agent, l'auteur de I'action, tantot une fonction purement grammaticale, comme dans zeu.g­nii(­mz), on ­nii­ marque l'idee de present. Le prefixe peut aussi jouer l'un et l'autre rl>le. mais il est rare que nos langues lui donnent la fonction grammaticale ; exemples : le ge­ du participe passe allemand (ge­setzt, etc.), les prefixes perfectifs du slave (russe na­pisdt', a etc.). Le prefixe differe encore du suffixe par un caractere qui, sans ~tre absolu, est assez general : il est mieux delimite, parce qu'il se detache plus facilement de l'ensemble du mot. Cela tient a la nature propre de cet element ; dans la majorite des cas, ce qui reste apres elimination d'un prefixe fait l'effet d'un mot constitue (cf. recommencer : commencer, indigne : digne, maladroit : adroit, contrepoids : poids, etc.). Cela est encore plus frappant en latin, en grec, en allemand. Ajoutons que plusieurs prefixes fonctionnent comme mots independants : cf. franc. centre, mal, avant, sur, all. unier, tor, etc., grec katd, pro, etc. 11 en va tout autrement 258 L'ETYMOLOGIE APPENDICES du suffixe : le radical obtenu par la suppression de cet eMment est un mot incomplet ; exemple : Iranc. organisation : orqanis­, all. Trennung : trenn­, grec uagma : zeug­. etc .• et d'autre part. le suffixe lui-meme n'a aucune existence autonome. 11 resulte de tout cela que le radical est le plus souvent delimite d'avance dans son commencement : avant toute eomparaison avec d'autres formes, le sujet parlant sait oti placer la liinite entre le prefixe et ce qui le suit. Pour la fin du mot il n'en est pas de meme : la aucune limite ne s'impose en dehors de la confrontation de formes ayant msme radical ou meme suffixe, et ces rapprochements aboutiront a des delimitations variables selon Ia nature des term.es rapproches. Au point de vue de l'analyse subjective, les sufllxes et les radicaux ne valent que par les oppositions syntagmatiques et associatives : on peut, selon l'occurrence, trouver un element formatif et un element radical dans deux parties opposees d'un mot. quelles qu'elles soient, pourvu qn'elles donnent lieu a une opposition. Dans le latin dictatorem, par exemple, on verra un radical dictalor­{em), si on le compare a consul­em, ped­em, etc., mais un radical dicta­ (torem) si on le rapproche de lie­to­rem, saip-umm; etc., un radical dic­{tatorem), si l'on pense a po­tatorem. canta­ totem. D'une maniere generale, et dans des circonstances favorables, le sujet parlant peut etre amene a faire toutes les coupures imaginables (par exemple : dictal­orem, d'apres am-srem, ard-srem, etc., dict­atorem, d'apres or­ii.torem, aralorem, etc.). On sait (voir p. 233) que Ies resultats de ces analyses spontanees se manif estent dans les formations analogiques de chaque ·epoque ; ce sont elles qui permettent de distinguer les sous-unites (racines, prefixes, suffixes, desinences) dont la Iangue a conscience et les valeurs qu'elle y attache. c. 259 L'ETYMOLOGIE.* L'etymologle n'est ni une discipline distincte ni une partie de la linguistique evolutive ; c'est seulement une application speciale des principes relatifs aux faits synchroniques et diachroniques. Elle remonte dans le passe des mots [usqu'a ce qu'elle trouve quelque chose qutles explique. Quand on parle de l'orlgine d'un mot et qu'on dit qu'il « vient • d'un autre, on peut entendre plusieurs choses ditferentes : ainsi sel vient du latin sal par simple alteration du son ; labourer « travailler la terre 11 vient de l'ancien franeais labourer « travailler en general , par alteration du sens seul ; couuer vient du latin cubiire « etre conche » par alteration du sens et du son ; enfin quand on dit que pommier vient de pomme, on marque un . rapport de derivation grammaticale. Dans les trois premiers cas on opere sur des identites diachroniques, le quatrieme repose sur un rapport synchronique de plusieurs termes differents : or tout ce qui a ete dit a propos de I'analogie montre que c'est la la partie la plus importante de la recherche etymologique. L'etymologie de bonus n'est pas flxee parce qu'on remonte a dvenos ; mais si l'on trouve que bis remonte a dvis et qu'on puisse par la etablir un rapport avec duo, cela peut Hre appele nne operation etymologique ; ii en est de meme du rapprochement de oiseau avec auicellus, car il permet de retrouver le lien qui unit oiseau a avis. L'etymologie est done avant tout l'explication des mots par la recherche de leurs rapports avec d'autres mots. Expliquer veut dire : ramener a des termes connus, et en linguistique expliquer zm mot, c'est le ramener a d'autres mots, puisqu'il n'y a pas de rapports necessaires entre le son et le sens (principe de l'arbitraire du signe, voir p. 100). [2901 260 APPENDICES L'etymologie ne se contente pas d'expliquer des mots isoles ; elle fait l'histoire des familles de mots, de meme qu'elle fait celle des elements formatifs, prefixes, suffixes, etc. Comme la linguistique statique et evolutive, elle decnt des faits, mais cette description n'est pas methodique, puisqu'elle ne se fait dans aucune direction determinee. A propos d'un mot pris comme objet de la recherche, I'etymologie emprunte ses elements d'information tour a tour a la phonetique, a la morphologie, a la semantique, etc. Pour arriver a ses fins, elle se sert de tous les moyens que la linguistique met a sa disposition, mais elle n'arrete pas son attention sur la nature des operations qu'elle est obligee de faire. QUATRitME PARTIE LINGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE CHAPITRE PREMIER DE LA DIVERSIT~ DES LANGUES * En abordant la question des rapports du phenomene linguistique avec l'espace, on quitte la linguistique interne pour entrer dans la linguistique externe, dont le chapitre V de l'Introduction a deja marque l'etendue et la varieU. Ce qui frappe tout d'abord dans l'etude des langues, c'est leur diversite, les differences linguistiques qui apparaissent des qu'on passe d'un pays a un autre, ou meme d'un district a un autre. Si les divergences dans le temps echappent souvent a l'observateur, les divergences dans l'espace sautent tout de suite aux yeux ; les sauvages eux-memes les saisissent, gr~ce aux contacts avec d'autres tribus parlant une autre langue. C'est meme par ces comparaisons qu'un peuple prend conscience de son idiome. Remarquons, en passant, que ee sentiment fait nattre ehez les primitifs, l'idee que la langue est une habitude, une coutume analogue a celle du costume ou de l'armemeut. Le terme d'idzome designe fort justement la langue comme refletant Ies trait, propres d'une communaute (le grec idUJma avait deja le sens de « coutume speciale 11). 11 y a lA une idee [uste, mais qui devient une erreur lorsqu'on va (291 I 262 LIN GUISTIQUE GEOGRAPHIQUE [usqu'a voir dans la langue un attribut, non plus de la nation, mais de la race, au meme titre que la couleur de la peau ou la forme de la tete. Ajoutons encore que chaque peuple croit a la superiorits de son idiome.. Un homme qui parle une autre langue est volontiers considere comme incapable de parler ; ainsi le mot grec bdrbaros parait avoir signifle « begue » et etre parent du latin balbus; en russe, les Allemands sont appeles Nemtsy, c'est-a-dire u les muets ». Ainsi la diversite geographique a ete la premiere constatation faite en linguistique ; elle a determine la forme initiale de la recherche scientifique en matiere de langue, meme chez les Grecs ; il est vrai qu'ils ne se sont attaches qu'a la la variete existant entre lcs differents dialectes helleniques ; mais c'est qu'en general leur interet ne depassait guere les limites de la Grece elle-meme. Apres avoir constate que deux idiomes different, on est amene instinctivement a y decouvrir des analogies. C'est la une tendance naturelle des sujets parlants. Les paysans aiment a comparer leur patois avec celui du village voisin ; les personnes qui pratiquent plusieurs langues remarquent les traits qu'elles ont en commun. Mais, chose curieuse, la science a mis un temps enorme a utiliser les constatations de cet ordre ; ainsi les Grecs, qui avaient observe beaucoup de ressemblances entre le vocabulaire latin et le leur, n'ont su en tirer aucune conclusion linguistique, L'observation scientifique de ces analogies permet d'affirmer dans certains cas que deux ou plusieurs idiomes sont unis par un lien de parente, c'est-a-dire qu'ils ont une origine commune. Un groupe de langues ainsi rapprochees s'appelle une famille ; la linguistique moderne a reconnu successivement les familles indo-europeenne, semitique, bantoue1, etc. Ces familles peuvent ~tre a leur tour compaLe bantou est un ensemble de langues parlees par des populations de l' Afrlque sud-equatoriale, notamment les Cafres (Ed.). DIVERSITE DES LANGUES 263 rees entre elles et parfois des filiations plus vastes et plus anciennes se font jour. On a voulu trouver des analogies entre le finno-ougrien! et l'mdo-europeen, entre ce dernier et le semitique, .etc. Mais les comparaisons de ce genre se beurtent vite a des barrieres infranchissables. 11 ne faut pas confondre ce qui peut etre et ce qui est demontrable. La parente universelle des langues n'est pas probable, mais f11t-elle vraie - comme le croit un linguiste italien, M. Trombetti! - elle ne pourrait pas etre prouvee, a cause du trop grand nombre de changements intervenus. Ainsi a cote de la diversite dans la parente, il y a une diversite ahsolue, sans parente reconnaissable ou demontrable. Quelle doit etre la methode de la linguistique dans l'un et l'autre cas ? Cornrnenconspar le second, le plus frequent. II y a, cornme .'l vient de le dire, une multitude infinie de langues et dt Iamilles de langues irreductibles les unes aux autres. Tel est, par exemple, le chinois a l'egard des langues indo-europeennes. Cela ne vent pas dire que la comparaison doive abdiquer ; elle est toujours possible et utile ; elle portera aussi bien sur l'organisme grammatical et sur les types generaux de l'expression de la pensee que sur le systeme des sons ; on comparera de meme des faits d'ordre diachronique, l'evolution phonetique de deux langues, etc. A cet egard Ies possibilites, bien qu'en nombre incalculable, sont limitees par certaines donnees constantes, phoniques et psychiques, a l'interieur desquelles toute langue doit se constituer ; et reciproquernent, c'est la decouverte de ces donnees constantes qui est 1. Le finno-ougrien, qui comprend entre autres le finnols proprement dit ou suomi, le mordvin, le lapon, etc., est une famille de langues parlees dans la Russie septentrionale et la Siberie, et remontant certainement a un ldiome primltif commun : on la rattache au groupe tres vaste des tangues dites ouralo-altatques, dont la communaute d'orlginc n'est pas prouvee, malgre certains traits qui se retrouvent dans toutes (Ed.). 2. Voir son ouvrage L'unita d'origine del linguaggio, Bologna, 19(·5,(Ed.). 264 LINGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE le but principal de toute comparaison faite entre langues Irreductibles les unes aux autres. Quant il l'autre categorie de diversites, celles qui existent au sein des fam.illes de langues, elles offrent un champ illimite la comparaison. Deux idiomes peuvent differer tous les degres : se ressembler etonnamment, comme le zend et le sanscrit, ou paraitre entierement dissemblables, comme le sanscrit et l'irlandais ; toutes les nuances intermediaires sont possibles : ainsi le grec et le latin sont plus rapproches entre eux qu'ils ne le sont respectivement du sanscrit, etc. Les idiomes qui ne divergent qu'a un tres faible degre sont appeles dialedes ; mais ii ne faut pas donner a ee terme un sens rigoureusement exact ; nous verrons p, 278 qu'il y a entre Jes dialectes et les langues une difference de quantite, non de nature. a a CHAPITRE II COMPLICATIONS DE LA DIVERSIT~ G~OGRAPHIQUE* § J, COEXISTENCE DE PLUSIEURS LANGUES SUR UN MtME POINT, La diversite geographique a ete presentee jusqu'ici sous sa f orme Ideale : autant de territoires, autant de langues distinctes. Et nous etions en droit de proceder alnsl, car la separation geographique reste le facteur le plus general de la diversite linguistique. Abordons maintenant les faits secondaires qui viennent troubler cette correspondance et dont le resultat est la coexistence de plusieurs langues sur un meme territoire. Il n'est pas ici question du melange reel, organique, de a l'mterpeuetratlon de deux idiomcs aboutissant un changcment dans l, systeme (cf. I'anglais apres la eonquete normandc). D ne s'agit pas non plus de plusieurs langues nettement separees territcrialement, mais comprises dans les limites d'un mane £tat politique, comme c'est le caa en Suisse. Nous envisagerons seulement le fait que deux idiomes peuvent vivre cote cOte dans un meme lieu et coexister sans se conf ondre. Cela se voit tres souvent ; mais il faut distinguer deux eas, Il peut arriver d'abord que la Iangue d'unc nouvelle population vienne se superposer il celle de la population indigene. Ainsi dans l'Afrique du Sud, ll cote de plusieurs dialectes negres, on const.ate la presence du hollandais et de a (2921 266 LINC.UISTIQUE GEOGRAPHIQUE l'anglais, resultat de deux colonisations successives ; c'est de la meme Iaeon que l'espagnol s'est implante au Mexique. 11 ne faudrait pas croire que les empietements linguistiques de ce genre soient speciaux a I'epoque moderne. De tout temps on a vu des nations se melanger sans confondre leurs idiomes. ll suffit, pour s'en rendre compte, de jeter les yeux sur la carte de I'Europc actuelle : en Irlande on parle le celtique et l'anglais ; beaucoup d'lrlandais possedent les deux langues. En Bretagne on pratique le Lreton et le franeais ; dans la region hasque 011 se sert du f rancais ou de l'espagnol en meme temps que du basque. En Finlande le suedois et le finnois coexistent depuis assez longtemps ; le russe est venu s'y ajouter plus recemment ; en Courlande et en Livonie on parle le lette, l'aJlemand et le russe ; l'allemaad, importe par des colon, venus au moyen Age sous les auspices de la ligue hanseatique, appartient a une classe speeiale de la population ; le russe y a ensuite ete importe par voie de conquete. La Lituanie a vu s'implanter a c~te du lituanien le polonais, consequence de son ancienne union avec la Pologne, et le russe, resultat de l'incorporation a l'empire moscovite. Jusqu'au xvme siecle, le slave et l'allemand etaient en usage dans toute la region orientale de l' Allemagne a partir de l'Elbe. Dans certains pays la confusion des langues est plus grande encore ; en Macedoine on rencont.re tout.es les langucs imaginables : le turc, le hulgare, le serbe, le grec, l'albanais, le roumain, etc., meles de facons diverses suivant les regions, Ces langucs ne sont pas toujours absolument melangees ; leur coexistence dans une region donnee n'exclut pas une relative repartition territoriale. Il arrive, par exemple, que de deux langues l'une est parlee dans les villes, J'autre dans les campagnes ; mais cette repartition n'est pas toujours nette. Dans l'antiquite, memes phenomenes, Si nous possedions la carte linguistique de l'Empire remain, elle nous LANGUE LITI'ERAIRE ET IDIOME LOCAL montrerait des Iaits tout semblahles a ceux de l'epoque moderne. Ainsi, en Campanie, vers la fin de Ia Republiqne, on parfait : l'osque, comme lcs inscriptions de Pompei en font foi ; le grec, langue des colons Iondateurs de Naples, etc. ; Je Jatin ; neut-etre meme l'etrusque, qui avait regne sur cette region avant l'arrivee des Roruains. A Carthage, le punique ou phenicien svait persiste a c6te du latin (ii existait encore a l'epoque de l'invasion arabe), sans compter que le numide se parlait certainement sur territoire car· thaginois. On peut presquc admettre que dims l'antiquite, auteur du bassin de la Mediterranee, les pays unilingues formaient l'exception. Le plus souvent cette superposition de langues a cte amenee parI'envahisscment d'un peuple snperieur en force ; mais il y a aussi la colonisation, Ia penetration pacifique ; puis le cas des tribns nomades qui transportent leur parler avec elles. C'est 'ce qu'ont fait les tziganes, fixes surtout en Hongrie, oil ils forment des villages compact, ; l'etude de leur languc a montre qu'ils ont dt1 venir de l'lnde a une epoque inconnue. Dans la Dobroudja, aux houches du Danube, on trouve des villages tatares eparpilles, marquant de petites taehes sur la carte linguistique de cette region. § 2. LA~GUE U1TERAIRE ET IDIOME LOCAL. Ce n'est pas tout encore : l'unite linguistique peut ~tre detruite quand un idiome naturel subit l'influence d'une langue litteraire. Cela se produit infailliblement toutes les fois qu'un peuple arrive a un certain degre de civilisation. Par « langue litteraire » nous entendons non seulement la langue de la litterature, mais, dans un sens plus general, toute espece de langue cultivee, officielle ou non, au service de la communaute tout entiere. Livree a elle-meme, la langue ne connatt que des dialectes dont aucun n'empiere 268 U:SGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE sur les autres, et par la elle est vouee a un fractionnement indefini. Mais comme la civilisation, en se developpant, multiplie les communications, on choisit, par une sorte de convention tacite, l'un des dialectes existants pour en faire la vehicule de tout ce qui interesse la nation dans son ensemble. Les motifs de ce choix sont divers : tantot on donne la preference au dialecte de la region ou la civilisation est le plus avancee, tantot a celui de la province qui a l'hegemonie politique et ou siege le pouvoir central ; tantot c'est une cour qui impose son parler a la nation. Une fois promu au rang de langue officielle et commune, le dialecte privilegie reste rarement tel qu'il etait auparavant. Il s'y mele des elements dialectaux d'autres regions ; il devient de plus en plus composite, sans cependant perdre tout a fait son caractere originel : ainsi dans le franeais Iitteraire on reconnatt hien le dialecte de l'Ile-de-France, et le toscan dans l'italien commun. Quoi qu'il en soit, la langue litteraire ne s'impose pas du jour au lendemain, et une grande partie de la population se trouve etre bilingue, parlant a la fois la langue de tons et le patois local. C'est ce qu'on voit dans bien des regions de la France, commela Savoie, ou le francais est one langue importee et n'a pas encore etoufle Jes patois dn terroir. Le fait est general en Allemagne et en Italie, oil partout le dialecte persiste a cote de la langue officielle. Les memes faits se sont passes dans tous Jes temps, chez tons les peuples parvenus a un certain degre de civilisation. Les Grecs ont eu leur koini; issue de l'attique et de l'ionien, et a cote de laquelle les dialectes locaux ont subsiste, Meme dans l'ancienne Babylone on croit pouvoh etablir qu'il y a eu une langue officielle a cote des dialectes regionaux. Une langue generate suppose-t-elle forcement l'usage de I'ecriture '1 Les poemes homeriques semblent prouvsr le contraire ; bien qu'ils aient vu le jour a une epoque ou l'on LANGUF. I.ITTERAJRE ET IDIOME LOCAi, 269 ne faisait pas ou presque pas usage de l'ecriture, lenr langue est conven tionnelle et accuse tous les caracteres d'une langue litteraire. Les faits dont il a ete question dans ce chapitre sont si frequents qu'ils pourraient passer pour un facteur normal dans l'histoire des langucs. Cependant nous f erons ici abstraction de tout ce qui trouble la vue de la diversite geographlque naturclle, pour considerer le phenomene primordial, en dehors de toute importation de langue etrangere et de toute formation d'une langue litteraire. Cette simplification schematique semhle faire tort a la realite ; mais le fait nature! doit etre d'abord etudie en lui- msme. D'apres le principe que nous adoptons, nous dirons par parce que cette ville est situee dans la partie flamande de la Belgique ; on y parle le francais, mais la seule chose qui nous importe est la ligne de demarcation entre le domaine du flamand et celui du wallon. D'autre part, a ce meme point de vue, Liege sera roman parce qu'il se trouve sur territoire wallon ; le francais n'y est qu'une langue etrangere superposes a un dialecte de meme souche. Ainsi encore Brest appartient linguistiquement au breton ; le francais qu'on y parlc n'a rien de common avec l'idiome indigene de la Bretagne ; Berlin, ou l'on n'entend prcsque que le haut-allernand, sera attribue au bas-allemand, etc. exemple que Bruxelles est germanique, LE TEMPS, CAUSE DE LA DIVERSITE GEOGRAPHIQtJE 271 guistique a, susceptible d'etre remplaee par un autre (b, c, d, etc.), la differenciation peut se produire de trois fa~ons differentes : b a -+-CHAPITRE Ill [293) CAUSES DE LA DIVERSITi;: Gi;:OGRAPHIQUE § 1. -- a (Foyer F) * LE TEMPS, CAUSE ESSENTIELLE. La diversite absolue (voir p. 263) pose un prohleme purement speculatif. Au contraire la diversite dans la parente nous place sur le terrain de l'observation et elle peut etre ramenee a l'unite. Ainsi le franc;ais et Je provencal remontent tous deux au latin vulgaire, dont l'evolution a ete diflerente dans le nord et dans le sud de la Gaule. Leur origine commune resulte de la materialite des faits. Pour bien comprendre comment les choses se passent, imaginons des conditions theoriques aussi simples que possible, permettant de degager la cause essentielle de la differenciation dans l'espace, et demandons-nous ce qui se passerait si une Iangue parlee sur un point nettement delimite une petite Ile, par exemple - etait transportee par des colons sur un autre point, egalement delimite, par exemple une autre ile. Au bout d'un certain temps, on verra surgir entre la langue du premier foyer (F) et celle du second (F') des differences variees, portant sur le vocabulaire, la grammaire, la prononciation, etc. n ne faut pas s'imaginer que l'idiome transplants se modifiera scul, tanctis que l'idiome originaire demeurera immobile ; l'inverse ne se produit pas non "plus d'une Iacon absolue ; une innovation peut nattre d'un cote, ou de l'autre, ou des deux a la fois. Etant donne un caractere lin- a c a(Foyer F) b e -+-- L'etude ne peut done pas etre unilaterale ; les innovations des deux langues ont une egale importance. Qu'est-ce qui a cree ces differences ? Quand on croit que c'est l'espace seul, on est victime d'une illusion. Livre a lui-meme, i1 ne peut exercer aucune action sur la langue. Au lendemain de leur debarquement en F' • les colons partis de F parlaient exactement la meme langue que la veille. On oublie le facteur temps, parce qu'il est moins concret que l'espace ; mais en realite, c'est de lui que releve la differenciation linguistique. La diversite geographique doit ~tre traduite en diversite temporelle. Soient deux caracteres differentiels b et e ; on n'a jamais passe du premier au second ni du second au premier ; pour trouver le passage de l'unite a la diversite, i1 faut remonter au primitif .a, auquel b et c se sont substitues ; e'est lui qui a fait place aux formes posterieures ; d'on le schema de differenciation geograpbique, vaJable pour tous les cas analogues: F F' a-+-+- a t b t c La separation des deux idiomes est la forme tangible du pMnom~ne, mais ne l'explique pas. Sans doute, ee fait liir 272 LINGUISTIQUE GEOGR.\PHIQUE guistique ne se serait pas differencie sans la diversite des lieux, si mini.me soit-elle ; mais a lui seul, l'eloignement ne cree pas les differences. De meme qu'on ne peut juger d'un volume par une surface, mais seulement a l'aide d'une troisieme dimension, la profondenr, de meme le schema de la difference geographique n'est complet que projete dans le temps. On objectera que les diversites de milieu, de climat, de configuration du sol, les habitudes speciales (autres par exemple chez un peuple montagnard et dans une population maritime), peuvent influer sur la langue et que dans ce cas les variations etudiees ici seraient conditionnees geographiquement. Ces influences sont contestables (voir p. 203) ; fussent-elles prouvees, encore faudrait-il faire ici une distinction. La direction du mouoement est attribuable au milieu ; elle est determines par des imponderables agissant dans chaque cas sans qu'on puisse les demontrer ni les decrire. Un u devient ii a un moment donne, dans un milieu donne : pourquoi a-t-il change a ce moment et dans ce lieu, et pourquoi est-ii devenu ii et non pas o, par exemple ? Voila ce qu'on ne saurait dire. Mais le changement mime, abstraction faite de sa direction speciale et de ses manifestations particulieres, en un mot l'instabilite de la langue, releve du temps seul. La diversite geographique est done un aspect secondaire du phenomene general. L'unite des idiomes apparentes ne se retrouve que dans le temps. C'est un principe dont le comparatiste doit se penetrer s'il ne veut pas ~tre victime de facheuses illusions. § 2. ACTION DU TEMPS SUR UN TERRITOIRE CONTINU, Soit maintenant un pays unilingue, c'est-a-dire ou l'on parle undormement la meme langue et dont la population est flxe, par exemple la Gaule vers 450 apres J.-C., on le latin etait partout solidement etabli. Que va-t-il se passer ? ACTION DU TEMPS SUB TEIUUTOll\B CONTINU 273 to L'immobilite absolue n'existant pas en matiere de Jangage (voir p. 110 sv.), au bout d'un certain laps de temps la langue ne sera plus identique a elle-meme, 20 L'evolution ne sera pas unilorme sur toute la surface du territoire, mais variera suivant les lieux ; on n'a jamais eonstate qu'une langue change de la meme facon sur la totalitc de son domaine. Done ce n'est pas le schema: mais bien le schema : qui figure la realite. Comment debute et se dessine la diversite qui aboutira il la creation des forme dialectales de toute nature ? La chose est mains simple qu'elle ne le paratt au premier abord. Le phenomene presente deux caracteres principaux.: t0 L'evolution prend la forme d'innovations successives et precises, constituant autant de faits partials, qu'on pourra enumerer, decrire et classer selon leur nature (faits phonetiques, lexicologiques, morphologiques, syntaxiques. etc.). 2° Chacune de ces innovations s'accomplit sur une surface determinee, a son aire distincte. De deux choses l'une : 274 275 LJNGUISTIQUE GEOGRAPBIQUE I.ES DIAI.ECTES N'ONT PAS DE LIMITES NATURELLES ou bien l'aire d'une innovation couvre tout le territoire, et elle ne eree aucune difference dialectale (c'est le cas le plus rare) ; ou bien, comme il arrive ordinairement, la transformation n'atteint qu'une portion du domaine, cbaque fait dialectal ayant son aire speciale. Ce que nous disons ci-aprea des changements phonetiques doit s'entendre de n'importe quelle innovation. Si par exemple une partie du territoire est affectee du changement de a en e : Que doit-il resulter de I'ensernble de ces phenomenes ? Si a un moment donne une meme langue regne sur toute I'etendue d'un territoire, au bout de cinq ou dix siecles les habitants de deux points extremes ne s'entendront probahlernent plus ; en revanche ceux d'un point quelconque continueront a comprendre le parler des regions avoisinantes. Un voyageur traversant ce pays d'un bout a l'autre ne constaterait, de localite en localite, que des varietes dialectales tres minimes ; mais ces differences s'accumulant a mesure qu'il avarice, ii finirait par rencontrer une langue inintelligible pour les habitants de la region d'ou ii serait parti. Ou bien, si l'on part d'un point du territoire pour rayonner dans tous Jes sens, on verra la somme des divergences augmenter dans chaque direction, bien que de Iacon differente. Les particularites relevees dans le parler d'un village se retrouveront dans les localites voisines, mais il sera impossible de prevoir [usqu'a quelle distance chacune d'elles s'etendra. Ainsi a Douvaine, bourg du departement de la Haute-Savoie, le nom de Geneve se dit denva ; cette prononciation s'etend tres loin a l'est et au sud ; mais de l'autre cote du lac Leman on prononce dzenva ; pourtant il ne s'agit pas de deux dialectes nettement distincts, car pour un autre phenomene Jes limites seraient differentes ; ainsi a Douvaine on <lit daue pour deux, mais cette prononciation a une aire beaucoup plus restreinte que celle de denua ; au pied du Saleve, a quelques kilometres de la, on dit due. a ii se peut qu'un changement de s en z se produise sur ce meme territoire, mais dans d'autres limites : et c'est l'existence de ces aires distinctes qui explique la diversite des parlers sur tons les points du domaine d'une langue, quand elle est abandonnee a son evolution naturelle. Ces aires ne peuvent pas ~tre prevues ; rien ne permet de determiner d'avance leur etendue, on doit se horner a les constater. En se superposant sur la carte, ou leurs limites s'entrecroisent, elles forment des combinaisons extremement compliques. Leur configuration est parfois paradoxale; ainsi c et g latins devant a se sout changes en ts, dl, puis .§, z (cf. can­ tum ~ chant, virga ~ verge), dans tout le nord de la France sauf en Picardie et dans une partie de la Normandie, ou c, g sont restes intacts (cf. picard cal pour chat, reseape pour rechappe, qui a passe recemment en francais, vergue de virga cite plus haut, etc.), § 3. LES DIALECTES N'ONT PAS DE LIMITES NATURELI.ES. L'idee qu'on se fait couramment des dialectes est tout autre. On se les represente comme des types linguistiques parfaitement determines, circonscrits dans tous Ies sens et couvrant sur la carte des territoires juxtaposes et distincts (a, b, c, d, etc.). 276 LINGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE Mais les transformations dialectales naturelles aboutissent a un resultat tout different. Des qu'on s'est mis a etudier chaque phenomene en lui-meme et a determiner son aire d'extension, il a bien fallu substituer a l'ancienne notion :I c I . r+­;» f O : d ·­­­1. b ,/ • .,. >~/>. . e \ ' g une autre, qu'on peut definir comme suit : ii n'y a que des caracteres dialectaux naturels, ii n'y a pas de dialectes naturels ; ou, ce qui revient au meme : ii y a autant de dialectes que de lieux. Ainsi la notion de dialecte naturel est en principe incompatible avec celle de region plus ou moins etendue. De deux choses l'une : ou bien l'on deflnit un dialecte par la totalite de ses caracteres, et alors il faut se fixer sur un point de la carte et s'en tenir au parler d'une seule localite ; des qu'on s'en eloignera, on ne trouvera plus exactement les memes particularites. Ou bien l'on deflnit le dialecte par un seul de ses caracteres ; alors, sans doute, on ohtient une surface, celle que recouvre l'aire de propagation du fait en question, mais il est a peine besoin de remarquer que c'est la un precede artificiel, et que les limites ainsi tracees ne correspondent a aucune realite dialectale. La recherche des caracteres dialectaux a ete le point de depart des travaux de cartographie linguistique, dont le modele est l'Atlas linquisiique de la France, par Gillieron ; (2941 il faut citer aussi celui de l'Allemagne par Wenkert, *La forme de l'atlas est tout indiquee, car on est oblige d'etu1. er. encore WEIGAND; Linguistischer Atlas des dakorumanlschen ~blets (1909) et MrLLARDET: Petit atlas linquistique d'une region des Landes (1910). LES DIALEC1ES N'ONT PAS DE LIMl'rES NATIJRELLES ffl dier le pays region par region, et pour chacune d'elles une carte ne peut embrasser qu'un petit nomhre de earacteres dialectaux ; la meme region doit etre reprise un grand nombre de fois pour donner une idee des particularites phonetiques, Iexicologiques, morphologiques, etc., qui y sont superposees, De semblables recherches supposent toute une organisation, des enquetes systematiques faites au moyen de questionnaires, avec l'aide de correspondants locaux, etc. II convient de citer a ce propos I'enqnete sur les patois de la Suisse romande. Un des avantages des atlas linguistiques, c'est de fournir des materiaux pour des travaux de dialectologie : de nombreuses monographies parues recemment sont basees sur I' Atlas de Gillieron. On a appele « lignes isoglosses• ou « d'isoglosses • les frontieres des caracteres dialectaux ; ce terme a ete Iorme sur le modele d'isotherme ; mais ii est obscur et impropre, car ii veut dire« qui a la meme langue s : si l'on admet que glossemc signifle I caractere idiomatique •, on pourrait parler plus justement de liqnes isoglossematiques, si ce terme etait utilisable ; mais nous preferons encore dire : ondes d'innovation en reprenant une image qui remonte a J. Schmidt et que le chapitre suivant justifiera. Quand on jette Ies yeux sur une carte linguistique, on voit quelquefois deux ou trois de ces ondes colncider a peu pres, se confondre meme sur un certain parcours : II est evident ·que deux points A et B, separes par une zone de ce genre, presentent une certaine somme de divergences et constituent deux parlers assez nettement diflerencies, II peut arriver aussi que ces concordances, au lieu 278 LlNGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE d'etre partielles, interessent le perimetre tout entier de deux ou plusieurs aires : Quand ces concordances sont suffisamment nombreuses on peut par approximation parler de dialectc. Elles s'expliquent par des faits sociaux, politiques, religieux, etc., dont nous faisons totalement abstraction ici ; elles voilent, sans jamais !'effacer completement, le fait primordial et naturel de la differenclation par aires independantes, § 4. LES LANGUES N10NT PAS DE LIMITES NATURELLES. 11 est difficile de dire en quoi consiste la difference entre une langue et un dialecte. Souvent un dialecte porte le nom de langae parce qu'il a produit une litterature ; c'est le cas du portugais et du hollandais. La question d'intelligibilite joue aussi son role ; on dira volontiers de personnes qui ne se comprennent pas qu'elles parlent des langues differentes, Quoi qu'il en soit, des langues qui se sont developpees sur un territoire continu au sein de populations sedentaires permettent de constater les memes faits que les dialectes, sur une plus grande echelle : on y retrouve les ondes d'innovation, seulement elles embrassent un terrain commun a plusieurs langues. Dans les conditions ideates on ne peut pas plus etablir parentes qu'entre dialectes ; indiflerente. De meme qu'on que nous avons supposees, de frontieres entre langue I'etendue du territoire est ne saurait dire on finit le LES LANG\.IES N'ONT PAS DE LIMITES NATURELLES 279 haut allemand, on commence le plattdeutsch, de meme ii est impossible de tracer une ligne de demarcation entre l'allemand et le hollandais, entre le francais et l'italien. 11 y a des points extremes ou l'on dira avec assurance : u lei regne le francais, ici l'italien » ; mais des qu'on entre dans les regions intermedialres, on voit cette distinction s'effacer ; une zone compacte plus restreinte, qu'on imaginerait pour servir de transition entre les deux langues, comme par exemple le provencal entre le francais et l'italien, n'a pas plus de realite.. Comment d'ailleurs se representer, sous une Iorme ou une autre, une limite linguistique precise sur un territoire couvert d'un bout a l'autre de dlalectes graducllement differencies ? Les delimitations des langses s'y trouvent noyees, comme celles des dialectes, dans Jes transitions. De meme que les dialectes ne sont quo des subdivisions arbitraires de la surface totale de la langue, de meme la limite qui est censee separer deux langues ne peut etre que conventionne11e. Pourtant les passages brusques d'une langue a une autre sont tres frequents : d'ou proviennent-ils ? De ce que des circonstances defavorables ont empeche ces transitions insensibles de subsister. Le facteur le plus troublant est le deplacement des populations. Les peuples ont toujours connu des mouvements de va-et-vient. En s'accumulant au cours des siecles, ces migrations ont tout embrouille, et sur beaucoup de points le souvenir des transitions linguistiques s'est efface. La famille indo-europeenne en est un exemple caracteristique. Ces langues ont du etre au debut dans des rapports tres etroits et former une chaine ininterrompue d'aires linguistiques dont nous pouvons reconstituer les principales dans leurs grandes lignes. Par ses caracteres, le slave chevauche sur l'iranien et le germanique, ce qui est confonne a la repartition geographique de ces langues ; de meme le germanique peut etre considere comme un anneau intermediaire entre le slave et le celtique, qui a son tour a 280 LINGUISTIQUE GtOGRAPHIQUE des rapports tres etroits avec l'italique ; celui-ei est intermediaire entre le celtique et le grec, si bien que, sans connattre la position geographique de tous ces idiomes, un Iinguiste pourrait sans hesitation assigner a chacun d'eux celle qui lui revient. Et cependant, des que nous considerons une frontiere cntre deux groupes d'idiomes, par exemple la frontiere germane-slave, ii y a un saut brusque, sans- aucunc transition ; les deux idiomes se heurtent au lieu de se fondre l'un dans l'autre. C'est que les dialectes intermediaires ont disparu. Ni les Slaves, ni les Germains ne sont restes immobiles ; ils ont emigre, conquis des territoires aux depens les uns des autres ; Jes populations slaves et germaniques qui voisinent actuellement ne sont pas celles qui etaient autrefois en contact. Supposez que les Italiens de la Calabre viennent se fixer aux confins de la France ; ce deplacement detruirait naturellernent la transition insensible que nous avons constatee entre l'italien et le francais ; c'est un ensemble de faits analogues que nous presente l'indoeuropeen. Mais d'autres causes encore contribuent a effacer les transitions, par exemple l'extension des langues communes aux depens des patois (voir p. 267 sv.). Aujourd'hui le francais Iitteraire (l'ancienne langue de I' Ile-de-France) vient se heurter a la frontiere avec l'italien officiel (dialecte toscan generalise), et c'est une bonne fortune qu'on puisse encore trouver des patois de transition dans les Alpes occidentales, alors que sur tant d'autres frontieres linguistiques tout souvenir de parlers intermediaires a ete efface. CHAPITRE IV PROPAGATION § 1. LA DES ONDES LINGUISTIQUES FORCE D'INTERCOURSE'l ET L0ESPRIT DE CLOCHEH:* La propagation des faits de langue est soumise aux memes lois que n'importe quelle habitude, la mode par exemple. Dans toute masse humaine deux forces agissent sans cesse simultanement et en sens contraires : d'une part l'esprit particulariste, I' « esprit de clocher » ; de l'autre, la force d' « intercourse », qui cree les communications entre les hommes. C'est par l'esprit de clocher qu'une communaute linguistique restreinte reste fldele aux traditions qui se sont developpees dans son sein. Ces habitudes sont les premieres que chaque individu contracte dans son enfance ; de la leur force et lenr persistance. Si elles agissaient seules, elles creeraient en matiere de langage des particularites allant a l'infini. Mais leurs effets sont corriges par l'action de la force opposee. Si l'esprit de clocher rend les hommes sedentaires, l'intercourse les oblige a communiquer entre eux. C'est lui qui amene clans un village les passants d'autres localites, qui deplace une partie de la population a l'occat. Nous avons cru pouvolr conserver cette pittoresque expression de l'auteur, bien qu'elle soil empruntee ~ l'anglais (inlercoune, prononeer ltuerkot», • relations soclales, commerce, communications •), et qu'elle se jusUfie molns dans !'expose theortque que dans l'explicaUon orale (Ed.). [2951 282 LINGUISTIQUE GEOGRAl>HIQUE sion d'une fete ou d'une foire, qui reunit sous les drapeaux les hommes de provinces diverses, etc. En un mot, c'est un principe unifiant, qui contrarie l'action dissolvante de l'esprit de clocher. C'est a l'intercourse qu'est due l'extension et la cohesion d'une langue. 11 agit de deux manieres : tantot negativement : il previent le morcellement dialectal en etouflant une innovation au moment oil elle surgit sur un point ; tantot positivement: il favorise l'unite en acceptant et propageant cette innovation. C'est cette seconde forme de l'intercourse qui justifie le mot onde pour designer les limites geographiques d'un fait dialectal (voir p. 277) ; la ligne isoglossematique est comme le bord extreme d'une inondation qui se repand, et qui peut aussi refluer. Parf ois on constate avec etonnement que deux parlers d'une meme langue, dans des regions fort eloignees l'une de l'autre, ont un caractere linguistique en commun ; c'est que le changement surgi d'abord a un endroit du territoire n'a pas rencontre d'obstacle a sa propagation et s'est etendu de proche en proche tres loin de son point de depart. Rien ne s'oppose a l'action de l'intercourse dans une masse linguistique ou il n'existe que des transitions insensibles. Cette generalisation d'un fait particulier, quelles que soient ses limites, demande du temps, et ce temps, on peut quelquefois le mesurer. Ainsi la tranformation de J, en d, que l'intercourse a repandue sur toute l' Allemagne continentale, s'est propagee d'abord dans le sud, entre 800 et 850, sauf en francique, oil J, persiste sous la forme douce t1 et ne cede le pas ad que plus tard. Le changement de ten z (pron. ts) s'est produit dans des limites plus restreintes et a commence a une epoque anterieure aux premiers documents ecrits ; elle a dt1 partir des Alpes vers l'an 600 et s'etendre a la fois au nord et au sud, en Lombardie. Le t se lit encore dans une charte thuringlenne- du vme siecle. A une epoque plus recente, les i et les u germaniques sont FORCE D'INTERCOURSE ET ESPRIT DE CLOCHER 283 devenus des diphtongues (cf. mein pour min, braun pour brfm) ; parti de Boheme vers 1400, le phenomena a mis 300 ans pour arriver au Rhin et couvrir son aire actuelle. Ces faits linguistiques se sont propages par contagion, et il est probable qu'il en est de meme de toutes les orrdes ; elles partent d'un point et rayonnent. Ceci nous amene a une seconde constatation importante. Nous avons vu que le facteur temps suffit pour expliquer la diversite geographique. Mais ce principe ne se verifle entierernent que si l'on considere le lieu oil est nee l'innovation. Reprenons l'exemple de la mutation consonantique allemande. Si un phoneme l devient ts sur un point du territoire germanique, le nouveau son tend a rayonner autour de son point d'origine, et c'est par cette propagation spatiale qu'il entre en Jutte avec le t primitif ou avec d'autres sons qui ont pu en sortir sur d'autres points. A l'endroit ou elle prend naissance, une innovation de ce genre est un fait phonetique pur ; mais ailleurs elle ne s'etablit que geographiquement et par contagion. Ainsi le schema t t ts n'est valable dans toute sa sirnplicite qu'au foyer d'innovation ; applique a la propagation, il en donnerait une image inexacte. Le phonetician distinguera done soigneusement les foyers d'innovation, oil un phoneme evolue uniquement sur l'axe du temps, et les aires de contagion qui, relevant a la fois du temps et de l'espace, ne sauraient intervenir dans la theorie des faits phonetiques purs. Au moment oil un ts, venu du dehors, se substitue a t, il ne s'agit pas de la modification d'un prototype traditionnel, mais de l'imitation d'un parler voisin, sans egard a ce prototype ; quand une 284 LINGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE fonne herza II coeur 11, venue des Alpes, remplace en Thuringe un plus arehatque herta, ii ne faut pas parler de changement phonetique, mais d'emprunt de phoneme. § 2. LES DEUX FORCES RAMENEES A UN PRINCIPE UNIQUE. Sur un point donne du territoire - nous entendons par la une surface m.inimaleassimilable a un point (voir p. 276), un village par exemple, - ii est tres facile de distinguer ce qui releve de chacune des forces en presence, l'esprit de clocher et l'intercourse ; un fait ne peut dependre que de l'une a l'exclusion de l'autre ; tout caraetere commun avec un autre parler releve de l'intercourse ; tout caractere qui n'appartient qu'au parler du point envisage est dtl a la force de clocher, Mais des qu'il s'agit d'une surface, d'un canton par exemple, une difflculte nouvelle surgit : on ne peut plus dire auouel des deux facteurs se rapporte un phenomene donne ; tous deux, bien qu'opposes, sont impliques dans chaque caractere de l'idiome. Ce qui est differenciateur pour un canton A est commun a toutes ses parties ; la, c'est la force particulariste qui agit, puisqu'elle interdit a ce canton d'imiter quelque chose du canton voisin B, et qu'inversement elle interdit a B d'imiter A. Mais la force unifiante, c'est-a-dire l'intercourse, est aussi en [eu, car elle se manifeste entre les differentes parties de A (A1, A•, A1, etc.). Ainsi, dans le cas d'une surface, les deux forces agissent simultanement, bien que dans des proportions diverses. Plus l'intercourse favorise unc innovation, plus son aire s'etend ; quant a l'esprit de clocher, son action consiste a maintenir un fait linguistique dans les limites qu'il a acquises, en le defendant contre les concurrences du dehors. 11 est impossible de prevoir ce qui resultera de l'action de ces deux Jorces. Nous avons vu p. 282 que dans le domaine du gennanique, qui va des Alpes a la mer du Nord, le pas- DIFFERENCIATION SUR TERRITOIRES SEPARES 285 sage de ], a d a ete general, tandis que le changement de t en ts (z) n'a atteint que le sud ; l'esprit de clocher a cree une opposition entre le sud et le nord ; mais, a l'interieur de ces limites, grace a l'intercourse, il y a solidarite linguistique. Ainsi en principe il n 'y a pas de difference Iondamentale entre ce second phenornene et le premier. Les memes forces sont en presence ; seule l'intensite de leur action varie. Cela signifie que pratiquement, dans l'etude des evolutions linguistiques produites sur une surface, on peut faire abstraction de la force particulariste, ou, ce qui revient au meme, la considerer comme l'aspect negatlf de la force unifiante. Si celle-ci est assez puissante, elle etablira l'unite sur la surface entiere ; sinon le phenomene s'arretera en ehemin, ne couvrant qu'une partie du territoire ; cette aire restreinte n'en representera pas moins un tout coherent par rapport a ses propres parties. Voila pourquoi on peut tout ramener a la seule force unifiante sans faire intervenir I'esprit de clocher, celui-ci n'etant pas autre chose que la force d'intercourse propre a chaquc region. § 3. LA DIFFERENCIATION LINGUISTIQUE SUR DES TERRITOIRES SEP ARES. Quand on s'est rendu compte que, dans une masse unilingue, la cohesion varie selon les phenomenes, que les innovations ne se generalisent pas toutes, que la continuite geographique n'empeche pas de perpetuelles difTerenciations, alors seulement on peut aborder le cas d'une langue qui se developpe parallelement sur deux territoires separes. Ce phenomene est tres frequent : ainsi des l'instant OU le germanique a penetre du continent dans Ies Iles Britanniques, son evolution s'est dedoublee ; d'un c~te. les dialectes allemands ; de l'autre, l'anglo-saxon, d'ou est sorti I'anglais. On peut citer encore le francais transplants au 286 LINGUISTIQUE GEOGRAPHIQUE DIFFERENCIATION SUR TERRITOJRES SltPWS Canada. La discontinuite n'est pas toujours l'efTet de Ia colonisation ou de la conquete : elle peut se produire aussl par isolement : le roumain a perdu le contact avec la masse latine grace a l'interposition de populations slaves. La cause importe peu d'ailleurs ; la question est avant tout de savoir si la separation joue un role dans l'histoire des langues et si elle produit des effets autres que ceux qui apparaissent dans la continuite, Plus haut, pour mieux degager I'action preponderants du facteur temps, nous avons imagine un idiome qui se developperait parallelement sur deux points sans etendue appreciable, par exemple deux petites fies, ou l'on peut faire abstraction de la propagation de proche en proche. Mais des qu'on se place sur deux territoires d'une certaine superficie, ce phenomena reparatt et amene des differenciations dialectales, de sorte que le probleme n'est simplifie a aucun degre du fait de domaines discontinus. II faut se garder d'attribuer a la separation ce qui pent s'expliquer sans elle. C'est l'erreur qu'ont commise les premiers Indo-europeanistes (voir p. 14). Places devant une grande famille de langues devenues tres diflerentes les unes des autres, ils n'ont pas pense que cela put s'etre produit autrement que par fractionnement geographique. L'imagination se represente plus facilement des langues distinctes dans Ies lieux separes, et pour un observateur superficiel c'est l'explication necessaire et suffisante de la differentiation. Ce n'est pas tout : on asscciait la notion de langue a celle de nationalite, celle-ci expliquant celle-la ; ainsi on se representait Jes Slaves, les Germains, Jes Celtes, etc., comme autant d'essaims sortis d'une meme ruche ; ces peuplades, detachees par migration de la souche primitive, auraient porte avec elles I'indo-europeen commun sur autant de territoires differents. On ne revint que fort tard de cette erreur ; en 1877 287 seulement, un ouvrage de Johannes Schmidt : Die Vu­ wandtschaftsverlhiilnisse der lndogermanen, ouvrit Jes yeux des linguistes en inaugurant la theorie de la continuite ou des ondes (Wellentheorie).* On comprit que le fractionne- (296] ment sur place suffit pour expliquer Jes rapports reciproques entre Jes langues indo-europeennes, sans qu'il soit necessaire d'admettre que les divers peuples eussent quitte leura positions respectives (voir p. 279) ; les differenciations dialectales ont pu et dt1 se produire avant que Jes nations se soient repandues dans les directions divergentes. Ainsi la theorie des ondes ne nous donne pas seulement une we plus juste de la prehistoire de l'indo-europeen ; elle nous eclaire sur Jes lois primordiales de tous les phenomenes de differenciation et sur les conditions qui regissent la parente des langues. Mais cette theorie des ondes s'oppose a celle des migrations sans l'exclure necessairement. L'histoire des langues indo-europeennes nous offre maint exemple de peuples qui se sont detaches de la grande famille par deplaeement, et cette circonstance a dtl avoir des effets speciaux ; seulement ees effets s'ajoutent a ceux de la differenciation clans la continuite ; il est tres difficile de dire en quoi ils consistent, et ceci nous ramene au probleme de l'evolution d'un idiome sur territoires separes. Prenons l'ancien anglais. II s'est detache du tronc germanique a la suite d'une migration. 11 est probable qu'il n'aurait pas sa forme actuelle si, au ve siecle, les Saxons eiaient restes sur le continent. Mais quels ont ete les effets speciflques de la separation ? Pour en juger, il faudrait d'abord se demander si tel ou tel changement n'aurait pas pu nattre aussi bien dans la continuite geographique. Supposons que Jes Anglais aient occupe le Jutland au lieu des Iles Britanniques ; peut-on affirmer qu'aucun des faits attribues l la separation absolue ne se serait produit clans I'hypothese du territoire contigu ? Quand on dit que la discontinuite a j 288 LINGUISTIQUE DIFFERENCIATION SUR TERRITOIRES SEP.ARES GEOGRAPHIQUE permis a l'anglais de conserver l'ancien J,, tandis que ce son devenait d sur tout le continent (exemple : angl. thing et all. Ding), c'est comme si l'on pretendait qu'en germanique continental ce changement s'est generalise grace a la continuite geographique, alors que cette generalisation aurait tres bien pu echouer en depit de la continuite, L'erreur vient, comme toujours, de ce qu'on oppose le dialecte isole aux dialectes continus. Or en fait, rien ne prouve qu'une colonie anglaise supposee etablie au Jutland aurait necessairement suhi la contagion du d. Nous avons vu par exemple que sur le domaine linguistique francais k ( +a) a subsiste dans un angle Iorme par la Picardie et la Normandie, tandis que partout ailleurs il se changeait en la chuintante (ch). Ainsi I'explication par l'isolement reste insuflisante et superficieJle. Il n'est jamais necessaire d'y faire appel pour expliquer une differeneiation ; ce que l'isolement peut faire, la continuite geographique le fait tout aussi hien ; s'il y a une difference entre ces deux ordres de phenomenes, nous ne pouvons pas la saisir. Cependant, en considerant deux idiomes parents, non plus sous I'aspect negatif de leur differenciation, mais sous I'aspect positif de leur solidarite, on constate que dans l'isolement tout rapport est virtuellement rompu a partir du moment de la separation, tandis que dans la continuite geographique une certaine solidarite subsiste, meme entre parlers nettement differents, pourvu qu'ils soient relies par des dialectes intermediaires. Aussi, pour appreeier les degres de parente entre les langues, il faut faire une distinction rigoureuse entre la continuite et l'isolement. Dans ce dernier cas les deux idiomes conservent de leur passe commun un certain nombre de traits attestant leur parente, mais comme chacun d'eux a evolue d'une maniere independante, les caracteres nouveaux surgis d'un cl>te ne pourront pas se retrouver dans l'autre (en reservant le eas oa certains ceraeteres nes s 289 apres la separation se trouvent par hasard identiques dans Jes deux idiomes). Ce qui est en tout cas exclu, c'est la communication de ces caracteres par contagion. D'une maniere generale, une langue qui a evolue dans la discontinuite geographique presente vis-a-vis des langues parentes un ensemble de traits qui n'appartiennent qu'a elle, et quand a son tour cette langue s'est fractionnee, Jes divers dialectes qui en sont sortis attestent par des traits communs la parente plus etroite qui Jes relie entre eux l'exclusion des dialectes de l'autre territoire. Ils forment reellement une branche distincte detachee du tronc. Tout autres sont les rapports entre langues sur territoire continu ; Jes traits communs qu'elles presentent ne sont pas Iorcernent plus anciens que ceux qui les diversiflent ; en effet, a tout moment une innovation partie d'un point quelconque a pu se generaliser et embrasser meme la totalite du territoire. En outre, puisque Jes aires d'innovation varient d'etendue d'un cas a l'autre, deux idiomes voisins peuvent avoir une particularite commune sans former un groupe a part dans l'ensemble, et chacun d'eux peut ~tre relie aux idiomes contigus par d'autres caracteres, eomme le montrent les langues indo-europeennes a CINQUIEME PARTIE QUESTIONS DE LINGUISTIQUE RETROSPECTIVE CONCLUSION CHAPITRE PREMIER LES DEUX PERSPECTIVES DE LA LINGUISTIQUE DIACHRONIQUE * Tandis que la linguistique synchronique n'admet qu'une seule perspective, celle des sujets parlants, et par consequent une seule methode, la linguistique diachronique suppose a la fois une perspective prospective, qui suit le cours du temps, et une perspective retrospective, qui le remonte (voir p. 128). La premiere correspond a la marche veritable des evenements ; c'est celle ou'on emploie necessairement pour ecrire un chapitre quelconque de linguistique historique, pour developper n'importe quel point de l'histoire d'une langue. La methode consiste uniquement a contr6lcr les documents dont on dispose. Mais dans une foule de cas cette maniere de pratiquer la linguistique diachronique est insuffisante ou inapplicable. En efTet, pour pouvoir fixer l'histoire d'une langue dans tous ses details en suivant le cours du temps, ii faudrait (297] 292 LINGUISTIQUE RETROSPECTIVE posseder une infinite de photographies de la langue, prises de moment en moment. Or cette condition n'est jamais remplie : Jes romanistes, par exemple, qui ont le privilege de connattre le latin, point de depart de leur recherche, et de posseder une masse imposante de documents appartenant a une longue serie de siecles, constatent a chaque instant Jes lacunes enormes de leur documentation. II faut alors renoncer a la methode prospective, au document direct, et proceder en sens inverse, en remontant le cours du temps par la retrospection. Dans cette seconde vue on se place a une epoque donnee pour rechercher, non pas ce qui results d'une forme, mais quelle est la forme plus ancienne qui a pu Jui donner naissance. Tandis que la prospection revient a une simple narration et se fonde tout entiere sur la critique des documents, la retrospection demande une methode reconstructive, qui s'appuie sur la comparaison. On ne peut etablir Ia forme primitive d'un signe unique et isole, tandis que deux signes differents mais de meme origine, comme latin pater, sanscrit pitar­, ou le radical de latin ger­o et celui de ges­tus, font deja entrevoir par Ieur comparaison l'unite diachronique qui Jes relie I'une et l'autre a un prototype susceptible d'etre reconstitue par induction. Plus les termes de comparaison seront nombreux, plus ces inductions seront precises, et elles aboutiront - si les donnees sont suffisantes - a de veritables reconstructions. 11 en est de meme pour Jes langues dans leur ensemble. On ne peut ricn tirer du basque parce que, etant isole, ii ne se prate a aucune comparaison. Mais d'un faisceau de Iangues apparentees, comme le grec, le latin, le vieux slave, etc.. a on pu par comparaison degager les elements primitifs communs qu'elles contiennent et reconstituer l'essentiel de la langue indo-europeenne, telle qu'elle existait avant d'etre differenciee dans l'espace. Et ce qu'on a fait en grand pour la famille tout entiere, on I'a repete dans LES DEUX PERSPECTIVES 293 des proportions plus restreintes, - et toujours par le meme precede, -- pour chacune de ses parties. partout oil cela a ete necessaire et possible. Si par exemple de nomhreux idiomes germaniques sont attestes directement par des documents, le germanique commun d'ou ces divers idiomes sont sortis ne nous est connu qu'indirectement par la methode retrospective. C'est de la meme maniere encore que les linguistes ont recherche, avec des succes divers, l'unite primitive des autres familles (voir p. 263). La methode retrospective nous fait done penetrer dans le passe d'une langue au dela des plus anciens documents. Ainsi l'histoire prospective du latin ne commence guere qu'au me ou au 1ve sieele avant l'ere chretienne ; mais la reconstitution de I'indo-europeen a permis de se faire une idee de ce qui a du se passer dans la periode qui s'etend entre l'unite primitive et Jes premiers documents latins connus, et ce n'est qu'apres coup qu'on a pu en tracer le tableau prospectif. Sous ee rapport, la linguistique evolutive est comparable a la geologie, qui, elle aussi, est une science historique ; il lui arrive de decrire des etats stables (par exemple l'etat actuel du bassin du Leman), en faisant abstraction de ce qui a pu preceder dans le temps, mais elle s'occupe surtout d'evenements, de transformations, dont l'enchainement forme des diachronies. Or en theorie on peut concevoir une geologie prospective, mais en fait et le plus souvent, le coup d'ceil ne peut etre que retrospectif ; avant de raconter ce qui s'est passe sur un point de la terre, on est oblige de reconstruire la chatne des evenements et de rechercher ce qui a amene cette partie du globe ii son etat actuel. Ce n'est pas seulement la methode des deux perspectives qui differe de facon eclatante ; meme au point de vue didactique, ii n'est pas avantageux de Ies employer simultanement dans un meme expose. Ainsi l'etude des changements phonetiques offre deux tableaux tres differents selon 294 LINGUISTIQUE RETUOSPECTIVE que l'on precede de l'une ou de l'autre maniere. En operant prospectivement, on se demandera ce qu'est devenu en franeais le du latin classique ; on verra alors un son unique se diversifier en evoluant dans le temps et .donner nais, sance a plusieurs phonemes : cf. pedem ~ pye (pied), uenium ~ vii (vent), lectum ­ Ii (lit), neco.re - nway!? (noyer), etc. ; si l'on recherche, au contraire, retrospectivement ce que represente en Jatin un , ouvert Irancais, on constatera qu'un son unique est l'aboutissement de plusieurs phonemes distincts a l'origine : cf. 1,r (terre) = tirram, v,ri e (verge) = vlrgam, t, (jail) = factum, 'etc. L'evolution des elements formatifs pourrait Mre presentee egalement de deux manieres, et les deux tableaux seraient aussi differents ; tout cc que nous avons dit p. 232 sv, des formations analogiques le prouve" a priori. Si l'on recherche par exemple (retrospectivement) ies origines du suffixe de participe francais en ­e, on remonte au latin -iitum ; celui-ci, par ses orizines, se rattache d'ahord aux verbes denominatifs latins .., en ­are, qui eux-memes remontent en grande partie aux substantifs feminins en -a (cf. plantiire : planta, grec timdo : timii, etc.) ; d'autre part, ­iitum n'existerait pas si le suffixe indo-europeen ­to­ n'avait pas ete par lui-meme vivant et productif (cf. grec klu-io-s, latin in­clu­tu­s, sanscrit fruta­s, etc.) ; ­iitum renferme encore l'element fonnatif -m de l'accusatif singulier (voir p. 212). Si, inversement, on se demandc (prospectivement) dans quelles formations francaises se retrouve le suffixe primitif ­to­, on pourrait mentionner non seulement les divers suffixes, productifs ou non, du participe passe (aime = latin attuitums, fini = latin [initum, clos = latin clausum pour *daudtum, etc.), mais encore bien d'autres, comme ­u = latin ­iiium (cf. cornu = comiitumy; ­tif (suffixe savant) = latin ­Iiuum (cf. fugitif = fugitivum, sensiiij, neqaii], etc.), et une quantite de mots qu'on n'analyse plus, tels que point = lat.in punclum, de = latin datum, cheti/ = latin captioum, etc. CHAPITRE II LA LANGUE LA PLUS ANCIENNE ET LE PROTOTYPE* A ses premiers debuts, la linguistique indo-europeenne n'a pas compris le vrai but de la comparaison, ni l'importance de la methode reconstitutive (voir p. 16). C'est ce qui explique une de ses erreurs Jes plus frappantes : le rOle exagere et presque exclusif qu'elle accorde au sanscrit dans la comparaison ; comme c'est le plus ancien document de l'indo-europeen, ce document a ete promu il la <lignite de prototype. Autre chose est de supposer l'mdo-europeen engendrant le sanscrit, le grec, le slave, le celtique, l'italique, autre chose est de mettre l 'une de ces langues ll la place de l'Indo-europeen. Cette confusion grossiere a eu des consequences aussi diverses que profondes. Sans doute cette hypothese n'a jamais ete formulee aussi eategonquement que nous venons de le faire, mais en pratique on l'admettait tacitement. Bopp ecrivait qu' « ii ne croyait pas que le sanscrit pat ~tre la source commune », com.me s'il etait possible de formuler, meme dubitativement, une semhlable supposition. Ceci amene ~ se demander ce qu'on veut dire quand on parle d'unc langue qui serait plus ancienne ou plus vieille qu'une autre. Trois interpretations sont possibles, en theorie: to On peut d'abord penser il l'origine premiere, au point de depart d'une langue ; mais le plus simple raisonnement [298] 296 UNGUISTIQUE RETROSPECTIVE montre qu'il n'y en a aucune A laquelle on puisse assigner un Age, parce que n'importe laquelle est la continuation de ce qui se parlait avant elle. 11 n'en est pas du langage comme de l'humanite : la continuite absolue de son developpement empeche d'y distinguer des generations, et Gaston Paris s'elevait avec raison contre la conception de langucs filles et de langues meres, parce qu'elle suppose des interruptions. Ce n'est done pas dans ce sens qu'on peut dire qu'une langue est plus vieille qu'une autre. 2° On peut aussi donner A entendre qu'un etat de langue a ete surpris a une epoque plus ancienne qu'une autre : ainsi le perse des inscriptions achemenides est plus ancien que le persan de Firdousi. Tant qu'il s'agit, com.me dans ce cas particulier, de deux idiomes positivement issus l'un de l'autre et egalement bien connus, ii va sans dire que le plus ancien doit seul entrer en' ligne de compte. Mais si ces deux conditions ne sont pas remplies, cette anciennete-la n'a aucune importance ; ainsi le Iituanien, atteste depuis 1540 seulement, n'est pas moins precieux a cet egard que le paleoslave, consigne au xe siecle, ou meme que le sanscrit du Rigveda. 3° Le mot « ancien » peut designer enfin un etat de Iangue plus archalque, c'est-a-dire dont les formes sont restees plus pres du modele primitif, en dehors de toute question de date. Dans ce sens, on pourrait dire que le lituanien du xvi8 siecle est plus ancien que le latin du me siecle avant l'ere. Si l'on attribue au sanscrit une plus grande anciennete qu'a d'autres langues, cela ne peut done etre que dans le deuxieme ou le troisieme sens ; or ii se trouve qu'il l'est dans l'un comme dans l'autre. D'une part, on accorde que les hymnes vediqucs depassent en antiquite les textes grecs les plus anciens ; d'autre part, chose qui importe particulierement, la somme de ses caracteres archatques est considerable en comparaison de ce que d'autres langues ont conserve (voir p. 15). LANGUE LA: PLUS ANCIENNE ET PROTOTYPE 297 Par suite de cette idee assez confuse d'antiquite qui fait du sanscrit quelque chose d'anterieur A toute la famille, ii arriva plus tard que les linguistes, meme gueris de ridee qu'il est une langue mere, continuerent a donner une importance trop grande au temoignage qu'il fournit comme langue eollaterale, Dans ses Oriqines indo­europeennes (voir p. 306), Ad. Pictet, tout en reconnaissant explicitement l'existence d'un peuple primitif qui par]ait sa langue a lui, n'en reste pas moins convaincu qu'il faut consulter avant tout le sanscrit, et que son temolgnage surpasse en valeur celui de plusieurs autres langues indo-europeennes reunies.* C'est cette illu- (299) sion qui a obscurci pendant de longues annees des questions de premiere importance, comme celle du vocalisme primitif. Cette erreur s'est repetee en petit et en detail. En etudiant des rameaux particuliers de l'indo-europeen on etait porte a voir dans l'idiome le plus anciennement connu le representant adequat et suffisant du groupe entier, sans chercher a mieux connattre l'etat primitif commun. Par exemple, au lieu de parler de germanique, on ne se faisait pas scrupule de citer tout simplement le gotique, parce qu'il est anterieur de plusieurs siecles aux autres dialectes germaniques ; il devenait par usurpation le prototype, la source des autres dialectes. Pour le slave, on se fondait exclusivement sur le slavon ou paleoslave, connu au xe siecle, parce que les autres sont connus a date pJus basse. En fait il est extremement rare que deux formes de langue flxees par I'ecriture a des dates successives se trouvent representer exactement le meme idiome A deux moments de son histoire. Le plus souvent on est en presence de deux dialectes qui ne sont pas la suite linguistique l'un de l'autre. Les exceptions confirment la regle : la plus illustre est celle des langues romanes vis-a-vis du latin : en remontant du fran~ais au latin, on se trouve hien dans la verticale , le ter- 298 LINGUISTIQUE RETROSPECTIYE ritoire de ces langues se trouve Mre par hasard le mbne que celui ou l'on parlait latin, et chacune d'elles n'est que du latin evolue. De meme nous avons vu que le perse des inscriptions de Darius est le meme dialecte que le persan du moyen Age. Mais l'inverse est heaucoup plus frequent : Jes temoignages des diverses epoques appartiennent l des dialectes differents de la meme famille. Ainsi le germanique s'offre successivement dans le gotique d'Ulfilas, dont on ne connait pas la suite, puis dans les textes du vieux haut allemand, plus tard dans ceux de l'anglo-saxon, du norrois, etc. ; or aucun de ces dialectes ou groupes de dialectes n'est la continuation de celui qui est atteste antericurement. Cet etat de choses pent ~tre figure par le schema suivant, ou les lettres representent les dialectes et les lignes pointillees les epoques successivcs : ••••••.•••• A •••• Epoque Epoque Epoque Epoque 1 2 3 4 La linguistique n'a qu'a se felieiter de cet etat de choses ; autrement le premier dialecte connu (A) contiendrait d'avance tout ce qu'on pourrait deduire de l'ana1yse des etats subsequents, tandis qu'en cherchant Jc point de convergence de tous ces dialectes (A, B, C, D, etc.), on rencontrera une forme plus ancienne que A, soit un prototype X, et la confusion de A et de X sera impossible. CHAPITRE Ill LES RECONSTRUCTIONS § 1. !..EUR NATUREET I.EU~ BUT.* Si le seul moyen de reconstruire est de comparer, reel;-nquement la comparaison n'a pas d'autre but que d'etre une reconstruction. Sous peine d'etre steriles, les correspondances constatees entre plusieurs formes doivent ~tre nlacees dam; la perspective du temps et aboutir au retablissement d'une forme unique ; nous avons insiste a plusieurs reprises sur ce point (p. 16 sv., 272). Ainsi pour expllquer le latin medius en face du grec maos, i1 a fallu, sans remonter [usqu'a l'indo-europeen, poser un tenne plus ancien •methyos susceptible d'etre relie historiquement a medius et· l mesas. Si au lieu de comparer deux mots de langues differentes, on confronte deux formes prises dans une seule, la meme constatation s'impose: ainsi en latin gero et qestu« font remonter a un radical •ges­ jadis commun aux deux Iormes. Remarquons en passant que la comparaison portant sur des changements phonetiques doit s'aider constamment de considerations morphologiques. Dans l'examen de latin patior et p_assus, je fais intervcnir [adus, dictus, etc., parce que passus est une formation de meme nature ; c'est en me fondant sur le rapport morphologique entre facio et fact us, ar.co et dictus, etc., que je peux etablir le meme rapport a une epoque anterieure entre patior ct •pat­tus. Reclproque- t300t 300 301 1.INGUISTIQUE RETROSPECTIVE NATURE ET BUT DES RECONSTRUCTIONS ment, si la comparaison est morphologique, je dois l'eclairer par le secours de la phonetique : le latin melibtem peut ~tre compare au grec hedlo parce que phonetiquement l'un reconstruire des mots complets (par exemple indo-europ. •alyod), des paradigmes de flexion, etc. Pour cela on reunit en un faisceau des affirmations parfaitement isolables ; si par exemple on compare les diverses parties d'une forme reconstruite comme •alyod, on remarque une grande difference entre le -d, qui souleve une question de grammaire, et a­, qui n'a aucune signification de ce genre. Une forme reconstruite n'est pas un tout solidaire, mais une somme toujours decomposable de raisonnements phonetiques, et chacune de ses parties est revocable et reste soumise a I'examen. Aussi les f ormes restituees ont-elles toujours ete le reflet fidele des conclusions generales qui leur sont applicahles. L'indo-europeen pour « cheval • a ete suppose successivement •akvas, •ak1uas, •eJc,r,os, enfin •ek,1vos ; seul s est reste inconteste, ainsi que le nombre des phonemes. Le but des reconstructions n'est done pas de restituer une forme pour elle-meme, ce qui serait d'ailleurs assez ridicule, mais de cristalliser, de condenser un ensemble de conclusions que l'on croit justes, d'apres les resultats qu'on a pu obtenir a chaque moment ; en un mot, d'enregistrer les progres de notre science. On n'a pas a justifier les linguistes de l'idee assez bizarre qu'on leur prete de restaurer de pied en cap l'indo-europeen, comme s'ils voulaient en faire usage. lls n'ont pas meme cette vue quand ils abordent Jes langues connues historiquement (on n'etudie pas le latin linguistiquement pour le bien parler), a plus forte raison pour les mots separes de langues prehistoriques. D'ailleurs, meme si la reconstruction restait sujette a revision, on ne saurait s'en passer pour avoir une vue sur l'ensemble de la langue etudiee, sur le type linguistique auquel elle appartient. C'est un instrument indispensable pour representer avec une relative Iacilite une foule de faits generaux, synchroniques et diachroniques. Les grandes lignes de I'indo-europeen s'eclairent immediatement par remonte a •meliosem, •meliosm et l'autre a •hiidioa •hiidiosa, •hiidiosm. La comparaison linguistique n'est done pas une operation mecanique ; elle implique le rapprochement de toutes les donnees propres a fournir une explication. Mais elle devra toujours aboutir a une conjecture tenant dans une formule quelconque, et visant a retablir quelque chose d'anterieur ; toujours la comparaison reviendra a une reconstruction de formes. Mais la vue sur le passe vise-t-elle la reconstruction des formes completes et concretes de I'etat anterieur ? Se borne-t-elle au contraire a des affirmations abstraites, partielles, portant sur Jes parties des mots, comme par exemple a cette eonstatation que le f latin dans jiimus correspond a un italique commun p, ou que le premier element du grec dllo, latin aliud, etait deja en indo-europeen un a 'I Elle peut fort bien limiter sa tache a ce second ordre de recherches ; on peut mane dire que sa methode analytique n'a pas d'autre but que ces constatations partielles. Seulement, de la somme de ces faits isoles, on peut tirer des conclusions plus generales : par exemple une serie de faits analogues a celui du latin jiunus permet de poser avec certitude que fi figurait dans le systeme phonologique de l'italique commun ; de meme, si l'on peut affirmer que l'indo-europeen montre dans la flexion dite pronominale une terminaison de neutre singulier -d, differente de celle des adjectifs ­m, c'est la un fait morphologique general deduit d'un ensemble de constatations isolees (cf. latin istud, aliud contre bonum, grec to = •tod, dllo = •allod contre kalon, angl. that, etc.). On peut aller plus loin : ces divers faits une fois reconstitues, on precede a la synthese de tous ceux qui concement une forme totale, pour 302 LINGUISTIQUE RETROSPECTIVE l'ensemble des reconstructions : par exemple, que les suffixes etaient formes de certains elements (t, s, r, etc.) a l'exclusion d'autres, que la variete compliquee du vocalisme des verbes allemands (cf. werden, wirst, ward, wurde, worden) cache dans la regle une meme alternance primitive : e­o­ zero. Par contre-coup l'histoire des periodes ulterieures s'en trouve grandement Iacilitee sans reconstruction prealable, il serait bien plus difficile d'expliquer Jes changements survenus au cours du temps depuis la periode antehistorique. § 2. DEGRE DE CERTITUDE DES IIECONSTITUTIONS, II y a des formes reconstruites qui sont tout a fait certaines, d'autres qui restent contestables ou franchement problematiques, Or, comme on vient de le voir, le degre de certitude des formes totales depend de la certitude relative qu'on peut attribuer aux restitutions partielles qui interviennent dans cette synthese, A cet egard, deux mots ne sont presque [amais sur le meme pied ; entre des formes indoeuropeennes aussi lumineuses que +est! u ii est » et *didoti II il donne "• il y a une difference ; car dans la seconde la voyelle de redoublement permet un doute (cf. sanscrit dadati et grec dldosi). En general on est porte a croire les reconstitutions moins st1res qu'elles ne le sont. Trois faits sont propres a augmenter 1301] notre confiance : * Le premier, qui est capital, a ete signale p. 65 sv. : un mot etant donne, on peut distinguer nettement les sons qui le composent, leur nombre et leur delimitation ; on a vu, p. 83, ce qu'il faut penser des objections que feraient certains linguistes penches sur le microscope phonologique. Dans un groupe tel que ­sn­ il y a sans doute des sons furtifs ou de transition ; mais il est antilinguistique d'en tenir compte ; l'oreille ordinaire ne Jes distingue pas, et DEGRE DE CERTITUDE DES RECONSTRUCTIONS 303 surtout les sujets parlants sont toujours d'accord sur le nombre des elements. Aussi pouvons-nous dire que dans la forme indo-europeenne •ek,wos il n'y avait que cinq elements distincts, differentiels, auxquels les sujets devaient faire attention. Le second fait conceme le systeme de ces elements phonologiques dans chaque langue. Tout idiome opere avec une gamme de phonemes dont le total est parfaitement delimite (voir p. 58). Or, en indo-europeen, tous les elements du systeme apparaissent au moins dans une douzaine de formes attestees par reconstruction, quelquefois dans des milliers. On est done st1r de les connaltre tous. Enfin, pour connaitre Jes unites phoniques d'une langue ii n'est pas indispensable de caracteriser leur qualite positive ; il faut les considerer comme des entites differentielles dont le propre est de ne pas se confondre Jes unes avec Jes autres (voir p. 164). Cela est si bien l'essentiel qu'on pourrait designer les elements phoniques d'un idiome a reconstituer par des chifTres ou des signes quelconques. Dans •ek,wos, ii est inutile de determiner la qualite absolue de e, de se demander s'il etait ouvert ou ferme, articule plus ou rnoins en avant, etc. ; tant qu'on n'aura pas reconnu plusieurs sortes de e, cela reste sans importance, pourvu qu'on ne le confonde pas avec un autre des elements distingues de Ia langue (a, o, e, etc.). Cela revient a dire que le premier. phoneme de •ek,wos ne differait pas du second de •medhyos, du troisieme de •age, etc., et qu'on pourrait, sans -specifiersa nature phonique, le cataloguer et le representer par son numero dans le tableau des phonemes indo-euro peens. Ainsi la reconstruction de •ek1wos veut dire que le correspondant Indo-europeen de latin equos, sanscnt a~a­s, etc., etait forme de cinq phonemes determines pris dans la gamme phonologique de l'idiome primitif. Dans les limites que nous venons de tracer, nos reeonatitutions conservent done leur pleine valeur. ETHNISME CHAPITRE IV LE TEMOIGNAGE DE LA LANGUE EN ANTHROPOLOGIE ET EN PREHISTOIRE (302] § 1. LANGUE ET RACE.~ Le linguiste peut done, grace a la methode retrospective, remonter le cours des siecles et reconstituer 'des langues parlees par certains peuples bien avant leur entree dans l'histoire. Mais res reconstructions ne pourraient-elles pas nous renseigner en outre sur ces peuples eux-memes, leur race, leur filiation, leurs rapports sociaux, leurs mceurs, leurs institutions, etc. ? En un mot, la langue apporte-t-elle des lumieres a l'anthropologie, a l'ethnographie, a la prehistoire ? On le croit tres generalement : nous pensons qu'il y a la une grande part d'illusion. Examinons brievement quelques aspects de ce probleme general. D'abord la race : ce serait une erreur de croire que de la communaute de langue on peut conclure a la consanguinite, qu'une famille de langues recouvre une famille anthropologique. La realite n'est pas si simple. 11 y a par exemple une race germanique, dont les caracteres anthropologiques sont tres nets : chevelure blonde, crane allonge, stature elevee, etc. ; le type scand.inaveen est la forme la plus parfaite. Pourtant il s'en faut que toutes les populations parlant des langues germaniques repondent a ce signalement ; ainsi les Alemanes, au pied des Alpes, ont un type anthropologique bien different de celui des Scandinaves. Pour- 305 rait-on admettre du moins qu'un idiome appartient en propre a une race et que, s'il est parle par des peuples allogenes, c'est qu'il leur a ete impose par la conquete ? Sans doute, on voit souvent des nations adopter ou subir la langue de leurs vainqueurs, comme les Gaulois apres la victoire des Romains ; mais cela n'explique pas tout : dans le cas des Germains, par exemple, meme en admettant qu'ils aieir( subjugue tant de populations diverses, ils ne peuvent pas les avoir toutes absorbees ; pour cela ii faudrait supposer une tongue domination prehistorique, et d'autres circonstances encore que rien n'etablit. Ainsi la consanguinite et la communaute linguistique semblent n'avoir aucun rapport necessaire, et il est impossible de conclure de l'une a l'autre ; par consequent, dans les cas tres nombreux ou les temoignages de l'anthropologie et de la langue ne concordent pas, il n 'est pas necessaire de les opposer ni de choisir entre eux; chacun d'eux garde sa valeur propre. § 2. ETHNISME. Que nous apprend done ce temoignage de la langue '/ L'unite de race ne peut etre, en elle-meme, qu'un facteur secondaire et nullement necessaire de communaute linguistique ; · mais ii y a une autre unite, infiniment plus importante, la seule essentielle, celle qui est constituee par le lien social : nous l'appellerons eihnistne. Entendons par la une unite reposant sur des rapports multiples de religion, de civilisation, de defense commune, etc., qui peuvent s'etablir meme entre peuples de races differentes et en )'absence de tout lien politique. C'est entre l'ethnisme et la langue que s'etablit ce rapport de reciprocite deja constate p. 40 : le lien social tend a creer la communaute de langue et imprime peut-etre a I'idiome commun certains caracteres ; inversement, c'est la 306 307 PAUONTOLOGIE LINGUJSTIQUE LINGUISTIQUE RETROSPECTIVE communaute de langue qui constitue, dans une certaine mesure, l'unite ethnique. En general celle-ci sufflt toujoura pour expliquer la communaute linguistique. Par exemple, au debut du moyen Age ii y a eu un ethnisme roman reliant, sans lien politique, des peuples d'origines tres diverses. Reciproquement, sur la question de l'unite ethnique, c'est avant tout la langue qu'il faut interroger ; son temoignage prime tous les autres. En voici un exemple : dans I'ltalie ancienne, on trouve les ttrusques a cOte des Latins ; si l'on cherche ce qu'ils ont de commun, dans l'espoir de les ramener a une msme origine, on peut faire appel a tout ce que ees deux peuples ont laisse : monuments, rites religieux, institutions politiques, etc. ; mais on n'arrivera jamais la certitude que donne immediatement la langue : quatre lignes d'etrusque suffisent pour nous montrer que le peuple qui le parlait etait absolument distinct du groupe ebtnique qui parlait latin. Ainsi, sous ce rapport et dans les limites indiquees, la langue est un document historique ; par exemple le fait que les langues indo-europeennes f orment une famille nous fait conclure it un ethnisme primitif, dont toutes les nations par· lant aujourd'hui ces langues sont, par filiation sociale, les Mritieres plus ou moins directes. a § 3. PALEONTOLOGIE LINGUISTIQUE. Mais si la communaute de langue permet d'affirmer la communaute sociale, la langue nous fait-elle connattre la nature de cet ethnisme commun 'I Pendant longtemps on a cru que les langues sont une source inepuisable de documents sur les peuples qui les parlent et sur leur prehistoire. Adolphe Pictet, un des pionniers du celtisme, est surtout connu par son livre Les Origines indo­europeennes (1859-63). Cet ouvrage a servi de modele a beaucoup d'autres ; ii est demeure le plus attrayant de tous. Piciet vent retrouver dans les iemoignages fournis par les langues indo-europeennes les traits f ondamentaux de la civilisation des c AryAs •, et ii croit pouvoir en fixer les aspects les plus divers: choses materielles (outils, armes, animaux domestiques), vie sociale (etait-ee un peuple nomade ou agricole "/), famille, gouvemement ; ii cherche l connattre le berceau des AryAs, qu'il place en Bactriane ; ii etudie la flore et la faune du pays qu'ils habitaient. C'est IA l'essai le plus considerable qu'on ait fait dans cette direction; la science ainsi inauguree reeut le nom de paleontologie linguistique. D'autres tentatives ont ete faites depuis dans le m~e sens ; une des plus reeentes est celle de Hermann Hirt (Die lndogermanen~ 1905-190?)1• n s'est fonde sur la theorie de J. Schmidt (voir p. 287) pour determiner la contree habitee par les Indo-europeens ; mais iJ ne dedaigne pas de recourir a la paleontologie linguistique : des faits de vocabulaire lui montrent que les Indo-europeens etaient agriculteurs, et ii refuse de les placer dans la Russie meridionale, comme plus propre a la vie nomade ; la frequence des noms. d'arbres, et surtout de certaines essences (sapin, bouleau, hetre, chene), lui donne il penser que leur pays etait boise et qu'il se trouvait entre le Harz et la Vistule, plus specialement dans Ia region de Brandebourg et de Berlin. Rappelons aussi que, meme avant Pictet, Adalbert Kuhn et· d'autres avaient utilise la linguistique pour reconstruire la mythologie et la religion des Indo-europeens. Or ii ne semble pas qu'on puisse demander it une Iangue des renseignements de ce genre, et si elle ne peut les fournir, eela tient, selon nous, aux causes suivantes : D'abord l'incertitude de I'etymologie ; on a compris peu r 1. Cf. encored' Arbols de J:ubalnvllle : Lu premier»habilanl1 de Europe (1877), O. Schrader: Sprachvergleichungund Urguchichle, Id.: Reallcikon der tndogermanl1chen AUertumskunde (ouvrages un peu anterleun a\ l'ouvrage de Hirt), S. Feist : Europa im Llchle du Vor~nchichle (1910). 308 309 UNGUISTIQUB RBTROSPECTIVB PALEONTOLOGIE LINGUISTIQUE a peu com.bien sont rares les mots dont l'origine est bien etablie, et l'on est devenu plus circonspect. Voici un ex.emple des t.emerites d'autrefois : etant donnes serous et servo.re. on les rapproche - on n'en a peut-etre pas le droit , puis on donne au premier la signification de « gardien », pour en conclure que l'esclave a et.e a l'origine le gardien de la maison Or on ne peut pas meme affirmer que seroare ait eu d'abord le sens de I garder •· Ce n'est pas tout : les sens des mots evoluent : la signification d'un mot change souvent en meme temps qu'un peuple change de residence. On a cru voir aussi dans l'absence d'un mot la preuve que la civilisation primitive ignorait la chose designee par ce mot ; c'est une erreur. Ainsi le mot pour e labourer s manque dans les idiomes asiatiques ; mais cela ne signifie pas que cette occupation fut inconnue a l'origine : le labour a putout aussi bien tomber en desuetude OU se faire par d'autres precedes, designes par d'autres mots. La possibilite des emprunts est un troisieme facteur qui trouble la certitude. Un mot peut passer apres coup dans une langue en meme temps qu'une chose est introduite chez le peuple qui la parle • ainsi le chanvre n'a ete connu que tres tard dans le bassin de la Mediterranee, plus tard encore dans les pays du Nord : a chaque fois le nom du chanvre passait avec la plante. Dans bien des cas, I'absence de donnees extra-linguistiques ne permet pas de savoir si la presence d'un meme mot dans plusieurs langues est due a l'emprunt ou prouve une tradition primitive commune. Ce n'est pas a dire qu'on ne puisse degager sans hesitation quelques traits generaux et meme certaines donnees precises : ainsi les termes commons indiquant la parente sont abondants et se sont transmis avec une grande nettete ; ils permettent d'affirmer que, chez les Indo-europeens, la famille etait une institution aussi complexe que reguliere : car leur langue connait en cette matiere des nuances que nous ne pouvons rendre. Dans Homere eindieres veut dire • belles-seeurs• dans le sens de • femmes de plusieurs fr~res • et galooi « belles-seeurs » dans le sens de « femme et soeur du marl entre elles • ; or "le latin janitrids correspond a eindteres pour la fonne et la signification. De meme le • beau-frere, mari de la soeur • ne porte pas le meme nom que les « beaux-freres, marls de plusieurs soeurs entre eux ,. lei on peut done verifier un detail minutieux, mais en general on doit se contenter d'un renseignement general. II en est de meme des animaux : pour des espeees importantes comme l'espece bovine, non seulement on peut tabler sur la coincidence de grec boils, all. Kuh, sanscrit gau­s etc., et reconstituer un indo-europeen •g1ou­s, mais la flexion a les -memes caracteres dans toutes les langues, ce qui ne serait pas possible s'il s'agissait d'un mot emprunte posterieurement a une autre langue. Qu'on nous permette d'ajouter ici, avec un peu plus de details, un autre fait morphologique qui a ce double caraetere d'etre Iimite a une zone determinee et de toucher a un point d'organisation sociale. Malgre tout ce qui a ete dit sur le lien de dominus avec domus, les linguistes ne se sentent pas pleinement satisfaits, parce qu'il est au plus haut point extraordinaire de voir un suffixe -no- former des derives secondaires ~ on n'a jamais entendu parler d'une formation comme serait en grec •oikono-s ou *oike-no-s de oikos, ou en sanscrit •afua-na- de afva-. Mais c'est precisement cette rarete qui donne au suffixe de dominus sa valeur et son relief. Plusieurs mots germaniques soot, selon nous, tout a fait revelateurs : 1 o •j,euaa­na­z • le chef de la •J>tu4o, le roi ,, got. piudans, vieux saxon thiodan (*j,eudo, got. j,iuda, c:::: osque touto « peuple »). 20 •druxti­na­z (partiellement change en *druxti­na­z) • le chef de la •drux­ti­z, de l'armee », d'ou le nom chretien pour « le Seigneur, c'est-a-dire Dieu •, v. norr, Dr6ttinn, anglo-saxon DryhJ.en, tous les deux avec la finale -lna-z. 310 LINGUISTIQUE RfflOSPECTIVB le chef de la •kindi-z -= lat. gens ,. Comme le chef d'une gens etait, par rapport a celui d'une *j,eu4o, un vice-roi, ce terme germanique de kindins (absolument perdu par ailleurs) est employe par Ulfllas pour designer le gouvemeur romain d'une province, parce que le legat de l'empereur etait, dans ses idees germaniques, la meme chose qu'un chef de clan vis-a-vis d'un f,iudans ; si interessante ·que soit l'assimilation au point de we historique, ii n'est pas douteux que le mot kindins, etranger aux choses romaines, temoigne d'une division des populations germaniques en kindi-z. Ainsi un sufflxe secondaire ­no­ s'ajoute A n'importe quel theme en germanique pour donner le sens de c. chef de telle ou telle communaute •· n ne reste plus alors qu'a constater que latin tribiinus signifle de meme litteralement • le chef de la tribus • comme f,iudans le chef de la piuda, et de meme enfln domi­nus • chef de la domus ,, derniere division de la touta =- piudfl. Dominus, avec son singulier suffixe, nous sem.ble une preuve tres difficilement refutable non seulement d'une communaute linguistique mais aussi d'une communaute d'institutions entre l'ethnisme italiote et l'ethnisme germaio. Mais ii faut se rappeler encore une fois que les rapprochements de langue il langue livrent rarement des indices aussi earacteristiques. 30 •kindi-na-: c [303) § 4. TYPE LINGUISTIOUE ET MENTALITE DU GROUPE SOCIAL!'° Si la langue ne fournit pas beaucoup de renseignements precls et authentiques sur les mceurs et les institutions du peuple qui en fait usage, sert-elle au moins a caracteriser le type mental du groupe social qui la parle 'I C'est une opinoin assez generalement admise qu'une langue reflete le caractere psycliologique d'une nation : mais une ohjection tres grave s'oppose a cette we : un precede linguistique TYPE LINGUISTIQUE ET MENTALITB DU GROUl'E 311 n'est pas neeessairement determine par des causes psychiques. Les langues semitiques expriment le rapport de substantif determinant a substantif determine (cf. franc. « la parole de Dieu »), par la simple juxtaposition, qui entratne, il est vrai, une forme speciale, dite • etat construit ,, du determine place devant le determinant. Soit en hebreu diibar • parole II et 'elohim1 ci Dieu : » dbar, 'elohim signifie : .. la parole de Dieu 11, Dirons-nous que ce type syntaxique revele quelque chose de la mentalite semitique 'I L'affinnation serait bien temeraire, puisque l'ancien fran~s a regnlierement employe une construction analogue : cf. le eor Roland, la quatre fil.s Aymon, etc. Or ce precede est ne en roman d'un pur hasard, morphologique autant que phonetique : la reduction extreme des cas, qui a impose a la Iangue cette construction nouvelle. Pourquoi un hasard analogue n'aurait-il pas [ete le protosemite dans la meme voie 'I Ainsi un fait syntaxique qui sem.ble etre un de ses traits indelebiles n'offre aucun indice certain de la mentalite semite, Autre exemple : I'indo-europeen primitif ne connaissait pas de composes a premier element verbal. Si l'allemand en possede (cf. Beihaus, Springbrunnen, etc.) faut-il croire qu'a un moment donne les Germains ant modifle un mode de pensee herite de leurs ancetres 'I Nous avons vu que cette innovation est due a un hasard non seulement materiel, mais encore negatif : la suppression de l 'a dans betahii.s (voir p. 195). Tout s'est passe hors de l'esprit, dans la sphere des mutations de sons, qui bientOt imposent un joug absolu a la pensee et la forcent a entrer dans la voie speciale qui lui est ouverte par l'etat materiel des signes, Une foule d'observations du meme genre nous conflrment dans cette opinion ; le caractere psychologique du 1. Le slgne ' d~lgne l'aleph, solt l'occluslve glottale qui correspond A l'esprlt doux du grec. 312 LINGUISTIQUE RETROSPEC'l'lVB groupe linguistique pese peu devant un fait com.me la suppression d'une voyelle ou une modification d'aceent, et bien d'autres choses analogues capables de revolutionner a chaque instant le rapport du signe et de I'idee dans n'importe quelle f orme de langue. 11 n'est jamais sans interet de determiner le type grammatical des Iangues (qu'elles soient historiquement connues ou reconstruites) et de les classer d'apres les precedes qu'elles emploient pour l'expression de la pensee ; mais de ces determinations et de ces classements on ne saurait rien conclure avec certitude en dehors du domaine proprement linguistique. CHAPITRE V FAMILLES DE LANGUF.S ET TYPES LINGUISTIQUES1* f304 J Nous venons de voir que la langue n'est pas soumise directement a l'esprit des sujets parlants : insistons en terminant sur une des consequences de ce principe ; aucune famille de langues n'appartient de droit et une fois pour toutes a un type linguistique. Demander a quel type un groupe de langues se rattache, e'est oublier que les langues evoluent ; c'est sous-entendre qu'il y aurait dans cette evolution un element de stabilite. Au nom de quoi pretendrait-on imposer des limites a une action qui n'en connatt aucune? Beaucoup. i1 est vrai, en parlant des caracteres d'une famille, pensent plutot a ceux de l'idiome primitif, et ce probleme-la n'est pas insoluble, puisqu'il s'agit d'une langue et d'une epoque, Mais des qu'on suppose des traits permanents auxquels le temps ni l'espace ne peuv=nt rien changer. on heurte de front les principes f ondamentaux de la linguistique evolutive. Aucun caractere n'est permanent de droit ; ii ne peut persister que par hasard. Soit, par exemple, la famille indo-europeenne ; on connatt les caracteres distinctifs de la langue dont elle est issue ; le systeme des sons est d'une grande sobriete ; pas de groupes eompliques de consonnes, pas de consonnes doubles ; un vocalisme monotone, mais qui donne lieu a un jeu d'altert. Bien que ce chapltre ne tralte pas de llngulstlque retrospective, nous le placons lei parce qu'il peut servlr de conclusion A l'ouvrage tout entler (Ed.). 315 FAMILLES DE LANGUES ET TYPES LINGUISTIQUES PAMILLES DE LANGUES ET TYPES LINGUISTIQUES nances extremement regulieres et profondement grammaticales (voir pp. 216, 302) ; un accent de hauteur, qui peut se placer, en principe, sur n'importe quelle syllabe du mot et contribue par consequent au jeu des oppositions gram. maticales ; un rythme quantitatif, reposant uniquement sur l'opposition des syllabes longues et breves ; une grande facilite pour former des composes et des derives ; la flexion nominale et verbale est tres riche ; le mot flechi, portant en luimeme ses determinations, est autonome dans la phrase, d'ou grande liberte de construction et rarete des mots grammaticaux a valeur determinative ou relationnelle (preverbes, prepositions, etc.). Or on voit aisement qu'aucun de ces caracteres ne s'est maintenu integralement dans les diverses langues indoeuropeennes, que plusieurs (par exemple le role du rythme quantitatif et de l'accent de hauteur) ne se retrouvent dans aucune • certaines d'entre elles ont meme altere l'aspect primitif de I'indo-europeen au point de faire penser a un type linguistique entierement different, par exemple l'anglais, l'armenien, l'irlandais, etc. 11 serait plus legitime de parler de certaines transformations plus ou moins communes aux diverses langues d'une famille. Ainsi l'affaiblissement progressif du mecanisme flexionnel, signale plus haut, est general dans les langues indo-europeennes, bien qu'elles presentent sous ce rapport meme des differences notables : c'est le slave qui a le mieux resiste, tandis que l'anglais a reduit la flexton a presque rien. Par contre-coup on a vu s'etablir, assez generalement aussi, un ordre plus ou moins flxe pour la construction des phrases, et les precedes analytiques d'expression ont tendu a remplacer les precedes synthetiques valeurs casuelles rendues par des prepositions (voir p. 247), Iormes verbales composees au moyen d'auxiliaires, etc.). On a vu qu'un trait du prototype peut ne pas se retrouver dans telle ou telle des langues derivees : l'inverse est egalement vrai. 11 n'est pas rare meme de constater que les traits communs a tous les representants d'une famille sont etrangers a l'idiome primitif ; c'est le cas de l'harmonie vocalique (c'est-a-dire d'une certaine assimilation du timbre de toutes les voyelles des suffixes d'un mot a la derniere voyelle de l'element radical). Ce phenomena se rencontre en ouralo-altatque, vaste groupe de langues parlees en Europe et en Asie depuis la Finlande [usqu'a la Mandchourie; mais ce caractere remarquable est du, selon toute probabilite, a des developpements ulterieurs: ce serait done un trait commun sans etre un trait originel, a tel point qu'il ne pent ~tre invoque pour prouver l'origine commune (tres contestee) de ces langues, pas plus que leur caractere agglutinatif. On a reconnu ~alement que le chinois n'a pas toujours ete monosyllabique. Quand on compare Jes langues semitiques avec le protosemlte reconstitue, on est frappe a premiere vue de la persistance de certains caracteres ; plus que toutes les autres familles, celle-ci donne l'illusion d'un type immuable, permanent, inherent a la famille. On le reeonnalt aux traits suivants, dont plusieurs s'opposent d'une facon saisissante a ceux de I'indo-europeen : absence presque totale de composes, usage restreint de la derivation ; flexion peu developpee (plus, cependant, en protosemite que dans les langues filles), d'ou un ordre de mots lie a des regles strictes, Le trait le plus remarquable conceme la · constitution des racines (voir p. 256) ; elles renferment regulierement trois consonnes (par exemple q-1-l • tuer »), qui persistent dans toutes les f ormes a l'interieur d'un meme idiome (cf. hebreu qatal, qii,t[ii, qtol, qilfi, etc.), et d'un idiome l'autre (cf. arabe qatala, qutila, etc.). Autrement dit, les consonnes expriment le « sens concret I des mots, leur valeur lexicologique, tandis que les voyelles, avec le concours, ii est vrai, de certains prefixes et suffixes, marquent exclusivement les valeurs grammaticales par le jeu 314 a 316 FAMILLES DE LANGUES ET TYPES LINGUISTIQUES de leurs alternances (par exemple hebreu qii,tal « il a tue », qtol « tuer », avec suffixe q!iil­ii « ils ont tue », avec prefixe, ji­qtol « ii tuera », aver l'un et 1 'autre ii­qtl­ii « ils tueront • etc.). En face de ces faits et malgre les affirmations auxquelles ils ont donne lieu, il faut maintenir notre principe : il n'y a pas de caracteres immuables ; ia permanence est un effet du hasard ; si un caractere se maintient dans le temps, il peut tout aussi bien disparaitre avec le temps. Pour nous en tenir au semitique, on constate que la « loi )) des trois consonnes n'est pas si caracteristique de cette famille, puisque d'autres presentent des phenomenes tout a fait analogues. En indo-europeen aussi, le consonantisme des racines est soumis a des lois precises ; par exemple, elles n'ont jamais deux sons de la serie i, u, r, l, m, n apres leur e ; une racine telie que ~serl est impossible, etc. Il en est de meme, a un plus haut degre, du jeu des voyeiles en semitique ; l'indo-europeen en presente un tout aussi precis, bien que moins riche ; des oppositions telles que hebreu dabar « parole », dbiit­im « paroles », dibre­hem « leurs paroles • rappellent celles de l'allemand Gast ; Gii.ste, fliessen : floss, etc. Dans les deux cas la genese du procede grammatical est la meme. II s'agit de modifications purement phonetiques, dues a une evolution aveugle ; mais les alternances qui en sont resultees ont ete saisies par l'esprit, qui leur a attache des valeurs grammaticales et a propage par l'analogie des modeles fournis par le hasard de l'evolution phonetique, Quant a l'immutabilite des trois consonnes en semitique, elle n'est qu'approximative, et n'a rien d'absolu. On pourrait en etre certain a priori ; mais les faits confirment cette vue : en hebreu, par exemple, si la racine de 'aniis-im « hommes ·, presente les trois consonnes attendues, son singulier 'is n'en offre que deux ; c'est la reduction phonetique d'une fonne plus ancienne qui en contenait trois. D'ailleurs, meme en admettant CONCLUSION 317 cette quasi-immutabilite, doit-on y voir un caractere inherent aux racines ? Non ; il se trouve simplement que les langues semitiques ont moins subi d'alterations phonetiques que beaucoup d'autres et que les consonnes ont ete mieux conservees dans ce groupe qu'ailleurs. II s'agit done d'un phenomene evolutif, phonetique, et non grammatical ni permanent. Proclamer I'immutabilite des racines, c'est dire qu'elles n'ont pas subi de changements phonetiques, rien de plus ; et l'on ne peut pas jurer que ces changements ne se produiront jamais. D'une maniere generate, tout ce que le temps a fait, le temps peut le defaire ou le transformer. Tout en reconnaissant que Schleicher faisait violence a la realite en voyant dans la langue une chose organique qui porte en elle-meme sa loi d'evolution, nous continuous, sans nous en douter, a vouloir en faire une chose organique dans un autre sens, en supposant que le " genie o d'une race ou d'un groupe ethnique tend a ramener sans cesse la langue dans eertaines voies determinees. Des incursions que nous venons de faire dans les domaines limitrophes de notre science, il se degage un enseignement tout negatif', mais d'autant plus interessant qu'il concorde avec l'idee fondamentale de ce cours : la linguistique a pour unique et veritable obje: la langue envisagee en elle­tnime et pour elle­mhne.* (305 J NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES SUR F. DE SAUSSURE 1. LA FAMILLE Ferdinand de Saussure naquit ~ Geneve le 26 novembre 1857 1. La famille etait une des plus connues et des plus anclennes de la ville : le fondateur de la lignee etait Mongin ou Mengin Schouel, originalre du bourg de Saulxsure-sur-Moselotte (Lorraine), conseiller et grand 1. Burnet 1930. II n'exlste pas de blographle detalllee de Saussure. Les sources des notes blographlques, A part Jes repertoires blographlques sulsses, sont par ordre chronologique : Bally 1913 b; F. d. S. ( = Ferdinand de Saussure(1857-1913), Mition hors commerce, sans date, due A )'initiative de Mm• Marie de Saussure en date de mars 1915, Geneve, ed. reimprimee en 1962par Jacques et Raymond de Saussure), avec des articles et des discours commemoratlts (volr infra, lisle des abrt!vialions bibliographiques); Streitberg 1914 (on volt A la page 204 qu'II renvole A une redaction diflerente des Souvenirs : volr Infra) ; Duchosal 1950, Benvenlste 1965, Fleury 1965 (les deux demlers etant fondamentaux pour la periode parislenne). On trouve des notices dans Rec. ( = Recueil des publications seientifiques de Ferdinand de Saussure, Geneve 1922, avec preface de Ch. Bally et L. Gautier) et dans Jes notes et lettres de Saussure Iui-rneme (lnventalre complet dans Godel 1960) dont on a Jusqu'lci Mite : Noles ( = Noles int!dites de F. d. S., Mite par R. Godel, C. F. S. 12, 1954. 49-71), Souvenirs (Souv. de F. d. S. concernanl sa [eunesse et ses eludes, Mite par R. Godel, G. F. S., 1960. 12-25), Lettres (Lellres de F. de S. a Antoine Meil/et, Mite par E. Benveniste, C. F. S. 21. 1964. 89-130). Les notes des eleves presents aux cours de lingulstique generate ont une Importance evldente : les cahlers de notes du second cours sont edites depuis 1957 (F. d. S., Cours de linguislique gt!nt!rale (1908­1909). Inlroduclion, C. F. S. 15, 1957. 3-103; une traduction ltalienne, avec introduction, a ete Mitee par R. Simone, Rome 1970: la traduction ticnt compte de meilleures lectures des manuscrits dues a R. Godel lui-rneme), et Jes cahiers de E. Constantin depuis 1959 (R. Godel, Nouveaux documents saussuriens, Les eahiers E. C., C. F. S. 18, 1959. 23-32). Tout le materiel de notes autographes de llngulstlque generale et de notes d'etudiants est aujourd'hui dans l'editlon critique du C. L. G. de R. Engler (Wiesbaden 1967 et sv. ). Des Informations provenant de materiels lnMits ou de sources orales se trouvent dans la prlncipale ceuvre de la philologie saussurienne : S. M. ( = R. Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguislique gt!nt!rale de F. d. S., Geneve-Parls 1957 ; l'reuvre a ete relmprtmee en 1969). D'autres textes saussuriens ont ete recemment publies : textes sur Jes anagrarnmes in Starobinskl 1964, 1967, 1969 ; correspondance avec Ascol! In Gazdaru 1967; Morphologie (trots lecons du cours genevols 1894-1895)In Godel 1969. 26-38 ; textes sur la notion de symbole et sur expression dans ce commentaire (voir infra). On trouve egalement des fragments Inedits dans Engler 1969. Le rassemblement de ce qui reste de la correspondance de Saussure et l'exploration attentive des cahiers de lecons d'lndo-europeen, de philologie germanique, 320 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES fauconnier du due de Lorraine. Son flls Antoine (1514-1569) herita des charges et des blens paternels, mats devenu ensuite partisan de Calvin, accuse par la regente Christine d'avolr Inltie lejeune due Charles a Ia religion reformee, ii rut empnsonne en 1550. Evade, ii a abandonne en 1552 la Lorraine avec tous Ies slens et, apres des annees de vagabondage entre Neuchatel, Strasbourg, Lausanne et Geneve, ll trouva dans les deux dernleres villes (ii devint bourgeois de Ia seconde en 1556) cette hospltallte que Geneve surtout accordait aux mlnorttes opprimees de toute l'Europe. La branche principale de la famille avec Elle de Saussure (1635-1662), flls de Jean-Baptiste (mort en 1647), vint ensulte se fixer a Geneve oil Antoine s'etait etelnt en 1569 ; le nom des Saussure fut ainsi lie a celui de Geneve, la • Sparte protestante •, • Ame de ce qu'il y avalt de fort, de fldele, de fterement intolerant dans le mouvement evangelique • (Fisher). Au debut du xvme slecle, les Saussure acheterent a J. A. Lullin une belle maJson dans la rue de la Cite ; quelques annees plus tard, en 1723, ils possedaient aussi une residence d'ete aux Creux de Genthod, un hameau de Genthod dans une petite bale boisee du Leman. C'est a cette epoque que naquit le premier Saussure qui se signala dans les etudes : Nicolas (1709-1791), avocat, speclallste d'agronomie de reputation europeenne, collaborateur en ce domaine de I' Encyclopedie (d'ou est extraite l'reuvre Vignes, raisins, vendanges et oins, Lausanne, 1778). Son flls, Horace-Benedict (17 tevrter 1740-22 Janvier 1799), parmi les intellectuels genevois du xvnr« siecle, n'est depasse - peutetre-que par Jean-Jacques Rousseau: doue d'une singuliere precoclte dont, par un rapprochement naturel, les biographes de son arriereneveu se souviendront souvent, ll est a 22 ans professeur de philosophie et de sciences naturelles a I' Academle de Gen eve dont ii sera recteur en 1774-75; il s'interesse a la botanique, a l'electrologle, a la mecanlque, a la mlneralogie, a l'hydrologie, a la geologle ; le 3 aoOt 1787 ii accomplit une ascension fameuse du mont Blanc ; ses observations scientiflques sont consignees, sous forme non systematlque, dam, ses Voyages dans les Alpes precedes d'un Essai sur l'histoire naturelle du environs de Geneoe, 4 vol., Neuchatel-Geneve-Paris 1779-1796. Deux de ses enfants poursuivront Ia tradition patemelle : Albertine-Adrienne (1766-1841), auteur de L' Bducatiot: progressive, epouse de Jacques etc., sont des tAches qui ettendent la phllologle saussurlenne. Pour l'lconogrephle saussurienne cf. Benvenlste 1965 ad. 21 (photographle remontant ii I'epoque du Memoire, de Bolssonnas, eppartenant a M. Jacques de S.) ; Benvenlste 1965. 34-Fleury 1965. 35 (reproduction du portrait a l'huile pelnt sur toile par Horace de S., appartenant ii Jacques de S., conserve ii Vufflens, remontant ii Ia periode parlsienne); Fleury 1965. 52-53 (photographie de Ia • Gazette de Lausanne » remontant aux dernleres annees, visage et buste des deux tiers) ; Streitberg 1914 (photo des demleres annees, proftl tourne vers Ia gauche avec signature autographe; peut-etre ldentlque au cllch~ F. H. Jullien in Oltramare 1916. 257); Duchosal 1950 (prolll toume vers la drolte, cliche Amor, remontant toujoun aux dernleres annees). SUR F. DE SAUSSURE 321 Necker (professeur de botanique a Geneve), cousine et amie de Mme de Stael, traductrice de la Litteraiure dramatique de W. von Schlegel, amie des plus grands personnages de I' Allemagne Ideallste et romantique et, a Geneve, d' Adolphe Pictet, premier mattre de Ferdinand (cf. A. M. Bernardinis, Il pensiero educatioo di A. N. de S., Florence, 1965, page XXXIV, la Iettre a Pictet 11822) sur le rapport dialectique entre la necessite de recueillir « un grand nombre de fails • et Ia construction d'un u systeme •); Nicolas-Theodore (1767-1845), grand-pere de Ferdinand, physicien, chimiste, naturaliste, lui aussi professeur a Geneve, de geologie et de mineralogie (on Jui dolt entre autres !'identification et, en l'honneur de son pere, la denomination de la saussurite et du processus de formation de ce mineral). Le fils atne de Nicolas-Theodore fut Theodore (1824-1903): maire de Genthod durant un demi-siecle (1850-1900), deux fois depute au Grand Conseil, colonel dans I'artillerie helvetlque, patriote (peut-etre participa-t-il a faire revenir son neveu de Paris vers sa patrie), president de la Societe Suisse des Arts, fondateur et president de Ia Soeiete Suisse des Monuments Historiques, auteur de deux drames ainsi que d' Eludes sur la langue fran~aise. De l'orthographe des noms propres ; la femme de Theodore, • doyenne de la famille •, se consacra a transmettre ii ses neveux, « avec !es traditions, le culte des ancetres ... •. Le second fils, Henri (27 nov. 1829-20 fev. 1905), porte sur Jes eludes de geologic, docteur a Giessen et ensuite honoris causa a Geneve, accomplit entre ses 25 et ses 27 ans un long voyage de recherche aux Antilles, au Mexique, aux Etats-Unis, en ramenant de precleuses collections de mlneraux et des collections entomologiques; de retour dans sa patrie, ii epouse une Jeune fille d'une autre famille aristocratique de Geneve, les Pourtales. De leur mariage naquirent, apres Ferdinand, Horace (1859-1926), acquafortiste, portraitiste et paysagiste (on conserve un portrait de Ferdinand par lui au chateau de Vufflens : voir note page 320); Leopold (1866-1925), officier de la marine Irancalse de 1881 (Valois 1913. 127) a 1899, qui se consacra ensuite aux eludes annamites et chinoises et a l'astronomle chinoise ancienne; Rene (ne en 1868), mathematlcten, professeur a 27 ans a l'universite catholique de Washington, priuai-doceni a Geneve puis a Berne de 1904 a 1924, egalement auteur d'etudes de philosophie et de loglque des langues artiflcielles et naturelles. C'est dans ce milieu, « on la plus haute culture intellectuelle est depuis longtemps une tradition • (Meillet), que se torme le Jeune Saussure. n avalt de qui tenlr. Son blsateul, Horace-Benedict, fut le pere de la g~ologle, de la mlneralogle et de la meteorologle alpestres ... Son pere ... , naturallste aussl, lnculqualt par l'exemple a ses enfants les disciplines de travail methodlque et de non satisfaction des resultats attelnts... II semblait que sa mere ... possedat tous les dons de I'esprit et du gout, Hant, entre autres, muslclenne consommee. 322 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES L't\lt\gance sobre de la malson du creux de Genthod avec sa belle pelouse entou, ree d'une double rangee d'arbres centenaires, le mlrolr du lac, I'horlzon des Alpes en t\tt\ ; l'hiver le vaste appartement de la Tertasse, a Geneve, avec ses vitrines pleines de collections de toutes sortes, Jes livres, Jes albums, les gravures I\ profusion, volla le milieu ..• ou F. d. S. a grandi (David). Ses sentiments se confondalent avec ces paysages qu'll cherlssait et qu'il a parcourus en tout sens. Le creux de Genthod, oil. !'immense salle des marronnlers projette une ombre mysterieuse de monastere antique, avec Jes avenues au-dessous desquelles l'cell percolt les bleus horizons de notre lac et, plus haut, la clme du Mont-Blanc atteinte pour la premiere fois par un savant aieul, lul rappelait, avec la glolre de la famille, ses jeux et ses souvenirs d'enfance, partages avec tant d'aimables treres et sceurs dans une sorte de paradis terrestre. Et puls, II y avalt la haute terrasse de la Tertasse et son aristocratique malson, ou la gracleuse doyenne de la famille... a malntenu, avec les traditions, le culte des ancetres .•. (F. de Crue) •. 2. LES PREMIERES ETUDES S. fail ses premieres eludes au college de Hofwyl, pres de Berne, ou A. Pictet avail aussi ete eleve : ce demier, auteur des Origine, indo­europeennes. Essai de paleonioloqie linquistique (2 vol. Geneve 1859-1863), fut un des dieux tutelaires de l'enfance de S. qui le rencontra a 12-13 ans, lors des villegiatures estivales a Malagny (Versoix). S. Iul-meme parle des conversations qu'il eut avec le vieux savant, de son enthousiasme encore infantile pour la paleontologie linguistique et pour I'etymologie, Iortlfie par son grand-pere maternel, le comte Alexandre-Joseph de Pourtales, constructeur amateur de yachts selon de subtils principes mathematiques et, aux dires de S., auteur d' etymologies pas beaucoup plus sures que les yachts qui, a peine poses sur le Leman, disparaissaient rapidement sous les flots. Quoi qu'il en soit, desormais acquis a la Ilngulstique par Pictet et par son grand-pere, S. entre en 1870 a l'institut Martine oil le professeur Millenet, mort nonagenaire peuavant 1913, l'initie au grecsur la base de la grammaire de Haas. Une fois cette langue acquise (ii connaissait deja le Iraneals, l'allemand, l'anglais et le latln), S. se decide a tenter un « systeme general du langage • et en termine en 1872 le manuscrit Intltule Essai sur les langues et destine a Pictet. La these centrale en est que, en partant de l'analyse de n'importe quelle langue, ii est possible de remonter a des racines bi et tri-consonnantiques, a condition de postuler que p = b = f = z,, 2. Sur la famllle et sur le milieu de formation de S. ct. M. Champion, Cuvier et Anon.: Saussure (Nicolas de), S. (Horace­Benedict de), S. (Nicolas­Theodore de), In Biographie uniuerselle ancienne et moderne, Paris, s.d. vol. 38 p. 75-79; Nou­ r,elle biographie generate, vol. 43, Paris 1867, Saussure ; Meillet 1913. CLXV ( ... F.d. S. 69; corriger • grand-pere •en •bisaieuh), David 1913, De Crueln F. d. S. 15-23, Streltberg 1914.204, Burnet 1930. On trouve des renseignements sur Jes deux maisons des Saussure dans n'lmporte quel guide de Geneve, meme succinct. Les citations de H. A. L Fisher vlennent de Storia d'Europa, vol. II, 1• ~d. Bart 1938, p, 125, 129. SUR F. DE SAUSSURE 323 k = g = ch, t = d = th. Les c preuves • etaient nombreuses, par exemple R - K etait • signe universe} de prepotence ou de puissance vlolente: rex, regis ; ~'IJyvuµ.i ; Rache, riigen ; etc. • comme le rappellera plus tard S. lul-rnerne dans ses Souvenirs... . Pictet repondit almablement au garcon, invitant a per.severer dans ses etudes de la Iangue mais a se tenir cependant eloigne de tout systerne universe} du Iangage •. L'influence du savant plus que I septuagenalre sur le Jeune garcon doit etre allee beaucoup plu.s loin. qu~ ce simple episode. Pictet lul parla de ses eludes, de s_es Interets . etant donne qu'il avail ete ami et collaborateur de _cousm e~ aml de w. von Schlegel ( qu'il fit connattre a la culture fran\:a1se. et suisse av~~ l'alde de son amie Albertine-Adrienne, tante de Ferdmand), et qu 11 s'etait occupe d'esthetique selon les theories de ses rnattres et amis id_ealistes, Hegel et surtout Schelling, il n'est pas improbable que l'on puisse chercher en Jui un premier intermediaire entre Saussure et Ia culture romantique et idealiste. Si ce n'est la qu'une hy~othese, il est, cependant certain que s. trouva en lul un modele de vie .: ~n 1878, I ~u~eur etant mort depuis trois ans, parut la secondc edition des Oriqines, et Saussure en fit une critique ( • Journal de Geneve •, 17, 19 et 21 avril 1878 = Recueil 391-402) dans laquelle ii semble qu~ l'on pulsse decouvrir le secret de la vocation de celul que Benvemste a appele « homme des fondements • : ! Au milieu de travaux sl divers dont nous n'avons t\numt\re que les plus conslderables ii semble que !'on dolve renoncer a chercher le fil se_cret, l'Idee commune qui reli; generaternent tous Jes prodults d'un meme esprit. Et cependan_t, sl l'on y regarde de pres, on reconnaltra sans pelne que. to~tes !es ceuvres.de Ptc~et sont blen nees au foyer de la rneme pensee, II y avalt d a~ord_ chez Im la ~unosltt\ Insatiable, l'amour des explorations neuves et lomtames, aux hml~es extremes du savolr humaln. Pictet s'est arrete devant tousles sphynx et a medite toutes Jes t\nlgmes... 11 semble que les faits con~~s ne soient qu'une base pour ressalsir J'inconnu les termes d'une t\quatlon qu ti faut poser et, sl possible, resoudre ... C'est to~}ours la, c'est aux conflns de !'Imagination et de la science, que sa pensee almalt a se mouvolr (Rec. 394-395). Au cours de l'automne 1872, ses parents jugent que le garcon n'est pas assez « mur » pour le gymnase et le contraignent a une annee d'attente au College public. En realite, le Jeune homme de ces annees est ainsi decrit : Tout pronleme le fascinait : II le retournalt, le creu~ait, n~_ le quitt~it pas sans en avolr tormule, pour lul et pour ses amls. une solutt~n qu_ tl enoneait avec une rlgueur d'expression surprenante pour )'adolescent qu il Hatt alors. Apr~s quol II opinait que la verite pouvalt etre ailleurs, voire a I'nppose, Car s'il avait besoln de rlgueur dans }'expression, II avail plus encore le. resp~ct de•. la ;t\rltt\, en rte que )'Instant apres qu'il avalt afflrrne, on pouvait croire qu ti avail voulu :ulement dresser en pied, pour mleux la demontrer fragile, une these fondt\e sur des arguments lncomplets (David). Le goQt des antitheses semble done ancre en lui plus par une habitude innee que par des ascendances culturelles. 324 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES ~n.jour la classe du College lit un passage d'Herodote et ce garcon ~m nest pas encore • mur • se trouve devant une forme de la trot. sleme p~rsonne du pluriel, une des nombreuses « exceptions • de Ia grarnmatre grecque : ,t,cix.et,iu. A l'lnstant oil Je vt.s la tonne ... , mon attention, extremernent distraite en general, ;omme 11_ etalt nature! en cctte annee de repetition, fut subltement attlree d une maniere extraordinaire, car je venals de faire ce raisonnement . ).cy6µdlet : Atyov,etL, par consequent ndyµt6et : Ttdv!X,ett et par conse. quent N = et. "­ A se!ze ?ns, trois ans avant Brugmann, S. a ainsi decouvert, dans la prehistolre des formes grecques, la nasalis sonans. En 1873 ii s'inscrit au Gymnase; ct selon Ies conseils de Pictet n commence en 1874 _a ~tudier le sanscrit dans la grammaire de Bopp, trouvee dans la Blbliotheque publique de Geneve. C'est peut-etre a ces annees que remonte le premier contact avec Paul Oltramare pr~fes_seu_r de1langue et de litterature latine a I'universite de Geneve: et indianiste : ~ans la bibliotheque de la faculte des lettres, s. trouve I~ seconde edition des Grundziige der griechischen Etymologie de Curtius. En 1875, Age de 18 ans, ii quitte le Gymnase: pour obeir aux desirs de ses parents et contorrnement a la tradition familiale ii s'inscrit a.~x cours de physique ct de chirnie de I'universite de Gen~ve. Mais iJ s ~nteresse a tout autre chose, aux domaines explores par son maltre P1ctet_ a pein~ decede ; aussi frequente-t-il en merne temps Jes cours de philosophie et d'histoire de l'art et, surtout, ii cntend bien continu~r a s'occuper ~e linguistique. A la Iaculte des lettres, Joseph Wert~e1mer est depuis deux ans professeur de « linguistique et philologte •: ayant s~ccede a uncertain Krauss qui entre 1869 et 1873 avait en~e1~nela meme matlerc sous les titres de • philologie • puis de « Iinguistique comparee •. Wertheimer (Soultz 1833-Geneve 1908) devait cons~rver la chaire jusqu'en 1905, annee oil lui succeda justement Ferd1~and de _s~ussur.e; theologien, grand rabbin de Geneva pendant P_lus dun de1_m-s1ecle, II n'etait pas loin de !'ignorance totale en linguistiqu~, so~ u~1que ~uvre en trente ans d'enseignement et ant un opuscule, La l'.ngu'.st'.que. Di scours prononce le 30 octobre 187 7 a l'ouuerture du cours de lingu1st1que (Geneve 1877), • demarquage , mal camoufle (SM 29) de la lecon de M. Breal'. De la forme et de la fonction des mots (Paris, 1866). Saussure, avec un jugernent tres sur, evite le professeur de linguisIJ3 .. II fa11irobablement ident lfter a P. Oltramare le personnage auquel fait ~e ~~~~nt; nfu~~~e dans son discours (F. d. S. 16): • Ce digne descendant , s. [Sauss~reJ ... apres s'etre rorrne a Geneve notamment aux 1 econs d ~n i(lllde benevole. d'un ami dlstingue que je voi~ ici etc , Le ~0 0dl~ g1 ec~1t !(enti~ent (Iettre privee du 20 janvier 1967): • .J'ai consulte M~rti~po d_autier qui, d apres ses pr_opres souvenirs et ceux du prof. Paul-E. blabtedier::/ p;~lq~rt::i:::.o.nnage designe par le Doyen De Crue est vraisem­ L? SUR F. DE SAUSSURE 325 tique et frequente au contraire les Ieeons de grammaire grecque et latine d'un priuat-doceni, Louis Morel, qui repetait pratiquement ce qu'il avait appris l'annee precedente a Leipzig, aux travaux pratiques et aux semlnaires de Georg Curtius. Saussure a de longues conversations avec Morel, specialement au sujet de la question qui le preoccupe depuis trois ans : Curtius, dans ses Grundziige, ramene a des racines avec -n- des cas comme µeµetwc; ; mais que dit-il de l'alfa de -rncix.et-r(lL, de -rn6c; ? Mais Morel ne repond pas de Iacon satisfaisante. Saussure se procure la Vergleichende Grammatik de Bopp : la decouverte du -r- vocalique du viell-indien le met tout d'abord sur la bonne voie (si bhrtas est possible, pourquoi ne pas postuler aussi •tntas ?) ; mais il 0 0 est en suite fourvoye par la theorie erronee de Bopp sur le caractere tardif du type bhrtas par rapport au grec cptpT6c;. Bopp represente pour le Jeune Genevois' la plus grande autorite : sa these le decourage de rechercher d'autres preuves de l'existence d'une nasalis sonans originelle. De toute tacon, Saussure a desormais choisi. Au printemps 1876, par I'Intermedlalre de son ami Leopold Faure, ii demande a Abel Bergalgne de l'inscrire a la Soclete de Linguistique de Paris, fondee depuis peu. Le 13 mai 1876, il y est admis (et figure ainsi sur la liste des societaires au 1 er Janvier 1878 comme etudiant en philosophie, domlcille a Leipzig, Hospitalstr. 12 : M. S. L. 3, 1878). En 1876, beaucoup de ses amis genevois (Edouard Favre, Lucien, Raoul, Edmond Gautier) etudient la theologie et le droit a Leipzig : Jes parents de Saussure consentcnt au choix du Jeune homme. II pourra aller a la fameuse universite allemande et, surtout, y etudier la linguistique '· 3. LEIPZIG ET LE • MEMOJRE • Saussure restera quatre ans a Leipzig, avec une longue parenthese berlinoise : de l'automne 1876 au premier semestre 1880. Au cours de l'annee 1876 (Streitberg 1914.204), avant done d'arriver a Leipzig, ii prepare ses premiers memoires pour la Societe : le premier est lu a Paris lorsdela seance du 13 janvier 1877, et M. S. L. 3, 1877 contient 4. Pour ce paragraphs cf. Saussure Souvenirs 16-20, en outre Streltberg 1914. 204, Favre in F. d. S. 27-28, David 1913. 37,Meillet 1913(=F. d. S. 70-71 ;remplacer • gymnase • par • college public • et ,et,&; par n-riix.et-ret( ; mals le temoignage est important car ii revele le poids accorde par Saussure Jui-mi!me {) cet episode), Bally 1913. Pour Wertheimer cf. aussl Diction. hist. el biograph. de la Suisse ; pour Pictet, le compte rendu de 1878 est essentiel, en partlculier aux pages 391, 394, 395 du Recueil. L'Essai sur les langues est cite dans Souvenirs 16 comme S1Jsleme general du langaye, mais est intitule ibid. 19 Essai ... , et c'est alnsl quel'appelleBally 1913(= Le langage etc. 3• ed., 147), qui en vit le manuscrit par la suite egare ; pour la date, 8. parle de dlx-sept ans. c·est-a-dire 1874, mais cettc an nee !'episode de la reconstruction de Ia nasalis sonans et Ia connalssance du sanscrit nous montrent un Saussure beaucoup plus mur theoriquement et techniquement, si bien que Ia date de 1872 ind1quee dans Jes Sou­ tJenirs est blen preferable ; du reste le sanscrit ne semble pas avoir ete utilise dans I'Essai, sl bien que la connaissance de cette langue (1874) est un bon terminus ante quern. 326 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES differentes notes de l'etudiant de 19 ans; Le suffixe -T- (197 et sv. = Rec. 339-352) et Sur une classe de verbes latins en ­eo (179-192 = Rec. 353-369) sont • encore en partie engagees dans des theories de I'epoqus anterteure • (Meillet), u zeigen die Klaue des Lowen nicht • (Streitberg) ; pourtant certaines tendances transparaissent deja : il • invoque I'autorite • de Bopp, mais cite le Compendium de Schleicher (Rec. 352) en prenant ses distances, se conformant peut-etre la a la position critique prise par Breal (Meillet, Linguistique historique et linguistique generale, 2.218). A l'automne de 1876, Saussure est a Leipzig. Il se rend chez H. Hubschmann pour frequenter un privatissimum de vieux-perse, et le grand iraniste lui demande, durant leur entretien, son avis sur l'hypothese que vient juste de formuler K. Brugmann, selon laquelle -oc- dans des formes comme TctT6c; remonterait a une nasalis sonans originelle devenue ­un­ en germanique. Cette revelation a chez le Jeune Genevois des efiets opposes : deception ( on le voit dans le compte rendu, tout lronique qu'Il soit, des Souvenirs 20-21) d'avoir perdu le benefice de la decouverte, mais, en meme temps, nouvelle confiance en ses propres capacites. Une premiere preuve de celles-ci reside deja dans le troisleme travail redige pour la Soclete (La transformation latine de tt en ss suppose­t­elle un iniermediaire st? (M. S. L. 3, 1877.293-298 = Rec. 379-390]) et surtout dans le quatrteme, redige en novembre-decembre 1876 (Streitberg 1914.204). Le resultat le plus sur de celui-ci (Essai d'une distinction des differents a indo­europeens, M. S. L. 3, 1877, 359-370 = Rec. 379-390), apparaissant egalement dans le merne temps chez d'autres (ce qui sera la base des insinuations de Osthoff, Die neueste Sprachforschung, p. 14, dont Streitberg montre l'absence de fondements, 1914. 204-206), est !'attribution des voyelles de timbre e a I'indo-europeen, sur la base du traitement different des velaires du vieil-indien devant Jes a qui correspondent a des ii, i> grecs et latins, et devant les qui correspondent a des~ grecs et latins. Le Jeune auteur s'excuse des la premiere page de ses lacunes et annonce une « etude subsequente et plus etendue du meme sujet ,. Lorsque son travail est Iu a Paris(21 juillet 1877),Saussure se consacre deja ala redaction du Memo ire et, depuis un an, ii est plonge dans le milieu scientiflque de Leipzig. Outre les cours de vieux-perse de Hiibschmann, Saussure frequente les cours de vieil irlandais de Windisch (ii en garde des notes dans les dix cahiers lntitules Altirische Grammatik : SM 15), d'histoire de la langue allemande de Braune, de slave et de Jituanien de A. Leskicn : Jes rapports avec Leskien sont importants, car le premier partisan de la these neogramrnairienne du caractere aveugle des lois phonetlques (Bolelli 1965.160,171) fut aussi le traducteur de Whitney (voir infra, 334) et l'ami de Noreen (infra, 387). Surtout, Saussure peut enfln ecouter G. Cm tius, aux semlnaires duquel ii fail deux Vortrdge, dont l'un porte sur I' Ablaut • occulte s du type ).ii6c~v: a SUR F. DE SAUSSURE 327 >J).i6a, 8~µvci·µrv: aciµvi-µt. Brugmann (dont Saussure declare dans Jes Souvenirs n'avoir suivi qu'une leeon, et deux seulement d'Osthoff), absent du semlnatre, accoste Saussure le Jour suivant pour lul demander des indications sur d'autres cas d'altemance du type sti'ltus: stator, ce qui prouve selon Saussure (Souvenirs 21-23) a quel point les ldees de Brugmann sur I' A blaut etalent encore contuses. Tout de suite ou presque apparalt une certaine tension entre Saussure et les jeunes professeurs allemands de Leipzig : le regret persistant pour le probleme de la nasalis sonans, Jes premieres insinuations de Osthoff, puis la dure polemique engagee par celul-ci, est poussee [usqu'a l'insulte, contre Saussure et Moller (voh infra), la conjuration du silence qui accueille le Memoire, en soot autant de symptOmes. Ce n'est done pas un hasard sl, mis a part l'epigraphlste Theodor Baunack, le seul nouvel ami de Leipzig soil Rudolf Kogel, eleve de Braune et adversaire de Brugmann. Saussure passe Jes deux semestres de l'annee 1877 et le premier de 1878 a redlger quelques travaux mineurs (Exceptions au rhotacisme M. S. L. 3, 1877. 299, 1,U = ES, OS, M. S. L. 3, 1877.299 = Rec. 376, 377-378) et le Me­ moire. En juillet 1878, Saussure va a Berlin ou ii suit les cours du speclaliste de sanscrit Hermann Oldenberg, et du celtologue et indlaniste Heinrich Zimmer, traducteur de Whitney, tous deux etant a l'epoque Prinaidozenten. Saussure rentre a Leipzig a la fin de l' annee 1879 (Souv. 15, Streitberg 1914.210). Le Memoire est alors paru depuis un an et, malgre toutes Jes manifestations d'hostilite, le nom de Saussure est connu: peu de temps avant de passer sa these, le Jeune homme se presente aux Iecons d'un gerrnaniste de Leipzig, F. Zamcke, qui lui demande avec bienveillance s'il est par hasard parent de l'auteur du Memoire, le fameux linguiste suisse Ferdinand de Saussure (De Crue, F. de S. 16, Wackernagel 1916.165). Le Memoire sur le syst~me primitif des voyelles dans les lauques indo­ europeennes parait a Leipzig en decembre 1878 (la date du frontispice est 1879 ; reimpresslon Paris 1887). Le prearnbule revele des traits qui resteront typiques du comportement scientifique de Saussure : Etudier !es formes multiples sous lesquelles se manifeste ce qu'on appelle l'a Indo-europeen, tel est l'objet immediat de cet opuscule : le reste des voyelles ne sera pris en consideration qu'autant que les phenornenes relatifs a l'a en fournlront !'occasion. Mais sl, arrives au bout du champ ainsl circonscrit, le tableau du vocalisme indo-europeen s'est mcdifle peu a peu sous nos yeux et que nous le voyions se grouper tout entier autour de l'a, prendre vis-a-vis de lui une nouvelle attitude, ii est clair qu'en fail c'est le systerne des voyelles dans son ensemble qui sera entre dans le rayon de notre observation et dont le nom dolt !tre inscrit a la premiere page. Aucune matiere n'est plus controversee ; !es opinions sont divisees presque a l'lnfini, et tesdifterents auteurs ont rarement fail une application partaltement rlgoureuse de leurs idees. A cela s'ajoute que la question du a est en connexion avec une serie de problernes de phonetique et de morphologie dont les uns attendent encore leur solution, dont plusieurs n'ont meme pas ete poses. Aussl 328 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES aurons-nous souvent, dans le cours di' notre peregrination, :\ traverser les regions les plus lncultes de la lingulstlque lndo-europeenne. Si neanmolns nous nous y aventurons, blen convalncu d'avance que notre Inexperience s'egarera malntes fois dans le dedale, c'est que, pour qulconque s'occupe de ces Hudes, s'attaquer :\ de telles questions n'est pas une temerite, comme on le dlt souvent: c'est une necessite, c'est la premiere ecole ou ii taut passer ; car ii s'aglt lei, non de speculations d'un ordre trancendant, mals de la recherche de donnees elementaires, sans Iesquelles tout flotte. tout est arbltraire et Incertitude (Mem. 1-2 = Rec. 3). Les conclusions du Memoire onl ete plusieurs fois synthetisees (Meillet 1913, Streitberg 1914, Meillet 1937. 473-475, Waterman 1963. 43-48, Birnbaum 1957. 7-8, Leroy 1965. 56-59, Vallini 1969) : le cadre des correspondances entre les phonemes vocaliques des langues historiques est, peut-on dire, deflnitivement flxe ; la double fonction, vocalique et consonnantique, d'une serie d'articulations est degagee : ii s'agit des sonantes •i, •u, •1, •r, •m, •n; deux formules d'alternance vocalique sont attrlbuees a l'Indo-europeen commun (zero, e/o, e/o et A/a, e, o), la seconde etant ramenee a la premiere en attribuant a l'element A (deflni par la correspondance latin, grec a = a vieil-ind. et iran. i) une fonction de • coefficient sonantique , ayant pour propriete de se contracter avec le sommet syllabique precedent pour dormer la tongue correspondante (ainsl •a < •AA, •e < •eA, etc), ce qui clarifle la structure des racines dissyllabiques et permet de degager les sonantes longues. La fortune du Memoire est Iaite de contrastes : l'anecdote de Zarncke montre certes que l'oeuvre, avec sa « glanzende Entdeckung •, attira vile sur le Jeune homme l'attention admirative des specialistes, exprlmee par exemple par L. Havet, alors professeur au college de France, dans son compte rendu ( « Journal de Gen eve •, 25 tevrter 1879) ou, a l'autre bout de l'Europe, par M. Kruszewski (voir infra note 6). Mais Jes sommites de la linguistique allemande de I'epoque reagirent detavorablernent. Un Jeune nordique, H. Moller, a qui I'on doit pour I'element A le nom de Iva indogermanicum, accepta la these saussurienne. Osthoff dirigea contre lui et contre Saussure des critiques d'un ton sans cesse plus dur : • Ich muss aber das ganze princip de Saussure's, den laut e (a.) In alien wurzeln ohne unterschied hineinzubringen, obwohl ich den grossen scharfsinn in der aufstellung und durchfiihrung anerkenne, dennoch in der sache fiir verfehlt und eln wenig zu sehr von der starren consequenzmacherei eingegeben erachten • (Morphol. Untersuch. au( d. Gebieie der idg. Spraehen, vol. II, Leipzig 187!), 125-126) ; dans le volume IV de la meme oeuvre (Leipzig 1881), Osthoff reitere ses critiques contre le « besoin du systeme • exprime par Saussure (Memoire 163) et deflnit son oeuvre comme • misslungene •, • avortee •, • ein radikaler irrtum • (op. cit. 215 n° 1, 279, 331, 346-348). En contraste seulement apparent avec ces critiques, certains 329 SUR F. DE SAUSSURE points du Memoire se gllssent, sans mention d'auteur, dans les traltes de certalns neogrammalrlens, comme dans la Griechische Grammatik (Leipzig 1880) de Gustav Meyer, le premier a tenir compte des elaborations et des decouvertes des dix annees precedentes, selon Melllet (1937.477), mals aussi • le premier a ignorer mon nom •, com me Saussure 1' ecrira avec amerlume (Souv. 23) en 1903 •. Ces appropriations pourtant, Justement parce qu'elles sont partielles, montrent mleux que toute autre chose combien Ia substance de la theorie et de Ia position saussuriennes restait incomprehensible pour Ies representants officiels de la lingulstique de I'epoque (Meillet 1913 in F. d. S. 74, De Crue in F. d. S. 16, Streitberg 1914.208, Sommerfelt 1962.297). II faudra attendre 1' Ablaut de Hirt (1900) pour que l'on discute dans une reuvre allemande lmportante )'ensemble de la theorie saussurienne. Mais on n'aura pas de reprise effective des ldees saussuriennes (mis a part A. G. Noreen) avant le S indo­europeen et h hittite (Symbolae in honorem J. Rozwadowskl, I, Cracovle 1927, 95-104), avant Ies Studes indo­europeennes (l, Cracovie 1927, en partlculier Jes p. 27-76) de Jerzy Kurylowicz, et surtout avant les Origines de la formation des noms en indo-europeen (I, Paris 1935) d'Emile Benveniste qui souligne combien, apres Saussure, le probleme de la structure des formes Indo-europeennes est reste neguge (Origines I). L'experlence du Memoire fut importante a plus d'un titre. Saussure comme son ami H. Moller, face aux resistances rencontrees, furent tentes d'abandonner Jes eludes linguistiques pour se consacrer a I'epopee germanique (A. Cuny, Ctiamito-Semitique et indo­europeen, in Melanges de linguistique ecc. Ginneken, Paris 1937, pages 141-147, p. 142): confirmation en est donnee par le meme Moller, du moins pour lui-meme (et pour Karl Verner), qui situe vers 1880 la crise qui Iui flt abandonner la linguistique indo-europeenne pour se consacrer a l'etude comparee de I'indo-europeen et du semitlque (H. Moller, 5. On rencontre resistance et silences surtout a propos de la theorle du a comme coefficient sonantlque de ai!o tMem. 135 = Rec. 127 et sv.) grace a Iaquelle Jes deux ~ypes d'alternances furent ramenes A une Iormule unique. Parm! Jes exceptions Ji taut rappeler Jes noms de ceux qui tenterent en premier l'interpretation du a com.me l~ryngal~: N. Fick, in « Gott. Gclehrt, Anzelg. , 1880. 437, H. Moller, Zur Conjuqation •.. Dre Enlsle_hung des o, • Paul und Braune's Beitrage, zur Gesch, d. deutschen Sprache und Lit. • 7, 1880. 492, note 2, H. Pedersen d, Das Prtisens­ if!fiI ~· I. F. 2, 1893. 285-332, _e_n particulier 292, A. Cuny, Noles phonetique historique. lndoeuropeen el semitique, • Revue de phonetique , 2, 1912. 101-132, H. Pedersen, Vergleich. Gramm. d. keltischen Spr., 2 vol. Gottingen 1903, I. 173, 177. Pour d'autres exceptions parml lesquelles se detache le nom de Noreen, cf. J, Wackernagel, Allindische Gramm., I, Gottingen 1897, p, 81, A. Debrunner In J. Wackernagel, op. cit., Nachlrl1ge zu B. I, Gottingen 1957, p. 46-4~, E. Polorne, The Laryngeal Theory So Far: A Critical Bibliographical Survey, m Evidence for Laryngeals, La Haye 1965. p. 9-78. Mais, pour le Metnoire comme plus tard pour le C. L. G., l'attitudecommune des linguistes est blen rendue par la phrase adressee par C. J. S. Marstrander contre Jes premiers travaux de Kurylowlcz : • La llngulstique n'est pas Jes rnathematlques, le systerne d'une langue ne se prete pas toujours A Hre deflnt par des equations, (s Norsk Tldsskrlft for Sprogvldenskap • 3, 1929. 290-296, p. 290). 0 330 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES Semitisch und Indogermanisch, I. T., Konsonanien, Copenhague 1906 [mais 1907), pages vnr-rx), Selon Godel (introduction a Saussure, Soun. 14), nous n'avons pas, au contraire, de donnees precises pour Saussure, car ce n'est qu'en 1894 qu'apparaissent des symptomes certains de decouragement, mais en rapport avec des problernes de llnguistique generale (voir infra p. 351), et l'on n'est pas certain que Saussure se soit occupe des Nibelungen avant 1900 (cependant, dans les programmes des cours parisiens comme ils ressortent de Fleury 1965.54-66,l'lnteret pour les documents litteralres d'ancien allemand et de moyen haut all em and est evident: voir infra 338). Certes, la mediocre sympathie plusieurs fois afflchee par Saussure pour la • monstrueuse stupldite des Allemands • (Souv., Lettres 121-123, Notes 59) fut en grande partie une reaction contre I'attitude des savants de Leipzig. Le Memoire a profondement marque la formation de Saussure (Grammont 1933. 153-154, Birnbaum 1957.8, Lepschy 1966.42-43, 48): sa recherche I'engage a un effort de synthese (Havet 1908), le pousse a degager les • donnees elementaires •, le transformant done en • homme des fondements • (Benveniste, 1963.8). En outre, le mettant en contact avec des problemes de reconstruction d'un systeme linguistique necessalrement a-substantiel, en tant que sa realisation en paroles n'est pas connue, elle I'amene a considerer les unites linguistiques comme de pures entltes oppositives et relationnelles et, par consequent, dans leur cofonctionnalite • systcrnlque », et non pas comme des atomes isoles (Hjelmslev 1942.37 et sv., 1944.141, 1947.72, 1951.59-60, 1961.79 ; Buyssens 1961.20 et sv., Kukenheim 1962.68, Derossi 1965.9 et sv.), ce qui etalt cependant • dans l'air • selon Collinder 1962.13 (mais cf. Buyssens 1961.18). En fevrier 1880 (Meillet 1913) Saussure soutient sa these, De l'emploi du genitif absolu en sanserif (Geneve 1881, reimprimee dans Rec. 269-338). Ceux qui ont ete conquis par le • plaisir esthetlque • (Wackernagel) du Memoire conslderent en general la these comme une preuve de maestria philologique, exceptionnelle en tant que telle, mais sans importance particuliere du point de vue conceptuel ou methodologique. Ceci n'est pas exact. En premier lieu le choix d'un theme dans le domaine de la syntaxe, c'est-a-dire dans un domaine negllge par Bopp et par la linguistique boppienne, schleicherienne, neogrammairienne et plus tard par une bonne partie de la Iingulstique structurale euro-americaine (Meillet 1937.477, De Mauro 1966. 177 et sv.), merite d'etre releve. En second lieu, a l'encontre de la lltterature speciallsee anterieure qui consacrait au genltlf absolu des notes fugitives dans une perspective comparatiste (Rec. 271-272), Saussure se propose de determiner la valeur de la construction en la relnserant dans un etat de langue precis, selon une direction de recherche deja antlcipee par Whitney (d'ailleurs cite au debut de l'ceuvre : Rec. 272). Dans cette perspective, la valeur du genitif absolu est determlnee SUR F, DE SAUSSURE 331 en mettant au clair sa ~ partlcularite caracterlstique , (Rec. 275), « son caractere distinctif • (278) • en regard de l'emploi du locatif absolu , (275). On constate done que meme sur un terrain llnguistique fait de manifestations concretes, et pas seulement dans l'atmosphere forcement materialisee de I'Indo-europeen reconstruit (ce qui nous conduit it corriger partiellement Buyssens 1961.20 et sv.), Saussure fait valoir son point de vue neuf selon lequel la valeur d'une entlte linguistique est relationnelle et oppositive. La presence d'un mot-clef de la Iingulstique postsaussurienne (caractere distinctin et Ies observations sur les termes employes dans la description (Rec. 273) montrent enfin combien etait chez lui precoce l'attention portee aux problemes terminologiques. La soutenance brillante de la these (Favre, F. d. S. 30) se termina par !'attribution du doctorat Summa cum laude et disseralione egre­ gia (De Crue F. d. S. 16). E. Favre, un compagnon d'etudes, a laisse un souvenir de cette soutenance : • S'il n'eut ete si modeste, les roles auraient pu etre invertis : le jeune examine aurait pu mettre sur la sellette ses savants examlnateurs s (F. d. S. 30). Et il.ajoute encore: Ses connaissances etaient universelles : aucun sujet, ni poesie, ni litterature, ni politique, ni beaux-arts, ni hisloire, ni sciences naturelles, ne lui Hait etranger, II faisait des vers, ii dessinait. II ne connaissait pas le blufl, vilain nom pour une vilaine chose ; ii Hait modeste, consciencieux, sincere et droit. Nous autres, ses camarades d'etudes [Souu. 20) nous le savons par experience. Nous ne connaissons pas mais nous pouvons deviner Ies motifs qui pousserent le jeune docteur de Leipzig (deja en mauvais rapports avec certains specialistes allemands, et deja lie, a I'inverse, avec le milieu de Ia Societe) a poursuivre ses eludes a Paris. Toutefois, avant de se rendre a Paris, Saussure a le temps de mener a bien une autre experience decisive : le voyage en Lituanie. Benveniste 1965.23 releve que c'est la « un point obscur dans sa biographie » •. Nous 6. La datation a la periode comprise entre mars et septembre 1880 repose sur le ternoignage de Muret (F. d. S. 43), cite en entier un peu plus loin. Elle est acceptee par Benveniste. Mais d'autres ont des doutes. G. Redard (dans un article du • Journal de Geneve •, date du 22.2.1963 que m'a gentiment slgnale R. Godel) place le voyage neuf ans plus tard, en 1888-1889, lorsque « Saussure demanda et obtint aussltot, pour raisons de sante, un conge d'inactivite d'un an, (Fleury 1965. 41, avec references a des documents d'archive). Seton Godel (lettre privee du 1. 7.1970) Ia deduction de Redard est « extremement probable », car « ii est improbable que Saussure soil reste toute une annee inactif •. Cette raison semble cependant trop mince pour mettre en doute le temoignage explicite de Muret. Ajoutons que des 1888-1889, Saussure donne des lecons a , cinq eleves qui avaient exprlme le desir de s'initier a I'etude de la langue lituanienne • (Fleury 1965.66) : ii devait done avoir deja une connaissance du Jituanien suffisamment directe et complete pour lui permettre (qu'on se souvienne de son extreme et scrupuleuse rigueur) de donner des Iecons • d'initiation • a cette Iangue, La date de 1888-1889 est done un hon terminus ante quern pour le voyage d'etude en Lituanie qu'il semble par la rnerne opportun de continuer a situer en 1880 comme l'afflrmal; ;,~uret. 332 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES ignorons certes bien des choses : l'epoque exacte (entre mars et septembre 1880, a-t-on pense), les lieux visites, II n'est pas du tout exact que nous ignorions • ce qu'Il y a etudte •. Nous pouvons d'une part presumer que in loco Saussure se forgea les notions utllisees ensuite soil dans ses dcux cours consacres au lituanien en 1888-1889 a Paris (Fleury 1965.66) et en 1901-1902 a Geneve (voir infra), soit dans la redaction de la carte des dialectes lituaniens promise mais, semble-t-il, jamais envoyee a R. Gauthiot (Lettres, 100). Mais d'autre part nous avons sur le voyage trois temolgnages d'un grand Interet : a) Quant au lltuanlen, cet ldlome sl precleux pour la connalssance de l'lndoeuropeen, ii etait alle I'etudier sur place et en avail tire la mattere de ses plus penetrantes recherches (Bally In F. d. S. 53) ; b) Tout Jeune il a cree une methode; ii a remplace dans l'etude de la llngulstlque la preuve ecrite par le temoignage parle et un jour ii s'en fut en Lituanie pour etudier des dialectes qui ont, Jusqu'a nos [ours, conserve un aspect lndoeuropeen partlcullerement archalque (Favre In F. d. S. 31) ; c) ... Le Jeune docteur de I'unlversite de Lelpr.lg s'en fut en Lltuanle pour etudler, dans leurs varletes parlees, ces dlalectes qui ont conserve [usqu'a nos [ours un aspect Indo-europeen sl archalque et dont les Inflexions nuancees devalent lul reveler quelques-uns des secrets de l'hlstolre de la parole humalne. II abordalt alnsl, l'un des premiers, cette elude dlrecte de la langue qui a depuls lors sl completement transtorme les methodes et !es problernes de Ia llngulstlque. Quelque temps apres, Saussure arrlvalt a Paris... (Moret 1913, In F. d. S. 43). Nous entrevoyons aussi comme source l'oplnlon meme de Saussure sur son experience grace aux correspondances ponctuelles entre les trois temolgnages : 1) le liluanien etait Important par son aspect archalque et, done, par rapport a l'Indo-europeen (a, b, c) ; 2) plus important encore est le fait que Saussure se soit rendu sur place (a); 3) de cette fa~on, l'un des premiers (c), ii crea une methode (b) qui suhstitue la preuve parlee a la preuve ecrlte (b), I'etude directe de la langue a I'etude indirecte (c), c'est-a-dlre qu'Il fonde cette etude sur le temoignage parle (b), sur la parole humaine (c), Face a ce type d'lnterpretatlon et mis a part les doutes de Benveniste qui ne seralent pas insurmontables, nous trouvons la position toute differente du specialiste le plus autorise des eludes saussuriennes. Godel (S.M 33) consldere d'une tacon generate que la phrase qui ouvre la preface au C.L.G, selon laquelle les problemes de linguistique generale auraient accompagne Saussure « opintatrement • et « pendant toute sa vle s, est exageree, et soutient plus speclalement que la critique radlcale des method es en cours et que les questions de linguistique generate n'ont ete abordees par Saussure qu'apres l'arrivee a Paris. L'analyse que nous avons faite du Memoire, de la these de doctorat et des temoignages sur le voyage en Lituanie nous pousse pourtant a douter de l'opinion de R. Godel. Reste un point a discuter. Saussure lul-meme a soullgne !'importance qu'avait a ses yeux « l'amerlcaln Whitney • en matlere pr~ent d'orlentations fondamentalea de la llnguis- SUR F. DE SAUSSURE 333 tlque ; Godel a sous-estime un temolgnage precls de Sechehaye sur la date de la rencontre de Saussure avec Whitney. Selon Sechehaye (1917.9) « a cette epoque (au coursdes annees a Leipzig), un livre avait deja sans doute exerce une profonde influence sur sa pensee et l'avait orientee dans la bonne direction: nous voulons parler de l'ouvrage du sanscrltiste amerlcaln Whitney, La vie du langage (publie en 1875) ,. Selon Godel, « les mots • sans doute • indiquent qu'il s'agit plutot d'une conjecture que d'une information donnee par Saussure lui-meme ,, et en outre, ajoute Godel, ii n'est pas sur que les livres de Whitney aient fait beaucoup de bruit a. Leipzig : • Saussure a pu ne les connattre qu'un peu plus tard. • Sur ce point, on peut ne pas @tre d'accord avec Godel. Whitney (1827-7 juin 1894 ; cf. sur lui H. H. Bender, in Dictionary of American Biography, vol. 20, Londres-New York 1936, et le vaste portraitdeTerracini1949.73-121) etait bien connu comme sanscrltiste en Allemagne ou ii avail en 1850 perfectionne sa formation a Berlin avec Bopp et a Leipzig (preclsement) avec Rudolph Roth ; II avait prepare en collaboration avec Roth une edition de l' Atharva Veda Samhita (Berlin 1856) suivie de I' Alphabetisches Verzeichnis der Versanfti.nge der Atharva­Samhitii (• lndische Studien • 4, 1857). L'activlte indlaniste de Whitney, generalement appreciee en Allemagne (cf. par exemple H. Schweizer-Siedler in KZ, n. F., I, 1873, 269-272), fut offlciellement reconnue par l'attribution en 1870 du prix Bopp par I' Academie de Berlin. Enfln, au cours des annees ou Saussure se trouve precisernent a Leipzig, paratt l'ouvrage de Whitney, A Sanserif Grammar, Including both the Classical Language, and the Older Dia­ lects of Veda and Brahmana ( • Bibliothek indogermanischer Grammatiken •,Vol.II, ed. Breitkopf et Hartel, Leipzig 1879). L'ouvrage est public en meme temps que la traduction allemande qu'en a faite Zimmer, le maltre berlinois de Saussure. II est certain, d'apres un passage dejll. mentionne de la these (Rec. 272), que Saussure connaissait la Sanserif Grammar qui, dans les milieux allemands, faisait en realite beaucoup de bruit, principalement par l'origtnalite de son orientation methodologique : A. Hillebrandt, qui en rend compte tres favorablement (• Bezzenberger Beitrage • 5,1880.338-345), la deflnit comme un • Markstein in der Geschichte der altindischen Grammatik •, la louant parce que, contraircment aux habituels travaux comparatistes, elle veut etre et est une « Erforschung des Sprachzustandes • (p. 338). II est impossible de croire que ce caractere ait echappe au theorlcien de la synchronie. Et, du reste, le fait que )'influence de Whitney sur Saussure remonte aux annees de Leipzig est aujourd'hui reconnu, avec sa probite habituelle, par Robert Godel lui-merne in « Journal de Geneve. Samedi litteraire • 110 (11-12 mai 1968). Nous n'avons pas de traces (a part le temoignage de Sechehaye) aussi sures pour dire que Saussure connaissait deja les ecrits theo- 334 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES riques de Whitney. Pennettons-nous cependant d'aborder encore la question. Les travaux theoriques de Whitney _(leurs refer~nces soot souvent detormees dans differentes sources et diflerents traltes) soot : 1. Language and the Study of Language. Twelve Lectures on the Principles of Linguistic Science by W. D. W., Londres 1867 (conferences donnees en 1863); 2. Life and Growth of Language, Londres 1875 ; . 3. Language and its Study with Special Reference to the /ndoeuropean Family of Languages. Seven Lectures by W. D. W., Londres 1876, 2• ed. 1880 (edition reduite de 1). 1 ne semble pas avoir ete traduit en allemand (mais ii fut largeme~t commente par W. Clemm, KZ 18, 1869.119-125); 2. parut, l'annee meme de sa publication, en traduction trancaise (La vie du Ian­ gage, Paris 1875) et l'annee suivante en italien dans la traduction de F. D'Ovidio (Milan 1876) et en allemand (Leben und Wachstum der Sprache, Leipzig 1876) dans la traduction du maltre de Saussure, Auguste Leskien ; une refonte de 1., analogue a 3., fut preparee en 1874 par Julius Jolly : Die Sprachwissenschafl W. D. W's Vo~fesun­ gen fiber die Principien der vergleiche~den Sprachforschung: fur das deutsche Publikum bearbeliet und enueitert von J. J. (Munich 1874, avec une introduction sur Whitney et ses theories [p. m-xvu]). La meme annee parait dans le G. G. A., 18 tevner 1874, 205-218, un long article de Jolly sur Whitney orientaliste et linguiste general. II est presque incroyable que des reuvres d'une telle diffusion, surun tel sujet et d'un auteur que les maltres de Saussure et Saus~ure lul-meme connaissaient et admiraient, aient ete ignorees par ce dernier. Pour affirmer cette ignorance, il nous taut en outre refuser le temoignage exp!icite de Sechehaye. Certes, meme sans admettre un rapport avec Whitney theoricien les Interets theoriques du Jeune Saussure paraissent largement prouves : mais ii n'est pas hasardeux de faire conflance a Sechehaye et d'admettre que, des les annees allemandes, ces lnterets pour la theorie generate de la langue ( en 1894 Saussure dira qu'ils sont presents a son esprit • depuis longtemps •) avaient trouv~ leur point de reference chez l'orientaliste americain createur de la lmguistique statique. 4. PARIS : L'ECOLE ET LA « SOCIETE • Saussure s'etablit a Paris en automne 1880 (en 1881 ii habite au 3, rue de l'Odeon). Francis de Crue est, parmi d'autres, son compagnon d'etudes (F. d. S. 21). II frequente les cours de Michel Breal et (a partir de fevrier 1881), a l'Ecole des Hautes Eludes, ceux d'iranien de J. Darmesteter, de sanscrit de A. Bergalgne (tous deux un peu froids dans leur rapport annuel lorsqu'ils parlent du nouveau venu) et, enfln, les lecons de philologie latine de Louis Havet, qui avait dejl afflrme son admiration pour Saussure et qui la renouvelle chaudement dans son rapport de 1881 (Fleury 1965.39). Edouard Favre SUR F, DE SAUSSURE 335 raconte : • Un jour, m'a-t-on dit, un professeur abordant un sujet deja etudle par Saussure invita celui-cl a venir prendre sa place et, ce [our-la, l'etudlant genevois flt la leeon • (F. d. S. 31) ; le professeur etatt probablement Havet. En effet, durant les cours de Havet Saussure intervmt au sujet den et m • voyelles • et de velaires (Fleury 1965.40). Saussure s'affirme tres rapidement. Breal lui cede son cours l l'Ecole: le 30 octobre 1881, l 24 ans, ii est nomme a l'unanlmlte • mattre de conferences de gothique et de vieux-haut allemand • (M. S. L. 5, 1884. xm, Gauthiot in F. d. S. 75). Le cours commence le 5 novembre (Muret in F. d. S.). Il s'agit en pratique au debut d'un • cours de gennanique • (Gauthiot 90 ; Meillet in F. d. S. 75). La remuneration (approuvee malgre quelques difflcultes creees par la Cour des comptes, car Saussure aurait dQ prendre - et ne prit pas la nationaltte franeaise) est d'abord de 2 000 francs. Par Ia suite, Iorsque le programme du cours s'amplifle et que, a partir de 1888, Saussure figure comme • maltre de conterences » sans autres details, la remuneration monte d'abord a 2 500 puis a 3 000 francs (Fleury 1965, 40-41). On a plusieurs fois Insiste sur le nombre et sur la qualite des eleves des cours parisiens (Meillet 1913 = F. d. S. 76, Murel 1913 = F. d. S. 43-44, Gauthiot 1914 = F. d. S. 90-92). Et pourtant ces estimations sont Inferieures a celles resultant des plus recentes recherches (Fleury 1965.53-67). En neuf ans, le nombre des eleves atteint 112, chiffre tres eleve si l'on tient compte du fait que c'etait la premiere fois qu'on enseignait la linguistique historique et comparee dans une untverslte trancatse (Benveniste, 1965. 22) et que le jeune savant, comme nous le verrons, ne se contentait pas d'auditeurs et exigeait d'eux des travaux personnels hebdomadaires. Mais la qualite compte autant que le nombre. 40 des eleves soot etrangers : 16 allemands, 9 suisses (panni lesquels les linguistes et philologues H. Meylan, H. Mlcheli, E. Muret, G. de Blonay), 4 roumains (M. Callolano, M. Demetrescu, J. Dianu ou Diano, D. Evolceanu), 4 beiges (parmi lesquels l'un des eleves les plus prometteurs, prematurement disparu, F. Mohl, L. J. Parmentier et l'indianiste L. de La Vallee-Poussin), 2 russes (F. Braun, I. Goldstein), 2 hongrois (Ch. Gerecz. I. Kont), 2 hollandais (G. B. Huet, A. G. var. Hamel), le suedois A. Enander, l'autrichien J. Kirste. Panni les franeats, a cote de personnalites du monde litteraire comme le poete Pierre Quillard et Marcel Schwob, de professeurs de lycees et de nombreux agreges de l'universite, se detachent une vingtaine de noms de professeurs de linguistique, de philologie classique, de celtologie, d'indianistique, de slavistique : E. M. Audouin, P. Boyer (1887-1891), Arsene Darmesteter (1881-1882), H. G. Dottin (1886-1891), E. Ernault, A. Jacob (1887-1888), E. Ch. Lange, H. Lebegue, L. Leger (1881-1882), P. Lejay, S. Levi, H. Lichtenberger (1883-1884), F. Lot (1890-1891), H. Pernot (1890-1891), J. Psichari (1887-1888). Des notes erudites sur Braun, ne en 1862 a Saint-Petersbourg sous le prenom de 336 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES Fedor, ayant d'abord vecu en Russle comme germaniste, puis en Allemagne comme slavlste sous le prenom de Friedrich et mort en Allemagne, ont ete rassernblees par G. Lepschy, Coniribuio all'idenii/ica­ zione degli ascoltatori di Saussure a Parigi : Fedor­Friedrich Braun, • Studi e saggt linguisticl •, 32, 1969.206-210. II taut mentionner a part G. E. Guieysse, qui frequenta Jes cours a partir de 1887 et semble avoir ete l'eleve prefere de Saussure qui en pleure la perte en 1889, L. L. Duvau qui, sur proposition de Saussure Iul-meme, devait lui succeder dans son enseignement a l'Ecole des Hautes Eludes (t 14 juillet 1903), Maurice Grammont (qui assista aux cours la dernlere annee), Paul Passy (qui y assista entre 1885 et 1887) et Antoine Meillet qui, inscrit a !'Ecole des 1885, trequente les conferences a partir de 1887 et qui, Saussure ayant obtenu un conge pour raisons de sante (ou pour se rendre en Lituanie? [Redard)), le remplace en 1889-1890. II est impossible de dire ce que Saussure a slgnifle pour I'ecole linguistique franealse et, done, pour la culture mondiale, sans mettre au premier plan ses dons pedagogiques. Ses conferences. II Jes falsait a l'f:colc des Hautes ~tudes ... Sa nature repugnalt aux fonnules solennelles, alnsl qu'aux querelles trop souvent discourtolses du monde savant ... (De Crue In F. d, S. 17). II... enselgna pendant une dlzalne d'annees avec un eclat et une autorite lncomparables et, pannl tant de mattres emtnents, fut l'un des plus ecoutes et des plus almes. Nous admlrlons dans ses lecons l'lnfonnatlon large et sollde, la methode rigoureuse, Jes vues generates alliees au detail precls, la parole d'une clarte, d'une alsance et d'une elegance souveralne. Depuls trente ans ecoules, II m'en souvlent comme de l'une des plus grandes jouissances lntellectuelles que j'al eprouvees en ma vie (Murel In F. d. S. 43-44). F. de Saussure etatt en e!Tet un vrai mattre : pour ~tre un maltre, II ne sufflt pas de reciter devant des auditeurs un manuel correct et au courant ; II faut avolr une doctrine et une methode ct presenter la science avec un accent personnel. Les enselgnements que l'etudlant recevalt de F. de S. avalent une valeur generale, lls preparaient a travailler et formaient i'esprlt ; ses formules et ses definitions se flxaient dans Ia mernoire comme des guides et des modeles. Et ii falsalt aimer et sentlr la science qu'll enseignait ; sa pensee de poete donnalt souvent a son expose une forme lmagee qu'on ne pouvait plus oublier. Demere le detail qu'll lndiquait, on devlnait tout un monde d'Idees generates et d'impressions ; d'ailleurs, ii semblait n'apporter jamais a son cours une verlte toute falte ; ii avait soigneusement prepare tout ce qu'il avalt a dire, mais il ne donnalt a ses Idees un aspect. deflnitif qu'en parlant ; et ii arretalt sa forme au moment meme ou II s'exprimait ; l'auditeur etalt suspendu A celte pensee en formation qui se crealt encore devant Jui et qui. au moment meme ou elle se formulalt de la maniere la plus rigoureuse et la plus saisissante, Jalssalt attendre une formule plus precise et plus saisissante encore. Sa personne falsalt aimer sa science ; on s'etonnalt de voir cet ceil bleu pleln de mvstere apercevolr la reallte avec une sl rigoureuse exactitude ; sa voix harmonleuse et voilee iltait aux falls grammatlcaux leur secheresse et leur iiprete ; devant sa grace arlstocratique et Jeune, on ne pouvait Imaginer que personne reproche a la Jlnguistlque de manquer de vie (Meillet In F. d. S. 76-77). SUR F. DE SAUSSURE 337 Saussure entretient avec ses eleves des rapports directs : d'une les:on a l'autre ils doivent faire des s exercices pratiques •,•composer ... < une > grammaire d'apres un texte determine •, • interpreter tour a tour des textes •, faire des • exercices de lecture •, etc. (rapports de Saussure in Fleury 1965.56, 57, 58, 59, etc.). II arrive ainsi qu'a trente ou quarante ans de distance, les eleves, meme non linguistes, gardent intact le souvenir de ces Ieeons (Benveniste 1965.27). De 1881 a 1887, les cours portent sur le gothique et sur le vieuxbaut allemand, en 1887-1888 le cours s'elargit a la grammaire comparee du grec et du latin ; I'annee suivante s'y ajoute le lituanien et Jes Ieeons deviennent ainsi, pratiquement, des leeons de linguistique tndo-europeenne (Gauthiot in F. d. S. 90 et Fleury 1965.53-67). Chaque annee Saussure redigealt de brefs rapports sur son enselgnement (edites par Fleury, cit.) a travers lesquels transparait • la doctrine qui informait sa pedagogie • (Benveniste 1965.29). La duallte entre • point de vue physiologique • et • historlque • est explicitement afflrmee et domine deja dans le cours de 1881 (Fleury 1965.55). lei et dans les cours suivants, l'objectif ultime est de • faire ressortir lea traits distinctifs du gothique au milieu de la famille germanique • (ibid. 56). Benveniste (cit. 29) note comme • curieusement moderne • I'expression • traits distinctifs • : en reallte Saussure a deja utilise • caractere distinctif • de tacon appropriee dans sa these (supra 331). Benveniste lui-meme attire du reste l'attention sur le rapport de conclusion du second cours parisien : La ressemblance des dlalectes solt entre eux solt avec l'allemand modeme cache un danger ; le sens des phrases se lalsse assez facllement devlner pour que les partlcularites grammaticales echappent a l'attentlon ; de la trop souvent une Idee confuse des formes et des regles... Le eommencant dolt composer Iul-meme sa grammaire d'apres un texte determine, dont II se fera une Joi de ne pas sortlr. Aussi !'Interpretation a-t-elle porte excluslvement sur Ies extralts, assez etendus, du poeme d'Otfrld ... A la fin de I'annee seulement, et une fols tamtftarises avec la grammaire d'Otfrld, Jes eleves ont He mis en presence du texte de Tatlen et de celul d' Isidore, ou lls etaient Invites a signaler caaque divergence d'avecle dlalecte a eux connu (Fleury 1965.57). Et Benveniste commente (1965.30-31): Nous dlscemons lei, lmpllclte, le prlnclpe de la description synchronlque applique a un etat de langue ou un textc donne : cela suppose, !cl encore, une definition dlflerentielle des etats de langue ou des dlalectes ; cela lmpllque converse· ment que Jes particularites d'une langue sont en relation Jes unes avec Jes autres et ne dolvent pas etre eonstderees tsolement ... Bien plus qu'a la grammalre eomparee a l'ancienne mode - ou l'on ne comparatt que des formes dlsjolntes, en des correspondances sans cohesion - S. lnltlalt ses etudlants a la methode descriptive, qu'U dlstlngualt deja de !'analyse hlstorlque .•. II est probable que cette volonte d'expertmenter I'analyse llngulstique en relation avec les problemes generaux ail soustrait Saussure a la • crise • que nous avons signalee (supra 329) : certes, dans les 338 N')TES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES cours, des Interets litteraires ne manquent pas (par exemple pour le Hildebrandslied lu en 1883-1884), mais les rapports se limitent le plus souvent a manifester leur regret du fait qu'on n'ait pas aussi a aflronter, durant I'annee, la lecture de textes litteralres nordiques (Fleury 1965.61) ou du Miltelhochdeulsch (mis au programme relatt, vement tard, pour 1887-1888 : Fleury 1965.65). Les Interets pour la linguistique generate n'etaient cependant pas seulement un presuppose implicite des formules descriptives claires, des penetrantes analyses historiques, du ton personnel des leeons parisiennes. Meillet ecrira (1916.33) : Je n'al Jamais entendu Jes cours de F. de S. sur la linguistique generale, Mais la pensee de F. de S. s'etalt flxee tres tot... Les doctrines qu'il a enseignees dans ces cours de linguistique generate [a Gcneve] sont celles dont s'inspirait deja l'enseignement de grammaire cornparee qu'il a donne vingt ans plus tot a !'Ecole des Hautes Eludes et que j'ai recu. Je Jes retrouve telles qu'il etait souvent possible de les deviner. Mais en 1885-1886, deux ans avant que Meillet ne commence a frequenter les lecons de Saussure, le cours a un caractere exceptionnel : la plupart des eleves ayant deja suivi Jes conferences de l'annee dernlere, ii a ete possible de pousser beaucoup plus loin que d'habitude, et dans un sens plus scientiflque, I'etude de la grammaire gothique. Cette elude ... et quelques Iecons consacrees a des generalites sur la rnethode linguistique et la vie du Iangage, a rempli tout le premier semestre et une partie du second (in Fleury 1965. 62). Assiste parmi d'autres aux lecons le futur phoneticien Paul Passy, dont les Eludes sur Les changements phonetiques el leurs caracieres ge­ neraux (Paris 1890, en particulier p. 227), justement appreciees par Noreen (infra 392), ont ete considerees comme « I'expose le plus lucide de la theorie fonctionnaliste des changements phonetiques » (Martinet 1955.42). Outre ses lecons a la Sorbonne, Saussure se consacre a la Societe de Linguistique. Inscrit et connu depuis longtemps (supra 325), ii participe en personne aux seances a partir du· 4 decernbre 1880 (Meillet in F. d. S. 75), assumant tres vile des charges administratives (Benveniste 1965.24), et fait des communications aux seances du 22 janvier et du 28 mai 1881, sur Jes « racines ario-europeennes en eiua • (Rec. 600), du 3 decembre 1881 « sur la phonetique du patois fribourgeois " (Rec. 600-601 ; Baudoin est present a cette seance, voir infra), du 4 Ievrier 1882, encore sur le patois de Fribourg (Rec. 601). C'est a la premiere annee de sejour a Paris que remonte la note des M. S. L. 4, 1881.432 (Rec. 403) sur 'Ayrxµeµvwv < *'Ay:x-µtvµwv (en rapport avec sanscrit man­ma« pensee u ). A la seance du 16 decembre 1882, L. Havet abandonne la charge de " secretaire adjoint "· II est remplace par Saussure. SUR F. DE SAUSSURE 339 .Iusqu'a son depart de Paris, Jes proces-verbaux des seances om. ete rMlges par Im, avec la ferme elegance qui Jui etait propre ; mais ces proces-verbaux ne rappellent que trop rarement les observations par lesquelles, avec une discretion et une courtoisie exquise, F. de S. indiquait Jes points faibles des communications qu'il venait d'entendre ou en marquait l'interet (Meillet in F. d. S. 75-76). A la meme epoque, Saussure fait office de directeur des « Memoires de la Societe de Linguistique » (M. S. L.), en surveillant la redaction et en assurant la correction avec les plus grands soins. Les seances de la societe, avec Breal, Bergaigne, Havet et les membres etrangers, sont le lieu ou se forme le style de l'ecole saussurienne. II faut, parmi Ies etrangers, faire une mention speciale pour J. Baudouin de Courtenay, qui rencontra Saussure a plusieurs reprises et lui fit connattre les ecrits de M. H. Kruszewski '· 7. Jan Ignacy (ou, selon Jes Russes, Ivan Aleksandrovie) B. de C. naquit en 1845 aux ~lent~urs de Varsovie ou ii etudia, se perfectionnant ensuite a Prague, Iena, Berlin, Saint-Petersbourg. II est prof. a Kazan a partir de 1874ou ii eut pour eleye, mfl.uencepar Jui, Kruszewski. Baudouin se consacra surtout a la phonelogie. Trots textes saussuriens se referent directement a Baudouin de Courtenay: 1) Une lettre de S. a B. d. C. du 16 octobre 1889, partiellement editee par N. Slusareva 1963.28, qui sernble avoir ete ecrite apres une longue interruption des rapports, consequente a I' • eptstolophobie • de S. : • Je ne sais [ correction de E. Benyemst~ ; Slusareva avait !u vais) si je puis esperer que vous ayez garde le souvenir de I occasion pour m01 tres agreable que j'eus de vous rencontrer a Paris ii y a sept ans • (voir infra) ; 2) Dans la lecon d'ouverture de 1891 aux cours. de Geneve (SM 37, 51 note 42, et Saussure Noles 66) : , Ce ne sont pas les linguistes comme Friedrich Miiller, de l'universite de Vienne, qui embrassent a peu pres tous !es idiomes du globe. qui ont jamais fait faire un pas a la connaissance du langage ; mais les noms qu'on aurait a citer dans ce sens seraient Jes noms de romanistes comme M. Gaston Paris, M. Paul Meyer et M. Schuchardt, des noms de germanistes comme M. Hermann Paul, des norns de I'ecole russe s'occupant specialernent de russe et de slave comme M. N. Baudouin de Courtenay et Kruszewski •; 3) Dans !es notes de 1908 pour un compte rendu de Programmes el Methodes de Sechchaye : • Baudouin de Courtenay et Kruszewski ont ete plus pres que personne d'une vue theorique de la langue ; cela sans sortir de conslderatlons linguistiques pures ; ils sont d'ailleurs ignores de la generallte des savants occidentaux (S. M. 51)., Slusareva donne une autre preuve de la connalssance du Genevois et du llngulste polonais avec un fragment de lettre de A. de C. a J. Karlowitch du 21 novembre 1881, dans laquelle, se referant a la seance au cours de laquelle ll a ete elu mem!>rede la Societe, Baudouin ecrit que • de Saussure y etalt egalement •. Benvemste 1964.129-130 a apporte a ce propos difterentes precisions fmporta~tes : le 19 nov. 1881, B. fut en realite seulement presenterpar A. Chodzko et H. Gmdoz) a la Societe et prit part a la seance en tant qu' ,assistant etranger •, Saussure etant absent; ii fut au contraire elu membre le 3 dee. 1881, Saussure etant present (M. S. L 5.1884.vi); au cours de ces deux premieres seances et des sulvantes, 17 d~c. 1881 ; 7 janv., 4 mars et 4 nov. 1882, Baudouin presenta a la s1oc1eteses pubhcations et celles de M. Kruszewski (ii en est une lisle in B. S. L. 5, 881. Lr). La lettre a Karlowitch implique que Saussure etalt deja bien connu a~tour de Bal!douin. Celui-cl ecouta de toute Iacon l'analvse phonologique du dlalecte de Fribourg presentee par Saussure le 3 decernbre 1881 et S. ~couta le 17 dee. 1881 et le 7 janv. 1882 la communication de Baudouin , sur divers points de phonetlqus slave ,. La notion de phoneme, lntrodulte en 1873 par A. Dufriche-Desgenettes et connue de Saussure a travers L. Havel, fut transmlse aux deux savants russes ~T~~ck~j 1933. 229, Jakobson 1967. 14, 17, 19) avant tout par l'intermediaire u etnoire (dont rend compte positlvement. en meme temps que des travaux de Brugmann et blen plus que de ceux-ci, M. Kruszewski, spectatement du point 340 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES Les dix annees parisiennes soot aussl relativement fecondes en notes et en memoires, quelquefols tres brefs, mals representant tous • eln Kablnettsstiick • (Wackernagel). 1884 : Une loi rylhmique de la langue qrecque (c'est la lex Saussure sur le tribraque, Melanges Graux 737-748 = Rec. 464-476) ; lettre sur les noms de parente aryens publiee In A. Glraud-Teulon, Les orlgi­ nes du marlage et de la [amille, Geneve 1884, 494-503 ( = Rec. 477-480) ; notes dans le M. S. L. 5, 1884 : Vt!dique libujii­paleoslave de vue de la methode: N.Kruszewskl, Novej§ifa olkrytjia v oblasti ario­evropefska­ go ookalizma, • Russklj tllologiceskl] vestnik • 4, 1880. 33-45). D'autre part II n'est pas Improbable que le Versuch einer Theorie phonetlscher Alternalionen. Ein Kapilel aus der Psychophonelik (Strasbourg 189.'>) de Baudouin alt pu renforcer Saussure dans sa conviction (qui apparalt deja, comme nous l'avons dlt, dans le cours parisien de 1881 : voir supra 337) relative a la separation de deux disciplines, l'une des sons et l'autre des entites diflerentlelles (pour accepter done, mals en I'attenuant, Lepschy 1966.60-61) et qu'une serie de suggestion, (relatives a la syntagmatique et a l'assoclattvlte, a I'aspect systematlque des tails llngulstlques, etc.) alent ete faltes a Saussure par la lecture des ecnts de Kruszewski: sa these de doctoral (cntiquee par !es revues allemandes et pour cela sans doute d'autant plus adrnlree par Saussure!) Ober die Laulabwechsfung, Kazan 1881, et peut-etre Ocerk nauki o Jazyke (Kazan 1883; trad. allemande de F. Techmer, Prinzipien der Sprachentuncklutiq, • Internationale Zeltschrlft fur allgemelne Sprachwissenschaft •, I, 1884.11, 22, 2, 1885.33-44, 3, 1886.55~ 566, 5, 1890.77-88: volr infru 396). Cette question a ete plus que dlseutee, pour accentuer ou minimiser la dette des pragois envers leurs predecesseurs slaves au detriment ou a l'avantage de leur dette envers Saussure (Trubeckoj 1933.243 et sv., Jakobson 1953, Jakobson 1962.232-33, Jakobson 1967; et cf. aussl Vendryes 1950.446, Hjelmslev 1951.60, Martinet 1953.577, Malmberg 1954.22, Sterba 1957.94-95, Belardi 1959.66 et sv., Cikobava 1959.86-87, Leontev 1961, Collinder 1962.13,Benveniste 1964.129-130,Pisani 1966.297, Lepschy 1966.60-62). Elle meriteralt d'etre rediscutee a fond, en developpant la comparalson entre les positions saussurlennes et Jes positions des deux llngulstes slaves, amorcee par H. G. Schogt (1966.18, 29) pour 8. de C., et pour Kruszewski par Jakobson (1967) qui consldere que K. etait de loin superleur a son mattre B. de C. Outre les eventuelles suggestions particulieres, Saussure dolt avolr retire de la connalssance de B. et K. la conscience de ne pas etrc le seul il sentlr l'lmportance d'une theorie generate de la langue et d'unc theorie de la lingulstlque. La lettre envoyee le 2 mal 1882 par Kruszewski a Baudouin en France pourralt pour alnsl dire avolr ete ecnte par Saussure. Annoncant a son mattre ce qui sera ensuite l'Ocerk, K. ecrlvait : « Je ne sals pas quel sera le titre demon travail; le sujet en est le sulvant: 1) A cdte de l'actuelle science de la langue 11 en faudralt une autre plus generate, semblable a la phenomenologte de la langue ; 2) On peut volr une prefiguration (lnconsciente) de cette science dans le groupe recemrnent eree des Junggrammatlker, mals Jes prlnclpes qu'ils soutlennent sont solt Inadaptes pour construlre sur eux une science de ce type, soit lnsuffisants ; 3) II est possible de trouver de solldes bases pour cette scfence dans la langue meme • (J. Baudouin de Courtenay, Szkice jezykoznawcze, Varsovle 1904, p. 134-135, cite In Jakobson 1967.7). Conflrmant !'opinion exprimee lei, Saussure en 1891 comme en 1908 lnsiste surtout sur le fait que B. et K. ont eu pour principal merite d'avolr elabore une • vue theorique • d'ensemble. Cecl est de la plus grande Importance. K. venalt a la llnguistlque d'une lmportante ecole d'etudes phllosophlques condulte par M. M. Trolckl • speclaliste fanatlque de la pensee anglalse de Bacon a Locke, Hume et Mill • (Jakobson 1967.2), et nous savons par Baudouin que K. se fonna a travers un patient travail de lecture, de resume et de refonte des grands emplristes du xvur- slecle. K. est l'anneau qui relle la conception structurale de Saussure et les grandes conceptions llngulstlques de la philosophic europeenne avant Kant. SUR F. DE SAUSSURE 341 Jobiizati, Sudo, uieux­haut­allemand murg murgi (respectivement 23a. 418, 449 = Rec. 404, 405, 406-407). 1885 : 5 decembre communication sur la lex ffoux6>.o~ (Rec. 417418). · 1887 : Comparatifs et superlatifs germaniques de la forme inferus, infimus (Mel. Renier 383 et sv. = Rec. 481-489) ; communication a la Societe (17 decernbre) sur l'afflnite entre latin callis et vieux-haut allemand hoiz (Rec. 601) ; 8 janvier et 2 avril 1887 Sur un point de la phoMlique des consonnes en indo­europeen (M. S. L. 6, 1889. 246257 = Rec. 420-432). 1888 : communication sur le gerondlt latin (U Janvier 1888 = nee. 601). 1889 : le volume VI des M. S. L. contient des notes, en partie deja citees car remontant aux annees anterieures, sur &ll~v, liidus, CXAX\JWV: all. Schwalbe, V\JO'Ta~w. M6pov, tµ[3l)pL;, xp~vl), sanscrit stoka­s, surlecomparatif de awtppwv, surlegotiquewilwan (Rec., 408-419, 433434). Remontent a cette meme annee Jes notes des M. S. L. 7, 1892 (p. 73-93) sur le nombre « six • en indo-europeen, sur ippuxT6~, >.Lyu~, vieux-prussien siran, sur l'u et sur les feminins en u en vieux prussien, sur le gotique paurban, sur cxxtwv, i1nTl)llt;, m:pl<•ul't'EpL, ijv(cx, bxpu6ct;, uydi;, X, ~ pour KS, PS, sur - uµvo - pour - oµvo -, sur attique - P"l - pour - pa-, sur lituanien kiimste (Rec. 435-463). Toujours en 1889, Saussure fail quelques communications a la Societe : le 26 janvier sur Jes particularites de la versification hornerique (Rec. 602), le 9 Ievrler sur r.on6;, le 8 juin sur l'accent lituanien (reelabore pour M. S. L. 8, 1894.425-448 = Rec. 490-512, comme premier article d'une serie qui ne sera en realite jamais poursuivie : Meillet F. d. S. 82). 1891 : A trois seances de la Societe, Saussure traite du nom allemand de la Vistule, de l'etymologie de Hexe et, enfin, de certaines aspirees sourdes comme le th de prthus, « large •, dans lequel on aurait h < ,1 : avcc cette note, qui reprend les problernes du Memoire, se termine Ia periode parisienne (S. M. 23, note 1). Les notes parisiennes, beaucoup plus que ne le montrent les titres, sont dorninees par de Irequentes allusions et comparaisons gerrnaniques (etymons de &llf.v, liidus, xp~vl), cpcpuxT6c;, cxxtwv) et baltiques (vuaTri~w, !µ~l)pt~, &1dwv, 1tcp(, lJV(-i, uyt~;). Le baltique en particulier occupe Saussure durant Jes dernieres annees parisiennes ainsi que dans les premieres annees genevoises : ii reelabore sa communication sur l'accent lituanien et consacre au meme sujet la communication lue au xe congres international des orientalistes en septembre 1894 (Actes I 89 et ensuite Anzeiger de IF 6, 1896.157-166). II consacre egalement au lituanien son essai pour le volume de IF 4, 1894 en l'honneur de Leskien, Sur le nominatif pluriel et le genitif singulier de la declinaison consonantique en lituanien (p. 456-470 = Rec. 513-525\ 342 NOTES BIOGRAPHIQUES SUR F. DE SAUSSURE ET CRITIQUES Meillet. se souvenant certalnement de la lettre du 4 Janvier 1894 (voir infra 355), ecrlra a propos de ces recherches lituaniennes : F. de S. redoutalt par-dessus tout de volr gAcherles questions de ce genre par des indications partlelles qui, ne portant que sur des details du sujet, presentent tout sous un faux jour. II n'y a pas de verite sclentlflque hors d'un systeme complet ou tous Jes faits sont mis A leur place Juste ... (in F. d. S. 82). Du reste, Saussure avail Iul-meme ecrtt dans son essal sur le nomtnatif (cit. p. 457 = Rec. 514) : Avant tout on ne dolt pas se departlr de ce prlnclpe que la valeur d'une forme est tout entiere dans le texte ou on la pulse, c'est-a-dlre dans !'ensemble des circonstances morphologlques, phonetiques, orthographlques, qui l'entourent et l'eclalrent. Les reflexions entreprises a l'epoque du Memoire et de la these sur la differencialite et la systematlcite des unites linguistiques trouvent un echo dans ces mots, ainsi peut-etre que les discussions avec Baudouin et la lecture des Prinzipien de Kruszewski. Nous savons aujourd'hui qu'elles sont le reflet des meditations des premieres annees genevoises et nous y apercevons le germe vital du Cours de linguistique generate. En 1891, pour des raisons qui ne sont pas entlerement claires, Saussure decide de quitter Paris. F. de Crue ecnt a ce propos (in F. d. S. 18-19) : Le sentiment patrlotlque est ausst une religion. C'est elnsl qu'eu moment ou F. d. S. allait aborder Jes grandes chalres de Paris et cet lllustre College de France .... II avait renonce a la perspective d'un sl grand honneur, qui lul etatt assure, afln de conserver sa natlonalite sulsse. Plus clairement pour E. Favre (F. d. S. 33-34), • ii aurait pu sueceder a M. Breal au College de France s'Il se fOt fait Francais », mats • ce savant etait reste bien Genevois et bien patriote » et c'est pour cela qu'il serait retourne a Geneve ou l'unlversite avait cree pour lui une chaire de linguistique (voir infra). Saussure quitte done Paris. On conserve aux Archives Nationales l'expose des motifs (inspire, semble-t-il, par Gaston Paris) pour lesquels on Iui donne la legion d'honneur « a titre etranger • : M. de Saussure avalt deja une reputation blen etablle de llngulste et de philologue quand, sur notre Invitation, ii est venu a Paris ou ii a accepte les fonctions de maltre de conferences a la Section d'hlstoire et de phllologie de l'Ecole des Hautes Etudes. II va malntenant occuper a Geneve une chaire de professeur ereee expres pour lul. En nous quittant, ii emporte Jes regrets de tous ses collegues, et MM. Michel Breal et Gaston Paris, membres de l'Institut, se sont !alt les Interpretes de la pensee unanlme de I'f:cole en exprimant le deslr que M. de Saussure, par sa nomination dans la Legion d'honneur, emporte la preuve palpable de notre estime et de notre reconnaissance (cit. in Fleury 1965.41-42), 5. GENE.VE : L'ENSEIGNEMENT 343 ET LES ETUDF.S A Geneve, Saussure commence ses cours au debut du semestre d'hiver de 1891 (S. M. 24 et Muret in F. d. S. 44 et 47). Professeur extraordinaire de 1891 a 1896, ii est alors nornme professeur ordinaire de sanscrit et de langues indo-europeennes (De Crue et Favre in F. d. S. 17 et 31). A ses taches pedagogiques s'ajoutent celles de directeur de la blhliotheque de la Faculte des lettres et sciences sociales, et il s'acquitte de ce travail, « reglant I'acquisitlon des livres au [our le [our et leur classement » (De Crue in F. d. S. 18). Du semestre d'ete de 1899 au semestre d'hiver de 1908, ii fait chaque annee un cours sur la phonologie du francais moderne et a partir de 1900-1901 egalement un cours de versification franealse (« Etude de ses lois du xv1e slecle a nos [ours »), tous deux au Serninalre de francais moderne (S. M. 13 et 26). Durant le semestre d'ete 1904 ii remplace Emile Bedard a la chaire de langue et litterature allemande et fait un cours sur les Nibelungen ; il enseignera egalement la linguistique generate a partir de 1907 (voir infra). Pendant 21 ans, [usqu'a sa mort, Saussure fait chaque annee un cours complet de sanscrit. II prepare Iui-meme avec un grand soin les exercices pour les etudlants qui les lui expedient chez lui, si bien qu'ils sont corrlges pour le cours suivant : Rien de moins banal que sa manlere d'apprecier nos travaux. Remarqualt-il telle difflculte speelale evitee, ii se montrait large d'eloges malgre une abondance de fautes. Mais !'inverse se produisait aussi, car certaines erreurs avaient le don de I'exasperer. Tel jour, apres m'avoir dit - chose bien rare -- que je n'avais fait qu'une faute dans une longue page, ii m'annonca d'un ton attrlste qu'il m'avait cependant marque zero parce que, dans un cas inadmissible, j'avais confondu un a bref avec un a long (Duchosal 1950. D. suivit Jes cours en 18961898). Par l'autorlte qu'il prit sur nous du premier coup, ce mattre nous a Impose une discipline intellcctuelle que [usque-la - je parle pour mon cornpte - nous avions completernent lgnoree, Je me souviens qu'un jour ii me rendit un petit travail de sanscrit - car ii se donnait la peine de nous proposer des exerclces et de !es corriger - oil j'avais confondu pas ma! d'a longs avec des a brefs et oublie pas mal de points sous de s et sous de n. II y avail mis cette annotation : Je dois vous mettre en garde des a present contre le sanscrit par a peu pres (Sechehaye In F. d. S. 64). S. Karcevskij, qui suivit les cours de sanscrit en 1911-1912, a latsse 40 pages de ces exercices, tous de la main de Saussure (S. M. 26, note 13). Outre le sanscrit et les cours deja slgnales de phonologie et de versification franeaise, Saussure concentre surtout son enseignement sur le grec et le latin et, dans une moindre mesure, dans les premieres 344 NOTES BIOGRAPHIQUES SUR F. DE SAUSSURE ET CRITIQUES annees en particulier, sur Jes langues gennaniques •. Des raisons avant tout pedagogiques ont detourne Saussure des themes plus techniques abordes, a Paris, devant un auditoire de niveau plus eleve, Ce n'est qu'a partir de 1897, alors que commence a se creer a Geneve m~me un groupe de fldeles d'une haute quallte, que les cours se font plus speciflques, plus varies et plus denses. C'est preclsement en 1897 que Bally demande a Saussure de faire le premier cours de gotique, et u lul demande quatre ans plus tard de faire un cours de lltuanlen (Duchosal 1950, S. M. 26). Les eteves sont tres peu nombreux (Gautier 1916): Bally, panni les plus fldeles, suit les cours de 1893 a 1906 (S. M. 16) ; une annee durant l'unique eleve de sanscrit est Duchosal ; le premier cours de gotique est frequente, outre par Bally, par Tojetti et Duchosal ; les autres fldeles sont A. Sechehaye, qui frequente lea cours de 1891 a 1893 et V. Tojetti qui frequente les premiers cours et ensuite ceux de gotique (Sechehaye in F. d. S. 61). Dans les demteresannees, L. Gautier, A. Riedlinger, P. F. Regard sont egalement assldus. Les rares manuscrits conserves (Saussure dechlralt habltuellement Jes notes preparees pour ses cours) montrent quel soln mlnutleux U mettalt dans son enseignement de Geneve (S. M. 26), malgre la difference inltiale evldente • entre ses auditolres de Paris et ceux de Geneve • : Mats cela ne le dkouragealt pas. La crale en main db son arrtv~e, toujoun debout, ne s'aldant Jamals de notes, U couvralt Jes grands tableaux noln de vocables de toutes Jes espeees, de scolles ~tollDB.lltes, et, sans arr~t, sans se ro8. Au debut de chaque eours, avec un certain optlmlsme pedagogtque, Saussure avertlssalt les eleves qu'II eonslderalt qu'lls connalssalent dlja le Jatln, le grec, l'anglals, le fran~als, l'allemand, l'ltalien, • ce qui, on le pense blen, ne manqualt pas de leur faire souvent perdre pied • (Duchosal 1950). Les themes des cours furent les sulvants ( entre parentheses la source ou les noms des etudlants dont ii reste Jes notes deposees A la Btbllotheque publlque et unlvenltaire de Geneve : SM 16-17): 1891·92 Hlstolre des langues lndo-europeennes (SM 24, 39) ; 1892-93 PhonHlque grecque et latlne. Hlstolre du verbe Indo-europeen SM 24) ; 1893-94 Etudes d'etymologle grecque et latlne (Bally) ; Le verbe grec SM 24); 1894-95 £tudes d'un cholx d'lnscrlptlons grecques archalques. £tudes ~ e la declinaison grecque (Bally; SM 25); 1895-96. Dialectes grecs et Inscriptions grecques archalques, Etudes etymologlques et grammatlcales sur Homere. Inscriptions perses des rols achemenldes (Bally) ; 1896-97 Lecture du lexlque d'Hesychlus, avec etudes des formes lmportantes pour la grammalre et la dlalectologle (Bally); 1897-98 Grammalre gotlque(Bally, Duchosal); 1898-99 Vlell allemand (Bally) ; Grammalre comparee du grec et du Jatln (Bally, P. Bovet); 1899-1900Anglo-saxon (Bally); 1900-1901 £tude du dlalecte homerlque et des princlpales questions s'y rattachant (Bally. Bovet); 1901-1902 Lltuanlen(Bally); 1902-1903 Llngulstlque geographlque de l'Europe (anclenne et modeme), avec une Introduction sur les objets de la llnguistlque geographlque ; 1903-1904 Dlalectologle ~recque; 1904-1905 Anclen norrols (Bally); 1905 Grammalre hlstorlque de I anglats et de l'allemand (pendant l'hlver Saussure est A Naples et A Rome); 1906-1907 Grammalre hlstorique de l'allemand; 1907-1908 Grammalre hlstorique du grec et du latln (Riedlinger); 1908-1909 Grammalre hlstortque du grec et du latln (avec etude plus speclale du latln). Gotlque et vleux aaxon! etudles comme Introduction A la grammalre des langues gennanlques (A. Riedlinger, L. Gautier); 1910-11 Urgermantsch, Introduction ll la grammalre hlstorlque de l'allemand et de l'anglals (Riedlinger, Degalller, M•• P. Laurer-GauUer) ; 1911-1912 Gotlque (RfedUnger). ~tymologle grec:que et laUne : In famWes de mots et les proudu de dulvaUon (BrQtadl). 345 toumer, le regard partols perdu dans le clel par la haute fenMre, donnalt de• explications d'une volx douce et monocorde. Le sulvre n'etait pas toujoun chose facile... (Duchosal 1950). Comme deja Ies eleves rraneals, les Genevois sont egalement frappes par la clarte de l'expose, sous laquelle ils entrevolent une methode generale : Donner une Idee de votre mode d'exposltlon est chose Impossible, parce que c'est chose unique : c'est une Imagination scientiflque la plus feconde qu'on pulsse rever, d'ou s'echappent, comme en gerbes, les Idees creatrtces ; c'est une methode ll. la fols souple et severe... ; c'est ... une clarte de vision etonnante ••. (Bally 1908 In F. d. S. 32-33 ; er. aussl Bally 1913, Sechehaye In F. d. S. 62-63, SM 26-27). Mis a part les engagements universitaires, assumes avec tant de zele, la vie semble couler tranquillement : Saussure epouse Marie Faesch, d'une autre vieille famille genevolse, et du mariage nalssent Raymond et Jacques. L'hiver, ii reside le plus souvent en ville, dans la maison de la Tertasse, l'ete a Malagny, pres de Versoix, residence estivale de son enfance, puis, d'abord sporadiquement et ensuite (a partir de 1903) plus regulierement, au Creux de Genthod (David in F. d. S. 36 et Saussure Letires 94, 98, 99 et lettre du 26 fevrier 1903). A partir de 1907, certaines lettres sont datees de Vufflens sur Morges (Leitres, 107) oil les Faesch possedalent le chateau du pays (dont un donjon scrait, selon la Iegende, celul de la reine Berthe). Les voyages dont nous ayons une trace sont rares : en France et a Paris en 1893 (Lettres 93), en Italie oil ii sejourne avec sa femme a Naples en decembre 1905 et a Rome a partir de Janvier 1906, a l'Mtel Pinelo de la via Gregoriana (Lettres 105-106), de nouveau a Paris, en compagnle de sa femme et de sa belle-soeur, en 1909 (Lettres 120-121), en Angleterre ct a Paris en 1911 (lettre a Meillet du 11 octobre 1911). Apres le congres des orientalistes de 1894 (voir plus loin), ses rapports avec l'exterieur sont rares, filtres a travers une correspondance lente et Irreguliere. Saussure lul-meme plaisante sur son epistotoptiobi» (Lettre, 93); on en trouve un exemple dans sa lettre a Meillet du 27 novembre 1900 : « J'ai une lettre commencee pour vous et qui n'est Jamais partie. Ce sera pour bientot • : ce • bientot • sera le 28 octobre 1902, date de la lettre suivante. Outre Meillet (les lettres qu'il re~ut de Saussure ont ete editees par Benveniste en 1963), ii y a parmi ses correspondants Streitberg qui, en 1903, lui demande des renseignements sur l'origine du Memoire. Il en naltra les Souvenirs (volr supra note 1) que Streitberg n'eut cependant pas par Saussure mais, apres sa mort, par Mme Saussure (Streitberg 1914.203 n. 1). Dans la periode genevoise, les publications et l'activite scientlflque se rareftent egalement. II consacre un certain travail, en 1894, a l'organisation du Xe congres des orientalistes qui se tient a Geneve en 346 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES septembre et au cours duquel Saussure, le 8, fait une communication sur l'accent lituanien (Lettre a Meillet du 4 Janvier 1894, Leltres 94 95, Meillet 1913 = F. d. S. 79, 81-82, Bally in F. d. S. 55, Rec. 60i 604). • A partir de cette date, les publications s'espacent de plus en plus ... • (Meillet 1913). Ce n'est qu'en 1897 que parait de nouveau une breve note (I. F. 7, 1897.216 = Rec. 539-541), compte rendu de I'ouvrage de J. Schmidt, Kritik der Sonanteniheorie, Eine sprachwissen­ schaftliche Untersuchung (Weimar 1895). II publie en 1898 deux inscriptions phrygiennes dans E. Chantre, Mission en Cappadoce (Paris 1898, 165 et sv. = Rec. 542-575). En 1897-1898, les stenogrammes de trois conferences sur la theorie de la syllabe, prononcees !ors d'un cours d'ete a l'universite et transcrites par Bally, ne sont pas publies, n'ayant pas obtenu son consentement (Bally in F. d. S. 56, et cf. CLG 63). II fait trois communications a la Societe d'histoire et d'archeologie dont ii est membre depuis le 14 fevrier 1892 (Favre in F. d. S. 33) : le 28 mars 1901 sur le nom d'Oron a l'epoque romaine (• Journal de Geneve • 7 avril 1901 = Rec. 604-605 ; edite avec des notes de L. Gauchat dans • Indicateur d'histoire suisse •, 1920.286298) ; le 29 Janvier 1903 sur les toponymes Joux, Jura (sur lesquels ii enselgne J. Loth, cf. • Revue celtique • 28, 1907.340 = Rec. 607), Genthod, etc. (Origines de quelques noms de lieux de la region gene­ ooise, • Bull. de la Soc. d'hist. et d'arch. de Geneve •, 2, p. 342 = Rec. 605); le 17 decembre 1904, sur les Burgondes en territoire roman (Les Burgondes et la langue burgonde en pays roman = Rec. 606). Dans les neuf dernieres annees de sa vie, ii pub lie encore quelques rares pages : D'wµif>.ua,; a TpmT6AE:(J,OI; (Melanges Nicole, Geneve 1905.503-514 = Rec. 576-584), Sur les composes latin du type agricola (Melanges Havel, Paris 1909.59-71 = Rec. 585­594),Adjectifs indo­europeens du type caecus • aveugle • (Festschrifl f. W. Thomsen, Leipzig 1912.202-206 = Rec. 595-599). II taut ajouter a ces trois textes le compte rendu de l'ouvrage de P. Oltramare, Histoire des idee« ttieosophiques dam l' Inde [« Journal de Geneve •, 29 juillet 1907), et l'article Alamans du Dictionnaire hisiorique, geographique et statisiique du canton de Vaud, publle par E, Mottaz, 1911, I, p. 54-56. Apres sa mort paraltra grace a P. E. Martin La destruction d' Avenches dans les sagas scandi­ naves, d'apres des traductions et des notes de F. d. S., • Indicateur d'histoire suisse •, 1915, 1-13. Meillet, dans sa necrologie du maltre, propose deux raisons a l'exigutte de la production saussurienne apres 1894 : une sorte de manie perfectionniste (• F. d. S. n'a plus estime avoir pousse assez avant Ia theorie d'aucun fait linguistique pour l'exposer au public ... Trop soucieux de faire reuvre definitive, ii n'a plus rompu le silence que pour publier des notes assez breves ... •) et I'interet pour des « sujets nouveaux, en partie etrangers a la linguistique, comme le poeme des Nibelunqen ..• • (F. d. S. 78-79). C'est un point fondamental de l'In- SUR F. DE SAUSSURE 347 terpretatlon de la blographle et du proccssus de formation des ldees de Saussure que de determiner la valeur a accorder a ces deux raisons proposees par Meillet. L'examen des paplers inedits a conflrme que Saussure s'est intensement mteresse aux Nibelungen : ii subslste (S. M. Inv. A. V.) 150 feuillets sur les Nibelunqen, 14 cahlers et 22 pages sur Tristan; une note se trouve sur une lettre datee de 1903 et un cahier porte la date 1910 : Meillet (loc. cit.) semble faire reference a une date anterieure a 1903, pas tres elolgnee de 1894. La these de Saussure est que • un Uvre contenant les aventures de Thesee, et seulement les aventures de Thesee, a ete la base d'une des grandes branches de la legende herotque germalne •, ce qui fut probablement dO • a une circulation des mythologies classlques vers le nord par l'intermedialre des marines ... et a propos des constellations • (S.M. 14 et 28). L'Intenslftcatlon des cours de germanlque a partir de 1898 (hull en douze ans), le cours sur les Nibelunqen en remplacement de E. Redard, sont en relation avec ces tnterets, quc l'on devine d'ailleurs aussl dans la communication sur les Burgondes: • l'on auralt a se demander quelle part l'Helvetle burgonde peut avoir eue dans la genese et la propagation de la Iegende eplque des Nibelunqen • (« Bull. • cit. = Rec. cit.). Ces Interets contrastent certainement avec l'image traditlonnelle de Saussure champion de la separation entre lingulstlque interne et Ungulstlque externe et de la necessite de n'etudier la langue qu' • en elle-rneme et pour elle-meme •, hors de son contexte soclo-hlstorlque. Sans voulolr pour l'instant discuter de la validite de cette image, rappelons que des 1894 Saussure ecrivait a Meillet : « c'est, en derniere analyse, seulement le cote pittoresque d'une langue, celut qui fail qu'elle differe de toutes les autres comme appartenant a certain peuple ayant certalnes origines, c'est ce cOte presque ethnographique, qui conserve pour moi un lnteret » (Lettres 95). Et un de ses eleves genevois declare : Le point falble de l'ouvrage, en general excellent, qu'ont publie MM. Bally el Sechehaye, est de lalsser crolre que F. d. S. a separe le changernent lingulsUque des conditions exterteures dont ii depend ... Mais )'auteur de la presente preface a plus d'une fols entendu F. d. S. expliquer par des conditions exterleures non seulement les changements llngulstiques, mals la conservation de certalns traits. C'est alnsl qu'il attribualt le prodigieux archatsme du lituanlen Ill la tongue perslstance du paganlsme dans les contrees de parler lituanlen •.. (Regard 1919.10-11). C'est preclsement dans ce cadre (qui, comme nous le verrons, a une ~aboratlon theorique consciente dans la lingulstique generale saussurienne) que trouve sa Justification l'Interet de Saussure pour les phenomenes lnherents au contexte culturel des langues germaniques. Ce lien entre recherches externes, philologiques, et Interets theoriques, falt qu'il n'est pas surprenant de trouver dans des notes 348 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES consacrees a des questions philologiques de precieuses considerations theoriques. Nous Je verrons egalement bientot a propos des recherches sur les anagrammes. Mais on le voit aussi dans les cahiers sur les Nibelungen. Dans l'un d'entre eux (conserve a la Bibliotheque publique et universitaire de Geneve, Ms. fr. 3958 4) on lit par exemple ces observations importantes sur le caractere semiologtque du symbole (p. 4 de couverture et page 1) : - La Iegende se compose d'une serie de symboles dans un sens a preciser. - Ces symboles, sans qu'ils s'en doutent, sont soumis aux memes vicissitudes et aux memes lois que toutes les autres series de symboles, par exemple les symboles qui sont les mots de la langue. - Us font tous partie de la semioloqie. - II n'y a aucune metnode a supposer que le symbole doive rester flxe, ni qu'il doive varier Indeflniment, ii doit probablement varier dans certaines limites. - L'Identite d'un symbole ne peut [amals etre flxee deputs l'Instant oil ii est symbole, c'est-a-dire verse dans la masse sociale qui en flxe a chaque instant la valeur. Ainsi la rune Y est un • symbole •. Son identite semble une chose tenement tangible, et presque ridicule pour mieux I'assurer conslste en cecl: qu'elle a la forme F ; qu'elle se lit z , qu'elle est la lettre numerotee huitieme de !'alphabet ; qu'elle est appelee mystiquement zann, enfln quelquefois qu'elle est citee comme premiere du mot. Au bout de quelque temps ... elle est la me de I'alphabet ... mals lei deja elle commence a supposer unite. Oil est maintenant I'identite? On repond en general par sourire, sans communement remarquer la portee philosophique de la chose, qui ne va a rien moins que de dire que tout symbole, une fois lance dans la circulation - or aucun symbole n'existe que parce qu'il est lance dans la circulation - est A l'instant merne dans I'incapaclte absolue de dire en quoi consistera son identite a l'instant suivant. C'est dans eel esprit general que nous abordons une question de legende quelconque, parce que chacun des personnages est un symbole dont on peut voir varier - exactement cornme pour la rune a) le nom, b) la position vis-a-vis des autres, c) le caractere, d) la tonetlon, Jes actes; sl un nom est transpose, ii peut s'ensuivre qu'une partie des actes sont transposes, et reciproquernent, ou que le drame tout entier change par un accident de ce genre. L'autre travail qui occupe Saussure dans les premieres annees du siecle est l'etude des • anagrammes » (Starobinskl 1964). II devalt avoir parle ou ecrit a Meillet sur ce probleme avant le 23 septembre 1907, date A laquelle dans une lettre a son eleve parlsien 11 le remercle de SUR F. DE SAUSSURE lul avolr promis de lire les cahlers sur les anagrammes homeriques et lui explique qu'il etend ses recherches d'Homere a d'autres milieux Ungulstiques indo-europeens. L'hypothese de Saussure est que, I\ cOte des nonnes metrlques connues, la versification dans les langues Indo-europeennes archalques respecte egalement certalnes regles fondamentales relatives a la distribution des elements phoniques dans les vers: 1) les elements phonlques doivent etre en nombre pair A la fin des vers 6, 8 ; ce qui se produit parce que 2) Jes sequences diphones et trlphones se font echo ; 3) Independarnment de la verification de 1 et 2, on peut avancer l'hypothese que Jes polyphones (di- et trlphones) reprodulsent dans les vers les phonemes • d'un mot important • (noms de divlnlte et autres) et sont done des polyphones anagrammlques (Lettres 110-112). Selon Saussure, ces nonnes se rencontrent non seulement chez Homere et dans le satumlen latin, mals aussi dans le Hildebrandslied et dans Jes Veda (Leitre« 113), sl blen que • c'est depuls les temps Indo-europeens que celul qui composalt un carmen avail a se preoccuper ainsl, d'une mantere r~fl~chie, des syllabes qui entraient dans ce carmen, et des rimes qu'elles formalent entre elles ou avec un nom donne, Tout vales etalt avant tout un speclallste en fail de phonemes ... • (Leures 114). L'mteret qu'll accorde a cette recherche peut se mesurer au fall qu'en peu de mols, du 23 septembre 1907 au 8 Janvier 1908, Saussure ecnt a son eleve parlsien quatre longues lettres qui a elles seules representent la mottle d'une correspondance qul s'est prolongee durant 17 ans. Les lettres sur ce sujet s'lnterrompent brusquement en Janvier 1908 : peut-etre les deux savants ont-ils parle du probleme lorsque Meillet se rend a Geneve en Juillet 1908. On peut dedulre des lettres de Saussure que I'eleve parlsien heslte a repondre franchement et dolt avolr une opinion negative sur l'ensemble de la recherche. II semble, a travers les falts rassembles par Starobinskl (1964, 1967, 1969) et les souvenirs de L. Gautier, eleve tres proche de Saussure en ces annees (cf. p. 344, 354, 358), que la recherche sur Jes anagrammes se soil prolongee [usqu'a l'automne de 1908 : • L'etude des versiflcateurs latins modemes le conduisit a s'Interesser aux laureats du Certamen Hoefftlanum de I'Academle d' Amsterdam. II etudla de pres les poemes Iatins de Giovanni Pascoll, plusleurs fols couronne a ce concours : ces textes paralssent nettement recourlr au precede de I' • hypograrnme •. A une date que Leopold Gautier situe a Ia fin de 1908, Saussure ecnvtt A Pascoll pour lul demander s'Il avalt utilise consclemment cette methode de composition. La lettre demeura sans reponse, Saussure prlt le silence de Pascoll pour un desaveu et abandonna les anagrammes. • Ainsl, plus que les reticences de Melllet, c'est le silence de Pascoll qui l'auralt pousse a. mettre fin a ses recherches: Rossi 1968 lnsiste egalement sur ce point. Selon R. Jakobson (conference Inedlte, Rome, Janvier 1967) Jes eludes de Saussure menteralent d'etre Integrale- 350 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES ment publiees et verlflees. Cecl semble en reallte dlscutable. SI Jes reticences de Meillet (ou, comme d'autres preterent le crolre, le silence du poete itallen Pascoli) pousserent Saussure a s'arreter, cecl se pro. dulslt parce que Saussure Iul-rneme avalt beaucoup de doutes sur la validite de son travail. Staroblnskl Iul-meme, principal editeur des passages relatifs aux anagrammes, semble partager ces doutes qui nous paralssent plus que [usttfles. Les ralsons de I'Interet de ces manuscrits saussurlens sont, outre dans I'Interet biographlque, dans le falt qu'on y trouve lei et la de precleuses Indications theorlques : par exemple l'Idee de la • consecutlvite • et de la linearite des slgnes Iingulstlques est pour la premiere fols attestee preclsement dans les cahlers sur Jes anagrammes (Staroblnskl 1964.254 et sv., Rossl1968.113-127); cf. aussl G. Nava, Lettres de F. de S. a G. Pascoli, CFS 24, 1968. 73-81, et P. Wunderli, Saussures Anagramm-Sludien, • Neue Zurcher Zeitung •, Nr. 73, 13.2.1972, p. 51-52). Reste a se demander pourquoi ces recherches et d'autres posterleures a 1894 n'ont jamals vu le jour. Meillet, comme nous l'avons vu, repond en termes psychologiques : le deslr de perfection aurait inhlb6 Saussure. En realite, nous avons affalre a quelque chose de different. Les nombreux temolgnages des disciples parisiens et genevols revelent que Saussure exigealt aussi des eleves la plus grande precision. Benvenlste a blen salsl le sens de cecl : Plus encore qu'en toute autre discipline, l'apprentlssage de la rigueur etalt Indispensable en llngulstique. II fallalt apprendre aux etudlants qu'une langue est constltuee d'un certain nombre d'elements speclftques dont chacun dolt Mre reconnu exactement ; sl !'on se contente d'approximation, on en fausse !'analyse. La base meme de la description et de la comparalson est en jeu ; une correspondance ou une restitution ne peut etre correcte st elle est fondee sur des fonnes mal etablles ou negllgernment reprodultes ... La grammalre cornparee d'alors n'etalt... qu'un assemblage de correspondances entre les tonnes prises lndlstlnctement a toutes les langues de la famille. S., au contralre, ne confronte les dlalectes que pour degager les caracteres propres a une langue ... II restaure ... l'Indlvlduallte de la langue ... Cela implique que les partlcularites d'une langue sont en relation les unes avec les autres et ne dolvent pas ~tre etudiees lsolement ... (Benvenlste 1965. 28-29, 30). Une vision trop longtemps domlnante a consldere la llngulstique structurale en general et saussurienne en particulier comme une lingulstique anti-philologique. C'est le contraire qui est vrai. • SI l'on se proposait de determiner quel est le trait qui caracterise le mieux la linguistique du xxe slecle en face de celle du slecle precedent, ii faudrait retenir ... la preoccupation de celle-la de reculer [usqu'aux faits concrets pour deflnir a partir d'eux les entites linguistlques • (Prieto 1964.11). Si la valeur des entltes Iingulstiques n'est pas determlnee lorqu'on en indique, a la manlere de la grammaire comparee, Jes correspondants plus ou molns semblables d'autres milieux linguistiques, mals est au contralre etablie quand on en cerne la fonctionnalite et 351 SUR F. DE SAUSSURE !es elements co-fonctionnels du systeme merne, si, comme l'ecrivalt Saussure dans sa communication sur le nominatif lituanien (Rec. 514 = Sur le nom. cit. 457), • la valeur d'une forme est tout entiere dans le texte oil on la puise, c'est-a-dire dans l'ensemble des ctrconstances morphologiques, phonetiques, orthographiques, qui l'entourent et I'eclairent ,, alors la recherche philologique (dans le cas des langues mortes) et l'enquete approfondie sur le terrain (dans le cas des langues vivantes) ne sont plus un luxe, mais sont une necessite vitale, intrinseque. Le voyage en Lituanie, la maestria philologique de la these, le gout pour • le cote pittoresque d'une langue, celui qui tait qu'elle diflere de toutes les autres •, perdent ainsi leur caractere de curiosites biographiques pour s'eclairer a la lumiere qui vient du concept central de la nouvelle linguistique : le concept de systemacite des entites linguistlques, qui comporte le concept de la particularite historique radicale de toute realite linguistique sur le plan du contenu semantique comme sur celui de I'expression. Des Jes annees de Leipzig et toujours plus clairement, Saussure a dO eprouver la « vanlte • (Letires, 95) d'une approche parcellaire des fails linguistiques, la necesslte de tout recommencer a la lumiere du concept operatoire de systerne. G. Mounin (1966) a montre que ce concept resta en grande partie etranger a Meillet. Saussure, ecrase par la conscience de I' « immensite du travail • a accomplir pour instaurer efflcacement la nouvelle linguistique (Lellres 95), n'apparaissait a son disciple parisien que comme un homme tourmente de complexes hypercritiques. En realite, conscient de l'exceptionnelle dlfflculte de la tache, a laquelle ii se preparalt en 1894 (voir infra), ii pref era Ia projeter dans un lointain avenir et la considerer comme une tache collective. 11 ecrit ainsi dans son compte rendu de la Kriiik de Schmidt : Quand on fera pour la premiere fois une theorle de la Iangue, an des tbut premiers prlncipes ... est que jamais, en aucun cas, une regle qui a pour caractere de se mouvoir dans un elal de langue ( = entre 2 termes contemporalns), et non dans un evenemenlphonelique ( = 2 termes successifs) ne peut avolr plus qu'une validite de hasard (Rec. 540). A la question posee par Godel ( • Quelle place a tenue, au juste, la linguistique generate dans la carriere et l'actlvite scientiflque de F. d. S. • (S. M. 241), ii semble done que l'on doive repondre en conflrmant ce que Bally et Sechehaye ecrivaient en ouverture a la preface du C. L. G. : Nous avons blen souvent entendu Ferdinand de Saussure d~plorer l'insufflsance des princlpes et des methodes qui earacterlsalent la llngulstlque au milieu de laquelle son genie a grand!, et toute sa vie II a recherche oplniAtrement les lois directrices qui pourraient orienter sa pensee a travers ce chaos L. G. 7). ,c. L'afflrmation qui suit imrnedlatement, au contraire, n'est pas tout A fait exacte : • Ce n'est qu'en 1906 que, recueillant la succession de Joseph Wertheimer a l'unlverslte de Geneve, ii put faire connattre 352 NOTES BIOGRAPHIQUES SUR F. DE SAUSSURE ET CRITIQUES Jes idees personnelles qu'il avait mOries pendant tant d'annees, , En realite, comme nous l'avons plusieurs fois souligne, Saussure avait deja rendu publics des I'epoque du Memoire et de sa these une serie de points de vue generaux, A ce que l'on a deja dit s'ajoute le temot. gnage d'Adrien Naville, doyen de la Faculte des lettres et sciences sociales de Geneve •. II s'accorde avec les autres manifestations publiques de la pensee saussurienne et avec les notes manuscrites que nous connaissons aujourd'hui pour montrer que Saussure parvint tres rapidement a quelques idees fondamentales et qu'ensuite, plus lentement et plus difficilement, ii se preoccupa de l'elaboratton des liens reciproques, du tissu des arguments justiflcatifs, des innombrables corollaires. C'est sous l'aspect de cette elaboration que la pensee saussurienne reste inconnue avant Jes cours genevois, et cet aspect nous permet aussi de dire que Ies questions theoriques ont occupe, avec une Intensite variable, l'esprlt de Saussure. Mais, repetons-le, certaines Idees centrales de la pensee saussurienne, I'Idee de valeur relationnelle, oppositive des entltes linguistiques, l'ldee connexe de systeme, la necesstte consequente de distinguer une linguistique des etats d'une linguistique des realisations et des evolutions, sont des idees acquises de Iaeon precoce par le Genevois. 9. Dans Nouvelle classiflcallon des sciences. Elude philosophique (Paris 1901), A. Naville reelaborait entierement un ecrit anterieur (De la classification des sciences. Elude loqique, Geneve-Bale 1888) ; au chapitre V (sciences psychologiques), paragraphe B, consacre a la sociologie, II ecrit (p. 103-106): • La sociologie est la science des lols de la vie des ~tres consclents - speelalement des hommes - en societ». Elle dolt admettre comme donnees toutes les conditions sans lesquelles nous ne pouvons pas nous representer la vie soclale. Quelles sont ces conditions? Je ne sais si la science Jes a deja sufflsamment dlstinguees et enumerees, Une des plus apparentes, c'est l'exlstence de slgnes par lesquels les ~tres assocles se font connattre les uns aux autres leurs sentiments, leurs pensees, leurs volontes, M. de Saussure lnslste sur l'lmportance d'une science tres generate, qu'll appelle ,emiologie et dont l'objet serait Jes lois de la creation et de la transformation des signes et de leurs sens. La semiologie est une partie essentielle de la sociologie. Comme le plus Important des systernes de signes c'est le langage conventlonnel des hommes, la science semtologtque la plus avancee c'est la linquisiique ou science des lots de la vie du langage. La phonologie et la morphologie traitent surtout des mots, la semantique du sens des mots. Mais ii y a certainement action reciproque des mots sur leur sens et du sens sur les mots ; vouloir separer ces etudes l'une de l'autre ce seralt mal comprendre leurs objets. Les linguistes actuels ont renonce aux explications purement biologiques (physiologiques) en phonologie, et considerent avec raison la linguistique comme une science psychologlque. La llnguistique est, ou du molns tend a devenir de plus en plus, une science de lols ; elle se distinguera toujours plus nettement de I'histolre du langage et de la grammaire. Une autre condition de la vie soclale... c'est la contrainte ... Le developpement du langage Iut-rneme suppose la contralnte ... Des lnnombrables sciences sociologiques desirables, une seule, outre la llnguistique, semble s'approcher d'une constitution vraiment scientiflque. e'est l'economique. 6. LES COURS DE LINGUISTIQUE OENERALE. LES DERNIERES 353 ANNEES Wertheimer a Ia retraite (supra 324), la Iaculte des lettres et sciences sociales de Geneve confle a Saussure, par l'acte du 8 decembre 1906, l'enseignement de e linguistique gene_rale et d'histoire et comparaison des langues Indo-europeennes •, ajoutant aux quatre heures hebdomadaires de grammaire comparee et de sanscrit deux heures de linguistique generate (S. M. 34). Murel ecrit a ce propos (conflrmant Bally C. L. G. 7) : Bien qu'll ne les alt pas dlrectement ab_ordes dans ses ec_rl~ les problemes generaux de l'evolution et de la psychologie du langage sollicitalent sans cesse ce haul esprit a des profondes et originales meditations. Ainsi, lorsque le professeur Wertheimer prit sa retraite, nous tomes heureux que Saussure voulO.t blen ..• se charger du cours de linguistique generate (in F. d. S. 45-46). L. Gautier a reconstltue en 1949 la liste des inscrits, plus nombn:ux qu'aux cours precedents (Favre et Muret in F. ~- S: 31 et 47) : c1~q pour Ja premiere annee, parmi lesquels A. Riedlinger (S. M. 1:>), ou six avec Louis Caille (Godel 1959.23 note et S. M. 53); onze pour le second cours parmi lesquels A. Riedlinger, L. Gautier, F. Bouchardy (S. M. 15), E~ Constantin (Godel 1959.23-24); douze pour le trotsieme, panni lesquels G. Degallier, F. Joseph, Mme Sechehaye (S. M. 15), E. Constantin (Godel 1959). Un eleve assidu est Paul F. Regard, qui a Iaisse d'importants temoignages sur les cours (Regard 1919.3-11). Les trois cours s'etalent du 16 Janvier 1907 au 3 juillet 1907, de la premiere semaine de novembre 1908 au 24 juin 1909, du 29 octobre 1910 au 4 juillet 1911 (S. M. 15, 66, 77, 91, Godel 1959.23-24). Dans le premier cours, d'allure analytique, Saussure traite avant tout de • phonologie • ou de Lautph.ysiologie, puis de linguistique evolutive des changements phonetiques et analogiques, du rapport entre 'unites percues par le locuteur en synchronie (analyse ~ su~jective •) et racines, suffixes et autres unltes-isolees de la grammaire historique (analyse • objective •), de I'etymologie populaire, ~es problemes de la reconstruction. Ce soot les sujets relegues par les editeurs dans les parties marginales (appendices, derniers chapi!res) du C. L. G. Dans le second cours (1908-1909), au contratre, Saussure aflronte tres vile et avec decision le probleme du rapport entre theorie des signes et theorie de la langue, et donne en ouverture Jes de_flnitions de systeme, unite, Identite et valeur linguistique. 11 deduit d~ ce corpus de definitions fondamentales l'existence ~e d~ux ~er_spect1ves methodologiques diflerentes pour I'etude des faits lmgu1st1q~es: la description synchronique et la description diachronique, dont il trace rapidement Ies problemes. Le second cours reflete en somme la pre- 354 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES occupation rnanitestee 1909 (S. M. 29-30): a Riedlinger lors de l'entretien du 19 Janvier La langue est un systeme serre, et la theorle dolt Hre un systeme aussl serre que la langue. La est le point difficile,car ce n'est rien de poser a la suite l'une de l'autre des affirmations, des vues sur Ia Jangue : le tout est de Jes coordonner en un systeme. Durant le meme entretien, Saussure manifeste plusieurs fois son insatisfaction pour I'allure du cours, pour le caractere non deflnltlf de ses idees, et presente Jes Ieeons de I'annee comme • une preparation pour un cours philosophique de linguistique •. Le trolsleme cours va precisernent dans cette direction : ii Integre l'ordre deductif du second cours a la richesse analytique du premier. II developpe au debut le theme • les Iangues •, c'est-a-dire la Iingulstique externe. C'est la un vieux postulat de Saussure : deja en 1891, dans les trois lecons d'ouvcrture aux cours genevois, ii avait soutenu que Jes plus elementalres phenomenes du langage ne seront soupeonnes ou clalrement apercus, classes et compris, si J'on ne recourt en premiere et dernlere Instance a I'etude des lanques ... D'un autre cote, voulolr etudier Jes Iangues en oubliant que ces langues sont prlmordialement regies par certains principes qui sont resumes dans I'ldee du langage, est un travail encore plus denue de toute signification serieuse, de toute base scientifique veritable. Sans cesse, par consequent, l'etude generate du langage s'alimentera des observations de toutes sortes qui auront ete faites dans le champ particulier de telle ou telle langue ••• (Nole& 65). Une dialectique incessante lie I'etude generate et l'etude historicodescriptive : mais d'un point de vue didactique, le prius revient aux • langucs , car • l'exercice de cette fonction [le langage] n'est abordable que ... part le cote des Iangues existantes • (ibid.). Ce plan, selon lequel Ia theorie part des « langues D pour atteindre ensuite la • Iangue • dans son unlversallte et, enfin, l' • exercice et taculte du Iangage chez Jes individus • (Godel Notes 65), est le testament Iinguistique saussurienne. II n'apparatt cependant pas tres clairement dans !'organisation du C. L. G. (voir C. L. G. 9, note 11). Du reste, Regard faisait deja observer (1919, 10-11) : le point falble de I'ouvrage, en general excellent, qu'ont publle MM. Bally et Sechehaye, est de laisser croire que F. d. S. a separe le changement lingulstique des conditions exterieures d'ou II depend et de l'avoir ainsl prive de realite et redult a une abstraction necessalrement inexplicable. Dans le trolsleme cours, Jes caracteres generaux de Ia • Iangue • sont ainsi tires de I'etude des • Iangues •, mais l'etude de la taculte de Iangage • chez Jes individus • est a peine ebauchee. Lors de l'entretien avec L. Gautier du 6 mai 1911, Saussure se declare encore une fois lnsatisfait : SUR F. DE SAUSSURE 355 Je me trouve place devant un dllemme : ou blen exposer le sujet dans toute sa complexlte et avouer tous mes doutes, ce qui ne peut convenlr pour un cours qul dolt ~tre rnatlere a examen. Ou blen faire quelque chose de slmpllfte, mieux adapte a un auditolre d'etudlants qui ne sont pas llngulstes. Mais a chaque pas, je me trouve arrete par des scrupules ..• (S. M. 30). La« premiere verite • (c'est-a-dire que « la Iangue est distincte de Ia parole ») et• ce qui est essentiel •, ou encore « le probleme des unites •, lul apparaissent clairement ; mais ii affirme que pour parvenir a une conclusion sure ii lui faudrait • des mois de meditation exclusive • ; et Saussure hesite a reprendre de vieilles • notes ... perdues dans des monceaux D et a • recommencer des longues recherches pour Ia publication • a propos • des sujets qui m'ont occupe surtout avant 1900 •. Cette derniere allusion se trouve pleinement confirmee par le materiel inedit, sur Ia base duquel on peut dire que la periode d'attention la plus intense pour I'elaboratlon d'une theorte generate achevee de la langue se place entre 1890 et 1900. En 1891 les Iecons inaugurales de Geneve abordent Jes problemes du rapport entre evolution et conservation linguistiques (qui est vu comme un rapport dialectique) et entre linguistique generale, linguistique historique et philologie (S. M. 37-39, Sechehaye in F. d: S. 62). Baily (1913.9) parle de recherches generates remontant a « vingt ans avant •, done aux alentours de 1893. Le document prive le plus important sur ce point est la lettre a Meillet du 4 Janvier 1894 : Le commencement de mon article sur !'Intonation va parattre ... Mais je suis bien degoute de tout cela, et de la difflculte qu'il y a en general a ecrlre seulement dix lignes ayant le sens commun en matlere de falls de Iangage. Preoccupe surtout depuis longtemps de la classification logique de ces falts, de Ia classification des points de vue sous lesquels nous Jes traitons, je vols de plus en plus a la fois I'tmmensite du travail qu'il faudrait pour montrer au linguiste ce qu'il fail ; en reduisant chaque operation a sa categorie prevue ; et en meme temps l'assez grande vanlte de tout ce qu'on peut faire flnalement en linguistique. C'est, en dernlere analyse, seulement le cote pittoresque d'une langue, celul qui fait qu'elle differe de toutes autres comme appartenant a certain peuple ayant certaines orlgines, c'est ce cote presque ethnographique, qui conserve pour moi un interet : et preclsement je n'al plus le plaisir de pouvoir me livrer a cette etude sans arriere-pensee, et de joulr du fait partlculler tenant a un milieu particulier. Sans cesse l'ineptie absolue de la termlnologle courante, la necessite de la reformer, et de montrer pour cela quelle espece d'objet est Ia Iangue en general, vlent gater mon plaisir historique, quoique je n'ale pas de plus cher vceu que de n'avoir pas a m'occuper de la langue en general. Cela flnlra malgre mo! par un llvre ou, sans enthouslasme nl passion, j'expliquerai pourquoi ii n'y a pas un seul tenne employe en llnguistique auquel j'accorde un sens quelconque. Et ce n'est qu'apres cela, Je l'avoue, que Je pourral reprendre mon travail au point ou je l'avais Iaisse. Voila une disposition, peut-etre stupide, qui expllqueralt a Duvau pourquoi par exemple j'al fait trainer plus d'un an la publication d'un article qui n'offralt, materiellernent, aucune difflculte, sans arriver d'ailleurs a eviler Jes expressions logiquement odieuses, parce qu'il faudralt pour cela une reforme deeldement radicale (Letlres 95-96). 356 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES De ce travail de • retorme decldement radlcale • tente entre 1893 et 1894 ne restent que peu de notes manuscrites. Celle redlgee sous la forme la plus definitive est la note 9 (S. M. 36, Notes 55-59 ; et voir infra C. L. G. 157, 169) dans laquelle ll precise pourquoi la langue est une forme et non pas une substance. Cet eclairclssement a probablement ete fondamental dans la biographle intellectuelle de Saussure. II prepare I'elolgnement du conventlonallsme whltneyen, qui l'avait sans doute domlne au debut : en effet, la redaction du llvre projete dans la lettre a Meillet dolt avolr ete interrompue lorsque, apres la mort de Whitney (17 [uln 1894), I' American Philological Association l'lnvlta a partlclper a la commemoration du llnguiste a l'occasion du premier congres des llngulstes arnertcalns qui devalt se tenlr a la ftn de decembre 1894 a Philadelphle. En novembre, Saussure ecrlt rapldement environ solxante-dlx pages (S. M. 32) : mals ce travail ne fut pas non plus termlne et Saussure n'envoya pas meme un message en Amerique (S. M. 32). Les notes conservees (S. M. 43-46 et Notes 59-65) sont cependant precleuses : on y trouve acceptee l'Idee de Whitney selon laquelle la langue est une • Institution humaine • (S. M. 43), mats ll soullgne qu'elle se caracterlse par rapport aux autres types d'lnstltutlons par le fait qu'II n'y a aucun • lien lnterne • entre Jes elements qu'elle met en [eu, aucune necesslte Ioglque ou naturelle qui les lie. C'est pourquoi • le langage, non fonde sur des rapports naturels, ne peut Hre corrlge par la raison •. Seton Saussure, la limite du conventlonnalisme whitneyen et phllosophique est dans la croyance que realite phonique et signification sont quelque chose de donne, de salsissable, hors du systeme llnguistlque et anterleur ii. lul, si blen qu'il serait ensulte possible d'etabllr entre l'une et l'autre des liens conventlonnels. En reallte, avant d'etre mises en rapports, les entites en Jeu n'ont aucune consistance, aucune Indlvldualite : • une langue est tormee par uncertain nombre d'objets exterteurs que !'esprit utilise comme signes. Ce n'est que dans la mesure exacte oil l'objet exterieur est slgne (est apercu comme signe) qu'il fall partie du langage ii. un titre quelconque • (S. M. 43). L'expression et Ia notion d' • arhltralre du slgne • n'apparaissent pas expllcltement dans ces pages, mals elles en sont le terme (voir infra 361-365). L'Imposstblllte de determiner l'lndlvlduallte d'une entlte Ilngulstlque sur la base de sa consistance • phonologique • (ou, comme nous dirions aujourd'hui, phonetlque) est le theme de fond des notes manuscrites de 1897 (Notes 49-54) et des trots conferences utlltsees dans le C. L. G. 63 et sv. La reference au caractere differentiel et opposltif des entltes llngulstlques et ii. la • dualite fondamentale • consequente de la Iangue, qui nalt sur le terrain de l'accldent hlstorlque mals fonctlonne sans que compte aucunement l'hlstolre anterieure (et l'une et l'autre faces antlnomlques dependent de l'arbltralre constitutive du signe linguistlque), est commune dans les conver- SUR F. DE SAUSSURE 357 satlons prlvees (Muret In F. d. S. 47, Melllet F. d. S. 84, Sechehaye F. d. S.65: II Iul arrlvalt aussl de developper devant nous cette !dee, qui l'a sans cesse preoccupe et dont n a felt la clef de voOte de sa pensee en mattere d'organlsaUon et de fonctlonnement des langues, a savolr que ce qui lmporte, ce ne sonl pas tant Jes slgnes eux-mernes que les dlllerences entre Ies signes qui constituent un jeu de valeurs appositives. M@me sl Saussure s'etalt occupe auparavant de themes semblables (dans Jes notes sur Whitney, ll se dit convaincu • depuls plusleurs annees • de la • duallte fondamentale • de la llngulstlque [S. M. 45], on lit une expression analogue, • preoccupe depuls longtemps •, dans Ia Iettre a Meillet de Janvier 1894, et ces deux affirmations sont, nous I'avons vu, amplement eonflrmees), comme l'a soutenu Gode" la perlode de meditation la plus grande, la plus Intense, est certalnement la dernlere decennle du slecle, Cependant les cours revelent encore la perslstance d'osclllatlons, d'lncertitudes dans la pensee de Saussure (Regard 1919.11). II n'y a qu'une seule taeon de les expliquer : 11 a fallu un deml-slecle a la Unguistlque pour comprendre ce qu'etalt reellement l'arbltralre du stgne dont parle Saussure, pour assimiler la notion de valeur, pour redecouvrlr la notion d'economle et le caractere discret des entltes llnguistlques sur le plan du contenu et de }'expression, pour reposer le probleme des universals of language et de la definition expliclte des exigences d'une theorie de la description linguistique. Comme Peirce, Kruszewski, Baudouin, Marty et Noreen, Saussure est en avance d'un deml-slecle sur son temps : d'un slecle msme si l'on tlent compte du fail que Jes tdees directrices de sa pensee sont deja acqulses lors des travaux des annees de Leipzig. On a dit que c'est un grand malheur pour un savant que de • decouvrir I' Amerlque •, de trouver quelque chose qui est en reallte connu depuls Jongtemps: mals c'est un drame encore plus grand que celul des Vikings, decouvrant I' Amerlque trop t~t. Saussure a vecu ce drame, cette sclsslon entre le sens d'evldence et de triviallte que degage une verlte fondamentale, une fois qu'elle est acquise, et le sens douloureux de son isolement dans !'elaboration et le developpement de cette vertte, L'lmpresslon generalc... est qu'll sufflt du sens commun ... pour faire evanoulr tous Jes tantomes ... Or cette conviction n'est pas la nOtre. Nous sommes au contralre protondernent convalncu que quiconque pose le pied sur le terrain de Ia langue peut se dire qu'il est abandonne par toutes Jes analogies du clel et de la terre .•• (Noles 64). Durant Ies dernleres annees, ii commence cependant a ~tre reconnu : la science allemande lui est encore hostile (Lettres 108), mals l' Ablaul de Hirt entame cependant la discussion du Mimoire : celul qui, apres la mort de Duvau, est le meilleur de ses eleves, Meillet, lul dedie son 358 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES ehet-d'ceuvre, l' Introduction; le 14 juillet 1908, le meme Melllet et les eleves genevois lul ofirent, au cours d'une afiectueuse cerernonle, un melange d'etudes (Muret, De Crue, Bally in F. d. S. 47-48, 23, 51 et Bally 1908); en 1909 il est nomrne membre de l'Academle danoise des sciences et un an plus lard membre correspondant de I'Institut de France (Lettres 120-121, De Crue et Murel in F. d. S. 23 et 48). Pourtant, ecrlra Gautier en 1916, « cet homme ... a vecu solitaire •. Son « image derniere • est celle d'un « gentilhomme vieillissant, au maintien digne, un peu las, portant dans son regard reveur, anxieux, I'Interrogation sur laquelle se refermera desormais sa vie » (Benveniste 1965.:!4). Une tristesse incertaine domine les entretiens avec Riedlinger (S. M. 29) et Gautier (S. M. 30). Au cours de I'ete 1912, Saussure est oblige par la maladie de suspendre son enseignement, ii se retire au chateau des Faesch a Vufflens, cherche encore a se pencher sur de nouvelles eludes, comme la sinologie (sur les traces peut-etre de son Irere Leopold), mais son etat s'aggrave jusqu'au soir du 22 Ievrler 1913 oil survient la mort. La « Gazette de Lauzanne » du 27 fevrier ecrit : Les demlers honneurs ont ete rendus a la depoullle morte11e de Ferdinand de Saussure. La ceremonie a eu lieu a Genthod. Elle a commence dans l'egllse oil, devant une foule nombreuse, M. Lucien Gautier, pasteur et protesseur, a prononce... une allocutlon ... Le doyen de la Faculte des Lettres et des Sciences Sociales de l'Unlversite de Geneve, professeur Francis De Crue, a retrace ensuite la carriere du defunt. Sur la tombe, le pasteur Georges Berguer a prononce la pnere d'adleu. Quelque temps apres Meillet ecrira : Il avalt prodult le plus beau llvre de grammaire comparee qu'on alt ecrlt, seme des ldees et pose de fermes theories, mis sa marque sur de nombrcux eleves, et pourtant ii n'avalt pas rcmpll toute sa destinee, Pour completer cette destlnee devalt venir la publication du C. L. G., le travail critique de deux generations de linguistes, I'ample et feconde expansion de sa pensee « comme une seconde vie, qui se confond desormals avec la notre • (Benveniste 1963.21). 7. LA FORMATION DE LA LINGUISTIQUE GENERALE DE SAUSSURE Comme l'a ecrit R. Engler (1966.35), « le systeme n'est pas ne tout arme de la tete de Saussure ». II est le resultat, demeure d'ailleurs prive de son ultime reorganisation, d'acquisitions successives, dont certaines furent, nous l'avons vu, tres precoces, Mais, avant meme ces acquisitions, il faut rappeler l'enseignement de ses premiers maltres, et plus loin encore dans le processus de formation d'une theorie, les traits Innes d'une personnallte aussl slngullere, traits qui se separent SUR F. DE SAUSSURE 359 mal de ceux objectivement dlscemables dans l'ceuvre theorique et dans les avatars de sa formation. L'habitude de la reflexion scientiflque est, comme nous l'avons dlt, hereditaire pour Saussure (supra 321); ainsi peut-etre que le gout pour • tous les sphynx • (supra 323), rentorce par le contact precoee avec Pictet, pour la recherche, dans tous les domaines, des fails tondamentaux (supra 330). II n'y a la aucun mysticisme mais, au contraire, le besoin d'eviter les • formules solennelles •, de comprendre jusqu'au fond et soigneusement les choses, et de les faire comprendre (supra 336). C'est la la racine de son attitude dialectique et problematique qui surprit deja ses contemporains (supra 323). Enfin, si l'on garde I\ l'esprit le fail que l'intuition du caractere objectlvement structure, • systemlque •, des entites linguistiques, est preliminalre a la precoee decouverte de la nasalis sonans (supra 324) et au « systeme general du Jangage • (supra 323) encore anterieur et quasi infantile, on peut se demander si l'idee de systeme n'est pas une sorte d'entelechie de la vie intellectuelle de Saussure, un principe final, point culminant de sa meditation theorlque lie aux origmes mernes de son genie. Parmi ceux qui ont directement contribue a la formation de Saussure, Pictet, comme nous l'avons dit (supra 322-323), semble etre celui qui a exerce la plus grande influence. La rencontre avec les savants de Leipzig et de Berlin a certainement contrlbue a donner a Saussure une maltrise achevee des techniques de l'analyse comparative des langues. Mais, en l'absence de documents plus precis, ii est impossible de reconnaltre a l'un quelconque d'entre eux un role comparable a celul de Pictet ou des mattres spirituels comme Bopp (pour lequel supra 324) et surtout Whitney (supra 332 et sv.). Dans la periode parisienne, Saussure put en outre certainement approcher G. Paris (supra 342) : celui-ci ( et pas Breal) est signale avec H. Paul, P. Meyer, H. Schuchardt, Baudouin et Kruszewski (pour lesquels voir supra 339 et note 7), dans la maigre lisle de ceux « qui ont fait faire un pas a la connalssance du langage • (Notes 66), lors de la leeon inaugurale des cours de Geneve. Parmi les premieres acquisitions theoriques conscientes de Saussure se trouve la notion de nature oppositive et relationnelle des entltes linguistiques, deja presente dans le Memoire (supra 330) et dans la these sur le genltl] absolu (330), reprise ensuite dans les cours parisiens (337) et dans les eludes sur le lituanien (Meillet in F. d. S. 82, et supra 341). La notion de systeme, complementaire de celle-cl, domine egalement dans le Memoire (supra 330), dans les cours parisiens et dans les eludes sur le lituanien (Rec. 514, et volr supra 341). Ces deux acquisitions ont eu de precoces reffets sur le plan de la methode de recherche et de la theorie de cette methode : grace a elles, l'analyse d'une entite linguistique devient recherche de son • caractere 360 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES distinctif • par rapport aux autres entites coexistant avec elle (supra 331), et la description d'une langue est, avant tout, • linguistique d'un etat •, deja distincte de la linguistique evolutive dans Jes lecons parisiennes de 1882 (supra 337) et ensuite dans le compte rendu de Schmidt de 1897 (supra 350-351). Ditlerentes consequences proviennent de ce premier noyau d'Idees , avant tout un soin philologique extreme dans la description d'une langue, soin qui se traduit par une pedagogie attentive et severe (supra 344, 350) ; ceci permet, dans les comparaisons de langues vivantes, de remplacer la connaissance due aux schematisatlons livresques par la connaissance directe, concrete, a travers la recherche sur le terrain (supra 332). L'idee de systeme, qui porte a distinguer Iinguistique statique et linguistique evolutlve, porte aussi a percevolr la distinction et le lien entrc systeme et realisation du systeme, langue et parole, perception qui remonte au voyage en Lituanie isupra 331) et qui fut plus lard rentorcee par la rencuntre avec Baudouin et la decouverte de Kruszewski (supra 339 et note 7). Un corollaire de cette distinction est la distinction entre etude physiologique et elude • historique • du systeme phonematlque d'une Iangue, deja afftrmee dans le rapport sur le cours parisien de 1881 (supra 337). Ces idees nouvelles se situent initialement dans le cadre du conventionnalisme de Whitney: l'allusion ace demier est transparente dans la premiere tentative de synthese des vues generates sur Ia a vie du langage » entreprise par Saussure en 1885 (supra 338). La conception de Whitney doit toutetois avolr laisse Saussure relativement Insatlsfait, et il n'abandonne pas, apres 1885, les reflexions sur la theorie generate. Cette exigence, afflrmee dans le compte rendu de Schmidt de 1897 (supra 351), est deja [ustiflee lors des leeons inaugurales de 1891 dans lesquelles, comme nous l'avons dit (supra 354), n defend la necesssalre complementante des analyses partlculieres et de la theorie generate. Et c'est au nom de cette exigence que le factualisme de la Ilnguistlque positiviste contemporaine repugne a Saussure, factualisrne rempli de postulats inconscicmment lies a la terminologie adoptee : I'exigence d'une reconstruction de I'apparat termlnologique (et done conceptuel) grace auquel la iinguistique pourra cerner les phenom_enes est presente des I'epoque de la these (supra 331), mals elle devlent dominante vers 1894, comme ii apparatt dans la premiere lettre a Meillet, de 1894 precisement, et dans la note manuscrite, egalement de 1894, cltee plus loin. C'est au cours de ces annees que Saussure mOrit ses Idees les plus originales, celles dans lesquelles on ne vit qu'avec une grande lenteur les ldees centrales de la pensee saussurienne : l'ldee de la langue comme tonne, l'Idee de la relatlvite, de l'arbitraire et de l'hlstoricite radicale de l'organisation linguistique tout entlere. Un temoignage precleus nous a ete lalsse, a ce propos, par Sechebaye : SUR F. DE SAUSSURE 361 En plus d'une occasion U voulut blen nous lnltier au travail de sa pensee, D aborda dans des entretlens famlliers ces questions de metnode, ces problemes theoriques qu'U a traltes plus tard ... dans ses cours de llngulstique generale, •. D lul anivalt aussl de developper devant nous cette Idee, qui l'a sans cesse preoeeupe et dont ll a fall la clef de voute de sa pensee en matlere d'organlsation et fonctlonnement des langues, a savolr que ce qui lmporte, ce ne sont pas tant lea slgnes eux-memes que les differences entre les slgnes qui constituent un Jeu de valtun opposltives (Sechehaye In F. d. S. 65). Nous retrouvonscette«clef de voOte •dans les notes de 1893 et 1894, &auches du livre dont parle Saussure dans la lettre a Melllet de 1894 et Q>aucbes de !'article sur Whitney : Quelques Illumines ont dlt: • Le langage est une chose tout a fall extra-humatne, et en sol organtsee, comme seralt une vegetation parasite repandue A la surface de notre espece, • D'autres : • Le Iangage est une chose humaine, mals a\ la facon d'une fonctlon natureUe. • Whitney a dlt : • Le langage est une iNli· tulion bumalne. • Cela a change l'axe de la llngulstlque. La suite dlra, crayons-nous : • C'est une Institution bumaine, mals de telle nature que toutes les autres Institutions humaines, sauf eelle de l'ecrilurt, ne peuvent que nous tromper sur sa veritable essence, sl nous nous ftons A leur analogle. • Les autres Institutions, en eflet, sont toutes tondees ( A des degres divers) sur Jes rapports nalurels des choses... Par exemple, le droit d'une nation, ou le syateme polltlque - meme la mode capricleuse qui ftxe notre costume, qui ne peut s'karter un Instant de la donnee des proportions du corps bumaln. Mais le langage et I'ecrlture ne soot pas [onde» sur un rapport naturel des choses. D n'y a aucun rapport, a aucun moment. entre un certain son slffiant et la fonne de la lettre S, et de meme II n'est pas plus difficile au mot cow qu'au mot oocca de designer une vacbe. C'est ce que Whitney ne s'est Jamais lasse de repeter pour mleux faire senUr que le langage est une institution pure. Seulement cela prouve beaucoup plus, ii. aavolr que le langage est une Institution ,ans analogue (sl l'on y Joint I'ecrlture) et qu'll serait presornptueux de crolre que l'hlstolre du langage dolve ressemblu m!me de loin, apres cela, A celle d'une autre Institution (Noia 59-60). Cet eclalrcissement du caractere partlculier des Institutions Ilngulstiques, ce • beaucoup plus • par rapport au conventionnalisme de Whitney, se trouve dans la longue note pour la preface au livre de linguistique generate qu'il imagine en 1893-1894: rien n'est substance dans la Iangue, ou encore rien ne subsiste de fa~on autonome en tant que linguistique, et, au contraire, tout est fruit des « actions combmees ou isolees de forces physiologiques, psychiques, mentales •. C'estA-dire que la langue n'est pas le point de rencontre, determine par convention, entre une certaine substance acoustique et une certaine substance mentale (les • concepts •): A mesure qu'on approfondlt la matlere proposee a l'etude llngulstlque, on se convalnc davantage de cette verlte qui donne, II seralt Inutile de le dlsslmuler, slnguherernent a reflechlr ; que le lien qu'on etabllt entre les choses preexlste, dans ce domalne, au. cho,u ellu·m~mes,et sert Ales determiner (Notes 56). Les distinctions de la langue n'ont de justification qu'en ellesmemes, et non pas dans la nature du materiau acoustlque ou conceptuel dans lequel elles operent. NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES De h\ decoule la necesslte de la plus grande rigueur formelle dans la theorie des faits linguistlques. Puisque ce n'est pas un domaine dans lequel les choses puissent etre considerees d'un point de vue ou d'un autre, mais au contraire entrelace de distinctions arbltralres, ii faut un travail preliminalre de definition de ces distinctions premieres: La theorte du langage aura pour plus essentlelle Uche de dem~ler ce qu'll en est de nos distinctions premieres. II nous est Impossible d'accorder qu'on alt le droit d'elever une theorie en se passant de ce travail de definition, quolque eette maniere commode alt paru satisfaire [usqu'a present le public llnguistique (Notes 55-56). Le caraetere correlatlt de toute entlte linguistique est ulterieurement conftrme dans le passage suivant : On n'a jamais le drolt de considerer un cOte du Iangage comme anterleur et superieur aux autres et devant servir de point de depart. On en aurait le droll s'll y avalt un cdte qui rot donne hors des autres, c'est-a-dire hors de toute operation d'abstractlon et de generalisation de notre part ; mais ll suffit de reflechlr pour voir qu'il n'y en a pas un seul qui solt dans ce cas (Notes 56). Le corollalre extreme de cette suite de reflexions a un slnguller earactere hegelien JO : A chacune des choses que nous avons conslderees comme une verlte, nous sommes arrives par tant de voles dillerentes que nous avouons ne pas savolr celle que l'on doit preterer. II faudrait, pour presenter convenablement I'ensemble de nos propositions, adopter un point de depart ftxe et bien defm], Mais tout ce que nous tendons a etablir, c'est qu'II est faux d'admettre en Ilngulstlque un seul falt comme deflnl en sol. II y a done veritablernent absence necesaalre de tout point de depart, et sl quelque lecteur veut blen sulvre attentlvement notre pensee d'un bout a l'autre de ce volume, ll reconnaftra, nous en sommes persuades. qu'il etalt impossible de sulvre un ordre tres rlgoureux (Notes 56-57). Le probleme de l'ordre a donner aux theses de la theorie linguistique a continue a se poser dans l'esprit de Saussure jusqu'aux dernieres 10. Cf. G. W. F. Hegel, Precls de I' Encyclopedie des sciences philosophlquu, trad. franc;alse de J. Gibelin, Paris 1970, p. 29 (§1): • La philosophie est privee du privilege qui profile aux aulres sciences de pouvoir presupposer ses objets comme donnes immediatement par la representation, ainsl que la methode de connaissance pour commencer el poursuivre ses recherches, comme adoptee deja precedemment, Son objet, II est vral, lu! est commun avec la religion..• Sans doute la philosophle peut bien presumer une connalssance de son objet, elle doit meme la presumer, alnsl qu'un Interet pour cet objet, deja pour la raison que la conscience a des representations des objets avant d'en avoir des notions (Begrifle) el que I'esprit qui pense, n'arrive a la reflexion qui connatt et comprend qu'en passant par la representation el en s'y rapportant. Or la pensee qui observe, volt bientet que cette elude exige de montrer la nlcessit~ de son contenu et de demontrer aussl blen l'!tre que les determinations de ses objets. La simple connalssance de ces objets apparatl done comme insufflsante, de meme qu'avancer ou admettre des suppositions et des affirmations, comme inadmissible. La difflculte du commencement toutefois se presente en m!me temps, car un commencement, en tant qu'immediateU, etablil une presomption ou encore mleux, en est une. • SUR F. DE SAUSSURE 363 annees, comme le montrent un passage deja cite des entretlens avec Riedlinger (supra 354) et les changements de plan des trols cours. n est probable que la conception d'une semiologie comme theorie gen*'. rale des signes, anterleure a 1901 (date de publication de ia Classifi­ cation du sciences de Naville qui fail reference a la nouvelle science saussurienne : supra note 9), et la formulation, connexe a cette conception, du c premier principe ,, c'est-a-dlre du principe de l'arbitralre, ont represente pendant quelques annees une solution satlsfaisante pour Saussure, comme le montre le fail que c'est Ia-dessus que se fondent l'incipit et l'allure generate du second cours. Et pourtant le plan change lors du passage du second au trolsieme cours (supra 354), et ce n'est que dans la leeon du 19 mai 1911, alors qu'il est desormals a la fin de son troisleme et demier cours, que Saussure introduit les termes signifM et signifianl (S. M. 85), necessaires pour formuler de fa~,m plus rigoureuse le princlpe de l'arbitralre expose en d'autres termes douze jours avant (S. M. 82) et repris sous cette rorme plus profonde uniquement dans les deux dernleres leeons du cours, le 30 juin et le 4 juillet (S. M. 90-92). A la limite extreme de son enseignement, Saussure volt done avec une pleine clarte que l'arbitralre du signe concerne, en l'historicisant radlcalement, non seulement la face signifiante mais aussi la face signiflee du signe et des langues, car Jes significations n'ont aussi de valeur que par rapport ace qui les entoure (S. M. 91, notes 150 et 151), et le monde des contenus, tout autant que celul des sons, est amorphe avant que n'intervienne l'agencement, arbitraire et par consequent • systemique • (et par consequent historique) de la langue (S. M. 91, 152). Ce n'est qu'a la fin que Saussure a decouvert le principe unificateur de la theorie de la langue (ou, du moins, ce n'est qu'a la fin qu'Il a considere pouvoir l'exposer a ses eleves). Selon les deux grandes conceptions traditionnelles des phenomenes linguistiques, on peut identifier une entite linguistique donnee comme cette entite partlcullere soil par le sens soil par le son. II y a d'innombrables faeons de realiser le mot Messieurs! mais ces innombrables realisations differentes trouvent leur identification dans le fail qu'elles expriment un sens qui est • le meme pour tons », selon la vieille affirmation artstotelicienne qui est a la base de ce point de vue. La critique de ce point de vue, la decouverte des fluctuations dans le monde des signifies, poussa la linguistique post-boppienne vers le son, • guide plus sur • (selon I'expresslon de Pott) que les signifies fluetuants pour I'etude des entites linguistiques. Messieurs I peut avoir une infinie pluralite de sens, mais ii reste que ces innombrables realisations se ressemblent phoniquement. Saussure part d'une conscience aigue des arguments des deux points de vue, c'est-a-dire de I'acceptation de ces deux faits: Jes formes phoniques varient indeflniment, les sens varient indeflnlment, 364 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES Entre une articulation de Messieurs! et une autre, ii y a un ablme, dans lequel peuvent s'Inserer en nombre Indeflni des articulations lntermediaires, de la meme Iacon qu'il y a un ablme entre un sens et un autre lies a l'une des realisations possibles du mot, entre Iesquels fl peut toujours y avoir egalernent de nouveaux sens intermediaires. Saussure note d'autre part que sens intermediaires et formes phonlques intermediaires peuvenl aussi s'Inserer entre les sens et les sons de mots consideres comme differents, En d'autres termes, il pereolt le caractere de contlnutte que presentent les manifestations concretes. les actes concrets de parole. Ce n'est pas par hasard que H. Schuchardt est cite parmi ceux qui ont fail progresser la connaissance du langage. Et si Saussure l'avait connue, ii aurait pu citer comme incipit de ses reflexions l'Esthetique de Croce. Cependant, dans ce monde de sens et d'articulations semblablement fluctuants dans lequel la continuite semble etre la seule regle objectivemenl en vigueur, les locuteurs d'une communaute Introduisent des discriminations et des identifications : Ia serie lndenombrable des articulations el des sens degrades de Messieurs I est ramenee a une unite et separee des articulations voisines (Monsieur! par exemple, ou Mes sreursl etc.) et des sens voisins (• Chers amis • par exemple, ou • Honorable public s, etc.). La ressemblance ou la dissemblance articulatoire et la ressemblance ou Ia dissemblance psychologique et logique ne parviennent pas a justifier de tels regroupements. Encore une fois (et bien que cela risque fort de scandaliser les bien-~ensants de l'historicisme comme ceux du structuralisme) les reflexions de Saussure parcourent exactement le chemin suivi par un Schuchardt ou, plus lard, par Croce. Et pourtant (et c'est la le debut de la divergence) ces regroupements sont bien reels: c'est sur eux que se Conde a chaque instant notre discours, dans lequel ces discriminations et ces identifications complementaires operent concretement, efiectivement. Sur quoi s'appuient done ces regroupements? Durant un certain nombre d'annees (entre Paris et Ies premieres annees de Geneve), Saussure a dQ considerer comme acceptable Ia reponse conventionnaliste de Whitney : une convention, et une convention seule, permet de reduire en unites les diflerentes articulations et les differents sens (ou bien la discrimination entre ces articulations et ces sens et des articulations et des sens voisins d'un point de vue phonique et psychologique). Mais le conventionnalisme (mise a par: sa faiblesse du point de vue historique concret, car on ne voit pas ou, quand et par quels moyens se passe Ia convention) presente une faiblesse theorique radicale : il suppose que les termes dont on dit que, par convention, l'Identlte est etablie, sont deja identifies. La langue, comme mecanisme qui preside aux identifications et aux diversifications, precede toute convention. C'est pourquoi celui SUR F. DE SAUSSURE 365 qui !'analyse se trouve • abandonne par toutes Ies analogies du ciel et de la terre •. La derniere reponse de Saussure est centree sur la theorle de l'arbitraire. Dans la serie Indeflnie des dlflerents produits phoniques comme dans la serie indeflnie des differents sens, toutes deux constltuant deux tissus continus, le langage separe des entites differentes, introduisant des limites entre lesquelles les phenomenes psychologlquement ou phoniquement differents sont identifies. La Iangue est le mecanlsme qui (au-dela de la volonte de l'individu) preside a ces identifications et aces discriminations. Elle est un ensemble d'articulations, de limites qui rendent discontinues (on dirait aujourd'hui diseretes) la masse des realisations phoniques et la masse des significations. Grace a la langue, le locuteur categorise une entlte phonique particuliere comme telle ou telle entite signifiante et une entite perceptive ou conceptive ou conceptuelle comme telle ou telle enttte signifiee. Dans ces categorisations, il n'y a aucune raison Intrinseque a la nature de la substance phonico-acoustique ou conceptuelle. (a) et [a:] sont classees comme des manifestations distinctes d'une meme entite symbolisee par /a/ en italien ou en dialecte napolitain, comme manifestations distinctes de deux entites distinctes symbolisees par /a/ et /a:/ (ou par ll et a) en Iraneals ou en lalin. Comme l'a vu Saussure avec une clarte croissante, il se passe la merne chose pour ce qui conceme Jes significations (lessens) et les signifies. Une Jeune creature de sexe feminin et une autre de sexe masculin sont ramenees a un seul signifle en allemand (e Kind s) ou en grect« "tixvov •), alors qu'elles sont ramenees a deux signifies differents en italien ( • bambino • et • bambina •) ou en latin (« puer • et • puella •). Les ressemblances et les differences phonico-acoustiques ou conceptuelles et psychologiques n'expliquent pas le pourquoi de ces Identifications et de ces discriminations. Elles n'appartiennent done pas au domaine du naturel, du cause, mais au domaine de !'accident historique. Elles sont, en d'autres termes, arbitraires. A son degre le plus profond (sur la Iegitimite de rechercher ce degre, voir Martinet 1957.115-116 et Godel 1959.32), le sens de l'arbitraire du signe est celui qui emerge non pas des pages tourmentees 100-101 du C. L. G., mais du chapitre IV de la seconde partie, consacree a Ia valeur linguistique (C. L. G. 155-169) : le signe linguistique est arbitraire parce que c'est une combinaison (arbitraire, mais cela n'a plus d'mteret de le relever) de deux faces, signifM et signi{iant, qui sont arbitraires dans la mesure oil elles uniflent (et discriminent) arbitrairement, sans egard pour des motivations d'ordre logique ou naturel, des sens disparates et des types disparates de realisations phoniques. La nature • systemlque • du slgne linguistlque vient de l'arbitraire. La delimitation des signes, Iiberee de toute motivation Iiee a la sub- NOTES BIOGRAPHIQUES 366 ET CRITIQUES stance conceptuelle ou phonique, est eonflee a la delimitation des signes par eux-memes. Et c'est parce que cette delimitation n'a pas d'autre base que l'usus loquendi d'une communaute linguistique que le systeme linguistique est de nature radicalement sociale sous toutes ses faces, la face semantique tout autant que la face phonematique ou morphologique (Frei). De l'arbitraire decoule egatement une methodologte renovee de la description des signes, que l'on doit mener non plus en tennes phonico-acoustiques ou ontologico-logico-psychologiques, mais en termes de differences phonico-acoustiques et ontologico-logico-psychologiques utilisees dans une Iangue donnee pour constituer diflerents signes possibles. Les principes de cette methodologie ne sont qu'esquisses dans le c. L. G. : ils ne furent pleinement developpes que beaucoup plus tard, dans les recherches des ecoles pragoise, franeaise et glosscmatique, et dans la construction d'une semantique fonctionnelle grace aux oeuvres des savants suisses (Frei, Burger, Godel), de Lamb et de Prieto. 8. LA FORTUNE DU C. L. 0. DANS LES DIFFtRENTS PAYS Le c. L. G. fut edite en 1916 (337 pages) puis, avec une nouvelle pagination demeuree inchangee (331 pages) en 1922, 1931, 1949, 1955, 1962 etc ... De nombreux comptes rendus (en general plutot critiques) accueillent la premiere edition: Bourdon 1917, Gautier 1916, Grammont 1917, Jaberg 1937.123-136 (public en decembre 1916), Jespersen 1917, Lommel 1921, Meillet 1916, Meillet 1917, Niedennann 1916, Oltramare 1916, Ronjat 1916, Schuchardt 1917, Sechehaye 1917, Terracinl 1919, Wackemagel 1916. La seconde edition eut aussi des comptes rendus: Abegg 1923, Gombocz 1925, Gregoire 1923, Lommel 1922, Lommel 1924, Marouzeau 1923, Uhlenbeck 1923. Nombreuses aussi furent les traductions : japonalse ( Gengogaku­ genron, trad. de H. Kobayashi, Tokio 1928, 28 ed. 1940 (avec une bibliographie pages 1-10), 3e ed. 1941 [avec une nouvelle preface], 4e ed. 1950) ; allemande ( Grundfragen der allgemeinen Spractuots­ senschafl, Berlin-Leipzig 1931, trad. de H. Lommel avec un bref Vorwort de remerciement envers L. Gautier, Bally, Sechehaye; l'reuvre, dont ont rendu compte Herman 1931, Ammann 1934 b, a ete reimprimee vingt-six ans plus tard, Berlin 1967, • mit neuem Register und einem Nachwort von Peter von Pohlenz •; russe (Kurs obicej lingvistiki, Moscou 1933, trad. H. M. Suhotin, eommentalre R. J. Sor, preface de D. N. Vvedenskij, cltee lei comme Vvedenskij 1933; premier numero de la collection« Jazykovedy zapada •, [amals reeditee; peu connue en Europe occidentale : cf. S. M. 24, note 3, Slusareva 1963.34); espagnole (Curso de lingiitstica general, trad. Amado SUR F. DE SAUSSURE 367 Alonso, dont la preface est lei cttee comme Alonso 1945, 2e ed. 1955, 38 ed. 1959, 48 ed. 1961) ; anglaise (Course in General Linguistics, New York, Toronto, Londres 1959, reimprtmee en paperback 1966, trad. de W. Baskin, avec une translator's introduction p. xr-xn; compte rendu de H. Frei C. F. S. 17, 1960.72-73; traduit langue­ parole­langage par language­speaking (ainsi que speechJ­[humanJ lan­ guage ; polonaise (Kurs iezykoznawstwa ogolnego, trad. de Krystina Kasprzyk, Varsovie 1961); hongroise (voir infra 374); italienne (par l'auteur de ce travail, 1re ed. Bari 1967, 4e ed. paperback Bari 1972). Tout cela ne suffit cependant pas a donner une idee de la vaste influence du C. L. G., mais permet plutot de rappeler qu'a partir de 1930, • il y a peu de travaux de linguistique generate ... qui ne commencent pas par un renvoi au Cours • (Malmberg 1954.9, et cf. Sechehaye 1940.1). II y a certes des silences : des eeuvres, dans lesquelles on ne manque pas de citer les savants a qui la linguistique doit des Idees essentielles, se taisent sur Saussure. C'est le cas du livre ... : vulgarisation de M. Pei (The Story of Language, 1re ed. Londres 1952, 2e ed. 1957) ou, a d'autres niveaux, des excellents manuels de H. A. Gleason (An Introduction to Descriptive Linguistics, New York 1956) et de Ch. F. Hockett (A Course in Modern Linguistics, New York 1958). Dans certain cas (Carroll 1953.15) le C. L. G. est cite parmi les hons manuels d'introduction a la linguistique : ce qui revient un peu a citer l'Odyssee parmi les ouvrages sur la technique de la navigation. Mais la fortune du C. L. G. aux U. S. A. exigera un plus large examen. De tacon generate, un renvoi au C. L. G. est pour ainsi dire une obligation. 11 s'agit souvent de simples mentions de quelques distinctions saussuriennes fameuses comme Ianque­parole, synchronie­ diachronie, siqnifte-siqniftan: : cf., a simple titre d'exemple, Otto 1934.180, Herman 1936-1938. I, II, Brendal 1943.92 et sv., Sturtevant 1947.3, Dieth 1950.3, 8, 16, Porzig 1950.108, Kronasser 1952.21, Carroll 1953.11, 12, 15, Baldinger 1957.12, 21, Ammer 1958.9 et sv., 46 et sv., 59, Schmidt 1963.6-10, Borgstrom 1963.4-5, Malmberg 1963.8-9. Deja, dans les cas cites, la reference se fait plus engagee vers la critique ; une evaluation d'ensemble a ete tentee dans de nombreux ecrits, parmi lesquels, en limitant notre choix aux plus signiflcatifs d'apres leur date, Ieur extension, leur resonance, on peut rappeler (par ord.re chronologique): Bally 1908, Havet 1908, Bally 1913, Id. in F. d. S. 51-57, Breai 1913, MeiUet 1913, Streitberg 1914 (ecrits anterieurs au C. L. G. mais cherchant cependant a evaluer dans son ensemble l'reuvre de Saussure, y compris dans ses aspects methodologiques expllcltes ensuite dans le C. L. G.); Gautier 1916, Jaberg 1937 (mais public en 1916), Meillet 1916, Wackernagel 1916, Grammont 1917, Jespersen 1917, Meillet 1917, Schuchardt 1917, Sechehaye 1917, Regard 1919.3-11, Terracini 1919, Lommel 1921, Id. 1922, Id. 1924, Jakobson 1929.16 et sv., Ipsen 1930.11-16, Pagliaro 1930.86 et sv., 368 NOTES BIOGRAPHIQUES SUR F. DE SAUSSURE ET CRITIQUES Weisgerber 1932, Mathesius 1933. Trubeckoj 1933. Vvedenskij 1933, Amman 1934, Buhler 1934.17-20, Jakobson 1936.237, Alonso 1945, Wagner 1947.21, Wells 1947, Sommerfelt 1952, Malmberg 1954, Arens 1955.388-402, Waterman 1956, Birnbaum 1957, (Godel) S. M. (1957), . Redard 1957, Ci.kobava 1959.13, 63, 84 et sv., 97-99 125, 160, Hemimann 1959, Ullmann 1959.2, Hjelmslev 1961.7, Cornn. der 1962, Jakobson 1962.293-294, Kukenheim 1962.91-94, Malmberg 1963.8, Benveniste 1963, Glpper 1963.13, 19, 20 et sv., 22 et sv., 29 et sv., 46, Jaberg 1965.17-19, Leroy 1965.79-91, Benveniste 1966. 20-21, Lepschy 1966.31-48. Cette lisle, qui presente d'ailleurs bien des lacunes, montre que le C. L G. est present un peu dans tous les pays. Nous allons tenter d'en donner une image plus detaillee, On a une image tres precise par l'ouvrage minutieux de E. F. F. Kremer, Biblioqrapkia Saussureana 1870­1970, Metuchen (N. J.) 1972. . FRANCE. C'est le pays dans lequel l'influence de Saussure a ete Ia plus universellement reconnue (Meillet 1913, Gauthiot 1914, Grammont 1933.153-154, Kukenheim 1962.91 et sv., Benveniste 1965.24-28, et voir supra 336). L'influence directe, profonde de Saussure a forge Meillet (Alonso 1945.28-29, Martinet 1953.577, Ci.kobava 1959.84, Benveniste 1962.93, Bolelli 1965.401, Lepschy 1966.134-135) et Grammont (Grammont 1933.9-10, Benveniste 1962.93), qui, surtout par cela, a pu, en depit de toutes les polemiques, devancer les recherches structuralistes (B. Malmberg, M. G., in • Studia Lingulstica a I, 1947.52-55). Bien sO.r, l'influence n'a pas toujours comporte une pleine comprehension des positions theoriques de Saussure. G. Mounin a plusieurs fois souligne avec raison que Melllet n'a jamais <aompris a fond Ia notion saussurienne de • systeme • et que l'Incomprehenslon est grande chez des s meilletistes • comme J. Vendryes et M. Lejeune (Mounin 1966.26 et sv., 1968.76-78). On a aussl slgnale une influence possible de Saussure sur P. Passy (supra 336). lndlrectement, mais non moins protondement, Saussure a influence R. Gauthiot (Parler de Buioidze, Paris, 1903, p. 4, Benveniste 1965.27), Vendryes (Vendryes 1921.437, lordan-Bahner 1962.326, Sommerfelt 1962.90, Ci.kobava 1959.84 et sv., Bolelll 1965.421) et Benveniste (Cikobava 1959.84 et sv., Lepschy 1966.134), qui a repris la problematlque du Mhnoire (supra 329) et qui, quoique apres des hesitations et des incomprehensions d'origine probablement mellletien, en est flnalement venu a • une appreciation pleine et positive de la pensee saussurienne •, comme le reconnatt Mounin 1968.76-78, et a consacre a Saussure des eludes fondamentales (volr les citations dans la llste des abrevtatlons), Dans les ecnts de Martinet, Jes references expllcltes a Saussure sont t.res rares et tres breves, mats chacune Jette une Iueur nouvelle sur des aspects essentlels du C. LG., marquant un point fenne et stlr dans l'hlstoire 369 compllquee de l'exegese saussurienne. Les Elements de linguistique ginerale, meme si Saussure n'y est pas cite, sont le manuel de llngulslfque generate le plus radicalement saussurien ; et Saussure revit dans I un des ~aracteres Jes plus signlflcatifs de l'oeuvre de Martinet : • ii peut s adresser avec la rneme autorite aux structuralistes comme aux. spectalistes de grammaire comparee traditionnelle ; une contribution. de Martinet. a Ia quallte, aujourd'hui toujours plus rare, de pouvoir etre asslmllee avec profit par lea premiers comme par Jes seconds • (Lepschy 1966.129). A travers Meillet, Grammont, Vendryes, Benveniste et Martinet, Saussure influence de fa~on plus ou moins evidente tous lea Unguistes franeals. On peut, a titre d'exemple, rappeler L. Tesnlere (Tesnlere 1939.83-84, Lepschy 1966.146), dont Jes Elements de syntaxe structu­ rale (Paris 1959) sont inspires des Idees saussuriennes plus que n'en dlsent Jes references explicites (cf. par exemple page 17, note)· G. Mounin (cf. en particulier Mounin 1963.21-24 et l'excelleni ouvrage d'ensernhle Mounin 1968); Haudricourt et Juilland (Burger 1955.19 et sv.). Dauzat a revendlque des drolls d'atnesse sur Jes idees saussuriennes (Lepschy 1966.71, note 41). Pichon a formule des critiques (1937 et 1941); celles formulees par Marcel Cohen sont d'un Interet particulier, mais U n'hesite cependant pas a declarer la dette decisive que toute Ia linguistique moderne, meme materiaIiste, a env~~ Saussure (Cohen 1956.26, 75, 89, 163). Comme on le verra, I mfluence de Saussure s'est etendue, surtout en France, hors du domaine. Iinguistique, et cecl, Inevitablement peut-etre, a mene quelquefois aux • a-peu-pres journalistiques • denonces par G. l\lounin 1968.79-83. JAPON. L'influence de Saussure y est « Immense s (Izul, 1963.54-55), ce a quoi a peut-etre contribue l'influence anterieure des ldees de E. D. Polivanov, eleve de Baudouin (V. V. Ivanov, Lingvistileskie vzgljady E_· D. Polioanooa, V Ja 7 : 3,1957.55-76; Leontev 1961 ; Iz neopublikouannoqo nasledstoa E. D. Poliuanooa, VJa 12: 3,1963.9698; Lepschy 1966.63, 73, note 65) ainsi que I'enseignement de H. E. ~a~mer qui, Independamment de Saussure (Jespersen 1925.11-12) a Insiste sur Ia distinction entre language • langue a et speech • parole (-Iangage) • (Palmer 1924.40). Comme nous l'avons vu, la traduction du C. L. G., qui a ete la premiere, a eu un grand succes d'edition. EUROPE SEPTENTRIONALE. L'influence de Saussure a ete forte et visible. Elle s'est afflrmee en Norvege a travers l'ceuvre de Sommerf~lt, sensible aux aspects sociolinguistiques de la conception saussurienne (cf. A. Sommerfelt, La linguistique science socioloqique • Norsk Tids~rift for Sprogvidenskap • 5, 1932.315-331, Sommerf;lt 1962, passim, Leroy 1965.145-146) et de son successeur Borgstrcem (1949. 370 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES 1963.4-5). En Suede, malgre les polernlques de Collinder (1962), la tradition creee par Noreen (infra 390 et sv.) a facllite l'Influence saussurlenne qui s'est manltestee a travers Malmberg (Vendryes 1950.455) et d'autres. Des speclallstes de philosophle ont egalement sentl par moments !'importance du C. L. G. (Regnell 1958.10, 140, 175, 1858-6, 187). C'est surtout au Danemark que !'action de Saussure a ete sensible (Birnbaum 1957.10): bien connu comme membre de I'Academle (supra 358), on s'est souvent reclame de lul: Brendal (1943.90-97) dont on a cependant conteste qu'il ait efiectlvement asslmile la substance de la pensee saussurlenne (Frei 1955.50, et cf. en efiet par exemple V. B., Les parties du discours, trad. tranealse Copenhague 1948, p. 11-12, 76 et sv., 142 et sv.), L. Hjelmslev avec une penetration toute diflerente (Hjelmslev 1928, 1947.72, 1951.62; 1961.7; Borgstroem 1949, Ege 1949.23-24, Wells 1951.564, Slertsema 1955.1-13, 54-57, 95, 146, Cikobava 1959.160 et sv., Coseriu 1962.176, Sommerfelt. 1962.59, 90) et les glossematlclens (volr infra 376). .aussrs, La fortune de Saussure y a ete tres contrastee. Les Idees saussurlennes furent d'abord introdultes par S. Karcevskij qui avail suivi les cours de Saussure a Geneve a partir de 1905; licencie es lettres en 1914, il retourna dans sa patrle en 1917 et informa les Jeunes Moscovites (R. Jakobson, N. S. Trubeckoj) de la doctrine saussurienne, dont il etait et restera toujours penetre et qu'il exposa d'abord a I'Academle des sciences de Moscou puis, comme professeur de Iingulstique, a Ekaterinoslav (Dnlepropetrovsk}, enfin dans des essals d'applicatlons au russe (Vvedenskij 1933.20, Stelling-Michaud 1956, Jakobson 1956.9-10, Pospelov 1957, Jakobson 1962.631). Meme apres la dissolution du cercle de Moscou les idees saussuriennes continuerent a retenir l'attention, comme le prouvent par exemple R. Sor, Jazyk v obllestvo, Moscou 1926, ou Volosinov 1930.60-65. En 1933 paralt flnalement la traductlon de Suhotin (voir supra). L'ample preface de D. N. Vvedenskij, quoique insistant sur le caractere • bourgeois • de I'Ideologie a son avis implicite du C. L. G., reconnatt et souligne l'importance exceptlonnelle de l'ceuvre, Mais l'excluslvisme marxtste a cependant nui a la discussion ouverte ulterieure de I'ceuvre (Cohen 1956.29-30, Leroy 1965.172-173). Ce n'est qu'apres 1950 que l'on eut de nouvelles contributions de grande importance de Budagov, ti.kobava, Zirmunskij, Saumjan et d'autres, Slusareva 1963 en a donne un premier compte rendu. Saussure (ainsl que Hjelmslev) a une grande importance dans les travaux posterieurs de S. Saumjan et I. I. Revzln (Birnbaum 1957.10). Saussure a ete au centre de la discussion ouverte en 1965 par Abaev : aux accusations (subjectivisme dans Ia conception de la langue, formalisme, anti-historisme dam, Ia separation entre synchronle et diachronle: Abaev 1965.27-28) ont repllque sur un plan plus general SUR F. DE SAUSSURE 371 d'approbation au • nouveau • en lingulstique A. B. Gladkij et I. I. Revzin (V Ja 14 : 3,1965.44-59, 15: 3,1966.52-59) et sur un plan plus spec_i_fiq:.ie Ju. V. Rozdestvensklj, 0 sovremennom stroenii jazykoz­ naruja, V Ja 14: 3,1965.60-69, a la page 62 (importance de Saussure pour toute Ia llnguistique), L. P. Zinder, O novom v jazykovedenii, VJa 15: 3,1966.60-64 (page 61 : importance de Saussure et de Baudouin pour la Iinguistique synchronique), A. tikobava 1966.47-49 (comparant Saussure a Kant et illustrant ]'importance de Ia distinction entre synchronie et diachronie) et, enfln, P. S. Kuznecov, Elle o gumanizme i degumanizacii, VJa 15: 4,1966.62-74, qui met en evidence Jes composantes-historiques de la pensee saussurienne face aux accusations d'anti-historisme et face a I'opinion meme de plus d'un structuraliste (p. 65 et sv.). u. s. A. ET PAYS DE LANGUE ANGLAISE. Rien ne repond outreAtlantique a Ia sympathie de Saussure pour Whitney. Parmi les grands chefs d'ecole de la linguistique americalne du xxe siecle, Saplr presente d'interessantes convergences avec Saussure, mais ii en est largement lndependant (Wartburg-Ullmann 1962.157, Mikus 1963. 11-12, Wein 1963.5). Les rapports avec Bloomfield soot plus complexes. Celul-cl, rendant compte de Saplr, deflnit le C. L. G. comme • a theoretic foundation to the newer trend of linguistic study , (Bloomfield 1922), Jugement repris deux ans plus tard dans le compte rendu du C. L. G. lui-merne (Bloomfield 1924). Encore deux annees plus lard, Bloomfield souligne sa • dette ideale » envers Sapir et Saussure (Bloomfield 1926.153), mais quelques annees apres, dans Lan­ guage, le nom de Saussure n'apparatt qu'une seule fois (p. 19), dans l'histoire des doctrines linguistiques. Bloomfield a eu l'occasion de reconnaltre en prive sa dette envers Saussure. Un precieux temoignage en ce sens est fourni par Roman Jakobson (lettre privee du 4-3-1968) : • In a conversation with me, Bloomfield mentioned, among the four of five works which had the greatest influence on him, just Saussure's Cours. • Mais la mention isolee du nom de Saussure dans Language autorise a maintenir que commence la I'eclipse de Saussure, caracteristique de la Iinguistique post-bloomfieldienne. • En Amerique [i.e.U .S. A.} on considere generalernent que Language ?e Leonard Bl~omfield est le livre de Iinguistique generale le plus important publie a ce jour » (R. Hall, La linguistica americana dal 1925 al 1950, " Ricerche linguistiche », I, 1950.279). Hockett 1952 conteste qu'il existe une quelconque influence de Saussure sur Bloomfield dont J'autonomie vis-a-vis de Saussure est cornmunernent admise (Garvin 1944.53-54, Wells 1951.558, Martinet 1953.577, Benveniste 1954.134, Coseriu 1962.117, Waterman 1963.!!3). Birnbaum 1957.10 reconnalt qu'il y a quelque chose de plus qu'une convergence occasionnelle. Ce serait une erreur que de reduire le comportement a mer- 372 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES caln a un simple chauvinisme. 11 y a en effet chez les bloomfleldlens la crainte de retomber dans le mentalisme en quittant le terrain behavloriste et en parlant de langue. Coseriu 1962.117 rappelle justement que pour les • Amerlcatns • la langue n'est rien d'autre que • the totality of all utterances in all situations , (Z. S. Harris, Methods in Structural Linguistics, Chicago 1951.27, et voir infra C. L. G. 27 note 60). 11 ne faut naturellement pas oublier qu'un des meilleurs essais d'ensemble sur Saussure vient des U. S. A. (Wells 1947). Mais un [ugement comme celui de Waterman (1956, 1963.61) qui deflnlt Saussure comme • the greatest theoretician of the new era , est exceptionnel. Ce n'est qu'apres la reappantion de I'Interet pour ce qui se trouve • derrlere • l'inflnle multlpllclte des utterances, pour le mecanlsme de la langue qui produit les utterances, que l'on prete une attention nouvelle a Saussure : a l'orlglne de ce renouveau d'Interet se trouve sans doute l'attitude theorlque de Chomsky (volr, pour ses rapports problematlques avec Saussure, infra, 400). Les resultats ne tardent pas a apparaitre: Dinneen 1967 consacre un large passage et des references continuelles a Saussure ; et Godel 1969 paralt dans les • Indiana University Studies in the History and Theory of Linguistics ,. Hockett merne a desorrnals change d'attitude. II souligne sa dette (et celle de L. Bloomfield) envers Saussure : cf. The State of the Ari, The Hague 1968. chap. I, passim. Mis a part le silence des post-bloomfleldiens, le dur jugement negatlt de Ogden et Richards 1923 a Iimlte la presence de Saussure dans les pays anglo-saxons : Saussure est un savant seduit par des « sophlsmes s (4-5 et note), • Ingenu • (p. 5), lnutilement complique (id.), incapable de decrlre le fonctionnement du langage (p. 232). Dans les universites anglaises la presence de Saussure a ete d'une certaine facon garantie avant tout par A. Gardiner (Sommerfelt 1962.90, Robins 1963.13 et cf. ausst Gardiner 1932.59-60, 62, 68-93, 106 et sv., Gardiner 1935, Gardiner 1944) et Jones (1950. VI, 213 ; Lepschy 1966.135), et de la par Firth (1935.50 et sv., 1956.133; sur Firth voir Lepschy 1966.135 et 147). II faut mentionner a part Ullmann, hongrois d'origine, angllclse, qui a largement subi l'influence de Saussure et a diffuse ses ldees chez lcs romanistes et !es spectalistes de semantique (Ullmann 1949, Ullmann 1953, cf. aussi Antal 1963.19 et sv., 81 et sv., Sommerfelt 1962.91, Rosiello 1966. XXIX et sv.), meme si certains ont fail remarquer qu'il n'a pas toujours penetre a fond la pensee saussurienne (Godel 1953, Frei 1955.50-61). De Iaeon encore plus marquee qu'aux U. S. A., la presence de Saussure est desormals sensiblement rentorcee en Grande-Bretagne grace a des savants comme R. H. Robins ( General Linguistics. An intro­ ductory Survey, Londres 1964, p. 32, 62, 78, 129, 378), R. M. W. Dixon (What is Language? A New Approach to Linguistic Description, SUR F. DE SAUSSURE 373 Londres 1965, p. 73-78) et surtout J. Lyons (Lyons 1963.31, 35, 37, Lyons 1968.38 et passim). s_u1ssE. La fortune de Saussure dans sa patrie a ete beaucoup moms forte que ce que l'on pourrait croire (Frei 1949). Plus qu'une ambiance saussurienne diffuse, on a eu une serie de personnalites importantes qui ont poursuivi, de facon plus ou moins marquee, l'ceuvre du maltre de Geneve. II faut avant tout mentionner Bally, dont on a cependant souvent signale les divergences par rapport a Saussure (Segre 1963.12-13, 15-16), l'insistance sur les valeurs affectives de la langue et, chose a laquelle tenait Bally lul-rneme (Bally 1909, I, vn), l'originaltte (Alonso 1945.29-30, Godel 1947, Frei 1949. 54, Cikobava 1959.84 et sv., Wartburg-Ullmann 1962.249, Segre 1963 cit. e! 14 ; Bolelli 1965.391 et sv.), et, a cote de Bally, Sechehaye, peut-etre plus proche du projet saussurien, en particulier en ce qui concerne l'arbitraire (Alonso 1945.30, Godel 1947, Frei 1949.55, Godel 1956.59). Tons deux constituerent • I'ecole de Geneve •, issue de l'enseignement saussurien (Sechehaye 1927, Grammont 1933.155, Devoto 1928, Frei 1949, Godel 1961, Mourelle-Lema 1969, Godel 1969, Lepschy 1970.52, etc.) qu'ils ont largement diffuse et jalousement surveille. Leurs polemiques pour detendre tel ou tel point du C. L. G. sont innombrables: face a la premiere • attaque • de Doroszewski contre la notion de phoneme (Bally 1933), face aux critiques de Wartburg et des Pragois a l'endroit de la • separation • de la synchronie et de la diachronie (Bally 1937, Sechehaye 1939 et 1940, cf. Alonso 1945.19, 26), face a Buyssens (Sechehaye 1944), etc. La vlsee apologetique cede le pas, avec la • seconde generation saussurienne , (Burger, Frei, Godel), a une volonte d'exegese souvent accompagnee de vues nouvelles : ainsi Frei (Sollberger 1953.45-46, Martinet 1955.45), qui est cependant entre egalement en polemique pour eclairclr et defendre certains principes saussuriens (l'arbitraire : Buyssens 1941, Frei 1950, Buyssens 1952, Antal 1963.81 ; la synonymie: Frei 1961.39). Nous rappelons a chaque page de ce commentaire et de ces notes Jes contributions de R. Godel a I'exegese et a l'approfondissement de la pensee .saussurienne. II ne faut pas oublier enfin, pour evaluer la presence de Saussure dans sa patrie, Karcevskij (voir supra 370), Jes contributions de A. Burger (1955, 1961), les essais et l'activlte d'edition de R. Engler, les savants suisses de langue allemande (infra 374, 396). PAYS DE L'EUROPE DE L'EST. En Pologne (oil l'on dispose d'une traduction du C. L. G. depuis 1961) la fortune de Saussure est liee a celle de la tradition inauguree par Baudouin et Kruszewski et a l'actlvite de WitoJd Doroszewski (1930, 1933, 1933 b, 1958), speclalement mteresse par une interpretation sociologique des phenomenes 374 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES semantiques (Schaff 1965, 17 et sv.), et de J. Kurylowicz qui a repris les problemes du Memoire dans le domaine historico-comparatiste (&upra 329) et ceux du Cours dans le domaine theorlque. En Pologne comme en Suede le milieu philosophique s'est interesse aux positions saussuriennes, centrales dans les travaux de A. Schaff, 1965 et 1964. En Hongrie, le premier savant a s'etre engage dans l'analyse et l'approfondissement de la problematique saussurienne fut Witolg Gombocz qui rendit compte du C. L. G. en 1925 (Gombocz 1925) et l'utilisa largement dans son petit traite de semantique (Jelentestan, Budapest 1926: cf. Rosiello 1966, xvn et sv.) etdans d'autres travaux (J. Melich, G. Z. emlekezeie, • Kulonlenyomat a magyar nyelv • 32, 1936.65-86). Divers savants ont suivi la meme direction : Laziczius (1939, 1939 b ; 1945, 1961.15, 174 et sv.), Fonagy (1957 et Zeichen und System I, 52), Antal (1963.17 et sv., 81 et sv.). E. Lorinczy a prepare une traduction hongroise (Budapest 1967), sur les criteres et les problernes de laquelle cf. E Lorlnczy, Saussure magyar forditasa ele, • Killonlenyomat a magyar nyelv •, 1966.279-285. En Tchecoslouaquie, le terrain etait prepare pour la dlfiusion du C. L. G. par differents savants. Avant tout par une personnalite originale, le philosophe et homme politique Thomas Garrigue Masaryk qui, dans Zakladoue konkreine logiky (Prague 1885 ; trad, allemande 1886, Versuch einer concreten Logik), formule une nette distinction entre etude statique et etude historique de la langue, prodrome a I'acceptation de la distinction saussurienne analogue par les • Pragols » (Jakobson 1933.167, Alonso 1945.13). Nous reviendrons sur Ies rapports de ces derniers avec Saussure, mais rappelons pour I'Instant les contributions saussuriennes de V. Mathesius (1933) et Vachek (1939.95-96). PAYS DE LANOUE ESPAONOLE. Tout d'abord l'excellente traduction et le limpide Prologo de A. Alonso remontant a 1945, puis l'activite et Jes etudes de E. Coseriu (1958, 1962), qui a enseigne pendant de nombreuses annees a Montevideo, ont aide a la connaissance de l'reuvre de Saussure, pourtant [ugee avec quelques reserves (D. Alonso 1950.19-33, 599-603, Catalan Menendez Pidal 1955.18, 20, 28-29, 33-37). On trouve une large utilisation de Saussure et des theories d'origine saussurienne dans le manuel monumental de F. Rodriguez Adrados, Linqiilsiica estructural, 2 vol., Madrid 1969. Les recherches de l'argentin L. Prieto, culminant dans les Principes de noologie, La Haye 1964, representent une des contributions les plus aigues au developpement d'une semantique conforme aux idees du C. L. G. PAYS DE LANOUE ALLEMANDE. A part Streitberg 1914, Junker 1924, Lommel, traducteur du C. L. G., ceux qui ont contribue a la diffusion de l'reuvre de Saussure dans les pays de langue allemande ont etc ses critiques: Wartburg a plusieurs fois critique la distinction entre SUR F. DE SAUSSURE 375 synchronie et dlachronie (1931, 1937, 1962); Ammer (1934) et Rogger (1941, 1942) ont critique certains points du C. L. G. Se sont au contralre reclarnes de Saussure (et de Humboldt) L. Weisgerber et J. Trier (Weisgerber 1932, Trier 1934.174; cf. en outre Springer 1938.168, Quadrl 1952.143-144, Hjelmslev 1961.47, Wein 1963.11, Antal 1963.19 et sv., Schaff 1964.12). Ce n'est qu'apres la seconde guerre mondiale qu'apparatt dans les unlversttes allemandes une certaine consideration pour les positions saussuriennes. ITALIE. Pour les llngulstes italiens qui, comme Bartoh, Battisti, Bertoldi, etudierent a Vienne avant la premiere guerre mondiale, • le Cours de linguistique generale ... fut ... une revelation •, obscurcie cependant par la fascination de Gillieron et par l'opinlon d'avoir reussl a • se degager » du Cours « en le dominant • (C. Battisti, Vittorio Bertoldi, c Arch. glott. ital. • 39.1953.1-19, p. 1-2). L'attltude de B. Terracinl ne varie pas, depuls le lointaln compte rendu du C. L. G. (Terraclni 1919) jusqu'aux critiques successives (1929, 1942, 1949.23-24, 37, 40-43, etc., 1957.9, 10, 51, 1963.24, 26, 37, 48, 51, 62), au point que dans l'reuvre de l'une de ses eleves (C. Schick, II linguaggio. Natura, struttura, storlciti: del fatto linguistico, Turin 1960), le nom de Saussure apparalt quatre fois, associe a la theorle de la syllabe, a la notion de rapport assoclatif et au nom de Terraclnl, qui a· elabore une notion de langue difterente de celle du C. L. G. (p. 63, 73, 83, 197). V. Pisani (1966.298) consldere pour sa part que le C. L. G. est « rozzo e grossolano •· Des critiques d'inspiration hlstorlciste ont ete adressees au C. L. G., dans le but de reelaborer les notions saussurlennes fondamentales, par G. Devoto (1928, 1951.3-15), A. Pagliaro (1930.86 et sv., 1952. 48-61, 1957.32, 198, 367-368, 377-378), G. Nencloni (1946), T. Bolelli (1949.25-58, 1965.8, 150-152, 358-359). On peut volr chez des linguistes de la generation suivante, comme L. Heilmann, W. Belardi, M. Lucidi (pour lesquels cf. abreoiationss, une adhesion plus marquee slnon aux solutions du moins aux problemes du C. L. G. De notables contributions a I'exegese saussurienne sont dues a G. Lepschy (1962, 1965, 1966, etc.) et G. Derossl (1965). Le traditionnel etat d'arne • asaussurten • de la linguistique italienne paralssait deja disparu a Leroy (1965.160-161 et note). On remarque egalement un lnteret croissant pour le C. L. G. chez les philosophes, comme par exemple G. Della Volpe (Critica del gusto, 1e ed. Milan 1960, p. 91-100 et passim) ou F. Lombardi (Aforismi inai­ tuali sull'orte, Rome 1965, p. 65-162 [ = Noierelle in tema Ji linguag­ gio, « De Homine • 7-8, 1963.146-242)(cf. Derossi 1965.40-41). Apres la premiere edition du C. L. G. (1967) on a pu observer un progres notable dans la connalssance et dans la presence de Saussure en Italie (Engler 1970). Rappelons, parmi les episodes les plus slgnlflcatifs, les comptes rendus consacres a I'edition critique de R. Engler 376 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES SUR F. DE SAUSSURE par C. Segre, « Strumenti critici • 1, 1967.437-441, 3, 1969.58 (et I'Ir.teret semiologique de Segre, ancre a une problematique d'origine saussurienne, est grand : cf. I segni e la critica. Fra struituralismo e semiologia, Turin 1969 p. 37, 38, 45, 61, 62, 64, 69), V. Pisant;« Paideia • 23, 1968.375-377, G. Lepschy, • Studi e saggi linguistici • 9, 1969.216-218 ; la publication d'extraits du second cours de linguistique generale par R. Simone;« 11 cannocchiale », n. 5-9, p. 155-172 (on y annonce une traduction integrate des notes du second cours chez l'editeur Ubaldini de Rome); !'utilisation large et profonde de Saussure par des specialistes d'esthetique, de semiotique et de phiIosophie (R. Barilli, G. Derossi, U. Eco, E. Garroni, E. Melandri, G. Morpurgo Tagliabue, F. Rossi Landi, etc.); l'excellente utilisation de Saussure, a la Iumiere des eludes Ies plus recentes, dans des travaux a caractere institutionnel (dus a de jeunes et tres jeunes savants) comme G. Cardona, Linguistica qenerale, Rome 1969, R. Simone, Piccolo dizionario della linguislica moderna, Turin 1969, A. Varvaro, Storia, problemi e meiodi della linguislica romanza, nouvelle ed. Naples 1968. Et ii est interessant que la lecon de Saussure (et de Hjelmslev) ait peine a disparaltre chez les chomskiens italiens les plus jeunes: cf. I' Introduzione de F. Antinucci (p. vn-xxxr) a N. Chomsky, Le strutture del/a sinlassi, Bari 1970. Les jours de l'• assaussurisme • chronique de la linguistique italienne sont-ils desormais comptes ? 9. PRESENCE DE SAUSSURE DANS LES DIFFERENTES 377 de valeurs • sont d'inspiratlon saussurienne evidente et explicite : voir supra 370 et Wells 1951, Siertsema 1955.1-13, Cikobava 1959.160 et sv., Waterman 1963.83 et sv., Lepschy 1966.76-77. Le probleme des rapports entre Saussure et • l'ecole de Prague • n'est pas simple. On a souvent soullgne, avec des intentions polemiques, que Ies Pragois, en concevant par exemple le phoneme comme une • abstraction phonetique • (Siertsema 1955.2), ou bien tournant autour d'un equivalent semantlque du • signiflant zero • (Jakobson 1939 et cf. Godel 1953.31 note 1) etc., ont montre qu'ils s'etaient tormes sur un terrain non saussurien (Lepschy 1961.207 et sv., De Mauro 1965.115, Lepschy 1966.54). Et les Pragois eux-memes ont en effet accredite la these de leur lndependance vis-a-vis de Saussure, en gloriflant le primal qu'auraient eu par rapport a Saussure pour une serie de conceptions (phoneme, synchronie et diachronie, etc.) differents savants slaves : avant tout Baudouin et Kruszewski (voir supra note 7), mais aussi Polivanov (supra 370), Fortunatov (Jakobson 1929 = 1962.104, L. V. Scerba, F. F. Fortunatoo o isiorii nauk o jazyke, VJa 12: 5,1963.88-93), Scerba (Jakobson 1929.8 note, Belardl 1959.67, Cikobava 1959.118 et sv., Leontev 1961.118 et sv., Lepschy 1966.63 et sv.). Nul ne saurait contester la presence de ces ascendances non-saussuriennes (mais non pas pour autant etrangeres a Saussure : il sufflt de dire que Baudouin et Kruszewski doivent eux-memes a Saussure la notion de phoneme: voir supra note 7). II n'y a d'autre part pas de doute que le fait d'avoir connu, tout d'abord a travers Karcevskij (voir supra 370), les Idees du maltre genevois, a eu une importance decisive pour N. S. Trubeckoj et R. Jakobson. Polemiquant avec Lepschy 1961 et De Mauro 1965.115 (qui se corrige lei), E. Garroni a justement soutenu (1966.11 et sv.) : « Che il collegamento tra la scuola di Praga e l'insegnamento di Saussure sia un collegamento a posteriori, piuttosto che oggettivamente storico ... deve essere inteso •.. solo nel senso... che di fatto ii terreno culturale da cui nascono i praghesi non e saussuriano ... Ma non si puo e non si deve negare che non solo la determinazione di tutta una serie di problerni particolari, ma anche certe (metodologicamente) primitive assunzioni teoriche e terminologiche vengono da Saussure. • Une communication lue par A. Martinet a la Arbeitsgemeinschaft fur Phonologie en septembre 1966 a Vienne (La phonologie diachronique et synchronique) se situe sur les mernes positions : • Si les phonologues n'ont pas suivi Saussure dans son identification de systeme et de synchronie, ils ne sauraient en revanche nier leur dette envers celui qui, avec la rigueur que l'on sail, a afflrme la necessite d'une distinction categorique entre les deux points de vue synchronique et diachronique. II peut, certes, etre difficile de cerner avec exactitude les contributions d'un penseur ou d'un chercheur aux developpements ulterieurs de la science. Mais ce TENDANCES DE LA LINGUISTIQUE On peut completer le tableau de la fortune du C. L. G. dans les difffrents pays par celui de la presence de Saussure dans les differentes tendances de la linguistique. Bloomfield mis a part, la presence de Saussure est restee minime chez les post-bloomfieldiens, et on ne voit pas encore tres clairement si, encore une fois en desaccord avec leur leader, les chomskiens ne proscriront pas Saussure de fa~on analogue. La confrontation avec les positions saussuriennes est plus Irequente dans les differentes tendances historicistes : on a pu dans certains cas (Pagliaro: Leroy 1965.161-162 et note; Coseriu: Rosiello 1966.56-60) parler de synthese entre composante saussurienne et points de vue historicistes. Saussure est plus ou moins present chez des savants comme Wartburg (voir supra), Nencioni, Devoto, Terracini (De Mauro 1955.310 et sv.). Se reclament egalement de Saussure les representants de la tendance sociologique : Meillet, Vendryes, Sommerfelt (voir supra et cf. Alonso 1945.28-29). Pour !'attitude de la linguistique d'inspiration materlaliste et marxiste, voir supra 369 (Cohen) et 370-371. Les concepts clefs de la glossernatique comme • forme • et • systeme ~- 378 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES qui semble assure, c'est que l'lnOuence d'autres savants qu'on consldere a juste titre comme des plonniers de la phonologic n'aurait, sans l'intervention de Saussure, jamais abouti a la delimitation sans bavures entre synchronie et diachronic... • (in Phonologie der Gegen­ wart. Vortrtlge und Diskussionen, ed. J. Hamm, Graz-Vienne 1967, p. 64-74, 66). Les differences entre Ia rigoureuse eptstemologle vers laquelle tendait la pensee saussurienne et la notion de • structure • (comme entite ontologique donnee) des Pragois sont soulignees par F. Lo Piparo, Saussure e lo strutturalismo praghese, • Annali della Facolta di Magistero di Palermo », 1970. C'est dans cette perspective dialectique qu'il faut voir Jes rapports avec Saussure de Jakobson (outre Jakobson 1962.631, cf. Martinet in Haudricourt-Juilland. 1949.IX, Burger 1955.20 et sv., Lepschy 1966.120-123),de Trubeckoj (Terracini 1939, Hogger 1941.193-212, 218-224, Alonso 1945.14-15, Jakobson 1949.XIX, XXVIII, Martinet 1955:18-19,Burger 1955.19et sv., Catalan Menendez Pidal 1955.28-29, Coseriu 1962.149 et sv., Jakobson 1962.631, Sommerfelt 1962.90, Lepschy 1966.60-62) et des Pragois en general (a Ia bibliographic cttee, ajouter Jakobson 1933, Grammont 1933.155, Tesnleres 1939. 83-84, van Wijk 1939.297, Alonso 1945.13-16, 29, Hjelmslev 1947.71, Martinet 1953.577, Malmberg 1954.10-11, 17, Spang-Hanssen 1954. 93, Catalan Menendez Pidal 1955.28-29, 33-37, Greimas 1956, Stelling-Michaud 1956.7, Waterman 1956, Waterman 1963.68, Garroni 1966.11-18, J. Vachek, The ling. School of Prague, Londres 1966.4, 18-22, 107, 133, 160 et sv.). Pour les rapports de Saussure avec Jes theories chomskiennes, voir infra le numero 5 des addenda. On reconnalt egalement l'influence de Saussure chez des savants qu'Il est difficile de classer dans une ecole precise, comme G. Guillaume (Guillaume 1952, Benveniste 1962.93, Valin 1964.7) ou Jespersen, malgre ses incomprehensions evidentes (Jespersen, Selected Writings 389, Jespersen 1933.109 et sv., Gardiner 1932.107,Sommerfelt 1962.90). D'ailleurs, etant donne I'interet de Saussure pour la • langue vivante •, pour la parole, on a merne cherche des rencontres avec des positions tres elotgnees, comme celles de Gillieron (Jaberg 1937.123-127, Terracini 1957.10, Iordan-Bahner 1962.203-204, 223) et de Schuchardt (Iordan-Bahner 1962.80). Aux limites entre la linguistique et d'autres disciplines, les Idees saussuriennes ont ete mises a profit en psychologie du langage (Delacroix 1930.9,53-54, Sechehaye 1930, Kainz 1941.10-11, 19-21, Kainz 1954.334, Kainz 1965.10-11,213, Garvin 1944.54, Bresson 1963.15,27, Ajuriaguerra 1966.123; pour les rapports avec Kantor, cf. Garvin 1944.54, Kantor 1952.69, 162, 172), science dans laquelle Osgood (1966.204-205) s'en est remis a la distinction entre langue et parole pour fonder la distinction entre linguistique et psycholinguistique. Des Idees saussuriennes ont ete adoptees avec profit en linguis- SUR F. DE SAUSSURE 379 tique appllquee a l'enseignement (Guberina 1961, Titone 1966.43-44, M.A. K. Halliday, A. Mcintosh, P. Strevens, The Linguistic Sciences and Language Teaching, Londres 1964.148), dans la theorie mathematique de la communication et des faits linguistiques (Mandelbrot 1954.7 et sv., 13, 26, Guiraud 1959.19, Ellis in Zeichen und System 48, Wein 1963.5, I. I. Revzin, Models of La.nguage, Londres 1966.2); en particulier, G. Herdan 1966.13 a afflrme : • There is a close relationship between this book as an exposition of quantitative linguistics and that classic of general linguistics, De Saussure's Cours de ling. gen., and, insofar, my work may be described as the quantification of de Saussure's langue­parole dichotomy • (cf. deja Herdan 1956.80, De Mauro, Staiistica linguistica, in Enciclopedia italiana, App. III, 2 vol. Rome 1961). Les idees de Saussure sont egalement passees en sociologie (G. Braga, Comunicazione e societa, Milan 1961.193, 197 et sv.) et dans l'reuvre de Marcel Mauss, en anthropologie (C. LeviStrauss, L'analyse structurale en linguistique et en anthropologie, • Word • I, 1945.33-53,p. 35). Saussure est moins connu des philosophes. Bilhler a amplement utilise et discute le C. L. G. (Lazlczius 1939.162-167,Lohmann 1943, Garvin 1944.54, Laziczius 1945). On a cherche des convergences entre Saussure et Cassirer (Guntert 1925.9, Lerch 1939.145),qui ne cite pourtant jamais Saussure dans la Philosophie der symbolischen Formen et ne le mentionne qu'une fois ailleurs (Cassirer 1945.104). De la meme facon, on a cherche la posslbllite de rapprocher de Saussure Husserl (Pos 1939.358-359,Urban 1939.50, Alonso 1945.8, MerleauPonty 1967.119 et sv., Derossi 1965.33-34), Morris (Wein 1963.5-6), Wittgenstein (Verburg 1961, Wein 1963.5, De Mauro 1965.133et sv., 152 et sv.), et meme Croce (Leroy 1953.461-462,Lepschy 1966.19-20), qui cite peu Saussure (voir infra le numero 4 des Addenda) et ignorait le C. L. G. (qu'il ne possedait pas dans sa bibllotheque), mais qui ressent pourtant vivement le probleme de l'Identite des formes Iinguistiques qui sont pour lui comme pour Saussure, sur le plan de la simple occurrence concrete, absolument differentes les unes des autres, et qui dans ses derniers ecrits commence a concevoir la langue dans son lien avec la vie sociale (De Mauro 1965.156 et sv.). On peut deja constater que la redecouverte de la pensee saussurienne dans toute son authenticite reveille un interet croissant pour les theses de Saussure chez tous ceux qui sont a differents titres engages dans l'analyse de la realite linguistique. Le passage suivant ne vaut certes pas uniquement pour ses auteurs, ni meme pour le seul milieu de la psycholinguistique, pourtant vaste: « We take it that De Saussure's classic distinction between langue and parole is necessary if any sense is to be made of an area as complex as language functioning. A description of a language, in this sense, is a description of the knowledgeof the language which has been internalized by a mature, 380 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES Idealized "speaker-llstener" nization of Linguistic » (R. J. Wales, J.C. Marshall, The Orga­ Performance, In Psycholinguistics. Papers, Edimbourg 1966.29-80, p. 29). 10. LA QUESTION DES PRtCURSEURS Un texte de diffusion aussl large que le C. L. G. ne pouvalt pas ne pas rencontrer sur son chemln des resistances et des desaccords de tous genres. Une des tacons les plus communes, et academlquernent les plus Impeccables et les molns reprehensibles, dont se manlfeste I'hostillte a I'egard du Cours est l'lndlcation des« precurseurs •. II ya naturellement dans plus d'une des etudes cltees cl-dessous quelque chose de sclentifiquement valide : l'lntention, hlstorlquement justtnee, de retrouver les auctores qui peuvent avolr compte dans la formation de Saussure. Les pages qui suivent ont done une double fin : rappeler d'une part, a travers l'analyse des • precurseurs • proposes, quelle dimension a atteint l'opposition mal dlsslmulee au C. L. G. ; preparer d'autre part des materlaux pour cette recherche etendue sur la formation de Saussure dont on ressent vivement I'urgence (Lepschy 1966.48) et a laquelle dans les pages precedentes (sur Plctet, Whitney, Baudouin et Kruszewski, 322-323, 332, 339) comme dans celles qui suivent et dans l'appendice sur Noreen (390-394), la presente recherche veut contribuer. Panln], le grammairien lndien du ve ou du rv8 slecle avant JesusChrlst, aurait avec les A~tii.dhyii.yl offert a Saussure le point de depart de son elaboration de la notion de • slgne zero • (C. L. G. 255), alnsl qu'a d'autres modemes, comme Sweet, etc. (W. S. Allen, Phonetics in Ancient India, Oxford 1953, p. 13 note 4). Cela a ete afflrme de facon polemlque par Collinder (1962.6-11, 15) et plus objectivement par Allen (1955.112). En eflet, un passage comme Panlnl VI 1 66-67 lopo Deli • amulssement du v • atteste Iopa avec le slgnifle « zero •, eontormement a la definition de Iopa comme adarsana • absence • donnee en I 1 60 (cf. aussl L. Renou, Term. gramm. du sanscrit, Paris 1957, lopa, lup­). Stoici ueteres, Augustin (une analyse algue des ldees lingulstiques d' Augustin en rapport a la semlologle moderne a ete donnee par R. Simone, Semiologla agostinlana, • La cultura • 7, 1969.88-117), Suger, H. Gompers (Robins 1951.26, 82-83, reprls dans Jakobson 1966.22-23) seraient Jes precurseurs de la distinction entre signlfU et siqnifiani et de la theorle saussurlenne de la dupllclte du slgne Un· gulstique. On trouve eflectivement dans Crlsippe (S. V. F. 2.48, 18) le couple a711,14lvov-rll-a711,14Lv6i,t£W&; a dire vrai, comme pour bien d'autres elements pretendus • stolclens •, ll s'aglt d'une distinction conceptuelle et termlnologlque que l'on trouve deja chez Arlstote (cl. Poet. 1457a, d 07)1,14LYOVT(X oppose a 4071114, et Rhet. 1405 b 8 'f6 C711'4L4nov • slgnifle •) et que la tradition a conslderee comme • stol· SUR F. DE SAUSSURE 381 clenne • (de la meme racon que l'on qualifle d'humboldtlenne des Idees qui sont en realite lockiennes ou leibniziennes). La distinction passe d'Aristote a Augustin par Crisippe (Robins cit. et K. Barwick, Probleme der sioischen Sprachlehre und Rhetorik, Berlin 1957, p. 8 et sv.), puis se retrouve dans la logique medievale, speclalement dans la doctrine des modi significandi de Suger et, enfln, chez H. Gomperz. Celul-cl (sur lequel cf. aussi Ogden et Richards 1923. 274 et sv.), prioat­docent a Berne en 1900, est I'auteur d'unc Welt­ anschauungslehre (2 vol. Iena 1905-1908) dont le second volume (que cite Jakobson) s'intitule Noologie: la• ncologie • deGomperzs'articule en une science des contenus des signes (Semasiologie) et une science de leur verite (Alethologie). Les volumes de Gomperz ne flgurent pas dans la bibliotheque de Saussure. On ne peut cependant pas exclure que Saussure en ait tire la suggestion terminologique en question, remplacant done dans les cours de linguistique concept et image acoustique (C. L. G. 100) par signifie et signifiant. L'lnterpretatlon banalement conventionnaliste du prlncipe saussurien de l'arbitraire (C. L. G. 100) a fail croire a une foule de precurseurs: une liste recente dans E. Coserlu, L'arbitraire du Signe. Zur Spli.tgeschichte eines aristotelisches Begrifles, • Arch. f. d. Studium der neueren Sprachen u. Lit. • 204, 1967.81-112. On signale avant tout comme antecedent Platon (Robins 1955.10 et sv., Jakobson 1966.25), mais il serait Juste d'indiquer egalement Parmenide, une partie des sophistes, Democrite, Aristote, les stoiciens, une partie des eplcunens, Augustin (particullerement le passage des Conf. I 8 cher a Wittgenstein, Phil. Unters. § 1), etc. ; on a en outre Indique Leibniz (Perrot 1953.12), c'est-a-dire (peut-on croire) le livre III des Nouveaux essays sur l'entendement humain (Opera philosophica, ed. J.E. Erdmann, Berlin 1860, p. 296-335), livre qui reprend le point de vue analogue de Locke (An Essay Concerning the Understanding, Knowledge, Opinion and Assent, I. III, en particulier chap. II, § 8) (11); Turgot, Etymologie, dans la grande Encuclopedie (Perrot 1953.12); G. Boole, An Inves­ tigation on the Laws of Thought, Londres 1854, p. 25-26 (voir Benveniste 1964.131-132); A. Manzoni, Prose Minori, 2° ed., Florence 1923, p. 317 (cite dans Bolelli 1965.85); P. Valery, compte rendu de l'Essai 11. Signalons toutefols que le renvoi a Leibniz comme theoricien de l'arbltralre au sens aristoteliclen du tenne est pour le moins discutable : avec Locke et Vico, Leibniz defend une conception de la langue comme formation historique (meme dans ses aspects semantiques), meme si l'on peut encore observer chez lul, comme chez Vico et difleremrnent de chez Locke, Berkeley et Hume, certains residus universalistes (cf. le passage cite in De Mauro 1965.58, et pour tout ce problerne le rneme travail p, 55-59). II est improbable que Saussure ait connu directement les textes de Locke, Hume, Leibniz : on ne saurait expliquer autrement sa taeon d'attribuer aux « philosophes • sans autres determinations des ldees aristotellciennes, port-royalistes, rationalistes. II semble plus probable qu'il en alt assimile la seve a travers la connaissance des Idees de Kruszewski (supra note 7). 382 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES de semaniique de M. Breal (fEuvres II, 1453 ; cite dans Benveniste 1964.132-133); Madvig (Jespersen 1917); Whitney (Jespersen 1917, Sechehaye 1917.9, Delacroix 1930.62, Bolelli 1965.152, Jakobson 1966.25). On a signale des anticipations de la semioloqie preconisee par Saussure en I.VI de De dignilale el augmenlis scienliarum (F. B. Opera omnia, Francfort 1665.144-47), en particulier dans la doctrine des characleres non nominates : « Hoc igitur plane statuendum est, quicquid scindi possit in di!Terentias satis numerosas ad notionum varietatem explicandam (modo ditlerentiae illae sensui perceptibiles sint) fieri posse vehiculum cogitationum de homine in homine » (cf. Verburg 1952.203-208) ; egalement dans la semiolica de Locke (Wein 1963.6) et de Ch. S. Peirce (Wein 1963.6, Jakobson 1966.23-25) u Si Apel (1963.117 et sv.) cherche a eclairer quelques distinctions du De Vulgari Eloq. de Dante (locutio, sermo, loquela, lingua ydioma) en se servant de la distinction entre langue et parole, d'autres ont cherche les sources de ces deux notions saussuriennes dans la notion de « fail social » de Durkheim (Doroszewski 1930, Doroszewski 1933. 146, Doroszewski 1933 b, Doroszewski 1958.544 note 3, ( contra Meillet cite par Doroszewski 1933. 147 et Sommerfelt 1962.37, 89-90), Matheslus (Doroszewski 1933.1471, Vvedenskij 1933.16-18, Budagov 1954. 11, 13, Kukenheim 1962. 83) et dans la reconnaissance du role de l'individu propre a Tarde (Delacroix 1930. 66, Doroszewskl 1933 b, Doroszewski 1958. 544 note 3, S. M. 282). On a aussi cite comme precurseur de la distinction de langue et parole prises comme equivalents de « patrimoine collectif » et « utilisation individuelle du patrimoine », H. Paul qui, dans les Prinzipien der Sprachgeschichle(treed. Halle 1880, s- ed. Halle 1920), distingue Sprachusus et individuelle Sprechiiiligkeii (p. 31 et sv., 286 et sv.), 12. Locke utilise <r1)µ£LOOTLX7J dans le dernier paragraphe de !'Essay (IV 21, 4) au sens de • doctrine des sign es • : • Sa tache est de considerer la nature des signes dont fail usage !'esprit pour l'entendement des choses, ou pour transmettre aux autres ses connaissances. • Contrairement a !'opinion exprimee par N. Abbagnano dans son Dizionario di filosofia par ailleurs estimable (semiolica), ii faut d!r~ que Ia sernlotique de Locke est une chose tres diflerente de Ia • Iogique traditionnelle •. C'est en realite une des trois grandes regions du savoir humain (les :i-utres sont Ia • physique • et Ia , pratique •) dont Ia logique n'est qu'une partle. II est probableque l'usage Iockiens oit une delimitation de Ia semiotica en usage chez Jes medeclns ; cf. <r1)µe:toonx6v µepoc; , science des syrnptomes • in Galien, Op. XIV 689 Kuhn. Comme le souligne Abbagnano, Semiotik apparatt comme titre de la troisierne partie du Neues Organon de J. H. Lambert (Neues Organon oder Gedanken iiber die Erforschung und Bezeichnungdes Wahren Uf!~ dessen Unterscheidung von Irr/hum und Schein, 2 vol., Leipzig 1764). Mais d_eJa quatorze ans auparavant, semiotica apparait rlans le synopsis de I' Aestlie­ tica de Raumgarten (ed. Bari 1936, p. 53) comme titre du chapitre III de l'Aes­ t~etica_ theoretica, ou comme nom de Ia science , de signls pulcre cogitatorum et dispositorum • (op. cit. 58) ; mais Ia pars al/era de l'ceuvre, parue en 1758, s'arreta grosso modo a la fin du chapitre I, et ii n'y eut pas de suite a cause de Ia mort de Baumgarten (1763). Quoi qu'il en soit, ceci semble rr.ontrer que le terme ••wait Hre utilise dans les cercles Ieibniziens et wolffiens rnerne avant Lambert. SUR F. DE SAUSSURE 383 trace d'une faeon qu'on a cru analogue a celle de Saussure le circuit de la parole (p. 14 ; ou on remarquera entre autres que Paul parle de Seele et Saussure de cerveau), et parle de • deskriptive Grammatik • en la deflnissant cependant comme • eine Abstraktion • (p. 404) au sens courant, negatif du terme (Alonso 1945.23 et sv., Jordan-Bahner 1962.326, Wartburg-Ullmann 1962.41. Coseriu 1962.18, 282, et surtout Vvedenskij 1933.6 et sv.). On a de la meme faccn mentionne la Sprachuiissenschaft de Gabelentz (1891.3-4) ou l'on distingue • Sprache als Erscheinung, als jeweiliges Ausdrucksmittel filr den [eweillgen Gedanken • ( = Rede = parole) et • Sprache als einheitliche Gesamtheit solcher Ausdrucksmittel filr jeden beliebigen Gedanken •, • als Gesamtheit derjenigen Fahigkelten und Neigungen, welche die Form derjenigen sachlichen Vorstellungen, welche den Stoff der Rede bestimmen ... • ( = Sprache = langue) (L. Spitzer, Aufsatze zur romanischen Syntax und Siilisiik, Halle 1918, p. 345, Kainz 1941.20-21, Meier 1953.529, Jordan-Bahner 1962.326, Coseriu 1962.282, Rensch 1966.33-36). Hjelmslev (1928. 112-113) observe chez Gabelentz la distinction entre Stoff-substance et Formforme ; cf. aussi E. et K. Zwirner, Grundfr. der Phonomeirie, 28 ed. Berne-New York 1966, p. 81, 101-105, 166. On a vu un autre precurseur de la distinction entre langue et parole dans F. N. Finck, Die Aufbau und Gliederung der Sprachwissenschaft, Halle 1905 (Jaberg 1937.128-130, Coseriu 1962.282). E. Coseriu a voulu revenir une fois encore sur les rapports Gabelentz-Saussure. Selon lui, a part deux exceptions, Spitzer et Jordan (Coseriu 1967. 75) ; • On ignore la parente tres etroite entre les idees de Ferdinand de Saussure et celles de Gabelentz ». II echappe a Coseriu que d'autres, a part Spitzer et lordan, avaient deja remarque des analogies entre les notions saussuriennes et les idees de la Spraehwissenschaft (voir supra). La difference radicale entre le C. L. G. et la Sprachwissenschaft ne Jui echappe cependant pas : • Saussure est beaucoup plus systernatlque que Gabelentz... Aussi n'arrlve-t-il ( Gabeleniz) pas aux conclusions que Saussure tire de certaines premisses identiques ou presque [c'est moi qui souligne]. Deuxiemernent, Saussure ... deflnit presque toujours explicitement les notions essentielles de son systeme. Gabelentz au contraire se limite souvent a employer des distinctions deja reconnues par l'usage linguistique allemand... Mais, surtout, ii manque a Gabelentz la notion precise de fonctionnalite et d'opposition ... II ne parvient pas a la notion d'opposition distinctive. On ne trouve rien chez Gabelentz qui puisse etre compare a la seconde partie du C. L. G. (linguistique synchronique) et, en particulier, au chapitre sur Jes identites et les valeurs Ilngulstiques ... • (p. 91) ; • On conceders que les idees de Gabelentz ne restent pas sans modifications chez Saussure. Ce qui en Gabelentz n'etalt souvent qu'intuition ou meme, parfois, observation marginale devient 384 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES chez Saussure these explicitement Iorrnulee, partie d'un systeme ... » (p. 99). Coseriu marque par la la difference de stature entre Gabelentz et Saussure : d'une part un savant comme Gabclentz, qui se rendait compte avec beaucoup de bon sens des differences entre patrimoine collectif et usage linguistique individuel, entre description d'une langue en une certainc phase ct description du developpernent de cette langue, entre histoirc des formes el fonctions d'une langue et histoire de la culture ct de ia civilisation (distinctions presentes chez tant d'autres savants du xrxs siecle invoques comme precurseurs de Saussure : voir p. 380-389) ; d'autre part l'homme de genie qui, avec bien peu d'autres (Peirce, Noreen), se soumet a la necessite d'une systematisation formelle de ce que les meilleurs specialistes avaient note comme exigence intuitive, et transforme le bon sens en science. L'utilisation que fail V. Pisani des eludes de Coscriu semble, pour cela, injustiflee, lorsqu'il ecrit (« Paideia » 22, 1967.377· 378 note 3) que « tra questi feticismi saussuriani. .. c'e l'assegnazione a lui {a Saussure], comme inventore, di teorie che si trovavano gia nel Gabelentz e che ii linguista ginevrino ha fatto sue : cf. E. Coseriu, G. v. d. Gab. et la linguistique synchronique, da apparire nei Melanges Martinet, che ho potuto vedere in manoscritto », Godel ecrit, avec equilibre et precision, au sujet des rapports entre Saussure et Gabelentz (Godel 1967.116-117): « Parmi ses precurseurs [de Saussure] a cct egard (synchronie­diachronie], on a parfois cite G. von der Gabelentz, L'an dernier encore, dans la revue Phonetica, un certain R. H. Rensch a fail remarqucr que dans son livre, Die Sprachwissenschaft etc., von der Gabelentz avail separe et oppose • avant Saussure » die sprachgeschichtliche et die einzelsprachliche Forschung. On peut d'ailleurs signaler d'autres concordances. Saussure ... ne l'a jamais cite ; et, dans une note de 1894 (cf. S. M. 33) ii ecrit qu'il a acquis depuis de nombreuses annees la conviction que Ia linguistique est une science double (c'est-a-dire synchronique €t diachronique), ce qui serait un mensonge sil avail pris cette idee dans un livre public a peine trois ans auparavant [en ef{et, cf. ici aux pages 330, 331, 337, les temoignages relatifs aux intuitions de la difference entre linguistique statique et linquisiique eooluiiue remontanl au Memoire, a la these et aux lecons parisiennes de 1881, « ce qui en/eve pres­ que tout son inure: au probleme des sources », comme l'observe G. Mou­ nin, 1968.46). Dans ce cas et dans d'autres, on doit se horner a constater une concordance de vues, sans parler d'influence ou de dependance. Saussure etait d'ailleurs tres scrupuleux sur ce point : ii n'a pas revendique la prlorite pour la decouverte, qu'Il avail faite avant Brugman, de la nasale sonante, ii a sou vent reconnu sa dette a l'egard du linguiste americain W. D. Whitney, et marque une estime partlculiere pour les linguistes de l'ecole de Kazan, Baudouin de Courtenay et Kruszewski. • SUR F. DE SAUSSURE 385 En reallte, plus que par de presumes • feticlsmi •, le problerne des • sources • de Saussure semble vicie par l'opinion que l'origtnalite de Saussure est dans l'enonciation de tel ou tel point de vue particulier. Saussure lui-meme, dans sa conversation avec Riedlinger du 19.1.1909 retranscrite ici (p. 354), nous pennet de la refuter: • La theorie doit etre un systeme aussi serre que la langue. La est le point difficile, car ce n'est rien de poser a la suite l'une de l'autre des affirmations, des vues sur la langue; le tout est de les coordonner en systeme. • Nous devons encore une fois au fin esprit meditatif de Godel d'avoir exprime mieux que tous le sens, le mouvement profond de la pensee saussurienne : m On est en droit de parler d'une linguistique saussurienne. Si cette linguistique s'Insere dans un courant d'idees dont Whitney et Winteler sont les premiers temoins, elle n'est pas moins originale. Plus que tout autre, Saussure a eu le souci d'approfondir les problemes, de degager les principes d'une veritable science du langage, non subordonnee a Ia psychologle ni bornee a I'etude historique, et d'ordonner ces princlpes en une axiomatique rigoureuse. Ces preoccupations sont celles d'un esprit philosophique ... • Un autre groupe de precurseurs est constltue par ceux qui auraient anticipe la distinction entre synchronie et diachronic : G. I. Ascoli (Terraclni 1929, et de Iacon moins marquee Terracini 1949, 134 et sv. pour les rapports personnels entre Ascoli et Saussure, cf. Gazdaru 1967) ainsi que Baudouin (Jakobson 1933.637 et supra note 7), Masaryk (;upra 374), A. Comte (avec sa distinction entre sociologie statique et sociologle dynamique : Schuchardt 1917 = Schuchardt 1922.329-330), Gabelentz (Rensch 1966.36-38), Marty (Funke 1924. 20-25, Wartburg-Ullman 1962.9, Coseriu 1962.282), deja cites et qui doivent etre examines de plus pres 11 13. Avec A. Noreen, Anton Marty herita du destin d'une attention redulte : ii est rnentlonne par hasard, sans indications speciales, da.ns T.ag)1avm11963.201, et parmi les difTerents rnanuels d'histoire des doctrines Itnguisuques seul Arens 1955.386-87 le cite. donnant un resume de ses idees. _SI .l'on tient compt~ ce~endant de sa proxtmite ideale de Saussure (dans la bibliotheque duquel 11 n Y a pourtant pas trace des ceuvres de M.) et du fail qu'il a eu un~ part notable d~ns la formation de R. Jakobson (comrne Iui-rnerne me I'a courtoisernent Iait savoir), U rneriterait une plus grande attention (Otto 1\J54.3, \'idos 1959.109). Marty. suisse d'origine (1847-1914), eleve .de Brentano, fut professeur a la Deutsche Universitat de Prague de 1880 a 1913 et la, avec Meinong et Ehrenfels, constitua I' • ecole (philosophique) de Prague • (cf. Oesterreich 1923_.~~502). Sa principale ceuvre, tout comme Vdrl Sprdk ou le C. L. G., a eu des vicissttudes editoriales complexes : le premier vol~me, sous le titre de r.Jnlersuchung zur Grundlegung der a/lgemeinen Grammal1k und Sprachph1losoph1_e,~.B., pa~ut en 1908 Halle oil, en 1910, paratt non pas le second _volume mars l_a~pend1cedu second volume, Zur Sprachphilosophie. Die • toqiscne • • lokalislische • und andere Kasustheorien. Une partie du second volume a vu le Jour de taeon posthume grace a I'eeuvre de 0. Funke. Scion Marty, la • Sprachphllosophie • est la partle de Ia s Sprachwlssenschaft • qui s'occupe de • alle auf das Allgemeine und Ge~etzmli.ss)ge an 1en sprachhchen Erscheinungen gerichteten Problernen • ce qui !1 e~t possible qu en rapport avec Ia psychologie (p. 9). Elle se divise en • descriptive • et • geneuque • (p. 21), division s'etendant a sa partie qui. dans I'etat arrlere des eludes sur le &lgnlfte, a 386 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES Un demler groupe est rorme par ceux qui, avant ou en meme temps que Saussure, ont fail la distinction entre realisation phonique concrete, partlcullere, et caracteristlques fonctionnelles de la realisation, entre son et phoneme, entre phonetique defonctlonnalisee (la phonologie de Saussure, notre phonetique, phonetics, fonetica) et la phonetique fonctionnelle (la Phonologie des Pragois, notre phonemics, pbonematique, fonem (at) ica, fonetica funzionale). Outre les linguistes slaves deja slgnales (Baudouin, Kruszewski, Scerba, Fortunatov: supra note 7), il faut rappeler : J. Winteler qui dans Die kerenzer Mundart des Kanions Glarus, Leipzig 1876 (eeuvre que Saussure possedait dans sa bibliotheque) avait differencie les distinctions phoniques liees a des distinctions semanttco-grammatlcales des autres distinctions phoniques (Trubeckoj 1933.288, Malmberg 1954.22, Belardi 1959.66 et sv., Lepschy 1966.60) ; H. Sweet qul.dans A Handbook of Phonetics, Oxford 1877, p. 103 et sv., avait distlngue entre une • broad transcription •, se limitant A transcrire avec des graphemes distincts des sons qui • occuring In a given language are employed for distinguishing one word from another • et une • narrow transcription • qui represente de tacon graphlquemcnt differente Jusqu'aux sons dont les differences ne servent pas a diversifier, dans une langue donnee, des mots ditlerents : le principe fut pris comme base de travail de la Phonetic Teacher's Association (1886) qui reunlt, outre Sweet, P. Passy (deja eleve de Saussure : supra 336), 0. Jespersen, W. Vil!tor, A. Lundell, elabora ensuite en 1888 l'Intemational Phonetic Alphabet, puts prit en 1S97 le nom de Association Phonetique Internationale-A. P. I. (The est la plus riche de developpements lnteressants, e'est-a-dlre a la , Semaslologie , : • Die Semaslologfe..• scheiden wlr naturgemass In elnen deskrlptlven und geneUschen Tei! und es bedarf k~iner besonderen Bemerkung mehr, dass die GrundsUze rlchtlger wlssenschafthcher Methodik fordem, die deskrlptlven Fragen Im allgemelnen von den genetischen zu trennen und ihre Losung nur soweit mitefnander zu verblnden, als die elne fiir die andere elne Hilfe und Vorarbelt Iiefert. Jn ander Zweigen des Wissens !st elne solche Trennung der deskrlptlven und gene.tis.chenUntersuchungen teils berelts durchgedrungen (lch erlnnere an die Zwe1te1lungder Geologfe in Geognosle und Geologie Im engeren Sinne, der Blologie in Anatomie und Physiologle usw.), teils in der Durchfiihrung begrlfTen !i2). • Le primal logfque et effectlf est accorde aux recherches descriptives p, 52). Avec un revival comprehensible d'une problematlque Jeibnizlenne t. note 10) et une anticipation lmpresslonnante des themes chomsklens, . conteste done que Jes differentes structures semastologiques des Iangues lmpllquent (comme l'avaient cru Steinthal et Humboldt) l'Imposslblllte de reconstrulre une logique unique et univenellement valide pour l'ensemble de la pensee humalne (cf. p. 86 et sv.). Les pages 99-203 sont consacrees a Ia refutation de I'equatlon Form = forme exteme, Stoll = contenu semantlque, et on Y soutlent au contralre la notion de • Form als das Gestaltgebende, Bestlmmende, Wertvollere ,. Elle est indispensable pour I'etude du slgnifl6 et des changements de signifte et, de fa~on plus generale, pour comprendre • die Sprache • qui est d~ftnle comme une • totallte organlque, (meme sl elle o des lacunes), unlversellement humalne, mala arbitralre (p. 3). I . SUR F. DE SAUSSURE 387 Principles of the International Phonetic Association, Londres 1949, p. 2-4 de couverture et p. 1). 0. Jespersen, Lehrbucli der Phonetik, Leipzig-Berlin 1904, 2e ed. 1913 (utilisee In C. L. G. 66 et sv.) se situe sur les memes positions. Pour ce qui conceme les neogrammalriens, on a souligne avec justesse la faeon dont Saussure a assirnile leurs theses relatives au caractere fortuit, non • spirituel • et teleologique, des changements qui interviennent et modiflent un systeme (Kukenheim 1962.114, Alonso 1945.28 et voir note 176 et sv. au C. L. G. 119-121). II faut enfln rappeier les plus grands crediteurs de Saussure : Whitney et Humboldt. Nous avons deja longuement discute dans ces notes des rapports entre Saussure et Whitney (supra 332, 361): seion Sechehaye (1917.9) La vie du langage agit sur Saussure encore tres jeune ; surtout, Saussure fut stimule par la doctrine de I'Instltutionnalite de la langue, comme l'exposait Whitney, pour elaborer la theorie de l'arbitraire (Saussure, Notes 1954.60 et cf. Jespersen 1917, Jakobson 1966.26) et, comme Whitney, ii dedulsit ( d'une tacon qui ne cesse de surprendre les gens de bon sens) de cette meme doctrine de I'Institutlonnallte (et ensuite de celle de l'arbitraire) que l'individu uti singulus ne pouvait avoir que peu de part dans la reglernentation et la transformation du tonetionnement de la langue, car la conventionnalite meme du code comporte Ia superindlvidualite du code (Delacroix 1930.62, Derossl 1965. 20-22). Et pourtant, comme le relevait deja Croce (dont le jugement, debarrasse de son aspect negatif, semble devoir etre conserve), « ii Whitney ritornava ... alla dottrina antica della paroia quale segno o mezzo d'espressione del pensiero umano • (Estetica come scienza dell' espressione e linguistica generale. Teoria e storia, 8e ed. Bari 1945, p. 449). En etlet, selon Whitney (La vitae losviluppo dellinguaggio, trad. italienne, Milan 1876), • prima abbiamo una idea e dopo le Iacciamo un nome • : comme on le voit, la limite de la theorie whitneyenne de Ia conventionnahte est qu'elle s'arrete devant le signifie, concu comme donnee prelinguistique, logico-naturelle, la langue etant ainsi rarnenee a un systeme d'etiquettes, a une simple nomenclature dans laquelle l'arbitraire n'opere que sur le plan de la forme exteme. Si Saussure evlte apres une certaine epoque de parler de conventionnalite (S. M. 195), cela est dO a ces implications de la theorie whitneyenne de la conventionalite (Derossi 1965.94-95), qui a pourtant ete pour lui le premier pas vers Ia conception de l'arbltralre radical de la langue. Si cet arbitraire est compris dans sa portee reelle, ii est synonyme d'historicite radicale de toute systematisation linguistique, en ce sens qu'une systematisation n'a pas hors d'elle-rneme mais en elle la norme par laquelle on divise I'experience en signifies et les phonies en slgnlftants : elle est par la liee non pas a la structure objective des choses 388 NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES ou des realltes acousliques mais, en Ies adoptant comme matters, elle est principalement conditionnee par Ia societe qui, en fonction de ses propres besoins, Jui donne vie. C'est pourquoi Ia Iangue est radicalement sociale et historique. Dans cette perspective d'exegess, Jes rencontres avec Ies positions plus anciennes de Whitney et des neogramrnairlens ou avec Jes philosophies du Iangage de l'epoqus romanlique qui, comme nous le savons aujourd'hui, bien loin d'lnnover, reprenaient les philosophies du langage de la fin du xvne siecle et du xvnre (Verburg 1952.413-417, 468-469, De Mauro 1965.47-63), perdent Ieur caractere de simple curioslte, Les Antinomies litiquis­ tiques (Paris 1896) de Victor Henry, qui auraient mis Saussure en contact avec les Idees hegeliennes relatives a Ia dialectique des processus reels et cognitifs (Jakobson 1933.637-638, Alonso 1945.10), pourraient en realite n'avoir qu'encourage Saussure a parcourir une route que « le grand revelateur des anlinomies linguistiques » (Jakobson 1962.237) avait deja entamee autrement. En realite, comme nous l'avons deja montre (supra 323, 362), Saussure eut des rapports avec Jes philosophes de I'epoque romanlique et avec Hegel des Ies annees de sa prime jeunesse, grace a Pictet et, par son intermedlalre, a sa grande-tante Albertine-Adrienne. II n'est done pas improbable que Saussure alt reellernent eu devant Ies yeux la theorle du signe de Fr. Schlegel (Nusse 1962.26, 70) et qu'il ait tire profit des recherches de I'humboldtien Steinthal (Hjelmslev 1928.112-113,Buyssens 1961.26). 11 est merne probable qu'il connaissait au moins l'ceuvre fondamentale de Steinthal, Ia Charaklerislik der hauptsii.chlichsten Typen des Sprachbaues (Berlin 1860), reelaboree par le linguiste suisse Franz Misteli (1841-1903), professeur a Bale, dans I'edition de 1893, qui figure comme volume II de l'Abriss der Sprachwissenschaft de Steinthal et Misteli (Arens 1955.217et sv., 325, Tagliavini 1963.136137). Dans ce cadre, les rencontres avec Humboldt acquierent nne certaine probabilite (Mathesius 1933, Trier 1934.174, Porzig 1950.396). L'ceuvre posthume d'Humboldt, Uber die Verschiedenheil des mensch­ lichen Sprachbaues und ihren Einfluss au{ die geistige Enlwickelung des Menschengeschlechts (Berlin 1836), avec Ia notion de • innere Sprach- form • (CVll-CVXII) aurait fourni a Saussure I'Idee du caractere amorphe de la pensee hors de la forme que lui donnent Ies signifies d'une langue (C. L. G. 155 et sv., Alonso 1945.9, Buyssens 1961.26) ; la distinction erqon­enerqeia (p. LVI I) anticiperait celle de langue­parole (Laziczius 1939,Coseriu 1962.52, Iordan-Bahner 1962.426; seul Verhaar 1964.749 note justement que Humboldt refute cependant que die Sprache soil un ergon, si bien que la rencontre est plutot une contradiction), Ia distinction entre Form et Sto(f (p. LX I et sv.) anticiperait celle entre forme et substance (Coseriu 1962.178) et celle de Ia langue comme forme (Hartmann 1959 = 1963.24-26); on peut par consequent sup- SUR F. DE SAUSSURE 389 poser que Saussure a ete influence par l' • holisme •, la notion de systemacite des entites linguistiques (p. LIX et LXII: Chomsky 1964.60), et la distinction (p. XVIII) entre I'etude comparative et l'etude de la langue comme un • innerlich zusammenhangenden Organismus » (Wartburg-Ullmann 1962.9-10)"· 14. Devant cette foule d'antlclpatlons et de precurseurs on pourralt crolre que R.-L. Wagner (1947.21) avail raison Iorsqu'll affirmalt que Saussure dolt etre dlebre • molns pour avolr emls des vues revolutionnalres que pour avolr systernatlse sous une forme tres dense des notions qui, [usqu'a Jul, avalent ete un peu flottantes •. II n'y a qu'un pas a franchir pour conclure, avec B. Collinder (1962), que Saussure n'est que le mediocre repetiteur des bonnes ldees des autres. On peut repondre de ditlerentes Iacons a des affirmations de ce genre. En mettant en lumiere le processus tourmente de formation des theses saussurlennes (supra 3j3-358), en Jes exposant a nouveau dans leur profonde origlnallte (supra 358-366), en observant l'incomprehension qui a entoure ceux qui comme Noreen et Marty furent ses volsins ideaux (supra 385, infra 390-394 J. incomprehension qui est le signe de l'avance qu'avalent certalnes ldees par rapport a la moyenne des savants contemporains. II ya pourtant encore une Iaeon de repondre, De Crislppe a Finck, aucun de ceux qu'on a designes comme precurseurs de Saussure n'a Joul de Ia serie de critiques et parfols de verltables injures qui ont accompagne le C. L. G. Une description rneme schematique de la fortune de l'eeuvre de S. ne peut pas Ignorer ce type de reactions. La conception de l'arbltraire compris comme simple absence de motivation du slgnifle (voir note 137 au C. L. G. 100) a ete diversement attaquee : elle ne saislt qu'une partie de la realite linguistique et non pas le langage concret, poetique et vivant qui seralt au contraire motive et symbolique (Lerch 1939, Alonso 1950.19-33); elle lntroduit subrepticement Ia realite extralinguistlque (Pichon 1937.25-30, Jakobson 1966.22 et sv., 1962.653, Pichon 1941); en la tormulant, Saussure aurait indument generalise des conditions particulieres au bilinguisme suisse (Pichon 1937 cit.) et aurait peche par • remarkable ignorance of the normal procedure • du processus deflnitoire et, en somme, par s naivety • (Ogden et Richards 1923.5 note 2). Tautologies, contradlctions;« etwas mager • dans la definition du signe sont, parmi d'autres, signalees par Ogden et Richards (cit.), Graur (in Zeichen und System, 59), Nehring 1950.l, Otto 1954.8. La distinction entre langue et parole rnene a une conception- abstraite s de la langue (Meillet 1916.35, Schuchardt 1917, Budagov 1954), cree de • fatales equlvoques • (Palmer 1954.195), est psychologisante pour Antal (1963.17 et sv.), mathematlsante pour Schuchardt (cit.), idealiste pour Cohen (1956.89-90), positiviste pour Pisani (1959.10). De la rneme tacon, la distinction entre synchronie et diachronie, Iorsqu'elle n'a pas ete conslderee comme vieille et depuis longtemps connue, a ete rejetee avec Jes motivations Jes plus variees (voir note 176 au C. L. G. 119). Saussure, enfln, serait • obscur • (Biihler 1934.17), Incapable d'expliquer comment fonctionne le Iangage (Ogden-Richards 1923.232), • fllosoflcamente rozzo e grossolano • (Pisani 1966.298). On peut trouver un recueil des affirmations devenues ensulte loci commune., de I'antlssaussurisme dans le c.ompte rendu du C. L. G. par H. Schuchardt, ensuite largement transfuse dans Hugo Schuctumit-Breoier(edite par L. Spitzer, Halle 1922): Saussure y peche par psychologisme (411-412), par elolgnement du concret ( 418), par antl-historisme dans la distinction entre diachronle et synchronie (420), par mathematisme (434), par sociologisme et posilivisme grossler dans Ia conception de Ia synchronie (318-320, 329-330), par abstraction (368-387). Un bon collectionneur de ces affirmations est Roger 1941: Saussure est aprioriste, ses theses reposent • in der Lutt » (164), il indique des taches mals ne dit pas comment Jes accomplir (16~) •. ne considere pas l'.1 langu,e d'.1ns .sa complexite concrete (165-166), est Iogtcisant dans la theorie de I arbitraire (166-167), gfoerique dans sa deflnition de la langue comme • fait social • (167168), subit la mauvaise influence de la sociologie (167-173). NOREEN ET SAUSSURE APPEND ICE NOREEN ET SAUSSURE Noreen, ignore par difTerentes histoires de la lingulstlque (cf. par exemple Leroy 1965, Bolelli 1965, etc.), a He signale par B. Collinder, son eleve (Hjelmslev 1944. 140-141), comme precurseur de Ia phoneIogie pragoise (Collinder 1938, Lepschy 1966. 70-71) et comme precurseur de Saussure (Collinder 1962. 6, 13, 14). Malheureusement, Collinder a vise non pas a analyser Jes theories de Noreen, mais a contester I'orlglnalite des positions saussurienne et pragoise. Mais il est vrai que dans Ia troupe variee des « precurseurs , de Saussure, Noreen est un des rares a exiger une attention speciale. Adolf Gotthard Noreen (cf. B. Bergmann, necrologle In s Svenska Akademiens Handlinger • 1925. 27-47, Lotz 1954), de trois ans l'alne de Saussure (Herresta 13-3-1854-Artemorks 13-6-1925), docteur en philosophie en 1877 a Uppsala, puis professeur (a partir de 1877) et directeur du semlnaire de .langues nordiques (a partir de 1878) dans la rnerne ville, se rendit en Allemagne en 1879 pour se perfectionner et sejourna a Leipzig oil ii entretint des rapports avec A. Leskien et son entourage. De retour dans sa patrie en 1887 il devient professeur de Iangues nordiques. Apres sa these (Fryksdalsmalets ljudliira, Uppsala 1877) ii se specialise dans Jes langues germaniques septentrionales et en particulier en suedois (tout comme Whitney s'etalt consacre a l'anglais et Saussure se consacrera a la phonologie francaise), dans une perspective synchronique et en relation avec ses problemes de linguistique generate (rappelons, a titre de commentaire, Jes mots de Saussure dans son cours inaugural genevois de 1891 : • Ce ne sont pas les linguistes ... qui embrassent a pen pres tous Jes ldiomes du globe qui ont jamais fait faire un pas a la connaissance du langage ; mais Jes noms qu'on aurait a clter dans ce sens seraient Jes noms de romanistes ... , de germaniste ... , des noms de I'ecole russe s'occupant specialement de russe et de slave ... • : Notes 66). Noreen est parmi !es rares a reconnaltre la valeur des theories du Memoirt 391 saussurien ; Saussure, pour sa part, cite de Noreen I' Altislandischt und allnorwegische Gramm. unter Berii.cksichtigung des Urnordischen (Halle 1884 ; reeditee sous le titre Altislandische Gramm., 1892, 1903, 1923) dans une note M. S. L. 6, 1889.53 = Rec. 408) ; et en connalssait sans doute soil )'attitude favorable au Memoire, soit Jes travaux de germaniste dans le Grundriss de Paul ( Gesch. der nord. Sprachen, Strasbourg 1889) et dans Ia Sammlung de Braune (Altschwedische Gramm. mil Einschluss des Altgudnischen, Halle 1904). Noreen connaissait-il Jes theories generates de Saussure? L'unique eleve suedois de Saussure dans la perlode parisienne, Anders A. Enander, celtiste qui frequenta Jes cours en 1884-1885 et 1885-1886 (Fleury 1965.46), pourrait avoir servi d'intermediaire : or Saussure fait justement en 1885-1886 « quelques lecons consacrees a des generalites sur la methode linguistique et la vie du langage " (Fleury 1965.62 et Benveniste 1965.33). II est au contraire tres difficile que Noreen puisse avoir tire profit de i'"·>er~u de la semiologle saussurienne divulgue par A. Naville en 1901 l voir supra 352 note 9). Par ailleurs, s'il est vrai que Saussure ignorait le suedois (renseignement du a R. Jakobson ; mais pour un germaniste un texte suedois ne presente pas de dlfflcultes excessives), ii est probable qu'il a ignore Vari Sprdk. Naturellement, il est raisonnable de supposer que n'a pas echappe a Saussure le long article de Noreen Uber Sprachrichtigkeil, trad. du suedois (Om sprdkriktighet, 2e ed., Uppsala 1888) par A. Johannson, IF I, 1892. 95-157, dans lequel ii soutenait, polemiquant avec lesDetailforschungen predorninantes, I'utilite de la linguistique generale et, dans Ia conclusion, affirmait que « Die Sprache ist... wie Kleider, Wohnung und Werkzeuge, wesentlich ein Kunstprodukt ... , das sich allerdings verandert, weil es benutz und dabei abgenutz wird... » (p. 156). Ajoutons que le nom de Saussure est absent de la lisle des participants et des tabulae gratulatoriae des deux melanges en honneur de N. (Nordiska Studier, Uppsala 1904 et Nordiska Ortnamn, Uppsala 1914). Quoi qu'il en soit, e11 !'absence de preuves certaines attestant la connaissance reciproque en matiere de theorie generate, les coincidences entre Jes theories de Saussure et de Noreen ne peuvent s'expliquer que par un developpernent parallele. Mis a part Folksetymologier (Stockholm 1880) qui, avec sa collection de « monstres "• prelude a la these de Saussure sur la Volksetymologie, les coincidences concernent surtout le C. L. G. et Vdrl Sprak, L'histoire editoriale de cette oeuvre est d'une complexite incroyable (Lotz 1954). II suffit ici de rappeler que Jes fascicules 1-5 du volume I parurent a Lund en 1903, en merne temps que le fascicule 1 du volume IV ; en 1905 parut le fascicule l du volume III; a la fin de 1906 parait le slxieme et dernier fascicule du volume I ; entre 1907 et 1924 parurent une bonne partie des autres fascicules des dix volumes dont I'ceuvre devait etre constituee, En 1923, editee en realite par Noreen lul-meme, parut 392 APPEND ICE une synthese en allemand : Einfiihrung in die wissenscha(lliche Betrach­ lung der Sprache. Beitriige zur Melhode und Terminologie der Grammatik vom Verfasser genehmigte und durchgesehene Ubersetzung ausgewiihl: ter Teile seines schwedischen Werkes • V. S. • von H. Pollak, Halle. II est surprenant que dans cet ecrit Noreen qui, avec trente ans d'avance sur tous, voit parfaitement l'importance de travaux comme la Vermenschlichung der Sprache de J. Baudouin de Courtenay, Hambourg 1893, les Eludes sur les changements phonetiques, Paris 1890, de Paul Passy (p. 144 et alibi) et surtout l'reuvre de Marty, le seul avec Saussure et Kruszewski qui puisse lui etre compare, Uniersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik und Sprach­ philosophie, volume I, Halle 1908 (p. 222), ne cite au contraire Jam aisle C.L.G. Voici lepassagesurle,sonqualitativementdetermine » ( = phoneme) que Lepschy (1966. 71) qualifle d'« impressionnant » et la tripartition de la linguistique encore plus , impressionnante ». Med ett visst, kvalltatlvt bestlimdt ljud I motsats mot ett annat dyllkt mena vi vanllgen .. .lcke ett under alla omstAndlgheter ldentlskt Ilka Ijud ... Utan vi mena t.e. med det nysvenska i-ljudet e mangd ljudvarleteter. son Aro hvarandra sA pass Ilka -akustlskt och vanllgen lifven genetlskt sedt- att dear de talande och horande antlngen lcke alls eller Atmlstone blott med stor svArighet till sin ollkhet uppfattas, och hvllkas kvalitetsdillerens, om ock den skulle vara for Oral markbar, I alla hlindelser lcke anvlindes I sprakligt syrte, dvs. sason blirare at nagon betydelsdlllerens. PA grund daraf kan en dylik grupp af mlnlmalt olika Ijud IAmplig~m betraktas sAsAsom varande lnom slg alldeles homogen, ochhvarje ljudlnd1vld lnom gruppen kan sAiunda utan olagenhet fal blira samma namm - t.e. • l-lju(d)et • -som alltsA Ar ettartnamn,lckeettegennamn(V.S.,Lund 1903[et non pas 1905] page 407) •. Di\ sprAket vAsentllgen Ar-llksom klllder, boning och verktyg-en konstprodukt, sA rnaste det for betraktelsen kunna erbjuda Ilka manga och samma hutvudsynpunkter so.m hv~rje annan sadan nllmligen materlalets (det amne, hvaraf konstprodukten forfard1gats), lnnehAllets (det amne, som konstpredukten • forestaller • eller • beha!:Jdlar • ; den uppgitt, som den bar att • losa •, andamalet) ~~h fonnens (det satt, hvarpa uppgiften medelst det begagnade materialet losts ; strukturen, byggnadsstilen). Dessa trenne synpunkter bestamma grammatikens hufvudindelnlng. 1. Ljudlllran eller fonologlen, som redogOr fOr det fyslska materialet, hvllket I frA~a om det primara och vlktlgaste spraket, talsprAket, utgores af de • artikulerade sprAkljud •, genom bvilka Ideinnehallet meddelas. Fonologlen 1. [Par un certain son qualltatlvement determine en opposition a un autre nous n'entendons pas un son semblable a Iul-meme dans tous Jes cas ... Nous entendons au contraire, par exemple pour le son i suedois moderne une quantile de variantes qui sont tenement semblables Ies unes aux autres acoustlquement ou en general genetlquernent, qu'elles ne sont pas dlstlngabies par celul qui parle ou. ecoute, du moins pas sans grande difllculte, et que Ieurs dlfterences qualltatlves, meme sl elles etalent perceptibles a l'orellle ne sont de toute tacon exploitees a des fins llngulstlques, c'est-a-dlre qu'ell~s ne portent pas de differences de sens. Sur cette base un simple groupe de sons distlncts minimums peut l!tre consldere avec raison comme entierement homogene et chaque lndlvldu phonique de ce groupe peut alnsl porter le meme nom (par ;x. 1 son i •) sans Inconvenlents, nom qui est un nom de genre et non pas un nom propre]. NOREEN ET SAUSSURE 393 fAr lcke sasom stundom skett, fOrvlixlas med sin nArmaste hJAlpvetenskap • fonetlken •, ocb Ar naturllgtvls Annu skarpare sklld frAn dennas bJAlpvetenskap • akustlken • ... 2. Betydelselllran eller semologlen, som redogor fOr sprAketspsyklska lnnehAll: de ldeer som genom sprilkljuden meddelas och pA sA slitt utgora dessas • betydelse •. Semologien Ar noga att skllJa !eke blott frAn sin narmaste bjlilprentenskap , sprAkfllosoflen •, utan lifven frAn den del af psykologlen, som bandlar om fllrestlillnlngama och de Annu Mgre fOmlmmelserna, samt - och detta kan !eke nog krafllgt lnskArpas-frAn • loglken •, !Aran om begreppen sasom sadana (och !eke blott sA vldt de fAtt sprAkllgt uttryck) ocb om dessas (men !eke de sprAkllga uttryckens) fOrblndelser. Ty mot bvarJe med betydelse fOrsedt sprAkllgt uttryck svarar lngalunda ett slirsklldt begrepp, llksom Annu mlndre tviirtom. Och dock har en dyllk mlssupppfattnlng ocb dll.raf fOIJande sammanblandnlng af de bAda vetenskapema rorekommlt samt vlsat slg Mesdlger bade fOr grammatlken och An mer tor loglken ; ungefiir pA samma satt som ljudlll.ran !Ange lidit men - om ock I mlnde grad och framfor allt under kortare tld - af forblandnlngen af !Jud ocb bokstaf och den dllrpA beroende totala eller partiella sammanblandnlngen af fonologl och ortograflk. 3. Formliiran eller morfologlen, som redogOr fOr det sArskllda sAtt, hvarpA lJudmaterlalet I betydelselnnehilllets tjAnst formas till • sprAkformer •. Formlliran utgor grammatikens cenlrala och vlktlgaste del, hvadan den ock Ar skarpt sklld frAn andra vetenskaper l V. S. I, p. 50-51) 1. 1. [La langue etant en substance un prodult artlflclel, comme les v~tements, Jes malsons, les outlls, elle dolt ollrir a !'analyse autant de points de vue que tout autre prodult artificiel, et des points de vue semblables, c'est-a-dlre celul du materiau (c'est··fHiire ce dont est fall le prodult), celul du contenu (c'est-a-dlre ce que le prodult • represente • ou ce dont II « tralte • ; la tache qu'll dolt remplir ; sa fin), et celul de la forme (la facon dont la Uche est executee avec l'aide du materlau utilise ; la structure, !'architecture). Ces points de vue ... determinent les prlnclpales partitions de la grammalre ... 1. La science des sons ou phonologle, qui s'occupe du materiel physique qui, dans la langue premiere et plus lmportante, la langue parlee, est constituee de • sons vocaux articules , gr:lces auxquels le contenu des ldees est dlfferencle. La phonologle ne dolt pas, comme cela s'est parfols produit, ~tre confondue avec sa science auxilialre la plus lmportante, la • phonetlque •, et elle est naturellement encore plus separee de la science auxillalre de cette dernlere, I' • acoustlque • ... 2. La science du slgnlfie ou semologle, qui tralte du contenu psychlque de la langue : !es ldees qui sont reparties au moyen des sons vocaux et qui constituent sur cette base leur , sens •. La semologie ne dolt pas seulement l!tre solgneusement distlnguee de sa discipline auxilialre la plus lmportante, Ia • phllosophle du !engage •, mals aussl de la partle de la psychologie qui traitedes representations et de contenus de conscience encore plus eleves, et en mi!me temps et surtout de la • loglque •, la science des concepts en lant que tels ( et non en tant qu'lls ont trouve une expression llngulstique) et de leurs relations (et non pas des relations des expressions llngulstlques). En falt on ne peut en aucune facon dire qu'un concept" particulier corresponde a chaque expression llngulstlque pourvue de signification, et le contraire est encore molns vral. Cependant cette fausse conception et la confusion des deux sciences qui en decoule se sont produltes au dommage de la grammalre et encore plus de la loglque ; plus ou molns comme la phonologie, quolque dans une molndre mesure, a soulTertde l'echange entre lettre et son et de la confusion qui en decoule entre phonologle et orthographe. 3. La science de la forme ou morphologle, qui se preoccupe de decrire la facon dont le materiel phonlque est modele au service du contenu slgnlflcatlf en • formes lingulstiques •. La morphologle occupe la place centrale et la plus 394 APPENDICE Si ces passages et ces concepts resterent ignores de Saussure, lls ne le resterent probablement pas de Hjelmslev et, de toute taeon, la • semologle • de Noreen est du plus grand interet pour quiconque se preoccupe aujourd'hul de l'analyse des formes du contenu semantique (cf. en ce sens Malmberg 1966.53 ; Malmberg s'arrete aussl sur un autre savant suedois malchanceux, Carl Svedelius, qui en 1897 tenta dans une dissertation de construire, en rapport avec le tran~s. • une algebre de la grammaire • ; comme deja E. Wellander, in • Svenska dagbladet • 29.3.1946, Malmberg 1966.54 se demande aussi si Svedelius n'a pas influence Saussure ; mais ii faut aussl se demander dans quelle mesure Noreen lnfluenca Svedelius, influence ividemment beaucoup plus probable que l'autre). lmportante de la grammafre, car grice a la morphologie la grammatre est nettement distlncte des autres sciences. I [Note du traducteur : ces textes de Noreen ne sont pas tradults du suedols mals d'apres la trad. Ital. de T. De Mauro.) ADDENDA 1. LA BIBLIOTHEQUE DE SAUSSURE En 1921 Jacques et Raymond de Saussure deposerent a la bibliotheque publique de Geneve 465 volumes et recueils de melanges, nurnerotes, qui, a part un ecrit de Regard de 1919 (n. 337) avaient ete la proprlete de Saussure et 'portent en partie des notes de sa main. Y dominent Jes ecrits de linguistique historlco-comparative indoeuropeenne (326 sur 465), tandis qu'il y a a peine 10 ecrits de linguistique gencrale, auxquels peuvent s'ajoutcr Jes quelques 26 ecrits de phonetique et de phonologie. Nous nous trouvons done devant la bibliotheque d'un linguistique historicn d'ou emergent avec evidence les interets pour !es eludes germaniques (132 titres, soil plus d'un quart de I'ensernble) et pour le groupe balte (36 titres), outre les interets plus courants pour le grec, le latin et l'indien ancien. Un groupe discret d'ceuvres et quelques rccueils de melanges (23) concernent speciflquement les cycles des legendes des diflerents peuples indoeuropeens, germaniques en particulier ; nombreux sont egalement Ies traites de metrique (13 titres). Le groupe des oeuvres et des melanges (27 en tout) relatifs a phonologie historique et descriptive, a Ia phonetique experirnentale, a la graphemique, est assez important pour I'epoque. Dans le groupe se detachent les travaux de Baurlouin de Courtenay (n. 2). les Studies from the Yale Psychological Laboratory, Yale 1902 (phonetique experirnentale), P. Passy, Elude sur Les chan­ gemcnts phoneiiques (voir supra 338, :rn2 Vi cf. note 116), E. Sievers, Grundziige der Phonelik, Leipzig 1881, J. Winleler, Die Kerenzer Mundart, etc. (v, supra :{8G). Parmi les rares eludes de linguistique generate, notons F. N. Finck, Die Haupllypen des Sprachbaus, Leipzig 1910 (manque au contraire Aufbau und Gliederung: voir supra 383), diflerents essais de Whitney (165), V. Henry, Elude sur l'analoqie, Lille 1883 (manque au contraire 396 ADDENDA ADDENDA le travail sur les antinomies linguistiques : supra 388) et enfln la traduction allemande de l'reuvre fondamentale de Kruszewski (voir supra 340) : notons que ni le nom de Kruszewski ni le titre (Prin­ zipien etc.) ne flgurent dans le catalogue gencvois ; l'reuvre ayant ete publiee par livraisons dans I'• Internationale Zeitschrift filr Allgemeine Sprachwissenschaft •, seul le titre de la revue apparait dans le catalogue (146-150, correspondant aux livraisons dans lesquelles parut I'ceuvre du grand savant polonais). Kruszewski (et d'autres savants slaves) est egalement present par une serie d'opuscules rassernbles en melanges (32). Les Prinzipieti de H. Paul manquent parmi les livres de Saussure (supra 382). II ne faut certes pas surevaluer les absences : ii suffit d'observer que manquent dans la bibliotheque de Saussure I'Essai de Semaniique de Breal et Programme et methodes de Sechehaye, deux livres que Saussure connaissait bien, au point rneme d'avoir prepare une ebauche de compte rendu (Bihllotheque publ., Ms fr 3951.16 et 3951.21). Une reconstitution plus complete de ce que fut la bibliotheque personnelle de Saussure necessitera de toute Iacon une exploration du fond Bally. Par exemple l'exemplaire de la Sprachwissenschaft de Gabelentz appartenant a Saussure a flni parmi les livres de Bally et n'est pas enregistre parmi les 465 volumes catalogues comme ceux de Saussure. Le cas ne serait pas unique d'apres R. Godel (aimable information prlvee). 2. NOREEN, SAUSSURE ET LE SUEDOIS On trouve, comme ii fallait s'y attendre, dans la blbllotheque de Saussure l' Altislandische Grammatik de Noreen dans les editions de 1884 et de 1903 (notes 43 et 418 : voir supra 390). Aucun autre ecrit de Noreen n'apparatt dans le catalogue. Toutefois, pour completer ce que nous avons dit au sujet de la connaissance du suedois par Saussure, observons qu'il y avail dans la bibllotheque de S. differentes eeuvres en suedols (380, 110) ainsi que le Praktisches Lehrgang der Schwedischen Sprache, Leipzig 1882, de E. Funk, et la Grammaire suedoise de A. Th. Paban. II semble done que Saussure pouvait tout simplement lire des textes en suedois. 3. SAUSSURE, WACKERNAGEL ET LES SAVANTS DE LA!I.GUE ALLEMANDE Leopold Gautier, qui fut pres de Saussure dans les dernleres annees ct qui nous a donne des articles et des ternolgnages precleux pour connattre la pensee et la vie du mattre (voir 8, 324, 344, 353, 354, 397 358), possede deux lettres que Saussure lui envoya le 30 Janvier et le 20 juillet 1908, alors qu'il trequentatt I'universlte de Gottingen. Toutes deux montrent l'aflectueuse sollicitude avec laquelle Saussure suivait les jeunes savants et, en meme temps, le sens de l'isolement dont ii souflrit (voir supra 11-111 et 358). La seconde, ecrite peu apres la ceremonle de juillet 1908 (supra 358), repond A une lettre de vreux que lui avaient adressee de Gottmgen des etudiants et des savants parmi lesquels Trautmann et Wackernagel. Saussure ecrlt : « Je ne pouvais etre que tres particulierement touche d'entendre, parmi les signataires du telegramme, le nom de notre commun maltre Waekernagel - ii acceptera ce nom (de ma part raye] parcequej'ai plus appris parses ecrits que par ceux d'aucun maltre eflectif. • Rappelons, pour evaluer mieux les mots de Saussure, non seulement I'exceptionnelle stature du grand indianiste de Bale mais aussi le fait qu'il fut parmi les tres rares a mentionner de digne taeon le Memoire (voir supra note 5, page 329). A l'admiration de Saussure repond celle de Wackernagel qui, outre dans l'Altindische Grammatik et le compte rendu du C. L. G. en 1916, apparalt aussi dans un article du « Journal de Geneve • (24 avril 1922), cite par L. Gautier, Le silence de Saussure, • Journal de Geneve • 22-23 avril 1961, p. 18. Le cas de Wackernagel est signiflcatif et n'est pas Isole, La fortune de Saussure dans les pays de langue allemande (a part de rares et recentes exceptions) a ete en bonne partie Hee a des savants d'origine suisse qui ont ecrit en allemand et ont meme souvent enselgne dans des unlversites allemandes. Outre Wackernagel, c'est le cas de W. von Wartburg (voir supra 374) ou de Gliru (infra note 219), dont on se rappelle Die (nnere Form des Deutschen. Eine neue deutsche Grammaiik, Berne 1952, qui des I'Introduction revere son inspiration saussurienne. Il est a esperer que le maigre paragraphe consacre a Saussure dans les pays de langue allemande (supra 374) apparaltra dans quelques annees comme le temoignage d'une situation depassee par la Iinguistique d' Autriche et des deux Allemagnes. 4. UN JUGEMENT NEGATIF DE CROCE SUR SAUSSURE Le Couts de Saussure est, selon un vieux linguiste italien, Vittore Pisani, un livre « rozzo e grossolano •. V. Pisani ecrivait ii y a quelque temps dans la revue qu'il dirige, • Paideia • (Profile storico della lin­ guistica moderna, « P • 21, 1966, p. 297-308, aux pages 297-98 : • La place preeminente donnee [par Leroy) a Saussure ... peut apparaltre a certains d'entre nous comme excessive et trompeuse pour ce qui concerne la perspective... Et je voudrais ici rappeler le jugement porte, ce me semble, par Croce (mais je n'arrive pas a retrouver oil) sur le Cours, comme un livre fruste et grossier. • Nous ne voulons 398 399 ADDENDA ADDENDA pas discuter ici Jes opinions du savant de Milan mais examiner un aspect du problerne des rapports Croce-Saussure. Croce eut certainement connaissance de I'existence de Saussure. n est vrai que dans le riche index de L' • editio ne varietur • delle opere di B. C. (Naples 1960) du regrette Fausto Nicolini le nom de Saussure n'apparatt jamais. Cependant beaucoup se rappellent que Saussure a ete mentionne au moins une fois par le philosophe napolitain, et precisement dans le compte rendu du livre de G. Nencioni (ldealismo e realismo nella seienza del linguaggio, Florence, 1946) qui, Intitule Sulla natura e l'ufficio della linguistica, parut dans les • Quaderni della Critica • 6, 1946, 33-37, puis dans Leiiure di poeli, Bari, 1950, 247-251. On y lit(• Quad. • p. 34) : to Nuoo« pagine sparse, II. Metodologfa storiografica. Osseroazton! su libri nuovi, Naples, 1949). • n senso di « ridentl • e « fuggltivl • non e reso da nessun vocabolarlo, perche sl trova solamente in quel verso e in quella canzone del Leopardi. Cio ammesso per paciflco, ne consegue che ogni indagine della singola parola, della • langue en elle-merne et pour elle-merne • (come dice ii De Saussure e ii Nenclonl ripete), non riguardera l'espressione fantastica, musicale e poetica che e l'unica realta del linguaggio, ma qualcosa che non e ii Iinguaggio, e che e fuorl del linguaggio, e che e altro dal Jinguaggio... Che cosa sono dunque i singoli vocaboli, oggetto di tali investigazioni 'l « Parole •, a dire propriamente, no, o tali soltanto per modo di dire corrente ... Ho proposto, c ripropongo, di chiamarli • segni • : segnl fonici, mimici, grafici o combinatl tra loro, o come altro si enumerino e classiflchino. • Etant donne les expressions utillsees dans ce texte crocien, la mention de Saussure a tout l'air d'etre faite de seconde main. Ou est done le passage dont Pisani se rappelle sans se souvenir de l'endroit? En feuilletant les index des volumes crociens on trouve une autre reference a Saussure. Dans une note a peine posterieure a 1932 est rapporte un dur jugement que Leo Spitzer, a l'occasion de la publication de la Si/loge linguistica ... Ascoli (Turin 1929), avail porte sur Ia linguistique italienne (in « Indogermanische Forschungen •, 50, 1932. 147-153). Au dire de Spitzer la linguistique italienne apres Ascoli (et mises a part Ies theories de Croce) n'avait rien produit d'important et de neuf, comme cela s'etait au contraire produit en Bussie avec Trubeckoj et Jakobson, en • France • avec Saussure et Meillet, etc. Croce cite les mots de Spitzer et, avec eux, le nom de Saussure (Pagine sparse, vol. II, Bari, 1960, p. 395). Si l'on pense au fait que le C. L. G. semble n'avoir jamais existe dans Ia bibliotheque de Croce, on serait tente d'exclure que le passage crocien rappele par Pisani ait jamais existe. Et pourtant le passage existe (et ii a ete retrouve par un savant beige, M. Deneckere, qui prepare un travail serieux sur Jes Idees linguistiques de Croce). II s'agit du compte rendu de la premiere edition de la traduction traneaise du livre de W. von Wartburg, Probletnes et methodes de la linguistique (« Quaderni della Critica •, 8, 1947. p, 80-82. reimprime Parlant de l'ouvrage de Wartburg, Croce ecrivalt : lo lo prendo In esemplo e conferma di clo che ho scrttto sul concettl della Llngulstlca, che sono deboli et confusl presso I llngulstl, Ml restrlngu alle paglne lntroduttlve ... Pag. 6 : • Nous operons avec Saussure une distinction severe entre la 1 a n g u e d'une part et le I an g a g e, la parole de l'autre part. La langue est un fait soc i a 1, la parole est un falt i n d i v I d u e I. La langue co,nprend tout ce qu'il y a d'essentlel, elle constitue un vaste tout : la parole, elle, se borne ll evoquer u n e f a I b I e p a rt I e de cet ensemble dont elle se sert pour reprodulre un contenu de conscience m om e n t a n e et s t r l c t e men t l n div Id u e I. , Le sottolineature sono mle. Cosicche l'uomo che parla non creerebbe ll llnguagglo, ma ne trasferirebbe qualche pezzo da una massa eslstente fuorl dl Jul; e creata da chi? Forse dalla soeleta ? Ela socleta non si compone d'lnJivldui? Ma l'autore (pp. 4-5) aveva gia messo la parola alle dipendenze della socleta, con questa sentenza : • La parole, si nous falsons provlsolrement abstraction du monologue, presuppose au molns deux personnes • ; econ quell'intercalato • se • sl rlduceva a dire : la parola, se si fa astrazlone dal monologo, non e monologo ma dlalogo... Ora, all'autore, che e un llnguista e non ha la capaclta e la pratlca fllosoftca dell'analisi del concettl, non cade In mente di domandare che cosa sta, dove stla, come sla nata, da chi sla stata creata questa lingua da cul l parlantl prenderebbero qualche pezzetto fuggevolmente. Se sl fosse fatta questa domanda, se avesse segulto davvero questa lndagine sarebbe di necesslta pervenuto alla conseguenza che la lingua none altro che un ens mtionis, fogglato dal grammatlcl, e che sola realta sono git individul che parlano e creano Incessantemente parole e llnguaggio... A questo ens raiionis [la lang11e] corrlsponde una realta che ~ appunto II fine per ii quale esso fu foggiato, dapprlma didascallco-estetlco e pol di lnterpretazlone storica, cioe del varlo senso delle parole e delle altre forme del dire ; cose cul a volta a volta sl referlscono la storia del costume o la storla della elvllta. Ma questa concluslone e preclusa al Ilnguista, e II Saussure, che ha posto la lingua come ii fatto essenzlale e primarlo e II linguagglo come fuggevole e secondario, ha anche, con pari r o z z e z z a o I n n o c e n z a I o g l c a, stabilito un'assoluta distinzlone tra slncronla e diacronla del llnguagglo, slrnultanelta e successione, descrlzlone del presente lingulstlco e storla del passato : quando gla da quaranta e plu annl l'intelligente linguista Hermann Paul aveva ammonito che lo studio della lingua e sempre studio storlco (p. 7-11). Pisani avait done raison de parler, meme vaguement, d'un jugement negattt de Croce sur Saussure. On notera cependant, par souci d'exactitude, que le Saussure accuse par Croce de • rozzezza e innocenza logica • est le Saussure qui lui est connu a travers W. von Wartburg, c'est-a-dlre le Saussure de la « vulgate saussurienne », et non pas le Saussure authentique du C. L. G., livre que Croce semble n'avoir jamals Ju. Nous ne voudrions pas avoir l'air de chercher a tout prix a disculper Croce. Mais sl l'on pense a !'absence effective de liens logiques entre les differents • points » auxquels se reduisait la pensee de Saussure entre 1920 et 1950-55, et si l'on pense que c'est a ce Saussure que Croce, it travers Wartburg, devait necessairement se reterer, le jugement negatlf du philosophe italien apparait moins injusttfle qu'a premiere vue. Ce qui est Injustifle, c'est qu'il soil repris, et qu'il soil repris 400 401 ADDENDA ADDENDA par des speclalistes qui pourralent et devralent se documenter sur la pensee authentique de Saussure. le comportement de Chomsky change. Au debut des Aspects (Chomsky 1965.4) Saussure est encore mentionne honorablement, mais on l'y accuse deja d'une • naive view • du langage (ce qui est en realite • naive ,, c'est ce que Chomsky comprend en Iisant Saussure : volr la note 225 du C. L. G.). Saussure sera plus tard assimile a Whitney (on trouve deja une allusion dans ce sens dans Chomsky 1964.59) et accuse d'avoir une conception • appauvrie • du langage (Chomsky 5. SAUSSURE ET CHOMSKY La question des rapports entre Saussure et Chomsky presents quelques problemes, Chomsky s'est Iorrne a l'ecole de Z. S. Harris (Lepschy 1970.126 et sv. ), c'est-a-dlre dans un milieu bloomfleldien dans lequel (voir supra 371) Saussure etait ignore par principe. Comme nous le verrons plus loin, quelques elements typiques du bloomfleldianisme sont egalement restes dans Ies theories de Chomsky (K. V. Teeter releve egalement des elements bloomfleldiens chez Chomsky, Leonard Bloomfield's Linguistics, « Language Sciences • 7, octobre 1969.1-4). II est done tout a fail nature! qu'a l'epoque de ses premiers ecrtts (Semantic considerations in Grammar, in Meaning and Language Structure, Washington 1955, p. 141-155, Syntactic Structures, La Haye 1957), ii ne tire pas profit du C. L. G. II est d'autre part connu que des ses premiers ecrits, Chomsky se rebelle contre une serie de points de vue bloomfleldiens. II en refute en particulier l'inductivisme, l'Idee qu'en partant de !'analyse d'un corpus Iirnite d'enonces on puisse et on doive reconstruire une langue ; ii oppose a !'observation du corpus Ia necessite d'elaborer Ia theorie du « system lying behind it •, du systeme sous-jacent, dont Hjelmslev, pas entendu des Americains, avait deja parle. Comme on sait, Hjelmslev avail repris, ordonne et developpe, pour theoriser ce systeme, les theories saussurlennes sur la langue. II est done nature! que Chomsky, se placant sur la meme route, ail a un certain point rencontre Saussure. Au debut des annees soixante le; mentions de Saussure, sont trequentes et positives. Chomsky-Miller 1963.§ 6.2 et Chomsky 1964.86 soulignent la validlte de la theorie phonetique du C. L. G. 63 et sv., Chomsky 1963.§ 1.1 (qui est une veritable profession de foi saussurienne) et Chomsky 1964.52 et 60 se reclarnent avec un plein accord de la distinction entre langue et parole et de la conception de Ia langue. Chomsky Iimite a cette epoque son adhesion a Ia doctrine saussurienne en declarant ne pas vouloir s'occuper du cote semantique de la langue (1963.§ 1.1) et en reprochant a Saussure d'avoir ignore la recursivlte des regles syntaxiques (Chomsky 1963.§ 1.1 et 1964.59-60). Mais ces limitations n'entament pas l'evaluatlon positive d'ensemble : on parle de la « lucidlte • de Saussure dans sa penetration de questions essentielles, et on affirme que Saussure est le pionnier de la lingulstique scientiflque moderne (affirmation qui, pour un linguiste americain avant Chomsky et, aujourd'hui, de nouveau apres Chomsky, est un delit grave). Il faut cependant signaler que des la moitle des annees soixante 1968). Les rapports entre C. L. G. et grammaire transfonnatlonnelle sont done bien loin d'etre univoques et bien deflnis. Beaucoup ont eu la tentation d'insister sur certains elements d'accord et de continulte. C'est alnsl le cas de certains chomskiens a propos des dichotomies langue-parole et competence-performance(Ruwet 1967.18 et 50 et sv., Antinuccl 1970.XIII et XVIII) et apropos de la notion de grammaire (Ruwet 1967.366); sur Jes traces de Chomsky 1963 et 1964, ils ont repete que Chomsky se separerait de Saussure essentiellement parce que le linguiste de Geneve n'avait pas compris que la phrase appartient a la langue, ou bien n'avait pas compris le caractere creatlr de la langue (Ruwet 1967.51, 375, Antinucci 1970.XVIII) et avail ignore la distinction entre • rule-changing creativity • et • rulegoverned creativity • (Ruwet 1967.51). D'autres savants ont egalement insiste sur les aspects de continulte. En effet, face a certains chomskiens pour lesquels l'histolre de la linguistique commence avec Chomsky, ii est difficile de resister a la tentation d'indiquer tout ce que Chomsky doit a ses predecesseurs, et avant tout a Saussure. Ainsi Robert Godel ecrit par exemple : • Chomsky et ... ses adeptes ... n'opposent pas parole a langue, mais performance a competence. La diflerence, a mon avis, est surtout terminologique, car les critiques de Chomsky a l'adresse de Saussure ne sont pas entlerement fondees. , Godel ajoute : • II n'est pas exact que Saussure ail coneu le systeme de la langue comme un simple classement, en reservant a la parole tout l'aspect createur du langage, ii n'a pas non plus meconnu la creativlte reguliere (rule-governed creativity) qui se manifeste dans )'usage ordinaire de la langue. Mais sur le • rnecanisme de la langue • ii n'a donne que des indications sommaires (C. L. G. (176-180; cf. 173) ; et surtout ii l'a observe au nlveau de la morphologie ptutot que de la syntaxe, a I'occasion des creations analogiques (C. L. G. 3• p., ch. IV). De merne, c'est a ce niveau qu'il a discerne, a cote de Ia creation novatrice (rule-changing creativity), la creation - OU recreation - reguliere (C. L. G. p. 236 : analogie latente) , (Godel 1970.35-36). De cette Iacon, cependant, on accredite l'image d'un Chomsky qui s'eloigne de Saussure essentiellemcnt parce qu'il est transformationnaliste. En realite, les divergences sont beaucoup plus radicales et profondes. 11 y a certainement des analogies. La principale se trouve 402 ADDENDA ADDENDA dans le commun refus de la methodologie inductlviste et de l'epfstemologie positiviste, ou dans le commun refus de ce que Mulder (1968.1), citant Bacon, a deflni comme • the way of the ant », la vote de celui qui se contente d'accumuler des faits. Mais deja dans cette perspective tres generate, emergent des differences. 1) II ne paralt pas exact de dire que Saussure, comme Chomsky, est plus mteresse par la theorie que par la methodologie des recherches (Ruwet 1967.380) : en t ermes biographiques (car Saussure est part! de la conscience des difflcultes de Ia recherche linguistique concrete) comme en termes theoriques (cf. la note 305 et le « plan s ideal esquisse par Saussure in 427-429 B Engler), l'epistemologie de Saussure prevolt pour Ia linguistique • the way of the bee • (pour utiliser la cornparaison baronienne reprise par Mulder), Ia voie d'une elaboration theorique en dialectique continue avec Ia materialite des Caits. Chomsky suit au contraire • the way of the spider », la voie d'un calcul theorique inconditionnel. 2) Saussure a un profond interet pour le • cote ethnographique • des langues qui est entiererncnt absent chez Chomsky et ses adeptes. Grace a eel interet, Saussure a toujours vu la langue en rapport avec les autres rnoyens et systernes de communication et ii a cherche a dormer un horizon serniologique a sa linguistique. Toute perspective semiologique est au contraire absente chez Chomsky. 3) Saussure parvient egalernent a la necessite de lier la Iinguistique generate a la serniologie car, a Ia recherche d'une axiomatisation et d'une formalisation effective de sa theorie, ii ne peut laisser de cote une definition explicite et une theorie du signe : le signe linguistique n'est qu'une categoric partlculiere de l'univers plus vaste des signes, tout comme Ia langue n'est qu'un des codes semiologiques possibles. On chercherait en vain dans les pages de Chomsky une definition du signe (Mulder 1968.33). Et merne ce qui est pour Iui la principale, voire l'unique categorle de signes linguistiques pris en consideration, c'est-a-dire meme pour Ia phrase (restrictivement coneue comme phrase verbale), ii faut dire que « la notion de phrase est, en grammaire generative, tenue pour un terme prirnitif, non defini, de Ia theorie • (Ruwet 1967.366). L'absence d'Interet semiclogique se lie a l'absence d'interet pour la construction d'une theorie semlologique dans laquelle placer la theorie linguistique, et ceci repose sur la conviction (qui, comme l'a slgnale Mulder 1968.33, unit Chomsky a ses ennemis bloomfieldiens) selon laquelle on saurait parfaitement ce qu'est un signe et comment ii s'identifie. 4) Precisement parce que le prcbleme clef de la theorie semlologique et linguistique saussurienne est la definition et !'identification du signe, pour Saussure la • base de toute elude • linguistique ne peut pas ne pas inclure la consideration de la signification des slgnes. En contormite avec !'absence d'une perspective semiologique et formelle rigoureuse et, probablement, a cause de !'absence d'lnteret pour le « cote ethnographique • des langues, Chomsky se propose au contraire de laisser hors de son cadre theorique la consideration de la face semantique de la langue. Que la seule et simple (ace externe d'un slgne, qu'une sequence de ce que les bloomfleldiens et Chomsky appellent « forme •, qu'en somme une « chalne • soil ce qu'elle est par vertu Intrinseque, independamment de toute consideration de la valeur qu'y attache une cornmunaute de Iocuteurs, volla ce qui pour Chomsky est indubitable, comme cela I'etait pour les bloomfleldiens (Mulder). 5) Certes, Chomsky bouleverse les theories bloomfleldiennes. Celles-ci etatent dorninees par une certitude de type inductiviste : partant de la consideration des utterances dans leur materialite acoustique et dans leurs rapports avec des stimuli materiels, les bloomfleldiens pensaient pouvoir induire, sans recours au sens et de Iaeon univoque, les structures d'une langue. Chomsky pense au contraire qu'il est possible d'etudier en soi et pour soi les structures (syntaxiques) d'une langue, laissant de cote comme secondaires, « superflcielles •, les considerations semantiques. Cela lui a ete reproche a l'Interieur comme a I'exterieur de son ecole (cf. Bibllographle in De Mauro, Introduction a la semantique, Paris, 1969), mais sans resultats visibles. Les deux conceptions, bloomfieldienne et chomskienne, apparaissent et, sous bien des aspects, soot en effet aux antipodes : pour les bloomfieldiens la physicite de la parole est tout, et avec le seul secours de l'oreille ou du magnetophone et de la distribution statistique, ils pretendent reconstruire, voire • arranger • la langue ; pour Chomsky la parole ne compte pas, les aspects sernantiques et phonetiques sont de pures et simples « interpretations • de la realite de la langue, laquelle serait connaissable par voie analytique une fois connues les universelles capacites d'organisation grammaticale du cerveau humain. On observe cependant que les deux theories ignorent les mernes choses : le jeu, le jeu vraiment createur et libre, de la masse des locuteurs qui bouleversent a plaisir les rapports entre parole et tnecanisme de la langue, si bien que le mecanisrne de toute langue doit etre eiudi« en particulier et qu'en general, on peut dire bien peu de choses valables pour tout mecanisme (d'ou, probablement, la parcimonie de Saussure dans ses indications generales sur ce point) ; l'arbitraire qui domine a chaque niveau de la langue et assigne, ote et modifie la valeur (le reseau de rapports formels) des entites phoniques et sernantiques d'une langue. Or ce sont justement la les points sur lesquels porte la theorie de la langue de Saussure: le caractere socialement contingent et temporellement caduc des rnecanismes linguistiques qui servent a produire et a interpreter des signes linguistiques, l'arbitraire, en demiere analyse, de ces signes et des mecanisrnes memes, 403 404 ADDENDA 6) La theorie sernlologtque et linguistique de Saussure cherche a expliquer comment la capacite unique et universelle du langage (identifier les caracteristiques permanentes de celui-ci est pour Saussure une des taches de la linguistique, ni plus ni moins qu'une des taches) donne lieu a une pluralite de langues, contorrnees ditleremment a tous Jes niveaux de leur • mecanisrne • de production et d'interpretatlon, delormees dans les usages synchroniques et parcourues de tensions opposees et de tendances generalisantes, en transformation diachronique continue. La theorie de Saussure reussit a expliquer ce rapport, le rapport entre unite biologique de l'espece humaine et pluralite historique des langues, grace a la theorle du caractere arbitraire de chaque partie du systerne linguistique (l'aspect central du principe de l'arbitraire dans l'ediflce theorique saussurien ne sera jamais assez souligne). II serait errone de dire que les theories de Chomsky • ne peuvent pas • expliquer cela : ii est plus correct de dire qu'elles ne s'en preoccupent pas ou qu'elles ne le veulent pas. Le monde de la variete et du devenir historique des langues constltue, comme I'ecrivent Chomsky et Halle dans la preface de Cartesian Linguistics, • the still puzzling phenomenon of language changing •. Leur premier Interet est la competence qui, au contraire de la langue de Saussure, n'admet pas de pluriel, est une entite (semblable en cela au langage saussurien) nee une fois pour toute, partie Integrante du cerveau humain. A la dialectique entre naturalite et historlcite, entre langage et lanques, tracee par Saussure, Chomsky oppose la tentative de resorber le monde de la multiplicite et de la variete historique dans l'Irnrnobilite (presurnee) de la nature, de I'heredite biologique. Le deslnteret pour les aspects ethnographique et semantique, l'absence de perspectives sernlologrques, l'absence d'approfondissement adequat de la theorie de l'arbitraire, ne laissent a Chomsky et aux chomskiens d'autre voie que celle-Ia, Une voie radicalement differente de celle sur laquelle s'est placee, au debut de ce slecle, la recherche silencieuse et problematique de Saussure. Tullio de MAuRo. NOTES (1) Volr page 332 et sv., 351, 355 et sv. (2) Sur Wertheimer, volr supra 324, pour la succession, 353. (3) Sur Jes trois cours, voir supra 353 et sv. (4) II s'agit des notes edltees par R. Godel selon la cople de Sechehaye, dans Jes C. F. S. 12, 1954, 49-71: les sept premieres viennent d'un dossier Phonoloqie; non retrouve, remontant peut-etre a 1897 (S. M. 13) ; la neuvieme est le fragment d'un llvre ebauche entre 1893 et 1894 (S. M. 36, supra 355) ; Jes notes 10 ii 16 vlennent de I'ebauche d'un article a la mernolre de Whitney que Saussure eoneut au cours de I'ete et de l'automne 1894 (supra, 356) ; la note 17 est la conclusion de la lecon lnaugurale des cours de Geneve, prononcee en 1891, le groupe des notes 19-21 (fondamentales pour l'emergence de l'Idee de l'arbitraire semantlque et du caractere oppositif et de systeme de la reallte sernantlque) est posterleur a 1894 (S. M. 37). Les notes 8, 18, 23 ne sont pas datables. Toutes Jes notes manuscrltes autographes relatives a la linguistique generale sont aujourd'hui en cours de publication dans la stxleme colonne de l'editlon critique (on s'y rerere kl par F. Engler). (5) Sur l'asslduite de Bally et Sechehaye aux cours de Geneve, volr 344. Sur le Mt!moire, voir supra 327 et sv. (6) Certaines des sources manuscrites utillsees par Jes edlteurs ne sont pas conservees a la bibllotheque publique et universltaire de Geneve, et dans certalns cas (par exemple Jes cahiers de P. Regard), elles n'ont pas meme ete retrouvees par Engler. Par contre des cahlers de notes dont Jes editeurs n'avalent pas tenu compte ont ete conserves etont ete utilises par Engler, com me ceux de F. Bouchardy et de E. Constantin. Tout le materiau manuscrit est reprodult dans l'edltlon critique d'Engler que nous avons deja ettee. Sur la conservation des sources connues des edlteurs et sur les autres sources, er. S. M. 15, Godel 1959.24, Godel 1960, C. L. G. Engler XI-XII. (7) II s'aglt des notes sur le cours d'etymologle grecque etlatlne (1911-1912) prises par L. Brlltsch et utilisees dans l'appendice C, C. L. G. 259-260. (8) A. Riedlinger sulvlt les cours de linguistlque hlstorlque de Saussure en 1907, 1908-9, 1910-11, 1911-12 (supra, 344 n. 8) et lescours de llngulstlque generate en 1907 et 1908-9 (supra, 353), en y prenant des notes tres precises (S. M. 96). II trequenta aussl Saussure hors de l'universite, et nous avons une trace preeleuse de leurs entrevues dans Interview de M. F. de S. sur un cours de lin­ guistique generate (19 Janvier 1909), conservee a la blbllotheque de Geneve (S. M. t 7 et 29-30). (9) Pour les contributions partfeulieres de Sechehaye, v. Infra n. 13 et er. S. M. 97. 406 NOTES NOTES (10} II est permis, a cinquante ans de distance,d'exprimer son desaccord avec le jugemcnt des editeurs : on a, des 1957, publie intcgralemen_tet dans leur ordre I es notes des etudiants pour le second cours : Cours de Linquislique genera le (1908-09). Introduction id'apris des note~ d'etudianisi, ~­ F. S. 15, 1 957. 5-103. L'edition Engler contient tout le materiel de notes, dispose dans I ordre dans lequel les editeurs ont agence Ia matiere du cours ; un reseau de renvois intemes et un index final permettent la lecture continue des dlflerentes sources manuscrites dans leur disposition d'origine. (11) II est probable que I'Idee de donner une anthologie de~ no.tes ail ete proposee par P. Regard qui ecrlvalt quelqu~s annees apre~ la l?ubhcat1ondu C. L.G.: I Quant au livre lut-meme et a la question de la pubhcat1~n posthume dans son ensemble, on ne peut que se rejouir du succes brillant qui a couronne la tentative de MM. Bally et Sechehaye. Assurernent, et ils l'ont senti mieux que personne, le dessein meme qu'ils ont concu et realise est critiquable. Un el~ve_ qui a entendu Iui-meme une part importante des lecons de F. de S. sur la lmgu~st1~ue gencrale et connu plusieurs des_ do~uments sur lesquels repose la pubhca_tion eprouve necessairernent une desilluslon a ne plus retrou~er le charm~ exquis et prenant des lecons du maltre. Au prix de quelques redites, la publication des notes de cours n'aurait-elle pas conserve plus fldelement la pensee de F. de S., avec sa puissance, avec son originalite ? Et Jes variations ~lles-memes que les editeurs paraissent avoir craint de mettre au jour n'auraient-elles pas otlert un Interet singulier? • (Regard 1919, 11-12.) . . (12} Le troisieme cours est Ia base de l'oeuvre, mais pas de ~on o~gamsat10~. On va dans le cours de )'analyse des langues, a travers laquelle I etudiant devrait se rendre compte du caractere contingent, historiquement accidentel de l'org~nisation des signifiants et des signifies des Iangues, a !'analyse des aspects umversaux, communs a toutes Jes langues, ou bien a !'analyse de la langue en general. On aurait ensuite du passer de l'analyse generale de la langue a !'analyse de « !'execution, individuelle (cf. supra 354, et C. L. G. 30 n. 65, 261 n. 291, 317 n. 305). Partant au contraire de l'ldee que la • premiere verite • devait mate~lellement figurer a la premiere place dans le livre (S. M. 98) et d'autres affirmations du meme genre (n. 65), les edlteurs ont bouleverse cet ordre. La consequence en est que dans le C. L. G. on parle avant tout de la langue, puis de quelques problemes« d'executlon , et en fin des langues (cf. C. L. G. 193 n. 269). Quoi qu'il en soil, les notes du troislerne cours sont la prin_cipalesourc~ de )'Introduction (moins le chapitre Vet les Princi~es de pho_nolog1e},des prem_iere, deuxieme et quatrieme parties et des deux dernlers chapitres de !a. cmqu1e~e partie. Le premier cours a au contrai~e fourni la bas~ de _la troislerne partie (linguistique diachronique) et du chapitre III de la cinquleme partle (Jes _reconstructions). Le deuxlerne cours a ete utilise comme source eomplernentaire, mais II est a la base de quelques chapitres qui, quoique sacrine~ dans I~ • lecture , traditionnelle du C. L. G., ont sans doute tout au contraire une importance clef pour une reconstruction plus authentique de la pensee de Saussure : Introduction, chapitre V (elements internes et extemes de la langue; Saussure souligne )'importance de la linguistique externe et non p~s, comme le croit la, vulgate saussurienne ,, l'lnutiltte ou l'illegitimite_ de cell_e-c_1); secon~e partle, chapilre II I (ldentite, realite, valeur : c'est le veritable in~1pll du discours de Saussure), chapilre VI (rnecanisme de la Iangue), chap1tre V 11. (la grammaire et ses subdivisions}; troisieme partie, ch~pilre VIII (unites, ldentites et realites diachroniques} ; clnquleme partle, chapitre I (Jes deux P!rspectlves de Ia linguistique diachronlque), chapitre 11 (la langue la plus ancienne et le prototype). . . (13} Sans doute etatt-Il Inevitable, dans un travail aussl delicat, que. !es editeurs commettent des erreurs de ditlerente nature dont on peut aujourd hul commencer a se rendre cornpte grace a la minulieusc exegese de R. Godel et R. Engler. Les cas de veritables meprises sont tres rare, tC- L. G. 13, n. 23, 212, n. 0 407 277}. Le plus souvent Jes edlteurs ont rt\dlgc le texte d'une Iaeon tellc qu'lls ont perdu des nuances precieuses <JU(' l'on retrouve dans Jes notes (C. L. G. 14 n. 26, 16 n. 32, 30 n. 64, 40 n. 82. G: I'. 129, 107 n. 148, 15:3 rr , 221), ou encore ont dlsstmule des oscillations conceptuelles (C. L. G. 25 n. 53, 97 n. 128 et 129, 147 n. 212) ou terminologiques (C. L. G. 19 n. 38, 41 n. 87, 97 n. 128, 98 n. 130, 101 n. 140, 112 n. 162). Une fois decide de souder des passages parfois eloignes, ii etatt inevitable que flgurent dans le texte des interpolations et des ajouts, comme ii etait inevitable de rendre explicite ce qui rlans Jes notes etait tmplicltc atln ct'etabllr un texte grammaticalement correct. lei et Iii, les edltcurs n'ont nas en Ia main tres heureuse, et la pensee de Saussure est un peu forcer (C. L. G. 24 n. 49, 32 n.70, 66 n. 116, 100 n. 139, lOSn.147, 112 n. 161, t25n. 185, 129 n. 192, 131 n. 193, 140 n. 199, 172 n. 250). Les consequences de ce travail de rapprochement ct de soudure sont quelquefois plus graves pour la comprehension rnerne de l'aulhentique pensee de Saussure (C. L. G. 25 n. St. 63 n. 111, 99 n. 132, 100 n. 136, 103 n. 145, 124 n. 183). On trouve en differents points des remaniements a la llmile de larbttralre (C. L. G. 30 n. 63, 30 n. 65. 34 n. 74, 97 n. 128 et 129\. II nc manque pas de verltables alterations, parfois tres graves, avec !'introduction de termes que Saussure avail evlte en connaissance de cause (C. L. G. 63 n. t 1 t, 110 n. 156, 115 n. 166, 123 n. 182, 140 n. 192, 144 n. 204, 145 n. 206, 157 n. 228, 164 n. 235, 166 n. 240, 176 n. 256, 177 n. 257, 180 n. 259. 198 n. 270, 302 n. 301). La fameuse phrase finale du C. L. G. (p. 317) est un cas de, divination, indue des intentions de Saussure. II est tres difflcile de distinguerauquel des edit eurs sont dus telou tel de ceschangemenls (voir pour quelquesexemplcs Jes notes 46 et t 19). (14) Par le terme semaniique les editeurs font reterence.commc its l'expliquent mleux dans leur note au C. L. G., 33, a une dtsclpllne « qui etudle Jes changements de signification , ; lls ajoutcnt dans Ia merne note quc Saussure a donne a la page 109 le principe fondamental de la sernantlque ainsi comprise, c'est-a-dire de la semantique diachronique, pages e!Tectivement tres importanles pour ('apparition de la diachronie structurale. L'acception des editeurs est la seule que le terme semontique avait ii cette epoque (Malmberg, 1966, t 86). Cependant, sl l'on entend par sernantique non seulement l'etude diachronique mais aussi l'etude synchronique et l'etude generale des signifies, ii va sans dire que Saussure ~labore, avec sa notion d'arbitraire du signe et la distinction, qui lui est liee, entre signifiant et signifie, Jes principes de base de ce secteur de la linguistique avec une nettete que seul, durant des dizaines d'annees, Noreen a approche (:supra et Malmberg, 1966. 185, 194.) (15) Voir C. L. G. 36-39 et notes, alnsi que la note 305. (16) Ce n'est que depuls peu que le noble propos des editeurs a pu trouver un echo, et que la critique a pu distinguer entre le , mattre , et • ses interprHes •. Le probleme de la validite de Ia redaction du C. L. G., pose avec tant de franchise et de delicatesse par Jes editeurs, fut repris apres la parutlon du Cour:s par P. Regard dont lcs critiques (supra 347, 354 et note 11) resterent cependant lsolees. En 1931, ii ('occasion du congres international de linguistique de Geneve, ce fut encore un des redacteurs qui mit en garde Jes savants en leur slgnalanl qu'il y avail it son avis une , faute de redaction , (voir n. t 15) clans un passage du C. L. G. ii propos du phoneme. Mais l'avertissement resta une fois de plus sans echo, et les savants conlinuerent de discuter en considerant comme acquises la fldelite el la coherence de la redaction (Godel 1961.295). II s'est ainsi constllue • une sorte de vulgate ideate ... du saussurianisme, absorbe par la pensee europeenne (du moins pour ce qui concerne certains points vitaux du Cour:s), sans que soil aborde le probleme de la reconstruction (ou de la reconstructibilite) rigoureuse des positions saussuriennes, (Lepschy, 1962. 69-70) ; comme nous aurons l'occasion de le con firmer plus loin, le C. L. G • ne fut pas assimile par Jes linguistiques europcens dans sa totalite... Ce furent plutdt certains points du Cour:s qui eurent du succes, et ces points furent souvent isoles du contexte de la pensee saussurienne ... • (Lepschy, 1961. 200-201). Ces • points • 408 NOTES se trouvcnt encore aujourd'hul dans certalns manuels, detaches l'un de l'autre et de Ieur matrlce (voir par exemple Leroy 1965, 77-94, Lepschy 1966, 42-53 ; Malmberg 1966, 55-70). Un tel mode d'exposltlon de la pensee saussurlenne a falt son temps. A partlr de 1939, avec le debut de la controverse sur l'arbltralre (volr n. 137), on commence a prendre conscience du fail que le C. L. G. a durcl une pensee dont la fonne etalt sans doute fluctuanle, soil, peut-etre, pour des ralsons conceptuelles profondes, soil, plus certalnement, parce qu'elle s'est manltestee ii travers toutes les Imperfections et Jes hesitations de la lecon prononcee. En 1950. dans un article qui restera longternps entre Jes pages d'une revue mal connue (Engler 1964, 32, Godel 1966, 62), M. Lucidi soullgne expressernent ce caractere flou du texte du C. L. G. et en lndique avec acuite les dlflerentes ralsons (Lucidi, 1950, 185 et sv.), Deux ans plus tard, cherchanl ii verifier le sens reel (suspecte ii Juste titre d'~tre divergent) de diflennce et opposition, Frei en premier tente d'examlner les sources manuscrites (Frei, 1952, S. M. 196 ct sv., Godel 1961, 295). On commence ii se rendre compte de l'etendue de ce travail de couture et de nlvellement que les edlteurs avalent d'ailleurs clalrement annonce. En 1954, Malmberg ne pose plus seulement ce problerne, le probleme des desaccords et des oscillations pour alnsl dire synchronlques, lnherents ii Ia pensee de Saussure vers 1910 et peut-etre dtssimules par Jes edlteurs ; II pose en merne temps le problerne de la stratification dlachronlque du texte, rnasquee par l'archltecture unltalre donnee par les editeurs ii la matiere du cours. Dans le merne fasclcule des C. F. S. ou paratt l'artlcle de Malmberg, Jes • ebauches anclennes • revolent le jour dans la cople falte par Sechehaye (volr C. L. G. 8 n. 4 ). Les e!Tets ne tardent pas ii se faire sentir : les deux ou trots dernleres pages de !'article de Martinet sur la double articulation et I'arbltralre semblent presupposer la lecture des Noles 19-21 (cf. n. 137 et Martinet 1957). Les Notessont dues ii R. Godel qui s'est charge du travail d'exploration mlnutleuse des sources manuscrltes : en trols ans nail I'ceuvre ii laquelle nous falsons lei reference par S. M. Saussure apparatt sous un nouveau jour (Helnlmann 1959) et certalns aspects mernes se revelent franchement neufs. Au-dela des nouveautes sur lesquelles s'arretera ce commentalre du C. L. G., ii ya un profond renouvellement de notre type de rapport A Saussure. Face aux problernes de Ia formation du texte et, plus encore, de la formation de Ia pensee saussurlenne elle-merne, l'archltecture unltaire Imposee par les edlteurs s'e!Trlte et croule : II en jailllt, problematlque, authentlque, vltale, Ia pcnsee de Saussure, llberee de ce que les edlteurs, avec les meilleures Intentions du monde, Jul avalent donne Be dogmatlque et de gratult (volr n. 65). La pensee de Saussure apparalt en somme comme ce qu'elle fut : non pas un ensemble de dogmes, mats la patlente exploration des liaisons (ignorees en falt par Ia • vulgate Ideate •) entre de multiples • points de vue •, selon les mots de Godel, 1961. 295. Ceux-ci merltent d'etre rapproches des mots par lesquels Wittgenstein ouvrait ses Philosophische Uniersuchunqen : • Apres maintes tentatives avortees pour condenser les resultats de mes recherches en pareil ensemble, je comprts que cecl ne devalt jamais me reusslr. Que les meilleures choses que je pusse ecrlre ne resteralent toujours que des remarques philosophiques ; que mes pensees se paralysalent des que j'essayals de Ieur Imposer de force une direction determlnee a l'encontre de leur pente naturelle. Ce qui tenalt sans doute etroltement a la nature de l'lnvestlgatlon merne. Elle nous oblige en e!Tet A explorer en tous sens un vaste domaine de pensee, Les rcmarques philosophlques de ce llvre sont pour alnsl dire autant d'esqulsses de paysages nees au cours de ces longs voyages falts de mille detours. Les rnemes points, ou presque Jes memes, n'ont pas cesse d'etre approches par des voies venant de dlflerentes directions, donnant lieu A des Images toujours nouvelles • (Investigations Philosophiques, Trad. Irancaise de P. Klossowskl, Paris 1961, p. 111). Quand on salt que le • vaste domalne • explore par Wittgenstein est le msme NOTES 409 que celul explore par Saussure et que beaucoup de aentlers s'y rencontrent, volre coincident (Verburg 1961, De Mauro 1965. 156, 168, 173, 184, 202 et C. L. G. 43 n. 90, n. 129, n. 157, 125-26 n. 186, 154 n. 223), on comprend blen que la slmllarlte des difflcultes rencontrees en se mouvant dans un espace culturel mal connu par la tradition lntellectuelle et sclentlflque de Kant aux debuts du xx• slecle suggere au Vlennols et au Genevols la meme demarehe, la meme c methode •. 11 est done tout A fall normal que les mots de Wittgenstein semblent faire echo A ceux ecrits par Saussure soixante ans plus tot, dans une note restee tnedlte, au moment de se mettre A redlger • sans enthouslasme • ce llvre de llngulstlque generate dont II parle a Melllet en 1894 : • 11 y a done veritablement absence necessalre de tout point de depart, et sl quelque Iecteur veut blen sulvre attentlvement notre pensee d'un bout a l'autre de ce volume, II reconnattra, nous en sommes persuades, qu'il etalt pour alnsl dire Impossible de sulvre un ordre tres rigoureux. Nous nous permettrons de remettre, [usqu'a trol1 et quatre fols, la meme tdee sous Jes yeux du lecteur, parce qu'il n'exlste reellement aucun point de depart plus lndlque qu'un autre pour y fonder la demonstration • (Notes, 56-57). Toutefols, parml tous les problernes lnherents A cette demonstration, deja durant ces annees et plus encore durant les sulvantes, Saussure se pose surtout le problerne du debut et de l'ordre A donner a la matlere, au point de sous-estlmer totalement le merite de toute affirmation, avantageant excluslvement l'ordre dans Iequel elle sera proposee et [usttflee (supra, 353, 362). A I'epoque du deuxleme et du trolsleme cours, II entrevoyall tres probablement une solution vallde, et ll l'lndlque comme telie A ses eleves (C. L. G. 317 n. 305, 150 n. 216). Mais la solution relative a l'organlsatlon de sa rnatlere n'etait encore et seulement pour Jul qu'une hypothese de travail, d'un travail que la mort l'empecha de poursulvre. De fail, encore A I'epoque des trots cours de llngulstlque generale, • sa pensee evolualt dans toutes les directions sans pour cela se mettre en contradiction avec elle-merne •, comme l'ecnvatent, encore une fois avec une perception tres [uste, les edlteurs (C. L. G. p. 9). Aujourd'hul, une fols brlse par s. M. et par !'edition Engler !'aspect exterleur acheve du texte, une fols les • points • de Ia • vulgate ldeale • rendus a leur contexte d'origlne, c'est lace que nous retrouvons, par-dela Ies acquisitions enrlchlssant I'exegese et les Invitations a de nouvellcs recherches. Dans Jes notes autographes, les notes d'entretlens, Jes notes des eleves que nous pouvons aujourd'hul juger fldeles a la volx du mattre (C. L. G. Engler XI 2• paragraphe), en tin et surtout dans ces nombreuses pages du C. L. G. ou la pcrspicacite des editeurs a su heureusement condenser la pensee saussurienne a partir des sources manuscrites, nous retrouvons la mobllite de la pensee, Ia capacite de susclter l'envie de nouvelles recherches se developpant dans des directions multiples et recondes : Jes qualltes memes qui fasclnerent et entratnerent les eleves. (17) La seconde edition du C. L. G. parut en 1922. Pour les corrections Jes plus lmportantes, voir C. L. G. 42 n. 89, 45 n. 94, 59 n. 109, 131 n. 193, 241 n. 286. Voir n. 272 pour une malheureuse erreur d'lmpresslon qui apparatt dans la seconde edition de 1922. lei et la restent dans le texte dlfferentes imperfections et obscurites formellcs, surtout dans !'utilisation des pronoms personnels (C. L. G. 100, 3• paragraphe, ii renvoie a idee [ ?) ; 129, dernier paragraphe, ils renvole a lois (trad. Alonso, p. 163) ; 282 dernier paragraphe, elle renvoie A changements, etc.). Cf. aussi S. M. 120-121. (18) La trolsleme edition du C. L. G. parut en 1931 (e!Tet du congres de la Haye?); Ia quatrieme a au contraire attendu dix-huit ans pour voir le jour (1949). Les intervalles se raccourcissent ensulte : en 1955 paralt la cinquieme edition qui est relmprimee en 1959, 1962, 1965, 1968, etc. Pour Jes traductions du C. L. G. et leurs reimpresslons, voir supra 366. En 1967, l'edlteur Harrassowitz de Wiesbaden commence a publler la fondamentale edition critique de Rudolf Engler (la publication est prevue en quatre fascicules). 410 NOTES NOTES (19) Des notions d'hlstolre de la llngulstlque, schematlques mals pas autant que le texte donne par Jes edlteurs, furent foumies par Saussure dans quelques notes manuscrites (voir par exernple infra n. 32) et surtout dans les lecons du cours II (S. M. 75 : llnguistique de 1816 a 1870 et junggrammalische Richlunqs, utilisees egalernent par Jes editeurs dans le C. L. G. 295 et sv., et dans la premiere lecon du trotsieme cours (S. M. 77). Les considerations negatives faltes lei sur la grammaire normative traditionnelle sont a tntegrer aux evaluations positives de son point de vue essentiellement synchronique faltes dans les Iecons du troisieme cours sur la linguistique statique et utiltsees par Jes editeurs dans le C. L. G. 118. (20) Pour Jes traductlons de ce terme clef de langue dans le C. L. G .• volr n. 68. (21) Deja dans ce passage objet est prls dans l'acceptlon technique de la tradition scolastique, ou bien equivaut au grec n:1.0; et s'oppose A matiere : volr C. L. G. 20 n. 40, 317 n. 305. (22) Voir supra n. 19 et C. L. G. 118. Pour d'autres critiques saussurlennes des categories grammaticales traditionnelles d'origine aristoteltcienne, volr C. L. G. 153, 185-88 et notes. (23) Le texte donne par !es Mlteurs est Incomprehensible quand on salt que F. A. Wolf, Age de 18 ans, n'avait encore rien ecrit d'important en 1777. En rtlalite, on lit dans Jes notes des leeons : , F. A. Wolf, en 1777, voulut ~tre nomrne philologue , (9 B. Engler) et, encore plus clairement, dans Jes notes de Constantin: , en 1777, comme etudlant, F. Wolf voulut etre nomme philologue, (9 B. Engler). On comprend bien a travers !es notes que Saussure voulait faire reference a l'eplsode, qu'il pouvait peut-etre avolr lu dans l'ouvrage alors a pelne publie de Sandys, relatif a l'immatriculation de Wolf a l'universite de Gottlngen : ii demanda a s'inscrire comme etudiant de philologie (s/udiosus philologiae) ; le recteur refusa et lul proposa la denomination habituelle de studiosus lheologiae ; mals Wolf rompant avec une tradition seculaire tint bon dans sa reclamation et reusslt a obtenir que dorenavant le terme sludiosus philologiae entre dans la nomenclature officielle de l'universite (J. E. Sandys. A History of Classical Scholarship, tr• ed. New York 1908, reimprlmee en 1958, vol. III, p. 51 ; cf. aussi Meillet 1937.463). (24) La philologle peut tres bien, de la msme fa~on qu'elle etudle s J'hlstolre lltteraire, des meeurs, des Institutions ,, etudier Jes langues en fonction des textes. Celles-cl ne sont cependant pas l' • ob jet, (au sens technique : C. L. G. 20 n. 40) de son elude qui reste au contralre la critique des textes. La distinction entre Ungulstlque et philologle etalt un des themes favorls de Saussure, jusque dans ses conversations prlvees : • nous avlsait souvent, nous autres profanes, de ne confondre point la vlellle philologie avec la llnguistique, cette science nouvelle qui a des lots , (De Crue, In F. d. S. 18). SI ce temotgnage est fldele, 11 lalsseralt supposer que pour Saussure la distinction entre approche philologlque et approche llngulstlque des fails llngulstiques reside dans le caractere systematlque de la seconde qui ramene Jes falls a des • lols ,, a un systeme (volr C. L. G. 20 n. 40 et 40-43). De toutes taeons, son lnslstance sur ce theme est sans doute un resldu de !'opposition entre llnguistlque et philologle, qui dura pendant tout le debut de xrx- sieete et s'apalsa, du moins en partle, avec l'reuvre de G. Curtlus (G. Thomsen, Hisloria de la Littqtiistica, trad. du danols. Madrid 1945, p. 92-93, Meillet 1937, 462-63, L. Rocher, Les philoloque» elassiques et /es debuts de la grammaire comparee, • Revue de I'Unlversite de Bruxelles, 10, 1958, 251-86, Leroy 1965, 31-32; pour Curtius en partlculler volr C. L. G. n. 31). Cependant la distinction entre llngulstique et philologle demeure problematlque : on fait observer d'un cOte que !'acceptation de l'hypothese structuraliste force !'analyse llngulstlque a rechercher la plus grande exactitude philologlque (voir supra 350); on soutient d'autre part que la phllologle est Intrlnsequernent une • traductlon • (Mounln 1963. 243-45). On trouve une Integration etrolte de la llngulstlque a la philologle dans la critique semantique de A. Pagliaro (Saggi di critica setruintiea 1" ed. Messine-Florence 1953, 2• ivl 1961, p. VII et sv., Nuooi sani di crilir:~ semantiea, ibl 1956, p. 236-58). Voir aussi C. L. G. 42 n. 81. (25) Friedrich Wilhelm Ritschl (1806-76) se consacra a des eludes sur Plaute et s'Interessa beaucoup a la linguistique de la latlnlte archaique qu'il fut un des premiers a explorer. (26) Fr. Bopp (1791-1867), a la fin d'un sejour a Paris ou ii etudh. le sanscrlt l'arabe et le persan, publia l'eeuvre cltee dans le texte: Ober dos C,mjugations~ system tier Sanskritsprache in Vergleichung mil jenem der qriechischen lateini­ seben, persischen und germanischen Sprache, Francfort s. M. 1816. la p~inc1pale eeuvre de Bopp est la Verglerchende Grammaiik des Sanskrit, Set.d, Armeni­ setien, Griecbisctien, Lateinisehen, Altslaoischen und Deutsctien, 1•• ed. Berlin 1833-52, 2• 1857-63, 3• 1868-70. Sur le problerne de la position de Bopp dans l'histoire de la llnguistlque, cf. De Mauro, 1965, 60-62, 73 et sv, (mais contra T. Bolelll, • Saggi e studi linguistic! , 6, 1966, 207-08), et Mounln 1967, 1_52-59, 168-75. Sur ce point partlculier et sur tous les avatars de la llngulsttque Saussure avail des opinions plus claires et plus nuancees que ce qui apparalt dans le texte, comme le montrent Ies sources manuserites pour lesquelles cf. B 18-25 Engler : • On fail dater (la fondatl~n de) la llngulstlque du premier ouvrage de F. _Bopp, Du systeme de la conjuqatson sanscrite compare avec celui des /angues loiine, grecque, persane et germanique, 1816. Quoiqu'Allemand de Mayence c'est surtout a Paris, oil ii passa quatre ans (1808-1812), (qu'Il prepare ce premler travail), que Bopp flt connaissance avec ces langues et avec Schlegel Humboldt. Ce qu'll y avail de neuf dans cet ouvrage, ce n'etait pas (precise.'. ment) que pour la premiere (fois) le sanscrit fut reclarne et applique comme un proche parent du grec et du latin : (sans doute c'est a la lumiere du sanscrlt qu~ Bopp a reconnu la famille indo-europeenne ; mais) ce n'est pas Bopp qui a reco~nu le premier (Jes an~lo~ies. du sanscrit avee !es autres langues lndo-europeennes). Les premiers indianistes devaient reconnaltre necessalrement cette parente. II Caudrait citer, au point de vue de cette reconnaissance un Franeals (a Pondlcheryy, le P. Ceeurdoux (1767), qui sur une question qu~ Jul avail posee l'abbe Barthelemy (helleniste) repondlt par un memolre adresse a_l'Academie des Inscriptions: D'oii uient que dans la langue samscroutane (ii y art un grand nombre de mots communs al}ec le grec et surtout aVtc le /atin). W. Jones, (orlentaliste anglals tres connu) 1786, dans son sejour dans l'Inde (9 ans (t 1794) ), con nu com me un des premiers philologues qt.I se solent occupes du sanscrit, flt une communication a l'Academie de Cah.:utta sur la langue sanscrite (oil ii dit: • La langue sanscrite, quelle que soil so,1 antiqulte est d'une structure plus parfaite que le grec et le latin ,, et ii amrmc leur pa: rente). II groupe en quelques lignes les princlpaux descendants de l'inJo-europeen autour du sanscrit auquel ii ne donne que la situation de frere (pas perel) dans la famille. Parle deja du gothique et du celtique (dont on ne savatt (presque) rlen !)... Mais ces quelques (tentatives lsolees, ces quelques) eclairs (qui tombent Juste) ne veulent pas dire qu'en 1816 on soit arrive (d'une maniere ge~er~le a comprendre la valeur du sanscrit). (Ce qui le prouverait, c'est le) Mithridates oder allgemeine Sprachenkunde (de) Christophe Adelu,1g, description de toutes les langues du globe dont on avail connaissance sans aucune critique (ou tendance scientlflque) : le sanscrit figure (seulement) parml Jes langues aslatiques qui ne sont pas monosyllabiques, ce qui ne l'emi,~che pas de donner 26 pages de mots du sanscrit compares avec des mots grecs, latins et allemands; (ii reconnalt de l'analogie), mais a aucun moment ii ne sonce a (changer) le plan de son ouvrage, a deplaccr tel ou tel ldiome pour le classer dans une meme famllle. Le premier volume de Adelung est de 1806: (c'est la) date (qui est) lnteressante, avant 1816 t Un catalogueur d'une langue comme Adelung, quolque lnforme de ce qu'avalt dlt Jones, ne salt aper!..evoir (auc) n 411 412 413 NOTES NOTES une consequence (serleuse) decoulant de cette similitude. C'est pour Jui nne chose curieuse, embarrassante. • II semblait que, cette similitude apercue, dit Breal, lcs (philologucs) navaient (plus) qu'a laisser la place (a l'ethnologue et a l'historien). • L'ortginalite de Bopp est grande (et elle est la : d'avoir dernontre qu'une similitude de langues n'est pas un fail qui ne regarde que l'historien et l'ethnologue, mais est un fail susceptible d'etre Iui-rneme etudie et analyse). Son merite n'est pas d'avoir decouvert la parente du sanscrit avec d'autres langues d'Europe, (ou qu'il appartient a un groupe plus vaste), mais d'avoir concu qu'il y avail une matiere detude dans Ies relations exactes de langue parente a une autre languc parente. Le phenomena de la diversite des idiomes dans leur parente lul apparalt comme un problernc digne d'etre etudie pour lul-merne. Eclairer une langue par I'autre, (cxpliquer si possible une rorme par I'autrc), voila ce qu'on n'avalt jamais fail: (qu'il y ail a) expliquer quelque chose dans une langue, on ne s'en etait jamais doute les formes sont quelque chose (de donne qu'Il Iaut apprendre). • (27) Sur William Jones (1746-1794) voir la note precedente et cf. Waterman, 1963. 15-16. 21. (28) Signalons que Saussure utilise ici et aillcurs le signe g avec un souscrit pour transcrire le signc devanagan de palatale sonore alors qu'on utilise le signe j depuis le IX• congres des orientalistes, tenu precisement a Gen eve. Herman 1931 reprochera a Saussure d'avoir cite la forme janassu parce que celle-cl, selon lui, • isl eine jungere Form des Lokativs deren Erwahnung keinen Si~n hat •. En realite, janassu etjana~su coexistent en sanscrlt et janassu, forme deJa vedique, est aussi la plus vieille du point de vue de la chronologie relative (er. A. Thumb, R. Hauschild, II andbuch des Sanskrit, Heidelberg 1958, I, t, _§~ 333 et 150). Entin,janassu est la forme la plus claire pour le but que poursuit 1c1 Saussure. (29) J. Grimm (1795-1863) est I'auteur de la monumentale Deutsche Gramma/ik (oil Deutsche signifle non pas « allemand • mais bien plutot • germanique •), vol. I, tr• ed., Gottlngen 1819, 2• ed. 1822, vol. 11-IV, ibi 1822-36. August Friedrich Pott (1802-1887), connu pour ses Etymologische For.schungen au( dem Gebiete der indogermanische Sprachen, tr• ed., 2 vol., Lemgo 1833-36, eut une part lmportante dans l'abandon des eludes sernantiques au profit d'une etude consacree aux aspects morphophonologiques des Jangues (Meillet 1937, 462). Adalbert Kuhn fonda en 1852 • KZ •, c'est-a-dire la • Zeitschrift fiir verglelchende Sprachforschung • (Meillet 1937, 463-61); v. C. L. G. 307. · Theodor Benfey (1809-1881), orientaliste et linguiste, rut professeur a Gottlngen. Theodor Aufrecht donna, peu apres M. Miiller (infra), une edition du texte vedlque aujourd'hui encore fondamentale (Die Hymmen des Riqoeda, 1•• ed. 2 vol., Bonn 1851-63, 2•, ibi 1877). (30) Max Miiller (1823-1900), eleve de Bopp, editeur du texte vedlque en Angleterre oil ii s'etait installe, dlvulgateur heurcux de la linguistique, surtout avec les Lectures on the Science of Language (Oxford 1861) traduites en diflerentes langues. (31) Georg Curtius (1820-1885), auteur des fondamentaux Grundziige der griechischen Elymologie, Leipzig 1858-62, 5• ed. ibi 1879, mattre de K. Brugmann et de Saussure, contribua a faire accepter la linguistique compares aux philologues classiques (v. supra n. 24). (32) August Schleicher (1821-68), auteur du celebre Compendium der oergleiebenden Grammalik der indoqermanisctien Spracben, tr• ed. Weimar 1861, joua un role fondamental dans l'histoire de la glottologle (Leroy 1965, 33 et sv., Bolelli 1965, 120-36). On trouve dans les Notes 59 ( = 52 F Engler) plus que dans ce que dit Saussure dans les lecons et ce que rapportent Jes editeurs, le dur [ugement du Genevols sur Schleir.her : , Ce sera (pour tous les temps) un sujet de reflexion philosophique, que pendant une penode de cinquante ans, la science Iingutsttque, nee en Allemagne, developpee en Allernagne, cherie en Allemagne par une innombrable categorle d'lndivldus, n'ait jamais eu la merne velleite de s'elever a ce degre dabstractlon qui est necessatre pour dominer d'une part ce qu'on fail, d'autre part en quot ee qu'on fail a une legittrnite et une raison d'etre dans I'ensernble des sciences; (mais) un second sujet d'etonnernent (sera de voir que) lorsqu'enfln cette science semble (triompher) de sa torpeur, elle aboutlsse il l'essai risible de Schleicher, qui croule sous son propre ridicule. Tel a ete le prestige de Schleicher pour avoir simplement essau« de dire quelque chose de general sur la Iangue, qu'Il semble que ce soit une figure hors pair (encore aujourd'hui) dans l'histoire des eludes (lingulsttques, et qu'on voit des linguistes prendre des airs comiquement graves, lorsqu'il est question de cette grande figure ... Par tout cc que nous pouvons controler, ii est apparent que c'etait la plus complete medlocrite (ce qui n'exclut pas les pretentions)). , (33) La theorie de l'alternancc vocalique en indo-europeen reconstruit fut pour la premiere fois systernatlsee dans le Metnoire de Saussure (cf. supra 327-329). (34) Friedrich Christian Diez (1794-1876), auteur de la Gratnmatik der romanischen Sprachen, 3 vol. Bonn, 1836-43, est le fondateur de la linguistiquc romane qui, avec la linguistique germanlque, a toujours ete consideree par Saussure comme un secteur de pointe de la linguistique. Cf. C. L. G. 292, 297. (35) Ce point de vue, deja exprime par Saussure dans Ia Iec;on inaugurale des cours de Geneve (voir le passage cite, supra 339, n. 7), fut egalement defendu avec vigueur par K. Brugmann et par H. Osthofl dans Ia preface des Morphologische Unlersuchungen au( dem Gebiele der indogermanischen Sprachen, I, Leipzig 1878. (36) Sur Whitney, volr 332-334, 360-361, 382, 387-388 et C. L. G. 26, 110. (37) !\lalgre la violcnte polemique que les chefs du mouvement neogrammalrien avaient menee contre les theories de reconstruction et les methodcs d'analyses structurales du jeune Saussure (cl. supra 328-:l3U), celui-ci conserva toujours une attitude empreinte du plus grand respect pour les personnes et meme pour certaines idces directrices de recherche de la junggrammalische Richtung. K. Brugmann (1849-1919), enseignant a Leipzig durant les annccs oil y etait Saussure, qui eut !'occasion de l'approcher (supra 32'i), fut prolesseur dans la meme universite a partir de 1882. H. Osthofl (1847-1909), professeur a Heidelberg, fit aussi des cours a Leipzig lorsque Saussure y ctait (supra 326) et fut le critique le plus rigoureux de Saussure et de Moller (supra :128). W. Braune et E. Sievers furent directcurs de la revue d'etudes germaniqucs la plus importante, • Beitriige zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur •, avec Hermann Paul (1846-1921), auteur d'un des principaux textes theoriques de l'epoque, certainement le plus cite, les Prin:ipien der Sprachgeschichle. Halle 1880. Outre les le~ons d'histoire de la langue allemande de Braune, Saussure suivit aussi a Leipzig Jes cours de slave et de lituanien de A. Leskien (l840-191G), premier defenseur du princlpe de la regularite des evolutions phonetiques (supra 326). Pour les rapports entre les theories saussuriennes el l'antiteleologisme des neogrammairiens, voir supra 387. (38) Les preoccupations terminologiques sont unc constante dans la biographie intellectuelle de Saussure : voir supra 360 ; pour chaque tcrme utilise, Saussure se preoccupc d'en examiner la motivation : • on ne croirait pas avoir a!Taire a un promoteur du principe de /'arbilraire du signe, (Engler 1\166, 39). En realite, precisement parce qu'il defend le principe de l'arbitraire et, done, la notion de langue commc forme determinec precisement par les articulations arbitraires de la substance phonique et semantique, Saussure sail tres bien que le point de vue dans lequel ii se place pour considerer Jes !ails linguistiques est essentiel pour les representer comme tels (comme entites de langue) ou blen comme phenomenes puremenl phoniques, cognitifs ou psychologiques, etc. 414 415 NOTES NOTES (supra 361 ). D'ou l'extrerne attention pour tout ce qui constitue le point de vue: aux • choses , (C. L. G. 31 n. 68) non moins qu'a Ia terminologie (n. 133). D'ou etudlee par de multiples disciplines ; par rapport auxquelles la llngulstlque se qualifle parce que son objet est Ia lanque. C'est C. H. Borgstrom 1949, I (cf. aussl H. Frei, Apropos de l'editorial du vol. IV, A. L. 5, 1949 et la reponse de L. Hjelmslev, ainsl que, dans le rneme sens, Hjelmslev 1954, 163) qui a soullgne !'Importance de la distinction entre moiiere et objet, Ce demier terme est utilise par Saussure au sens de • flnallte d'une actlvlte •, c'est-a-dtre au sens scolastique pour lequel l'obiectum est, comme le TtAoc; aristotelicien, le termc d'une operation et, dans le cas de l'obiectum d'une science, c'est la matiere du savoir en tant qu'elle est apprise et connue (• obiectum operatlonis terminal et perflclt ipsam et est finis elus •, selon Thomas d'Aquln, In 4 libros sent. mag. Petri Lombardi, I, 1 2. I; cf. aussl Duns Scot, Opus Oxoniense, Pro!. q. 3, a. 2, n. 4 ; et, pour le rapport avec le grec TtAoc; cf. De Mauro, II name del dat. e la teoria dei casi greci, • Rend. Accad. Llncel •, 1965, p. 1-61, p. 59). Ce sens est reste vlvant dans la tradition philosophique (Eisler 1927, Abbagnano 1961 s.v.). Ainsi, par exemple, J. Dewey ecrit a Ia fin du chapltre VI de sa egalernent une extreme prudence tant pour introcluire que pour exclure des termes. Pour orgnnisme en particulier, voir infra C. L. G. 40 n. 83. Pour d'autres termes saussuriens discutes dans ce commentaire voir C. L. G. 20 n. 40 et 41 ; 25 n. 53; 30 n. 63 a 68; 32 n. 70; 37 n. 78; 40 n. 83: 55 n. 103; 63 n. 111 : 65 n. 115: 83 n. 122; 86 n. 123; 97 n. 128; 98 n. 130: 100 n. 134; 101 n. 140; 103 n. 14:,: 109 n. 155; 110 n. 156: 112 n. 162: 117 n. 169 ; 121 n. 178; 123 n. 182; 128 n. 190; 140 n. 199; 144 n, 204; 145 n. 206; 147 n. 211; 158 n. 231; 164 n. 236; 166 n. 240; 170 n. 247: 171 n. 248: 172 n. 250; 176 n. 255; 180 n. 259; 185 n. 266 ; 235 n. 282. Conscient de la nouveaute des problernes abordes, Saussure non seulement ne repudie pas d'innoccntcs metaphores • animistcs • mais encore cherche sans cesse des comparaisons eclaircissant lcs concepts qu'il sentait justement comme radicalernent nouveaux. La Iangue est une symphonic Independante des erreurs d'executlon (C. L. G. 36); cite est comme le jcu d'cchec : pour en jouer ii importe peu de savoir qu'il est originaire des Ind es et de Perse ( 43, et voir n. 90), ii a des regles qui survivent au simple mouvement (135) ; elle est comme !'alphabet morse, qui est independant du fonctionnement <le l'appareil electrlque de transmission (36); c'est un contrat (104) ; c'est une algebre aux termes toujours complexes (168); c'est un fleuve qui, sans repos, coule toujours (193) ; c'est une robe couverte de raptecages fails, au cours des temps. avec sa propre etofTe (235). Ce n'est que pour ccrtains aspects que la langue peut etre cornparee a une plante qui tire sa nourriture de I'exterieur (41); en realite elle vaut par sa force inlernc, de la rncme Iacon quun tapis est ce qu'il est par Ies oppositions de couleurs, Ies techniques de sa facture n'lmportant pas (56); tout est dans la combinaison des pieces, comme a chaque phase du jeu d'echec (149). Un signe unit un signifie et un signifiant en un lien bien plus reel que celui d'i\me et de corps (145). bien plus indivisible qu'un compose chimique (145): slgnlfle ct signifiant sont comme le recto et le verso d'une rneme [euille de papier (157, 159), Ies signes sont comme lcs ondulations qui apparaissent a la surface de la mer au contact de I'air (156). L'Identite d'une entrte linguistique est celle d'une piece du jeu d'echec : importe non pas de quoi elle est faite mais comment elle fonctionne (153-54); c'est celle du train de vingt heurcs quarante-cinq ou d'une rue que l'on refail mats qui reste toujours la merne (151); ce n'est pas l'Identite cl'un vctement que l'on t'a vole ct qui, si tu le remplaces par un autre semblable mais d'etotfe neuve. n'est plus le lien (152) ; c'est I'Identite des lettres de !'alphabet : !'important est qu'elles ne se confondent pas entre elles (1~5). Un mot est com me une monnaie: ii importc peu qu'elle soit de metal ou de papier, ce qui importe. c'est sa valeur nominate (160. 164). Un etat de langue immobile est comme la limite vers laquelle tendent les series Iogarithmiques : nous Ia postulons rneme si nous ne l'atteignons pas (142) ; c'est Ia projection d'un corps sur un plan donne, et le corps est Ia diachron!e (152) : c'est une coupe transversale, la coupe longitudinale etant Ia diachrome (125); comme un et at du jeu d'cchec, ii est independant des etats anterie.urs (125-27, voir aussi 162). Un panorama se dessine d'un point de vue flxe: ce nest ainsl, que dans I'Irnmobilite d'un etat quc !'on peut donner un tableau de la langue (t 17). Mais Ia langue est aussi toujours plongee dans le temps, toujours destlnee a changer : celui qui imagine une Iangue immuable est comme la poule qui a couve I'reu! d'une cane : le caneton est ne et s'en est alle vaquer a ses afTaires (11 t ). (39) La source est la lecon Inaugurate du Ill• cours (21:1 octobre 1910). (40) Pour Saussure, tnatiere est' !'ensemble de tous Jes rails qui, au niveau du langage courant, peuvent etre consideres comme • llnguistiques •. Une telle masse est beteroclite (C. L. G. 23 et sv.) et, en tant que telle, elle peut etre Logic: • Le mot objei sera reserve a la rnatlere traltee dans la mesure ou elle a ete produite et ordonnee sous forme systernatique au cours de la recherche ; les objets sont done les objeeiits de la recherche. L'amblgulte que !'on pourralt rencontrer dans l'utilisation du terme • objet • en ce sens (puisque la regle veut que ce mot s'applique aux choses observees ou pensees) n'est qu'apparente. En fail, les choses n'existent pour nous comme objets qu'en tant qu'elles aient ete au prealable determlnees comme resultats de recherche. • Le lien avec matiere et l'evidence des deux chapltres concordent a montrer que pour Saussure la langue est non pas la chose sur Iaquelle, a !'exclusion de toute autre, la llnguistlque devrait faire porter sa recherche, mals, blen dllleremment, elle est l'obiectum de Ia recherche llngulstlque qui, en partant de tout ce qui d'une racon ou d'une autre est qua Ii flab le de s llngulstlque • et reelaborant de fac;on critique la conscience subjective des locuteurs (C. L. G. 253 et sv.), doit parvenir a reconstruire le systeme linguistlque agissant dans une situation hlstorique determinee. La totalite des fails qualiflables de lingulsUque est la matiere, la lnngue comme systeme formel est l'objel. Bien entendu, objet a dans plusieurs passages le sens habltuel de • chose • : volr par exemple C. L. G. 125. Les equlvoques dans !'Interpretation du C. L. G. sont pour une bonne part llees a la mauvalse perception de celte distinction : une fois objet comprls au sens banal, c'est-a-dire au sens de maliere, et une fols oublie, comme tant d'autres passages, l'exorde de ce deuxieme chapltre, on a attribue a Saussure une vision exclusive de la linguistique, qui devrait couper !es ponts avec !es autres disciplines (v. C. L. G. 25 n. 51) et ne s'occuper que du systeme, que de la langue, et non pas de l'unlvers integral des fa its linguistiques au sein duquel se determine Ia langue, in re et pour le linguiste. Alnsi par exemple, l'oplnion de Saussure seralt selon Rogger 1941, 163 que • tor den Sparchforscher kommt es nur darauf an das Verhaltnls der elnzelnen Erscheinungen einer Sprache unter slch festzulegen ,. La llngulstique de Saussure est, au contralre. attentive a chaque type de consideration (psychologique et sociologique, physiologique et stylistlque) des fails llngulstiques, et se pose seulement le probleme permanent de coordonner la pluralite des considerations dans !'unite d'un but speclfique, la reconstruction du systeme de valeurs qui falt d'une entlte linguistique cette entlte llnguistlque partlculiere. L'expression de R. Jakobson (• Llnguista sum : llngulsticl nihil a me alienum puto •) est !'expression d'un point de vue authentlquement saussurlen, dont la recuperation s'exprime dans !es difTerentsdomalnes de la recherche (pour une indication sur ces domaines, cf. De Mauro, Unita e modernila della tinguistica, In Almanacco letterario Bompiani 1967, Milan 1966, p. 162-165, et cf. Heilmann 1966, XXIV-XXV et N. Chomsky, M. Halle, Preface p. IX-XI, In Chomsky 1966). Voir aussl C. L. G. 40 n. 83. Contre cette Inter- 416 NOTES pretatlon : 8. Vardar, In • Qulnzalne Lltteralre • 57, 16-30 septembre 1968; favorables: Baumer 1968. 88-89, Engler 1969.16, Godel 1970. 38. (41) Dans le C. L. G., histoire semble souvent s'opposer a description et equivalolr done a diachronie. Certalnes reserves apparalssent dans C. L. G. 116 sur la possibilite d'utillser le terrne histoire, consldere avec raison comme pouvant faire reference aussl blen a une evolution qu'a un etat. En elTet, Saussure lulmeme avalt adopte dans la leeon Inaugurate de Geneve, histoire en un sens blen different : • Plus on etudle la langue, plus on arrive a se penetrer de ce !alt que lout dans la langue est bisioire, c'est-a-dire qu'elle est un objet d'analyse hlstorlque et non d'analyse abstralte, qu'elle se compose de fails et non de lois, que tout ce qui semble organique dans le Iangage est en reallte contingent et completement accldentel • (cite par Engler 1966, 36). Ce passage est a rapprocher d'un autre, anterleur au premier cours (• aucune lol se mouvant entre terrnes contemporalns n'a de sens obllgatolre • [varlantes b arrees : , force obligatolre •, • sens Imperatlt • S. M. 51 et n.l), et des considerations developpees dans le texte de 1894 sur Whitney a propos des convergences occasionnelles entre Irancals et semltlque (Noles 61-62 et C. L. G. 311 et sv.), Ces points de vue, et en fln de compte la conception accldentallste et antiteleologtque de la diachronle, n'ont Jamals ete abandonnes par Saussure, merne s'ils ont etc encadres d'une vision diflerente de la synchronle (v, infra C. L. G. 114-HO et notes). (42) Le probleme des unlversaux du langage parvlent a Saussure par Breal, Les idees laienles du langage, Paris 1868, en partlculier p. 7-8 (cf. Mounln 1967 218-19). II a He pose a nouveau recemment, tout aussl nettement: d'abord dans l'artlcle de B. et E. Aglnsky, The importance of Language Universals,\\' 3, 1948, 168-72, reste quelque temps tsole, puls, sur la base des positions theorlques de R. Jakobson et N. Chomsky, de plus en plus souvent (cf. Lepschy 1966, 38, 76, 124-28). Cf. aussi Mounin 1963, 191-223 et passim, et voir C. L. G. 79, 134-3.'> n. 199, C. L. G. 263 n. 305. (43) Pour !'importance que Saussure, en vertu de ses presupposes sur l'arbttraire, devait attribuer a cette tache, voir supra 362 et sv. (44) Saussure fait evidemment reference lei a l'anthropologle comme discipline biologlque, et non pas a l'anthropologle culturelle, dont Jes rapports avec la linguistique sont particulierement etroits aux U. S. A. : cf. Jakobson 1953, Martinet 1953, H. Hoijer, Anthropological Linguistics,~ Trends in Euro­ pean and American Linguistics 1930­1960, Utrecht-Anvers 1961, p. 110-127, Leroy 1965, 144-45. (45) C'est Ia le premier des passages dans lesquels Hjelmslev 1943, 37 et sv. slgnala Ia presence de la notion de langue comme • schema •, ou blen comme • forme pure » (voir aussi C. L. G. 36 n. 76, 56 n. 103, 164 n. 234, etc., et C. L. G. 30 n. 65 pour l'historique de la question); a cote de cette notion coexistent chez Saussure !es notions de langue comme norrne de realisation, ou comme forme materielle (C. L. G. 32 n. 70) et de langue comme usage ou comme • ensemble d'habitudes verbales • (C. L. G. 37. 112). La problernatique hjelmslevienne, fruit d'une des premieres lectures attentives de !'ensemble du C. L. G., a ete ensulte reprise par Frei, Coserlu (voir C. L. G. 30 n. 65) et par A. Martinet (C. L. G. 162 n. 232). Sur Jes notions hjelmslevlennes signalees lei, voir note 225. (46) Les sources du § 1 sont Ia seconde lecon du cours trols (4 nov. 1910 : S. M. 77), la premiere lecon de la seconde partie du meme cours (25 avrll 1911 : S. M. 81), la premiere lecon du cours deux (S. M. 66) et, en outre, deux notes autographes, l'une de 1893-94 (Noles 55 et sv.), utillsee sur proposition de Sechehaye (S. M. 97) et l'autre qui devalt ~tre le compte rendu de I'ouvrage de Sechehaye, Programme et Methodes etc., Geneve 1908. La note de 1893-94, que Bally aurait voulu laisser de cote, est utnlsee dans le second allnea du chapltre : • ll represente peut-etre le nreud des reflexions de F. de S. • (S. M. 136). NOTES (47) Volr C. L. G. 20 n. 40. (48) Comme l'a afflrme Jakobson 1938 417 = 1962. 237, Saussure est • le grand revelateur des antlnomles llngulstlques •; II s'aglt d'un penchant nature! (supra 323, 359) qui a pu Hre rentorce (et non pas cree) par la lecture des Anlinomles linguisliques (Paris 1896) de Victor Henry : la mlse au clalr des antlnomles est deja falte dans les Notes entre 1891 et 1894. ( 49) Le passage est Interessant pour montrer comment ont procede Jes Ml· teurs afln d'expllquer, en la torcant parfols quelque peu, la pensee saussurlenne. Saussure, contralrement a ce qui apparatt dans le texte des editeurs, ne lie pas le problerne du langage enfantln a celul de l'orlglne du langage. Slgnalant des tentatives de trouver • l'objet Integral • en partant de !'analyse de tel ou tel aspect de la realite llngulstlque, II cite la tentative qui part de l'analyse du langage enfantln (146 B Engler), aussl peu satlsfalsante que les autres. 11 poursult lmmedlatement par la phrase • Alnsl, de quelque cote etc. •· La phrase lntermedlalre (• Non, car c'est une ldee tres etc. •) vlent d'une tout autre Iecon (14 7 B Engler) et les mots « Non, car s sont un aJout des edlteurs pour relier le probleme du langage enfantln a celul des orlglnes du langage. Pour d'autres references au langage enfantln, volr C. L. G. 31 n. 69, 37, 106, 205, 231. (50) Cette these sur l'orlglne du langage avalt deja ete exposee par H. Paul, pour Justifier la position negative prise par la llngulstlque du xrx- slecle dont une manifestation typlque fut, en 1866, la decision de la Soclete de Llngulstlque de Paris (M. S. L. 1, 1868, p. 111) de ne pas recevolr de communications relatives ace probleme, II a cependant ete reprls recernment : cf. A. Tovar,Llnguis· lics and Prehistory, W. 10, 1954. 333-350, A. Lerol-Gourhan, Le geste etla parole, 2 vol. Paris 1964-65, et volr infra notes 54, 55. (51) Le texte manuscrlt d'ou provlent cette phrase declare : • Pour assigner une place a la llngulstlque, II ne taut pas prendre la langue par tous ses cotes. 11 est evident qu'alnsl plusleurs sciences (psychologle, physlologle, anthropologle, grammalre, phllologle, etc.) pourront revendlquer la langue comme leur objet. Cette vole analytlque n'a done jamals about! a rlen. • On remarquera !'absence lei comme dans !es autres passages semblables des notes manuscrltes de l'lnclse • que nous separons nettement de la lingulstlque •. Cette phrase contraste avec la these de Saussure (volr C. L. G. 32 et sv.) selon laquelle la llngulstique est une partle de Ia serniologle, celle-cl etant a son tour une partle de la psychologle soclale. Elle contraste aussl avec !'attitude de Saussure, vlvement Interesse en tant que lingulste hlstorlque et theoricten de la langue par des sciences volslnes, de la phonetlque a l'ethnographle, A l'economle polltlque, etc. La preoccupation de Saussure, lei et allleurs, est de determiner s'II y a un but speclflque a la recherche llngulstlque, et quel est ce but ; elle n'est pas de fermer la porte aux echanges avec d'autres disciplines. Les edlteurs lul ont pourtant prete cette preoccupation. (52) Pour Jes questions soulevees autour du concept saussurlen de langue, volr C. L. G. 30 n. 65. Pour la definition dans les sources manuscrites, volr infra C. L. G. 30 n. 64. (53) Saussure, a l'orlglne, avalt pense dlfleremment. II ecrlvalt dans Notes 65 (c'est-a-dlre dans un texte remontant A 1891): • Langue et Iangage ne sont qu'une meme chose; l'un est la generalisation de l'autre • (cf. S. M. 142). La distinction manque encore au debut du second cours (S. M. 132). (54) La question de la naturalite du langage se trouve aujourd'hul placee a l'lntersectlon de secteurs de recherche en raplde progression. II y a encore peu d'annees (1955), on relialt !'apparition du genre homo a celle des protoanthropes ou arcanthropes (pithecanthrope, slnanthrope, atlanthrope) et les australopltheques une fols surmontee une Incertitude lnltlale, etalent conslderes comme des pre:homlnldes (alnsl A. Lerot-Gourhan, Les hommes de la prehistoire, Paris 1955). Mais en 1959 Ies epoux Leakey decouvrlrent (Oldoway, Tanganyika) un crane d'australopltMque et des ustenslles : ce qui lalsse aujourd'hul penser que 418 NOTES les australopitheques sont des ancetres de l'homme (R. Furon, Manuale di preis­ toria, Turin 1961 p. 161-62). Puisque • outil et langage sont lies neurologiquement • et que • l'un et l'autre sont lndissociables dans Ia structure sociale de I'humanite • (A. Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, I : Technique et langage, Paris 1964 p. 163), la • possibilite • du langage verbal se trouve repoussee a I'epoque de !'apparition de l'australopitheque, c'est-a-dire a la fin de l'ere tertiaire, ii ya environ un million d'annees (ce qui, soil dit pour completer le C. L. G. 24 n. 50, 263, rend impossible la proposition de toute recherche tendant a former des hypotheses sur la forme qu'ont pu avoir les langues d'une epoque aussi lointaine par rapport aux premiers documents linguistiques). Une telle • possibilite , est conflrmee par le fail que, mise a part !'exception des lobes Irontaux (pour lesquels voir infra n. 57), les centres cerebraux du langage verbal sont deja developpes chez l'australopitheque (Leroi-Gourhan, op. cit., 314 n. 45). L'exercice de la taculte de langage remonte done a une antlquite reculee et ses orlgines chronologiques ne font qu'un avec les origines du genre homo. Le problerne est ensuite complique par des eludes, toujours plus nombreuses et plus probantes, sur la communication chez d'autres genres de l'ordre des primates et chez d'autres ordres animaux (Cohen 1956. 43-48, Animal Sounds and Communication, edite par W. E. Lanyon, W. N. Tavolga, Washington 1960), d'ou ii ressort que la capacite de discrimination entre differentes situations associant de fa~on bl-univoque des classes d'etats a des classes de signaux (de nature varlee : mimique-visuelle, non-vocale-auditive, vocale-auditive, etc.) est commune a beaucoup d'autres especes que I'espece humaine. Cette derniere porterait done en elle-meme le langage depuls des stades tres anciens de l'evolution. L'acquisition sociale ne regarderait done pas tant la capacite de langage que la possession d'une langue particullere, pas tant la capacite de discrimination semantique et de communication que la possession des discriminations speclales et des signes speciaux d'une langue determinee. (55) Voir pour les rapports entre Saussure et Whitney n. 36. La these de Whitney, deja discutee dans l'esquisse de commemoration de Wh. en 1894 (S. M. 44, 166-68 F Engler), est rediscutee dans le second cours (166 B Engler). Elle avail ete exposee par le savant americain dans Life and Growth cit., p. 291 et dans Language and the study of language, cit., p, 421-23. Les rapports entre langage gestuel et langage verbal ont ete concus comme rapports de succession chronologique par N. Marr tout d'abord puis par J. van Glnneken, La reconstruction typo/ogique des langues archaiques de l'humanilt!, La Haye 1939, tous deux pensant que l'homme ne se serait servl que de signaux gesto-visuels [usqu'a une epoque relativement recente (3 500 av. J.-C.). Cette these ne repose sur aucun indice, comme toute affirmation relative aux caracterlstiques de langue du parler humain A l'epoque prehistorlque : cf. Cohen 1956. 75, 150. Une communication gesto-visuelle aussi rlchement articulee que la communication audio-vocale est bien entendu tout a fait possible, comme on l'a plusleurs fols montre depuls l'etude de G. Mallery, Sign Language (First annual report of the bureau of american anthropology), New York 1891 (mals ce type d'InterM est anclen, ii sufflra de rappeler la • chironomle , : V. Requeno, Scoperta de/la Chironomia ossia Dell' Arie di gestire con le mani, Parme 1797), jusqu'aux travaux plus recents de G. Cocchlara, II linguaggio de/ geslo, Turin 1932 (bibliographle rlche), M. Critchley, The Language of Gesture, Londres 1939, P. Vuillemey, La pense« et les signes autres que ceux de la langue, Paris 1940 et [usqu'aux recherches sur la communication tactile et vlsuelle et sur la • kineslque • du groupe • Explorations • (1953-1959) : cf. l'anthologle Explorations in Communication, edttee par E. Carpenter et M. McLuhan, Boston 1960. Pour la complementarite entre slgnaux gesto-vlsuels et slgnaux verbaux, cf. G. Meo-Zlllo, Consideraciones sobreellenguaje de los gestos, • Boletln de fllologia • (Santiago du Chili) 12, 1960. 225-48, El lenguaje de los gestos en el Uruguay, ibid., 13, 1961. 75-162. Pour ce qui conceme l'utilisatlon ecrlte de la langue (et NOTES 419 mis a part les cas des bandes dessinees, comics et asslmiles) cette complementarite est normalement absente, ce qui a des eflets notables sur !'organisation de l'usage ecrit par rapport a !'usage parle : v. C. L. G. 41 n. 86. (56) Mettant en pratique ~e que Saussure declare dans le C. L. G. 20 (• La tache de la linguistlque sera ... de chercher les forces qui sont en jeu d'une maniere permanente et universe\le dans toutes Jes Iangues •) nous pouvons apercevoir lei Ia premiere Indication d'un • universe! • linguistique (v. C. L. G. 20 n. 42). La Iaculte de constituer des systemes de signifies (discriminations entre Jes significations possibles) et de signiflants (discriminations psychiques [v. C. L. G. 32 n. 70] des realisations phoniques possibles) associes en signes est anterieure a la constitution des langues elles-mernes, transcendentale par rapport aux signes ( en ce sens que, etant anterieure a chaque langue particuliere, elle n'existe cependant pas sans une quelconque de ces langues). Toutefois, cette tacutte est conditlonnee par la capacite d'elaborer • tout un systerne de • schemes ' qui preflgurent certains aspects des structures de classes et relations • (oil • scheme est ... ce qui est generalisable en une action donnee •), selon Jes Indications de J. Piaget, Le langage et /cs operations intellectuel/es, p. 54, dans Problemes de psycholinguistique, Paris 1963, p. 51-61. (57) En 1861 le chirurgien trancals P. Broca montra qu'un malade avalt perdu la taculte de parler a cause d'une lesion a la troisieme circonvolution gauche frontale (W. Penfield, L. Roberts, Langage et mecanismes eerebraux, Paris 196:l, p. 11-12). Cette decouverte donna un nouveau credit aux eludes sur Jes localisations cerebrates des fonctions mentales. Aujourd'hui, la carte des aires corticales afferentes a I'interpretation, a la conception ct a !'articulation du Iangage est hien plus complexe que ce que Broca aurait jamais pu supposer et, etant donnes !es moyens dont ii disposait, etablir : pratiquement, diflerentes aires de I'hernisphere gauche interviennent (Penfield, Roberts, op. cit., p. 126 et sv.) ainsi que des centres subcorticaux (ibid. 220 et sv.), Cf. aussi Brain Func­ tion. Le ccrveau est le centre de la langue, comme Saussure le repete plusieurs fois (C. L. G. 30, 32, 44 et v. infra n. 64). (58) v. infra n. 60 et 68. (59) Les sources sont trois lecons du troisleme cours, la seconde (du 4 novembre 1910) et deux leeons des 25 et 28 avril 1911. (60) Remarquons que !'on trouve un point de depart semblable chez L. Bloomfield et chez Jes post-bloomfleldiens, pour lesquels cependant la seule realite linguistique effective est le comportement linguistique individuel, la serie des actes de parole, tandis que la /angue est un pur • arrangement • scientiflque (Garvin, 1944. 53-54 et v. supra 371 ). (61) Au contraire, comme nous le savons aujourd'hul, !'audition est blen loin de pouvoir etre consideree comme un simple mecanisme recepttt, un enregistrement inerte. Voir par exemple Ia conclusion a laquelle arrive G. A. Miller, Langage et Communication, Paris 1956, p. 111 : • Percevoir le discours n'est pas chose passive et automatique. Celui qui percoit assume une fonction selective en repondant a certains aspects de Ia situation globale et non a d'autres. II re pond aux stimuli selon uneorganisationqu'illeurimpose. Et ii remplace la stimulation absente ou contradictoire d'une maniere compatible avec ses besoins et son experience passee, , Cf. A. Thomatis, L'oreille et le langage, Paris 1963. (62) V. supra n. 56. (63) Le remaniement editorial du texte manuscrit 160 B. Engler a ote toute clarte dans le c. L. G. 25 a Ia definition de la langue et lei a celle de Ia parole. On lit dans le manuscrit : • La /angue est un ensemble de conventions necessaires adoptees par le corps social pour permettre l'usage de Ia taculte du langage chez les indivldus <definition>. La Iaculte du langagc est un fait distinct de Ia Iangue, mais qui ne peut s'exercer sans e\le. Par la parole on designe l'acte de l'individu realisant sa faculte au moyen de la convention sociale qui est la langue < definition>.• La definition supprime toute amblgulte: celui qui comme Valin 1964. 23 420 421 NOTES NOTES reprochera a Saussure de ne pas avolr appele discours la parole fait fausse route. Alnsi !'affirmation de Belardi dans Lucidi 1966. xvn n'est que partiellement exacte : • Chez Saussure ... la • parole ' n'est pas la res acla mats principalement le' parler · de l'individu •; v. C. L. G. 31 n, 67. (64) Voici Jes sources manuscrites de ce passage dont !'Importance est evidente (229-240 Engler) : • La partie receptive el coordinative, ooila ce qui [ortne un depot chez Jes differents individus, qui arrive a etre appreciablement conforme che: lous les indioidus, La langue est un prodult social. On peut se representer ce produit d'une Iacon tres juste. Si nous pouvions examiner le depot des images verbales dans un individu, conservees, placees dans un certain ordre et classement, nous verrions la le lien social qui constitue la langue. Cette partie soclale est purement mentale, psychique (voir < un > article Sechehaye : , La langue a pour siege le cerveau seul •, • Un equilibre s'etablit entre tous Jes lndivldus •). Chaque indlvidu a en lui ce produit social qu'est la Jangue. Langue est le tresor depose en prenant ce qui est virtuellement dans notre cerveau, dans le cerveau d'un ensemble d'individus dans une meme cornrnunaute, complet dans la masse, plus ou moins comp let dans chaque individu. • (65) La distinction entrc lanque et parole a un caractere evtdemment dlalectique (cf. Frei 1952): la langue (prise egalement ici comme - schema s : C. LG. 21 n. 45) est le systerne des limites (naturellement arbitraires et, par la merne, d'origine sociale et historique : C. L. G. 99 et sv., 194 et s.) dans lequel se trouvent, s'ldentifiant fonctionnellement (C. L. G. 150 n. 217) Ies « stgntflcattons » et Jes realisations phoniques du parler, c'est-a-dire Jes significations et Jes phonies des actes de parole particuliers ; un tel systeme gouverne la parole, existe audessus d'elle ; et c'est la que reside son unique raison d'etre (ses Iimites, c'est-adire la distinction entre un signifle et un autre, entre une entite signifiante et une autre, ne dependent d'aucune cause determinante inherente a la nature du monde et de l'esprit, ou a celle des sons) ; si bien que l'on peut dire que la langue ne vit que pour gouverner la parole. Selon Hjelrnslev 1942. 29 ( = 1959. 69) cette distinction est Ia • these primerdlale • du C. L. G. Ceci est probablement vral au sens chrcnologique : des Jes annees de Leipzig et du voyage en Lituanie, Saussure a percu la distinction entre consideration relationnellc des entites Iingulstiques et consideration physiologique, entre etude • hlstorique • et elude « physiologique • des • sons • (v, 298, 304, 327), merne sl la distinction terminologique entre langue et parole est bien plus tardive (S. M. 142). Au sens logique !'affirmation de Hjelmslev dolt etre plutot liee a d'autres que corrtgee. La publication des discussions avec Riedlinger (S. M. 30) confirme que pour Saussure, en 1911, Ia distinction est elTectivement la• premiere verite • de son systerne de linguistique generale ; d'autre part, durant le trolsieme cours, Saussure presente l' • arbitraire du signe , comme • premier prlncipe • (C. L. G. 100 et sv.). II n'y a pas contradiction entre les deux choses, pourvu que !'on comprenne a fond la notion saussurienne d'arbltraire du signe. D'un autre cote, pour comprendre cette dernlere notion, II est necessalre de partir de !'examen de la parole dans son aspect concret. Ce n'est qu'a travers un tel examen que nous pouvons rendre compte du fail que, Hant donnees les significations et Jes phonies d'actes de parole partlculiers prises comme realites lndividuelles et irrepetables (C. L. G. 150 et sv.j, nous pouvons Identifier (comme on le falt tout Instant en parlant) deux phonies ditlerentes de signification diflerente comme • le meme mot • ayant le • meme signlfle • a une seule condition : en prenant comme base de !'Identification non pas la reallte phonlcoacoustlque des phonies ou la reallte psychologlque des significations (qui restent, sur le plan acoustique et sur le plan psychologlque, Irrernedlablement dlllerentes), mais ce que valent ces phonies et ces significations, leur ualeur, La (aeon de dire guerre est dllTerente d'un moment a l'autre du meme dlscours, la signification du terme peut ~tre diflerente d'un moment a l'autre, et la difference phonico-acoustique et psycho-semantique crott si l'on passe d'un indivldu a l'autre : I'identite entre Jes diflerentes realisations n'est possible que si l'on pose qu'elles representent Ia merne valeur. Ainsi deux pieces de cinq francs ditlerentes res tent une • merne » monnaie parce qu'elles representent la meme valeur (C. L. G. 160); ainsi !'express Geneve-Paris de vingt heures quarante-cinq reste chaque jour le meme, quoique Jes voitures, les voyageurs, etc. soient dlflerents (C.L.G. 151). Les valeurs des phonies sont Jes signifiants d'une Iangue, Jes valeurs des significations en sont Jes signifies. De telles valeurs, n'etant pas determmees par Jes phonies ou par les significations, sont arbitraires du point de vue phonlco-acoustique comme du point de vue logico-psychologique. Elles se dellmitent reciproquernent, c'est-a-dire qu'elles font un systerne (C. L. G. 155 et sv.), Et ce systeme de valeurs est quelque chose de different (dialectiquement et transcendantalcment) des realisations phoniques et signiflcatives (v. n. 231) des actes de parole particu liers. II vaut la peine d'ajouter tout de suite que ce systeme de valeurs slgnlfiantes et signifiees n'est par consequent pas torme de materiaux phonicoacoustiques et Iogico-psychologiques, mais ii trans[orme precisement en figures determlnees de tels materiaux : ii est en ce sens [orme (C. L. G. 157). Cette forme est abstraite du point de vue du concret perceptible (mais Saussure a du mal a la dire telle, apres un siecle et demi d'exaltation du concret : infra n. 70) ; elle est concrete du point de la conscience des loculeurs qui s'cn tiennent a elle lorsqu'ils parlent (C. L. G. 144 et sv.). Tirant u'eux et d'eux seuls sa validite, la langue cornme forme (precisernent en tant que telle) est radicalement soclale (C. L. G. 112 et sv.). On n'evalue ses caracteres formels qu'en synchronie ; rnais puisque ces caracteres sont !es resultats d'accidents de dlfferents ordres qui se sont produits au cours des temps (C. L. G. 113), la langue comme formc est aussi radicalcment historique (ibid.). Si notre interpretation est exacte ( elle sera veri ttee au fur et a mesure dans tes notes correspondant aux differents points cites) on comprend bien ce que voulait dire Saussure en parlant de • premiere vertte • et de • premier principe ,. L'arbitraire du signe a la premiere place dans l'ordo rerum : ii est la base sur laquelle s'eleve I'ediflce de la langue comme forme, ii est la regle fondamentale de tout jcu linguistique. La distinction entre languc comme forme et parole comme realisation significative ct phonlco-acousttque est la premiere verite a Iaquelle on aboutit une fois reconnu le caractere radicalement arbitraire du slgne. Mais pour reconnattre ce caractere, ii faut • redescendre Jusqu'au concret , (Prieto) des acles de parole particulicrs, individuels et lrrepetables. Ce qui signifie que le prius dans l'expose ne devrail pas etre la • these primerdiale , ou , le premier principe ,, m:iis l'analyse du concret, c'e:;t-a-dire la discussion de Ia question que nouslisons dans 1759-1765 B Engler, et qui se ramene a se demander sur quellc base !es locuteurs identifient deux actes qui, du point de vue phonico-acoustique et psycho-semantique, sont dilTerents. En d'autres termes, si toute ccttc Interpretation est exacte, le C. L. G. aurait dll s'ouvrir par !es page, 249-250 et 15)-152 sur l'identite diachronlquc ct synchronique, puls se poursuivre par la rcconnaissmce du caractere arbitraire du signe et done du cu.1ctere formcl de la langue, et enfin se conclure, pour s1 premiere partle, par Ia distinction methodologique cntrc la consideration d'un phenomene lin· gulstique en tant qu'il represente une certalne valeur (langue) ou en tant que manifestation phonico-acoustique ou psychologique (parole). Au contrairc, entraln~s par la materialite de )'affirmation falte par Saussure a Riedlinger sur Ia priorit~ de Ia distinction entre /angue et parole, les editeurs ont mis cette distinction au debut du C. L. G. : sms aucun contexte, sans aucune justification autre que la finalite de garantir aux linguistes l'autonomie (v. n. 51), elle app:uut comme gratuite et elle fut, de diverses fa~ons, combattue et mal comprise. De la m~me fai;on fut mal compris le • premier princlpe • de l'arbltralre, decrocM de toute justification (mis A part un mediocre exemple dldactique) et a 423 NOTES NOTES place en ouverture de Ia premiere partle (v. C. L. G. 99, 100). Tout ce commentalre voudralt prendre le contre-pled de tous ceux qui ont afftrme que les grandes theses saussurlennes sont suspendues • In der Lutt » (Rogger): mats ii faut reconnaltre que, avant que Godel (S. M.) ne restitue le sens authentique de Ia pensee saussurienne, !'Impression des Rogger etait difficilement evitable (seules des personnalltes gen I ales com me Hjelmslev pouvaient reconstruire par intuition Jes bases solides et profondes des theses de Saussure). Tout ce commentaire voudrait prendre le contre-pied de ceux qui ont presente et presentent la pensee de Saussure comme un ensemble de theses qui se succedent sans aucun lien Joglque, lnterne : mais une telle presentation est presquc inevitable st !'on prend pour base la -vulgate • du C. L. G., dans laquelle Jes liens reciproques entre !es differentes theses, liens la determination desquels Saussure a consacre sa vie, sont bouleverses dans la dislocation des ditlerentes parties a laquelle se sont livres Jes editeurs. II etait presque Inevitable, Hant donne tout cecl, que l'exegese tradltlonnelle lnterprete la distinction entre lanque et parole comme la distinction entre deux realites separees et opposees, deux «choses s ditterentes (l'une dans la societe, l'autre peu ou prou dans l':lme des individus) : ii ne restalt qu'a reprocher a Saussure d'Mre coupable, de diflerentes tacons (par idealisme selon Jes materlalistes, par positivlsme grossler selon les spiritualistcs). de cette separation. Apereus historiques sur les problemes d'exegese ct sur Jes developpements theorlques : Coserlu 1951 = 1962. 18 et sv., Spence 1957 (cf. aussl Spence 1962), Slusareva 1963. 35 et sv. (critiques en U. R. S. S.). On trouvera cl-dessous une bibliographie plus speciftquement relative a la distinction : Absil 1925, Amman 1934. 261-62 (caractere abstrait de la langue), 267-68 (difflculte de la distinction). Baldinger 1957. 12 (langue virtuelle collective, parole individuelle actualisee). 21 (la distinction est le fondement de celle entre sernaslologle et stylistique), Bally 1926, Bolelli 1949. 25-58, Brendal 1943. 92 et sv., Budagov 1954. 11 (reproche !'abstraction de la langue), Cikobava 1959. 97-99, Devoto 1.951. 3-11, Doroszcwski 1930. 1933 a et b, 1958 (sources de la distinction), Gardiner 1932. 62, 106 et sv. (defense de Ia distinction face aux critiques), Gardiner 1935, Gil! 1953, Gipper 1963. 19 et sv .. Herman 1936. 11, Jespersen 1927. 573 et sv., 585 et sv. (critique tres negative), 1933. 109 et sv, (id.), Selected Writings 389 (id.), Jespersen 1925. 11, 12, 16-23, 125, Junker 1924. 6 et sv., Korinek 1936, Laziczlus 1939 a et b, Lepschy 1966. 45-46, Leroy 1965. 85-87, Lohmann 1943, Malmberg 1945. 5-21, 1954. 10-11, 1963. 8 et sv., Moller 1949, Otto 1934. 179 et sv., Pagliaro 1952. 48-61, Paglioro 1957. 377, Palmer 1954. 195, Penttll!i 1938, J. L. Pierson Three Linguistic Problems, S. L. 7, 1953. 1-6, Lanque-parole? Signifianl-signi{ie-signe?, S. L. 17, 1964. 13-15, Hogger 1941. 173-83, Rogger 1954 (contre la these de l'actuallsation), Scerba 1957, Schmidt 1963 (langue comme potentiahte, parole comme actualtte), Sechehaye 1933. Sechehaye 1940, Spang-Hanssen 1954. 94, Terracini 1963. 24, 26 (abstraction), Tezisy 1962, Vasiliu 1960, Vendryes 1921 (= 1952. 18-25), Verhaar 1964. 750 et sv., Vidos 1959. 108-10, Vinay-Darbelnet 1958. 28-31, Volkov 1964, WartburgUllmann 1962. 4-6, Waterman 1963. 64. Pour Jes precurseurs de la distinction saussurlenne, volr supra 382 el sv. : aJoutons I'opinion de Pisani selon qui la distinction deriveralt, • sous des apparences sociologiques •, de A. Schleicher et de Max Miiller. Pour les paralleles de la distinction saussurlenne en llnguistlque mathematique et en theorle de !'Information dans la semiotlque morrlssienne et dans la philosophle du dernier Wittgenstein, cf. Herdan 1956. 80, Ellls In Zeichen u. System I. 48, Vienne 1963. 3 et sv., et cf. supra 378, infra n. 66. La distinction saussurlenne est rejetee comme Ideallste par Cohen 1956. 89-90 (cf. aussl S. Tlmpanaro, Consideraziont sul materialismo, • Quademl placentlnl • 5 : 28, 1966. 76-97, p. 96-97, dlscute dans De Mauro, Slrutluralismo idealisla?, • La Cultura • 5, 1967. 113-116). (66) L'interpretatlon de la langue comme • code • remonte done a Saussure : on trouve ce point de vue repris par exemple chez Martinet 1966. 29, Lepschy 1966. 30-31, etc. (67) La parole est done pour Saussure aussl bien une action de communication que le resultat particulier, le materiel Jinguistique particulier utilise dans !'action comme ii est employt\ dans eel acte de communication (v. supra n. 63). On parle encore aujourd'hul, avec Prieto 1964, pour designer Jes deux faces de la parole, de • signification • et de • phonic • : Jes deux termes sont nomina aclionis egalement utilises comme nomina rei. On peut reprocher a Saussure de ne pas avoir distingue terminologiquement entre Sprechhandlung et Sprachwerk (pour reprendre la distinction et la precision de Biihler 1934. 48 et sv ), mais dans ce passage la distinction est conceptuellement claire et !'absence de distinction terminologique est commune, dans des cas analogues, toutes Jes Jangues indoeuropeennes, ainsi que dans la terminologie linguistique. Vachek 1939. 95-96 soutient au contraire qu'il s'agit d'une erreur conceptuelle dans la rnesure ou le 1° (• Jes combinaisons par lesquelles ... •) appartiendrait a la sphere de Ja langue. La pensee de Saussure oscille sur ce point : C. L. G. 173 n. 251. (68) Celle declaration a une odeur positiviste : elle se retrouve au debut du Tral_lalo di socioloqia generate de V. Pareto (I, 1, 108-119). En realite, la « discussion avec les choses •, le fail de • partir des choses et non pas des mots •, etc., sont des mirages de professeurs, ou des metaphores peu heureuses. Nous ne nous Iiberons jamais du filet des symboles verbaux par lesquels nous identifions notre experience : sauf dans la mesure ou nous pouvons abandonner un filet pour un autre, ou modifier celui dont nous disposons en l'enrichissant, en l'amt\liorant, etc. On trouve d'ail!eurs une preuve du fail que Saussure ne se lihera jamais des mots dans Jes difflcultes, les discussions, les polernlques autour du probleme de la traduction en d'autres langues du trio langue-parole-langage (mais cela meme prou':'e aussi que le travail scientifique peut reordonner, d'une Iacon propre certames fins techniques, Jes usages linguistiques courants). Nous examlnons cl-dessous les traductions de ce trio dans ditlerentes Iangues : ARABE: lisiin • langue •, koltim s parole » (Kainz 1941. 19-20). EG YPTIEN: mudel • langue •, ro « parole » (Gardiner 1932. 107). GREG : YAW't''t'IX • langue ,, ).6yoc; • langage • (Kainz, 1941. 19-2lJ). L~ TIN : lingua • langue •, sermo • langage-parole ,, oralio • Iangage-parole • (Kamz 1941. 19-20). ALLEMAND : Plus encore qu'en anglais, comme nous le verrons ci-dessous, la traduction des termes saussuriens en allemand fait probleme : a un niveau courant, le terme Sprache osci!!e enlre les valeurs de langue et langage, le terme Rede entre cclles de latujue, parole et discours. D'ou la necessite d'iutroduire au niveau technique un troisierne terme et de preciser en merne temps Jes deux termes deja existants. II en resulte une pluralite de tentatives qui revelent !'absence d'une solution generalernent adoptee, La solution de Ia traduction de Lommel (p. 13 et sv.) est de fixer Sprache avec le sens de langue, de rendre langage par menschlische Rede (• discours humain ,) et parole par das Sprechen (•le parler ,, c'est la solution adoptee d'une Iacon plus ou moins stable par Dieth-Brunner 1950. 3, 16, Wartburg-Ullmann 1962. 4, Gipper 1963. 19). D'autres ont prelere rendre parole par Rede (Baldinger 1957. 12, 21, Penttila 1938, Wartburg-Ullmann 1962. 6) ; ce qui, etant donne la bi- ou trivalence de Sprache au niveau usuel (Gipper 1963. 22 et sv.) mene a uliliser par souci de clarification des composes ou des derives de diflerents types : Sprachlum • Jangue •, Sprechakt • parole •, Sprache • langage • (Herman 1936. 11, Otto 1934. 179, 182) ; Spraclujebilde • Jangue •, Sprechakl • parole •, Sprache • langage • (Truoeckoj 1939 5) ; Sprachbesilz • langue •, Gesprach, das wirkliche Sprechen • parole ,, Sprache • langage , (Porzig 1950. 108) ; (Muller)Sprachl ou (Einzel) Sprache • Jangue •, Sprech(akl) • parole •, Sprach(fii.higkeil) • Janga~e • (Gipper 1963. 22 et sv.). 422 a a a 424 425 NOTES NOTES ANGLAIS : La traduction des trois tennes saussuriens est plutot problematique. L'emprunt a l'ancien Irancals language a couramment Ia valeur d'« idiome » plutot que celled' • activite Iinguistique ,, et ii a pu etre nettement ldentifle comme equivalent de langue (cf. Palmer 1924. 40, Jespersen 1925. 11-12, Gardiner 1932. 107, etc., [usqu'a la recente traduction de Baskin; mals Lepschy, dans son Index terminologique par ailleurs soigne en cinq langues in Martinet 1966. 207 et sv., propose language comme equivalent ambigu de langue et de langage). Les traductions de parole et de langage sont plus oscillantes, et on a adopte avec des sens et des fortunes divers les termes speech et speaking. Speech correspond a parole selon Gardiner 1932. 107 (mais voir infra), Kainz 1941. 19-20, Sommerfelt 1952. 79, Carroll 1953. 11-12, Malmberg 1963. 9, mais ii semble signifier langage chez le meme Gardiner 1935. 347 (voir Coseriu 1962. 24) et signlfie langage chez Palmer 1924. 40, Jespersen 1925. 11-12. La traduction de W. Baskin presente une solution brillante dont on peut penser quelle sera definitive : ii a choisi language pour langue, speech ou human speech pour langage et speaking, • le parler •, pour parole. ESPAGNOL: Lenqua, lenguaje et hab/a (cf. par exemple la traduction de A. Alonso, p. 54 et sv.) sont Jes correspondants ponctuels de langue, langage et parole (on trouve pourtant aussi circuito de la palabra, palabras, p. 53-54). NEERLANDA IS : L'usage est egalement oscillant; ta al signi fie generalement langue (Gardiner 1932. 107), sprauk signifle /angage et parole, et cette seconde valeur peut aussi etre rendue par rede (Gardiner, mais cf. Kainz 1941. 19-20). HONGROIS: langue est rendu par nyelv (• idiome ,), parole par beszed (• discours •), langage par nyelvezet (E. Llirinczy, Saussure magyar [orditosa e/t! cit., p. 282). ITALIEN : la traduction du couple /angue­langage ne presente aucune dlfficulte en italien, etant parfaitement calcable par lingua­linguaggio. La precision au sens saussurien de Ia signification de ces deux termes est desormais quasi generale : seuls quelques philosophes de la science et du langage, influences par le terme anglais language et peu au courant des choses linguistiques, continuent c!'utiliser linguaggio avec le sens de « langue • (cf. recemment la traduction des Ptiilosophische Untersuchungen de L. Wittgenstein, Turin 1967, par M. Trinchero, p. 9, 10 et sv.). La traduction du terme parole fail au contraire problerne. L'equlvalent italien le plus lmrnediat est evidemment parola. Hors contexte, cette traduction peut paraitre plausible : sur !es 21 acceptions du mot parole presentees par exemple par le Petit Larousse, une a peine (porter la parole) n'est pas ou est mal rendue par le terme italien parola, et dans un dicttonnaire ltalien de dimensions semblables a celles du Larousse, dans le Zingarelli par exemple, toutes les acceptions de parola peuvent etre rendues par le Irancais parole. Mais )'analyse des deux dictionnaires revele une divergence dans !'utilisation effective des deux termes dans leurs differentes acceptions : sur Jes 21 indiquees par le Larousse, seule une est voisine de , vocable •, tandis que !es vingt autres sont plutot voisines de , Iacon de s'exprirner, manifestation verbale • ; c'est !'inverse dans le dictionnaire italien analogue oil !es exemples sont pour mottle voisins de • vocable ,. Et, si l'on se livre a une analyse plus minutieuse, on voit que !es phrases italienncs dans lesquelles parola a le sens de • manifestation verbale • sont relativement exceptionnclles (vieillies : Se io ho ben la tua paro/a intesa, majestueuses : la parola de/ Signore, ii dono de/la paro/a, semi-bureaucratique : chiedere la parola, dare la parola) et que Jes emplois de parola au sens de • vocable • sont au contraire courants, alors que la situation est exactement inverse en trancats, En d'autres termes, dans la plus grande partie des cas, l'italien paro/a correspond non pas au trancais parole mais au Irancais mot. C'est la l'origine evidente de la difflculte : dans un texte oil l'on ne parle pas de mot, parole peut tres bien etre traduit, en torcant quelque peu l'usage courant, par parola ; mais dans un texte ou l'on parle aussi de mot et dans lequel apparattra done aussi parota au sens de •vocable,, Ia traduction de parole par parola nous expose a d'evidentes ambigultes. Cette traduction a cependant ete adoptee par Pagliaro 1957. 32, Lepschy dans Martinet 1966, elle a ete ecartee de la trad. italienne du C. L. G. II en est d'autres deja adoptees ou possibles ; imprimer PAROLA quand le mot signifie parole et paro/a quand ii signifie mot (Devoto, lettre personnelle du 12 fevrier 1964) ; traduire par , alto lingulstico • (M. E. Conte, • Sigma • 10, 1966. 45) en perdant cependant )'ambivalence de parole (v. supra n. 66) ; traduire par (ii) par/are ou espressione, ce qui nous met a l'abri du danger precedent mais donne lieu a des locutions tres pesantes dans le premier cas, et risque dans le second cas de nous mener des ambtguttes de nature culturelle, etant donne le lien instaure a un niveau cultive entre espressione et la conception crocienne esthetico-linguistique. II est preferable de conserver en italien le mot trancats. POLONAIS : langue est rendu par ji;zyk, langage par mowa et parole par mowa jednoslkowa. RUSSE: langage est tradult par la perlphrase reeeoaia dejatel' nost' (Vvedenskij 1933. 12; Lepschy dans Martinet 1966. 211 donne au contralre comme equivalent jazyk), langue et parole sont traduits par jazyk et rec' (Vvedenskij cii., Volkov 1964, Lepschy cit., etc.). SUEDOIS : langue est rendu par sprdk, parole peut etre rendu par tal, mais de preference avec la precision ta/ som konkrei fenomen (ou une precision du meme genre), dans la mesure ou tal, comme mot isole, peut rendre aussl langage (Regnell 1958. 10, B. Malmberg, Sprdket och mdnniskan, Stockholm 1964, p, 120 et Kainz 1941. 19-20. II est difficile de ne pas conclure que Saussure, malgre sa profession de fol en Jes • choses •, a pu elaborer plus facilement sa classique tripartition parce qu'il s'est servl du Irancais (voir en ce sens Kronasser 1952. 21). (69) Sur ce probleme de l'apprentissage de la langue, L. Wittgenstein a ecrit des pages desormais classiques et protondement saussuriennes (Philosophische Untersuchungen, § 1 et sv.). Le probleme de l'apprentissage de la langue matemelle par l'enfant a ett\ peine effleure par Saussure (voir supra C. L. G. 24 n. 49) ; ii exlste aujourd'hui sur ce point une bibliographie Immense, qu'on peut tirer d'reuvres de synthase comme G. Miller, Langage et communication, Paris 1956 (on lira encore avec profit Jes pages 191-234, lnspirees d'un point de vue associationniste), Lan­ guage Acquisition, Bilingualism and Language Change (essais de J. B. Carroll, R. Jakobson, M. Halle, W. F. Leopold, J. Berko et d'autres encore) dans Psycholinguistics, New York 1961, p. 331 et sv., R. Titone, La psico/inguistica oggi, Zurich 1964. II vaut la peine d'observer que, puisque avant la capacite d'utiliser une langue hlstorico-naturelle ii y a, pour Saussure, la double capacite de discriminer et de regrouper des sens en signifies et des executions phoniques en signiflants, associant Jes uns et Jes autres (voir la note 56), le C. L. G., en falt de theorie de l'apprentissage, est plutot en harmonic avec Jes positions de J. Piaget (n, 56) qu'avec Jes positions comportamentistes et associatlonnlstes. D'ou la vaste utilisation des theses saussuriennes dans les etudes recentes sur la theorie de l'apprentissage : cf. G. Francescato, ll linguaggio infantile. StruUu­ razione e apprendimenio, Turin 1970, p. 25, 26, 78-79, 107, 109-111, 113. 114, 119, f92, 195. (70) Selon Hjelmslev 1942. 37 et sv. ll faudralt aussl volr dans ce passage la presence de la notion de langue comme nonne reglant Jes comportements 1.inguistiques des diflerents groupes sociaux (voir C. L. G. 21 n. 45). Notons que dans les sources manuscrites de I'alinea 4 ii n'y a aucune reference a l'ecriture (263-269 Engler). L'ldee selon laquelle on trouverait confirmation de I'aspect concret et realisable des signes dans la possibilite de Jes fixer par ecrit n'est done pas de Saussure, mais represente une tentative des edlteurs d'Interpreter sa pensee, Aujourd'hul, dans un cadre eplstemologlque protondement different de a a 426 427 NOTES NOTES celul dans lequel Saussure a developpe sa pensee, Jes termes de ee probleme nous sont clalrs. Saussure a rnontre que l'ldentlflcatlon de deux phonies ou de deux significations dlflerentes ne se fonde pas et ne peut pas se fonder sur des ressemblances phonlques ou psychologlques, mals qu'elle se fonde dans !'Interpretatlon de l'une et l'autre phonies et /ou de l'une et l'autreslgnlflcatlonscomme repliques d'un rnerne type, comme utilisations physlquement et psycholog!quement difterentes d'entites lingulstlquement ldentiques. Cette ldentite, prlvee de justifications physlco-acoustiques ou loglco-psychologlques, est la seule garant!e du falt que dans le sein d'une secrete et d'une culture determlnees les significations sont reunles dans cerlaines classes plutot que dans d'autres (signifies) et les realisations phonlques dans certalnes classes plutot que dans d'autres (slgnlflanls), !'introduction de delimitations dans la masse des significations et dans la masse des phonies etant done une Introduction arbltralre (non motlvee par des caracteres physlologlques, acoustlques, psychologlques, loglques, etc. des realites delimttees). De telles delimitations sont done des schemes abstralts sur lesquels s'etablissent les significations et les phonies concretes. II va de sol que de telles abstractions operent eflectlvement de tacon , concrete , lorsqu'elles reglent les comportements llngulstlques lndivlduels. En tirant cette double conclusion (caractere • abstralt • des entltes de la langue et leur efflcacite , concrete •), Saussure se heurtalt a une difllculte eplsternolologique et termlnologlque lice a son temps et a sa culture. Les analyses de Saussure se placent sur l'arriere-plan de l'eplstemologle kantienne, Ideallste, positivlste. Dans une telle eplstemologle, !'abstraction est • elne negative Aufmerksamkeit , (Kant), elle est le lirnlte, le separe, ou encore le • Falsch • (Hegel), elle n'a pas, dans !es Interpretations positivistes !es plus rudimentalres, la force du • fait, (Eisler 1927. sv. Abstrakt, Abstrakiion, Abbagnano 1961. sv. astrazione). Tandis que I'Abstrakt est • eln lsoliertes, unvolkommenes Moment des Begrifls , (Hegel, Werke, V, p. 40), le vlvant est • schlechthin Konkrete • (Eisler. cit.). Le mouvement de reevaluation de l' • abstrait , a des raclnes complexes et multiples : du point de vue philosophlque et eplstemologtque general on peut indiquer la redecouverte du role des entites symboliques conventionnelles et abstraites accomplie, en partant de diflerentes positions, par Ch. S. Pierce, Coll. Pap. 4.235. 5.304 ; E. Mach, Erkenntnis und lrrtum. Skizzen tur Psychologie der Formen, Leipzig 1905, chap.VI I, E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, 2• ed. 3 vol. Oxford 1954, J. Dewey, Logic, Theory of Inquiry, New York 1938, chap. 23, R. Carnap, Empiricism, Semantics and Ontology,• Revue Internationale de Philosophie s, 4, 1950. 20-40, et cf. les incomprehensions et les discussions citees par F. Barone, Tl neopositioismo logico, Turin 1953, p. 371 et sv. A. Marty a [oue un role dans ce mouvement philosophlque (cf. Eisler, Abstrakl). Outre Jes philosophes, ii faut rappeler certains sccteurs scientlflques : psychologle de la perception, episternologie genetique ont diversement contribue a la mlse en valeur de !'importance primordiale des processus d'abstractlon et des entites abstraites. Saussure s'inscrivit aux orlgines de ce mouvement. Mais, pour cette raison rneme, prive de references eplstemologtques valides et d'une terrnlnologie adequate, ii est oblige d'une part de reconnattre et de soullgner le earactere non concret, form el, et done abstrait, des entites lingulstiques (C. L. G. 157) ; d'autre part, engine dans une terrnlnologle et une eptstemologle dans lesquelles abstrait ne slgnifle que , marginal , (Peirce), • Irreel •, • faux ,, II est oblige de declarer que les entites de la Jangue , ne sont nullement abstraltes • (263 Engler), dans la mesure ou elles operent eflectivement (C. L. G. 189, 251 et sv.), Et, pour en denoter le caractere non concret, non essentiel, II s'aventure a dire qu'elles sont • splrituelles • (263 Engler), sans Hre cependant spirltualiste du tout (volr les constantes references a la realite neurologique et cerebrale de la langue : C. L. G. 26, 29, 30, etc.), ou • psychiques • (265 Engler). Face aux memes dlfflcultes les edlteurs ont donne une Interpretation quelconque (certes peu satlsfalsante) a la pensee de Saussure, lntroduisant la reference l l'ecriture, lnexistante dans les sources. (71) Les sources du paragraphe sont quatre lecons : deux (4 novembre 1910 et 25 avril 1911) du trolsleme cours et deux (12 et 16 novembre {908) du second: cf. S. M. 66-67, 77, 103. (72) Certalnement parce que l'elaboratlon et le contrOle du fonctlonnement des autres systemes semielogiques possibles sont, pour l'homme, lnternes a une quelconque langue hlstorique. En outre une langue hlstorique, et c'est ee qui la ditlerencle des systemes semlologtques non linguistlques, est eonstruite de faton a rendre semantlsable chaque experience humaine possible (le pseudo • Inexprime • n'est tel que par rapport a une meilleure expression, II doit tou[ours ftre exprtme d'une taeon ou d'une autre pour qu'on en pulsse parler). (73) Saussure a sans doute pense a Ia semlologle avant 1900, il en parle a Navllle en HOl (voir p. 352, n. 9). Pour le terme, volr 382 et n. 12. Pour les rapports avec Peirce, volr C. L. G. 100 n. 139. Sur la semiologie(dont I'utilite est contestee: Borgeaud-Br6cker-Lohmann 1943. 24) cf. Frei 1929. 33, 246, Firth 1935. 50 et sv., E. Buyssens, Les langages d les diseours, Bssa! de linguiltique [onetionnette dans le cadre de la semiologie, Bruxelles 1943, Spang-Hannen 1954. 103-105, Hjelmslev 1961. 107 et sv. (qui. outre les eludes de Buyssens, volt les applications de la semlologle dans Jes recherches d'ethnologle structurale de P. Bogatyrev). Ence domaine, les recherches les plus systematlques et !es plus avancees ont ete developpees par L Prieto, dont cf. les Principes de Nooloqie, La Haye 1964 et Messages et slgnauz Paris 1966. Cf. aussi pour une interpretation connue de ee domaine d'etudes Barthes, Elements de semiologie, Paris 1964. (74) II ressort des sources manuscrites que Saussure lnsistait longuement sur Ia critique de la conception de la langue comme nomenclature (302 et sv. Engler). On en trouve une reprise dans Hjelmslev 1961. 49 et sv. (remontant a 1943), Martinet 1966. 15-17 (remontant a 1960). Cette critique est restee dans l'ombre pour les editeurs du Cours, comme elle l'est restee pour une bonne partle de la linguistique contemporalne, qui n'en a pas comprls la portee et continue de s'en tenir a la conception de la nomenclature dont I'orlglne remonte a Aristote (De Mauro 1965. 73 et sv.), On en trouve des exemples dans les theories semantlques de S. Ullmann ou de L. Antal (De Mauro 1965. 17()..173; pour Ullmann. volr aussl supra 372 et n. 129). On comprend done bien comment la notion d'arbitraire du signe dans le C. L. G. a pu rester sl longtemps obscurcie par un exemple malheureux et, surtout, par une interpretation banale : la notion se f~nde s~r la decouverte de 1:arbitraire des regroupements de significations en sigmfles discrets, decouverte liee a la critique de Ia conception de la langue comme nomenclature, Mais pour cela, voir C. L. G. 100-101 et notes. . (75) Les sources du chapitre sont differentes Ietons du deuxleme et du trolS1eme cours : S. M. 103. (76) C'est Ia notion de langue-schema selon Hjelmslev (volr C. L. G. 21 n. 45). Ct. cependant C. L. G. 79 ou une certalne place est faite au phenomene de l'inertie des organe~ phonatol~s com~e _condition de Ia structure des systemes p~o~em.atlques. Mais, <:es conditions n ag1ssant pas de mani~re determinante, Jes d1stmct1ons phonematlques peuvent Hre et sont differentes d'une Iangue a l'autre, et l'etude de la phonation ne donne done pas le cadre des systemes phonematiques. La comparaison du rapport langue-parole au rapport symphonle-executlon apparatt aussi de facon slgniftcative chez les chomskiens J. J. Katz, P. M. :~:~· An lnlegrated Theory of Linguistic Description, Cambridge(Mass.) 1964, R: Dans le paragraphe sulvant, otl se trouve trade l'efflcaclte lndlrecte des alt6- 428 NOTES rations phonetlques sur l'organisatlon de la langue, apparatt selon Hjemslev la notion de la langue comme usage, pour laquelleon se reportera a C, L G.112n.159. (77) Pour !'utilisation du tenne psychique pour qualifier la langue et son etude, v. supra C. L. G. 32 n. 70. (78) Voir supra n. 65. (79) Pour I'interpretatlon de la langue comme • modele • et plus generalement pour l'utilisatlon des modeles en linguistique cf. Guirand 1959. 19, De Mauro, Modelli semiologici. L'arbitrarieta semanlica, • Lingua e stlle s I, 1966. 37-61, aux pages 37-41, et I. I. Revzin, Models o/ Language, traduction du russe, Londres 1966. (80) Voir n. 63, C. L. G. 31 n. 67, 173 n. 251. (81) Une opinion repandue dit de la parole que, parce qu'elle est • das stll.ndig Wechselnde •, elle • nicht Gegenstand der Wissenschaft seln kann • (Brocker 1943. 382). En realite, on ne voit pas pourquoi la description sclentillque ne devrait s'occuper que de realites qui n'oscillent pas ; elle s'en occu-pera en reperant les constantes de ces oscillations. Et les constantes de la parole ne sont pas Jes entites de la langue mais soot des constantes de la psychologie, de la physiologie et de l'acoustlque. Sur la linguistique de la parole, voir Buyssens 1942, Okobava 1959. 111-125, Skalicka 1948. Pour le primal de la llnguistique de la parole(• Au commencement etait la parole »: v. G. L G. 138), cf. Sechehaye 1940. 9, Quadrl 1952. 84. En Italie, A. Pagliaro a eftectue une analyse objective et scientlfique de la parole avec sa propre critique semantlque, qui est done une veritable llnguistlque de la parole (Pagliaro 1957. 377-378). Pour la psycholingulstique comme lingulstlque de la parole (selon Osgood) v. supra 378. (82) La princlpale source du chapltre est une leeon du second cours, prononcee en novembre 1908 (S. M. 68-69). Le titre de la lecon, dans Jes notes de Riedlinger, est Division inurieure des choses de la linguistique. En eflet, le titre choisi par Jes editeurs pour ce chapltre n'est pas tres heureux : U aurait mieux valu substituer linguistique a langue. (83) Voicl Jes notes manuscrites integrates de Riedlinger, sources du premier paragraphe du chapitre : • On a fait des objections a cet emplol du tenne organisme : la langue ne peut Hre comparee a un ~tre vivant, est a tout moment le produit de ceux (de) qui elle depend! On peut cependant employer ce mot sans dire que la langue est un Hre a part, existant en dehors de l'esprit, Independent, (Si l'on pretere ), on peut au lieu de parler d'organisme parler de systeme, Cela vaut mleux et cela revient au merne, Done - (definition) - llngulstlque externe = tout ce qui concerne la langue sans entrer dans son systeme, Peut-on parler de linguistique externe 'l Si l'on a quelque scrupule, on peut dire : elude lnteme et externe de la linguistique. Ce qui rentre dans le cOte externe : histolre et description externe, Dans cc cote rentre[nt) des choses lmportantes. Le mot de lingulstique evoque surtout I'idee de cet ensemble • (370-374 Engler). Comme on le voit, l'etude exteme de la langue est pour Saussure une partie importante de la linguistlque car Jes facteurs extemes prennent une part importante dans la constitution de la langue. Cf. aussl Regard 1919. 10-11. La distinction entre etude externe et etude lnterne est deja envtsagee par Paul 1880. 12. Mais pour Iul, cependant, la Ungulstlque ne devrait s'occuper que des rapports dans lesquels le Vorstellungsinhalt trouve une expression : c'est, comme on volt. la these excluslviste (l'etude exteme n'est pas llnguistique) attribuee a tort a Saussure (voir C. LG. 20 n. 40). Vvedenskij 1933. 12 critique la distinction comme • bourgeolse • prectsement sur la base d'une telle attribution injustlfi~e. (84) Pour d'autres constderatrons sur ce point, v. C. L. G. 281-289, 3o+ 316 et notes, et cf. Amman 1934. 276-277. NOTES 429 (85) Sur le rapport entre evenement politico-social et ev~nement llngulstlque cf., pour une introduction au problerne et une blbliographle, Cohen 1956. 273-354. Pour la romanisation llnguistlque de I' ltalle volr De Mauro, Storla ling. dell' llalia Unita, Bari 1963 : 306 et sv. ; peut-stre Saussure pensalt-11 a A. Budinszky, Die Ausbreiiunq der lateinischen Sprache uber Italien und die Pro­ ulnzen des romisctien Retches, Berlin, 1881, ou a des travauz de Schuchardt. Pour !'avatar de la Norvege qui, ayant abandonne la viellle langue lltteralre medievale, a utilise le danols (riksmaal) durant toute la perlode de I'unlon au Danemark, se recreant ensulte (sur la base de parters paysans) une langue litteraire autonome (le landsrnaal), cf. G. lndrebO, Norsk malsoga, Bergen 1951, D. A. Seip, Norsk sprdkhistorle iii omkrlng 1370, 2• ed., Oslo 1955. Sur la notion de langue speclale (ou mleux, d'usage special d'une langue), cf. Cohen 1956. 175-226, De Mauro, ll linguagglo della crillca d'arle, Florence 1965. 21-28. (86) On s'est appuye sur cc passage pour soutenir que Saussure est rest6 lie au prejuge posltiviste de I'aspect non nature! de I'usage cutttve et litteratre d'une langue, prlnclpe deja soutenu par Paul 1880.48, et on a rattache ce passage au C. L. G. 207 (volr n. 273). En reallte, Saussure propose lei une Idee d'un grand lnteret, que nous ne sommes en mesure d'apprecler qu'aujourd'hul. Comme nous le savons desormals, un slgne linguistlque n'est pas Interpretable hors de son rapport avec la situation dans laquelle II est prodult (De Mauro 1965 147 et sv.), Ce rapport beneflcle dans l'usage parle de la langue d'une pluralite de concours qui disparalssent de l'usage ecrlt. D'ou la necesstte pour cette dernlere de ce conformer a des regles supplementalres ( ordre des mots, systematlclte et coherence syntagmatlque, dlflerenclatlon graphlque de sequences phonematiquernent ldentlques, etc.) sl blen qu'on en arrive a la llmlte a la constitution (comme l'a vu L. Prieto pour le Irancals qui est certes un cas llmlte) d'une autre langue, d'un systeme dlflerent (volr C. L. G. 44 et sv.), (87) Volr C. L. G. 261 et sv. Pour !'utilisation de organtsme, v. supra n. 83. (88) Dans ce passage les lignes de • Prenons comme exemple ... • a • une langue s'est developpee , sont une interpolation des notes dans les leeons : Jes ~dlteun l'ont tlree de Notes 61. (89) Le texte de l'editlon de 1922 et des sulvantes presente une variante par rapport au texte de 1916. Ce dernler declaralt : • Pour certalns ldiomes tels que le zend et le paleoslave, on ne salt meme pas quels peuples Jes ont parles ,. Mais on lit dans les manuscrits (409 B Engler), de tacon correspondant mleux a I'etat de la question : • II y a des ldlomes dont on ne salt pas par quels peuples Us ont ete parles (alnsi le zend : langue des Medes? le paleoslave : est-cc l'anclenne langue bulgare ou slovene ?) ,. lnformes par le compte rendu de Wackernagel 1916. 166, les edlteurs ajouterent, pour att~nuer le texte de la premiere ~ditlon, l'adverbe • exactement ,. Pour d'autres variantes entre tr• et 2• ed., v. C. L. G. 45 n. 94, 59 n. 109, 241 n. 286 et volr n. 17. La phrase servant de conclusion au paragraphe ( • En tout cas ... •) est un ajout des Miteurs. (90) II s'aglt d'une comparalson que l'on salt chere a Saussure : volr C. L. G. 125-127 ct 153-154 n. 223. La comparalson apparatt aussl dans Jes Philoso­ phische Unlersuchungen de L. Wittgenstein ( §§ 31, 136, 200): cf. Verburg 1961 et volr notes 16 et 38. (91) La conception de la langue comme systeme (langue-schema de Hjelmslev: C. L. G. 21 n. 45), deja enoncee aux pages 24 et 32, se trouve icl pour la premiere fols dcfinle de la fa~on la plus nette. Pour l'lmportance de cette conception pour la lingulstlque et pour toute l'eplstemologle sclentifique moderne, cf. Frei 1929. 39, Jakobson 1929 = 1962.16 et sv. (•pierre angulaire de la theorle contemporalne de la langue •), Br6ndal 1943 92 et sv., Casslrer 1945. 104, Clkobava 1959. 13, Glpper. 196320, Benvenlste. 1966. 21. Roslello 1966, Garron! 1966. 14-16, Mounln 1966. 430 431 NOTES NOTES (92) Les sources du paragraphe sont deux lecons distlnctes du trolsleme cours (S. M. 77, 79, 103). Sur le probleme des rapports e.ntre usage or8;1 et usage ecrit de la langue, voir C. L. G. 41 n. 86; pour des considerations semlologtques sur la graphie voir C. L. G. 165 n. 238. Cf. Laziczius 1961. 15. (93) La chose n'a plus aujourd'hui ce caractere exceptionnel. Mfme pour un domalne relatlvement peu etudie comme J'italien, ii existe desormais de nombreux centres ou est recueillie de la documentation parlee, le principal en etant l'archivio etnico linguistico-musicale de la Discotheque Natlonale. (94) Sources du paragraphes : outre Ia seconde leeon du troisieme cours eltee A Ja note 92 certaines observations sont tirees d'autres lecons (S. M. 104). Dans Ja quatriem~ ligne avant la fln du second paragraphe de la deuxieme edition du c. L. G. (et des suivantes) on lit • une image aussl fldele de ..• • etc. ; dans l'edition de 1916 on lisait : • une image plus fldele de... •. II s'agit dans ce cas egalement d'une tacon de forcer le texte man~scrit (Saussure a_vait. dit que le lltuanien, par son anctennete, presente • plus d lnteret, po~r le hngm~te, que le latin deux stecles avant Jesus-Christ • : 453 Engler), qui fut corrigee apres !'Intervention de Wackemagel 1916. 166. Voir supra C. L. G. 42 n. 17 et 89. Sur Ja Ienteur des changements phonetiques qui ne sont pas notes par la graphle, cf. Menende:r.-Pidal1956. 532-533. (95) G. Deschamps (ne en 1861), polygraphe traneals _tres connu a la fin du slecle dernier, avait affirme en 1908. parlant a I' Acadernie de P. E.M. Berthelot (1827-1907), que le savant s'etalt • oppose a la ruin~ de Ia langue tranealse • en se prononcant centre les tentatives de reforme de I orthographe entreprises par les autorites trancaises entre 1901 et 1905 (F. Brunot, Ch. Bruneau, Precis de grammaire historique de la langue trancaise, 4° ed., Paris 1956, p. xxxm et 474 B Engler). (96) Pour les sources du paragraphe, volr n. 94 (S. M. 104). (97) Sur I'ecriture aux periodes Jes plus anciennes, cf. I. J. Gelb, A Study of Writing. The Foundation of Grammalology, Landres 1952, M. Cohen, !,a grande invention de l'ecrilure, 3 vol., Paris 1958 et sv., Ch. F. Hockett, A Course m Modern Linguistics, New York 1958, p. 539-549, Belardl 195?· 39-45, R. H. Robins, General Linguistics, Landres 1964, p. 121-125, A. Lerot-Gourhan, Le geste el la parole, 2 vol., Paris 1964-65, I, p, 261-300, II, p. 67-68, 139-162, Mounln 1967. remontalt a A. Dufrlche-Desgenettes, Surles dlffirentes esMces d'r et d'l, B. S. L. 3 : 14, 1875. 71-76, et elle fut reprise et generalisee par Saussure (volr C. L. G. 63 n. 111). Pour le rapport phonologie-phonelique selon Saussure, cf. Dieth-Brunner 1950. 8. En general aujourd'hul, on ne falt plus reference par ph:meliquephonelics-fonetica et autres termes semblables a l'etude diachronlque ou synchronlque d'un systeme phonemattque (cependant, en particulier dans la lingulstlque hlstorique lndo-europeenne, l'utilisation vieillie de ce tenne continue d'avoir un certain poids, comme on peut s'en rendre compte dans les travaux de Meillet et de ses eleves : cf. par exemple dans A. Meillet, J. Vendryes, Traiie de grammaire comparee du grec el du laiin, 2• ed. Paris 1948, p. 26: , La connalssance que l'on a du phonetlsme du grec et du latin depend naturellement de la taeon dont Jes sons ont ete notes ; c'est-a-dlre que l'etude phonelique de ces langues doit commencer par l'examen de leur alphabet •) ; mais on se refere plutet a l'etude (articulatoire, auditive, acoustique) de la parole. L'etude fonctlonnelle, synchronique et diachronlque, des aspects phoniques de la Jangue est deslgnee par des termes comme phonemics ou fonemalica, ou bien, en renversant J'usage saussurien sulvi en France par M. Grammont, par phonologie et, dans les ecrits en allemand des Pragois, Phonologie (pour ce renversement, voir n. 115). En Italie, fonetica est generalement utilise pour les eludes physiques, tandis que l'elude fonctionnelle synchronique et diachronique est deslgnee par Jes termes fonematica ou fonologia. Tl en est de merne en France avec phoneiique dans le premier cas et phonemaiique ou phonologie dans le second. (104) Les sources de ce paragraphe et du. suivant sont quelques lecons du troisieme cours (S. M. 104 et 79-80). (105) On a sulvi deux voies ditlerentes pour la representation graphlque des phenornenes phoniques : a) representation non-alphabetique, dans laquelle on cherche a rendre compte avec des symboles speciflques de chaque mouvement ou de chaque modalite de l'articulation (ii y aura done un symbole pour la sonorite, un autre pour !'absence de sonorite, un pour l'aspect vocal, un pour l'aspect non vocal, un pour l'aspect dental, etc.), b) representation alphabetique dans laquelle on cherche a indiquer par un symbole speci flque chacune des comblnaisons possibles de mouvements et de modalites d'articulation (ii y aura done un symbole pour la combinaison occlusive sonore dentale non nasale, un symbole pour la combinaison vocale anterieure non nasale, etc.). Le premier systeme a inspire au xrx- siecle le Visible Speech de A. M. Rell (I\ ne pas confondre avec Jes recherches spectrographiques de R. K. Potter, G. A. Kopp, Harriet C. Green, Visible Speech, New York 1947), et la notation non alphabetique de 0. Jespersen (reprise et utilisee dans le C. L. G. 66 et sv., mais ayant eu pour le reste peu de succes : Abercrombie 1967. 114, 174). Le second systerne a inspire diflercntcs tentatives parmi lesquelles celles de Marey, Rousselot, F. Techmer (dont cf. Zur vergleichenden Physiologie der Slimme und Sprache. Phonetik, Leipzig 1880, en particulier p. 55-58 et notes), J. Pitmann, jusqu'au Standard Alphabet de Lepsius (pour ces premieres tentatives, cf. R. W. Albright, The International Phonetic Alphabet : its Backgrounds and Development, • International Journal of American Linguistics •, Part III, 24 : I, 1958, p. 19-37). C'est a partir de l'un de ces systemes, le Romie de H. Sweet (Albright, op. cit., 37-42), que s'est developpe, une fois creee !'Association Phonetique Internationale, l' Alphabet Phonetique International, qui est aujourd'hui de loin le systeme de transcription le plus repandu (Albright cit., 47-65, et cf. 28-32, 35-47, 52-57, 71-81. (98) Pour les sources, volr n. 94 (S. M. 104). (99) Pour les sources du paragraphe, voir supra n. 94 (S. M. 104). (100) Etant donne qu'II y a une correspondance biunivoque entre une grande partle des phonemes latins et une grande part le des lettres ~e !'alphabet latln (avec J'exceptiou des douze phonemes vocallques et seml-voca,hques ~ndus graphlquement par seulement cinq lettres), et etant donne qu aussl bten le systeme phonematlque que l'orthographe de l'ltalien litteraire sont restes proches du latin, Jes oppositions entre graphle, et . phon_ie sont relatlvem~nt rares en ltallen. Signalons par exemple que I artieulation [tJ] est transcnte, selon Jes contextes, par le grapheme c (cena) ou par le digramme ci (ciocco); par allleurs le grapheme c transcrit soit [t]'] (cena) soil (k] (caro), etc. (101), Dans l'evolutlon de la phonologie italienne, la tendance A calquer la prononciation sur la graphle a occupe une place de premier plan : cf. De Mauro Sloria linguislica dell' Italia unila, Bari 1963, p. 258-60. (102) Les sources du paragraphe sont deux allusions, dans le second cours, iii la negligence des bopplens pour la phonologie et a I'Interet, au contralre, des neogrammalrlens (S. M.104 et 75), une lecon du trolsieme cours (decembre 19.10; S. M. 104 et 79) et, pour le rapport entre ce que Saussure appelle pboneiique et ce qu'il appelle phonologie, une note manuscrite de Saussure Iut-meme (640 F Engler). (103) Phonology est utlllse dans les pays anglo-saxons des 1817 par P. S. Duponceau (Abercrombie 1967. 169). En France, l'utilisatlon de phonologle The Principles of the I. Ph. Ass. being a Description of the International Phonetic Alphabet, Landres 1948, nouvelle ed. 1958, et N. Minissi, Principi di trascrizione, Naples, s. d.). Le point de vue de Saussure sur Jes problemes de la transcription paratt aujourd'hui rtlativement discutable : cependant, comme on le verra, Jes critiques sont purement saussuriennes. Saussure semble ici convaincu qu'il est possible de parvenir a une transcription phonetique (ou, pour utiliser ses termes, 432 • phonologique •) • sans equivoques •, Iondee sur !'analyse prealable de la • chalne parlee , en ses • elements , successifs, et sur la class!fl cation, sur des bases toujours et unlquement phonetiques, de ces segments. Une telle conviction seralt fondee sl, contrairement a ce que Saussure dernontre par ailleurs, les phenomimes physio-acoustiques avalent une quclconque capacite Intrinseque et une quelconque raison de se reunir en classes distinctes et sl, dans les sequences phonlques, II y avalt des limites de nature physio-acoustique. Saussure avait sans doute accorde uncertain credit ace point de vue a l'epoque des trols conferences sur la phonologie (v. C. L. G. 63 et sv.) et a l'epoque des cours de lingulstique generate. pour ce qui conceme le probleme limite de la transcription (ce point de vue a continue de trouver des detenseurs chez les lingulstes amertcalns postbloom fleldiens comme Pike, Bloch, etc., convaincus de la possibilite de segmenter la chatne acoustique, sans aucune reference aux phonemes, en segments classables ensuite sur des bases exclusivement phonetiques en • families de sons • ou •phonemes•). Mais ii s'agit la d'un point de vue contredit avant tout et precisement par Jes pages saussurienncs sur la nature Intrinsequement amorphe de la substance phonique : volr C. L. G. 155 et sv. , et v. aussl C. L. G. 63 n. 111. En developpant ce point de vue saussurien, on est au contralre amene a conclure qu'une segmentation faisant abstraction d'une analyse phonematique prealable est Impossible ou, plus exactement, qu'clle est possible mals qu'elle mene a des resultats variant de parole a.parole ou, pour une rneme parole, variant selon l'artlculateur pris comme point de reference pour Juger des maxima et des minima qui definlralent les segments (cf. pour la demonstration de cecl Belardl 1959. 124-132) ; de la meme tacon, une classification des segments de parole sur des bases purement physlologlques ou acoustiques mene a des resultats des plus lmprevisibles et, de toute tacon, ne coYncidant pas avec les unites fonctionnelles phonernattques (pour tout ce problerne cf. De Mauro 1967). II en resulte que la classification a travers des graphemes des articulations reperables dans !es paroles soil aboutlt a des resultatsvariables, soit, sl elle presuppose une segmentation sur criteres phonernatlques, aboutit toujours a des resultats[usqu'a un certain point approximatifs et, done, equivoques : etant donne la tacon de prononcer le mot cane (chien) d'un sujet donne en un moment donne, on pourra transcrire ['ka : ne] pour souligner la longueur du (al, ('ka: +ne] pour soullgner le caractere egalement avarice de la rneme articulation, ['k +a: +ne] pour ajouter une Indication sur l'eventuel caractere moyen du (kl, ('k+. a:+ne] pour ajouter encore !'indication de la fermeture particuliere de e, etc. eic. La multiplication des indications ne s'accordera jamais a la quantite innombrable des caracteristiques phonico-acoustiques d'un acte de parole concret. C'est pourquol une transcription phonetique est toujours d'une certalne taeon slmpliflcatrlce et done, par rapport a la parole concrete, equivoque. Bien sar, la marge d'equivoque est reductible scion Jes flnalites d'une transcription phonetlque : c'est precisement pourquoi ii est Important de savoir • pourquoi et pour qui l'on transcrit • (cf. A. Martinet, savwar purkwa E pur ki l'o traskri, • Le Mattre phonetique •, 1946. 14-17, G. Harnmarstrom, Representation of Spoken Language by Written Symbols, • Miscellanea Phonetica • 3, 1958. 31-39). Pour une interpretation diflerente possible des positions de Saussure, volr infra C. L. G. 63 n. 111. (106) Saussure pense probablement a des cas comme celul des aflrtquees, notees dans l'alphabet phonetique International par [tJ], [ttIJ, (pf], (ppf] etc., ou des consonnes nasales sourdes, notees [hm], [hn], etc. (cf. The Principles, cit., p. 14-16). (107) Malgre ces considerations de Saussure et d'autres ensutte, Jes propositions de retorme de l'orthographe reapparalssent souvent, merne la oil on n'en aurait que tres peu besoin. C'est le cas de la graphie italienne qui, par rapport a d'autres graphics europeennes, est presque phonologlque (cf. n. 100) et qui est pourtant soumise ( du moins dans Jes deslrs et dans la prose de certains 433 NOTES NOTES savants) l'I des retormes periodlques. Volr a ce sujet E. Castellani, Propost» ortoqrafich«. • Stud! linguistic! italiani , 3, 1962. (108) Volr supra n. 104. (109) Dans !'edition de 1916 sulvalt lei une observation sur l'avestlque (687 Engler) que les editeurs avalent tlree d'alluslons tres schematlques dans les notes des etudlants. Cette observation tut critiquee par Wackemagel 1916. 166 et Meillet 1916. 23, et done supprimee dans I'cditlon de 1922. (110) K. Nyrop, Grammaire historique de la langue [raneaise, 6 vol., I, 3• ed., Copcnhague 1908 (II-VI, 1930). (111) Pour les sources de ce paragraphe et des sulvants, volr infra n. 112. Le terme phoneme tut utilise pour la premiere fols par le phonetlcien Iraneais A. Dufriche-Desgenettes (sur lequel cf. S. M. 160) dans une communication a la Soclete de lingulstique de Paris du 24 mai 1873 Sur la nature des consonnes nasales (B. S. L. 2 : 8, 1873. LXII I), resurnee dans la, Hevue crltlque s I, 1873. 368 par un anonyme pour qui • le mot phoneme ... est heureusement trouve pour designer d'une Iacon generale les voyellcs et Jes consonnes •. Le terme, alnsl que celul de phonologie, apparalt dans d'autres travaux de A. DutricheDesgenettes (v. C. L. G. 56 n. 103). II fut adopte par Saussure dans le Memoire et utilise d'une manlere conforme a la valeur plus moderne de • element d'un systeme phonologlque oil, quelle que solt son artlculatlon exacte, U est reconnu different de tout autre element , (S. M. 272, et cf. Rec. 114). Dans son compte rendu des travaux de Brugmann et du Memolre, Kruszewski reprend le terme et, se fondant sur l'usage du Memoire, propose la distinction entre • son , et • phoneme •, acceptee ensulte par Baudouin de Courtenay ( Versuch einer Theorie phonetischer Allernalionen. Ein Kapiiel aus der Psycho­ phonetik, Strasbourg 1895, p. 6 et sv.; volr en outre supra 339, n. 7), pour qui le phoneme est • elne elnheltllche, der phonetlschen Welt angehorende Vorstellung, welche mlttelst psychlscher Verschmelzung der durch die Ausprache elnes und desselben Lautes erhaltenen Elndriicke In der Seele entsteht=psychlscher Aequivalent des Sprachlautes. Mit der elnheitllchen Vorstellung Phonems verkniipft sich (associert slch) elne gew!sse Summe elnzelner anthropophonlscher Vorstellungen ,. Le phoneme est done concu par B. de Courtenay comme une representation psychlque abstralte des sons lingulstlques. C'est, e!Tectivement, la conception de Trubcckoj. Et, de ce point de vue, ii est Juste de dire qu'll y a une flllation Kruszewskl-Courtenay-Trubeckoj, dans laquelle Saussure occupe une place relatlvement llmitee (Trubeckoj 1933. 229 et sv., Firth 1934, Jones 1950. vi et 213, Fischer Jorgensen 1952. 14 et sv., Lepschy 1966. 60-61 et notes). R. Jakobson (lettre prlvee du 4.3.1968) ajoute un Important temolgnage personnel : • Trubetzkoy's acquaintance with Baudouin's Ideas Is very late and likewise with Saussure. I must confess that the early influence of Saussurlan and Baudouin's or rather Scherba's views were received by Trubetzkoy through me. On the dependence of my concepticn and term" phonology " (then accepted by Trubetzkoy and Prague Circle) from Sechehaye's Programme et Methodu, see my review of van Wljk's Phonology, reprinted In my S. W., vol. I. • Saussure a en 1:flet approfondl la notion • d'element du systeme phonologlque •, deslgnee dans le Mt!moire par le terme phoneme, Jusqu'a le concevolr comme un element purement diflerentlel et opposltlf, un pur schema formel denue de toute conformation phonlque precise et, par consequent, impossible a abstralre des realisations phonlques (v. Infra). D'oil son refus d'appeler cet element phoneme : • C'est parce que les mots de la langue sont pour nous des Images acoustlques qu'II faut eviler de parler des" phonemes" dont lls sont composes •(C. L. G. 98). Saussure evlte par consequent avec soln de parler dana ses cours de phoneme quand ii veut faire reference aux • unites lrreductibles • du s!gnlflant (C. L. G. 180). II veut au contralre se r( :erer, par le tenne pho­ 434 NOTES nlmt, aux entltes ldentlflables dans la parole, dens la realisation phonlque : la definition du C. L. G. 65 ne lalsse aucun doute ace sujet. Cette Interpretation de !'attitude saussurienne concorde avec le refus d'appeler phonologie I'etude fonctlonnelle des • elements lrreductibles • du slgniflant (volrsupraC. L.G. 56 n. 2) et avec !'attention aveclaquelle ii evite dans les leeons d'utillser le terme phonique en reference au slgniflant (C. L. G. 145 notes 204 et 206). Elle est en outre en parfaite harmonie avec la conception de la langue comme forme (C. L. G. 157) et avec celle, correlative, des , entltes concretes de la langue • (C. L. G. 144 et sv.), conceptions dont elle n'est qu'un corollaire, alors que toutes deux ont pour premisse la conception de l'arbitraire du slgne comprise comme lndependance de !'organisation des signiflants et des signifies par rapport aux caracteres Intrlnseques de la substance phonique et de la substance signlflcatlve (C. L. G. 99 et sv.). Malheureusement, le sens de la position saussurlenne n'apparut pas tres clalrement aux editeurs qui, commettant l'erreur de ne pas • prendre au serieux !'exclusive prononcee dans le trolsieme cours... contre le terme phoneme • (S. M. 113), ont lntroduit ce terme dans une serie de points dans lesquels Saussure ne I'avalt pas utilise pour la raison vue plus haut, ne parlant pas de realisations phonlques mats des unites irreductibles (v. C. L. G. 180, 164 n. 236, 198, 284), de la msme tacon qu'ils ont introdnit lndOment le terme phonique en reference au slgnlflant (C. L. G. 144, 145, 147, 166, 167, 176, 218). Ajoutons que, contre les intentions de Saussure, la lingulstlque structurale a continue a utlliser le terme phoneme (et ses correspondants dans d'autres langues) pour designer !es unites fonctionnelles minima. L'on comprendra alors le chaos qui s'est prodult dans l'exegese des decennies durant autour des formulations saussuriennes (v. C. L. G. 65 n. 115), puisque les critiques, voire des disciples bien intentionnes, n'avaient pas compris que ce que Saussure appelle phoneme est une enttte materielle et non pas formelle, cernable non pas sur le plan de la langue mats dans les paroles, que c'est en somme le precurseur du «segrnent » de Pike (et que c'est un problerne de phonetique que de decider sl un tel segment minimum est lndlvidualisable sur un plan purement phonetlque, comme le pense Pike, ou au contralre n'est pas individualisable sans recours suhreptice a une analyse acoustique prealable, comme d'autres le pensent plus justement: v. C. L. G. 56 n. 105); tandis que, d'autre part, ce que presque tous nous appelons phoneme correspond en fait chez Saussure aux , unites irreductibles •, purement dillerentielles et formelles. II faut cependant reconnaitre que Saussure a pour le moins foumi un point d'appui a cette equlvoque (selon Malmberg 1954. 20-21, ii en a tout simplement ete la victime) avec sa conception des unites irreductibles et des signifiants comme • images acoustiques • : contormernent a son opinion sur l'lnactivite absolue de l'apparat auditif (v. C. L. G. 29 n. 61), ii voulait sans doute par la lnsister sur le caractere non operatoire mais purement schernatique et formel des entites signifiantes. Mais le resultat fut en realite un accroissement de I'equivoque : etant donnee la nature reconnue operatoire et done • materielle • (non formelle) de la perception auditive, c'est-a-dire etant donnee la multiplicite des perceptions auditives subsurnees dans le merne schema signifiant, et etant donne que Saussure deslgne aussi par acoustique une face de la parole (voir n, 113), on a pu croire d'autant plus facilement qu'il concevait le signiflant comme abstraction (phonico-)acoustique, comme ensemble des elements communs a plusieurs (realisations- )perceptions. (112) Ce paragraphe et les autres paragraphes du chapitre alnsi que Jes chapltres suivants de l'appendice viennent de la fusion de deux sources distinctes : un groupe de lecons au debut du premier cours (1906, S. !\L 54 nurneros 4-6) et les stenogrammes pris par Ch. Bally aux trois conferences de 1897 sur la theorie de la syllabe. Malmberg 1954. 11-17, induit peut-etre en erreur par le fait qu'il n'a pas vu que, lorsqu'il parle de phoneme, Saussure entend se referer a NOTES 435 tout autre chose qu'au phoneme (volr supra n. 111), a ernls des aoutes sur la qualite de la redaction des editeurs et a justement instste sur le fait que, pour comprendre ce que Saussure pensait du phoneme (en notre sens postsaussurien), ii vaut mieux se retercr au C. L. G. 163-169. Quoique cette dernlere opinion apparaisse comme entlerernent acceptable, les doutes sur la redaction n'ont pas de raison d'etre, si l'on comprend phoneme au sens que Jui donne Saussure et que nous avons eclalrci a la note 111. (113) Acoustique signifie ici • auditlf • : • ii ya deux cotes dans I acte phonatoire : a) le cote articulatoire (bouche, larynx), b) le cote acoustique (oreille) • (715 B Engler). Ailleurs, comme dans C. L. G. 98, acoustique signifie • relatif a !'Image psychique du son • (S. M. 253, s. v. acoustique). L'ambigutte a favorise I'equivoque signalee a la fin de la note 111. L'ambigutte d'autre part agit de fac;on plus profonde et peut-etre, sl l'on nous permet un jugement de valeur, non negative. En d'autres termes, une interpretation plus complexe de la position saussurienne est peut-etre possible. Nous avons deja signale I'Inanite de l'entreprise, propre a Pike, Bloch et d'autres post-bloomfieldiens, consistant a segmenter la chalne parlee en unites articulatoires successives (s segrnents ») avant toute analyse en phonemes. Cette segmentation n' est en realite pas possible ou plutot, elle est possible (rien n'interdit de fractionner en un ou plusieurs points la succession continue des articulations), mals elle mene a des resultats dlflerents selon l'articulateur choisl comme point de reference (pour la demonstration de cecl, voir Belardi 1959.128 et sv.), L'etude phonetlque des segments qui correspondent aux phonemes presuppose I'analyse phonematlque : , Un analyste qui croit pouvolr identifier dans une sequence une unite phonetique [nJ sans tenir compte de son eventuelle fonction llnguistique, ne s'apercoit pas de ce que l'Idee de la convergence des coefficients articulatoires vers une unite complexe Jui est suggeree uniquement par ce qui se produit sur le plan de la langue et de ce qu'on ne peut pas parler de convergence en unites nilleurs que sur ce plan, ou le phenomene a une raison d'etre; hors de cela, ii ya la volx inarticulee • (Belardi 1959. 128). II n'est pas improbable que Saussure se soit tenu ce merne ralsonnement et que, preoccupe de trouver un objet d'etude a ce qu'il appelait la phonologie (notre phonetlque : C. L. G. 56 n. 103), ii )'alt vu dans Jes unites phoniques et auditives qui sont dans Ia parole Jes correspondants des • elements lrreductibles • des signiflants ( et determlnables d'apres eux), Notre interpretation semble etayee par des passages des notes comme : •Orce n'est pas le premier [cote) qui nous est doune, mais le second, l'lmpression (acoustique,) psychique • (716 B Engler), ou ii semble que l'on doive souligner psychique, en rapport au C. L. G. 32 n. 69. Cette meme Interpretation pourrait donner un sens aux affhmations de Saussure sur Jes transcriptions qui devralent Hre sans equivoque (C. L. G. 56 n. 105). Alors que cela, comme nous I'avons vu dans la note corresponJante, seralt Impossible pour une transcription purement phonetique, Jes transcriptions de Ia sequence de phonemes (au sens non saussurien du terme) peuvent etre et sont sans equivoque, tondees sur une correspondance biunivoque entre graphernes et phonemes. On pourrait egalernent trouver des transcriptions relativement sans equivoque chez celles qui rendraient compte de types de realisations phonlco-acoustiques en correspondance avec Jes phonemes d'ur.e langue : e'est-a-dire des transcriptions phonetiques presupposant une analyse phonematique. SI c'est la le point de vue de Saussure, l'arnbigutte des sens du terme acoustique n'a certainement pas contribue a sa clarte, (114) L'affirmation saussurienne du primal de I'acousticite (san., qu'en fussent dlstinguees Jes ambiguttes) fournit a .Iakobson (1929 = 1962. 23 n. 18) l'occaslon de reprendre la meme these, developpee ensuite. dans la theorie connue des distinctive features, sur une base acoustico-auditive. L'importance hlstorique de la these saussurienne du primal de l'acousticite a ete soullgnee, avec une comprehension ditlerente, par Malmberg 1954. 17-19, 21-22. La decou- 436 NOTES verte de Saussure est d'autant plus rcmarquable qu'il ne connaissait pas Jes travaux de phonetlque acoustique que H. L. F. von Helmholtz avail amerces grace a son resonateur (1856) (Die Letire von den Tonempfindurujen, Braunschweig 1863, On the Sensation of Tone, Londres-New York 1895), et qu'avaient poursuivis L. Hermann (cf. F. Trendelenburg. In Manual of Phonetics, La Haye 1957, p. 19-21) et Hugo Pipping. (115) Pour ce qui concerne les considerations sur !'analyse lmpllcite sous-tendant !'invention de I'ecriture alphabelique, cf. (outre la bibliographic citee a la note 97) A. Meillet, Apereu d'une histoire de la langue qrecque, tr• ed. Paris 1913, 7• ed. 1965, p. 59-60, et surtout A. Meillet, La langue et i'ecriture, • Scientla • 13 : 90, 1919 290-293, oil ii ya peut-etre un echo de l'enselgnement de Saussure (et aussi du C. L. G. ). Pour ce qui concerne Ia definition du phoneme, elle est conforme ace que nous dislons supra n. 111. Et, comme nous I'avons souligne, c'est a partir d'elle que s'est developpe ce que nous pourrions appeler, sl le respect dfl a ses participants ne nous en ernpechait, une cornedie des equtvoques. En marge de I'expose de Mathesius au second congres des linguistes (Mathesius 1933), W. Doroszewski attaqua cctte definition du phoneme en croyant manifestement qu'elle faisait reference a I' • unite irreduclible •, au phoneme dans le sens non saussurien du terme. Bally, dernontrant que l'erreur avail deja ete commlse par Jes editeurs, descendit genereusement dans l'arene pour defendre le mattre(Bally 1933. 146): ii affirma que Saussure avail lei en vue non pas le phoneme­unite fonctlonnelle, mais le son, entite purement phonetlque, ce qui est exact; mais, au lieu d'eclalrcir le fail qu'il y avail un usage terminologique different propre a Saussure qui appelalt phoneme I'entite phonetlque (et • unite • ou • element lrreductible • I'entlte fonctionnelle de la langue), Bally ajouta que ce passage etait dO a une • faute de redaction », En realite ii n'y la aucune • faute •. Dans 752 B Engler on lit en cfTet: • phoneme - la sommc des impressions acoustiques et des actes articulatoires, l'unite entendue et parlee, l'une conditionnant l'autre •. Aggravant les choses avec Jes meilleures intentions du monde, Bally ajoutait : • Au cours de I'ouvrage du maitre, nous nous rendons compte de la veritable definition du ph.: un son qui a une fonction dans la langue, fonction deterrnlnee essentiellement par son caractere diflerentiel. • Or, ceci est vrai pour I'entite de la langue que nous appelons phoneme (et qu'on ne voit Mre appelee phoneme dans le C. L. G. que par l'erreur des editeurs : v. supra n. 111 et C. L. G. 164 n. 235), mals non pas pour ce que Saussure appelait phoneme. Par sa • defense ,, Bally avalisait I'equlvoque d'interpretation deja commise par R. Jakobson. Celui-cl, cependant, contrairement a Bally qui en son temps avail eu sous les veux les manuscrits, avail parfaitement le droit de la commettre sur la base du texte du C. L. G. II faisait observer sur cette base (1929 = 1962. 8) que !'on tirait du passage du C. L. G. 65 comme caractere deflnitoire du phoneme le fail qu'il etait le plus pellt element de Ia sequence phonique, du C. L. G. 68-69 le fait qu'il Hait une combinaison simultanee de traits pertinents, et du C. L. G. 164 le fail qu'il etait une entite • oppositive, negative et relative u. On peut se demander s'il n'y a pas un raffinement excessif de I'exegese a relever ainsl l'equivoque commise par Jakobson puisque, en fin de compte, Ies deux caracteres qu'il attribue a ce qu'il appelle phoneme (etant autortse, vu I'etat du C. L. G., a croire que Saussure l'appelait aussi phoneme) sont precisement aussi les caracteres de cette • unite irreductible , que Saussure n'appelait pas phoneme, rnais qui est cependant la mere Iegitime, sur le plan conceptuel, du phoneme de Sapir, des Pragois, de toute Ia linguistique postsaussurienne. Nous croyons pourtant qu'il est necessalre d'insister sur cette equivoque : en alliant Jes deux caracteres deja mentionnes (dont un seul, le premier, est aussi caractere de ce que Saussure appelle phoneme) au caractere d'entite phonico-acoustique propre au phoneme de Saussure, Jakobson aboutissait a la conception du pho­ neme(et plus generalement du signiflant) comme ensemble des caracteres phonico- NOTES 437 acoustiques qui, dans Jes realisations phonetiques, restent constants pour eviler toute confusion avec d'autres elements du systeme, Le phoneme, et plus generalement l'entite signiflante, perd alors son caractere de forme pure pour assumer le caractere d' • abstraction phonetiquc •. On peut peut-etre ajouter que )'aspect equlvoque de la notion de phoneme chez Saussure a favorise une autre equivoque : celle qui a fail croire que pho­ nologie designait chez Saussure l'etude synchronique du systems des elements dlflerentiels minima (phonemes au sens postsaussurien). II s'agit d'une equivoque A laquelle n'echappe pas meme E. Alarcos Llorach, Fonologia espaiiola, 2• ed., Madrid 1954, p. 23. Nous le relevons parce qu'il est possible que cette equivoque ail [oue un role dans le renversement du sens de phonologie lors du passage de Saussure aux Pragois (n. 103). Outre l'ambiguite du sens de phoneme, l'equivoque peut avoir He Iacllitee par la confusion entre le caractere ldiochronique de la phonologie des structuralistes postsaussuriens et l'extratemporalite de la pbonoloqie de Saussure : • La phonologic est en dehors du temps •, lit-on dans le C. L. G. 56. (116) La phrase • On en trouvera ... • est un ajout des editeurs, un de ceux visant le plus a donner au C. L. G. l'apparence d'un manucl acheve de linguistique generate. Les indications completes sur les oeuvres citees en note par Jes edlteurs sont : E. Sievers, Grundz. d. Phon., 5• ed., Leipzig 1901 ; 0. Jespersen, Lehr­ buch d. Ption., 2• ed., Leipzig 1913, 5• ed, 1932; L. Roudet, Elements dephone­ tique generale. Paris 1910. Dans Jes Ieeons, Saussure afflnne (709 B Engler) : • Grand progres actuellement. (Vietor en Allemagne; Paul Passy en France s (ou encore, 709 C Engler: • Vietor (Allernagne), P. Passy en France : ont retorme Jes idees »). Les editeurs auraient done pu citer utilement W. Vietor, Elemenle der Phonetik des Deutschen, Englischen und Pramnsiscnen, 7c ed., Leipzig 1923, et surtout !'excellent volume de I'eleve de Saussure, P. Passy, Petite phoneiique eomparee des principales langues europeennes, Leipzig 1901, dont Saussure semble s'etre inspire surtout dans Ia reconnaissance du role primordial de Ia cavlte orale dans l'artlculatlon (un peu obscure dans le C. L. G. 68 alinea 1, plus nette dans 777 B Engler). (117) Pour des donnees precises sur l'eeuvre de Jespersen, voir supra n. 116. Malmberg 1954. 22 affirme que dans Jes pages 68-69 on a non seulement une vague Idee mais la premiere systematisation du trait pertinent. II est tres probable que, historiqucmcnt, ces pages ont ete lues et ont eu de I'influencc comme Jes pages dans lesquelles on parlait des • elements diflerentiels • des unites minima (ainsl, Impressionne par Jakobson et ignorant Godel, Lepschy encore en 1965. 24 n. 7), e'est-a-dire des traits pertinents du phoneme au sens postsaussurien ; mals, quo! qu'on ail dit (supra notes 111, 113, 115), ces considerations se referent en realite pour Saussure aux elements diflerentiels des diflerentes especes d'entites phonetiques. (118) Pour Jes sources du paragraphe, voir supra n. 112. Sur !'aperture orale, cf. Grammont 1933. 59. (119) Ce paragraphe et Jes paragraphes suivants du chapitre sonl parmi Jes rares sections du C. L. G. attribuees un seul des editeurs, dans ce cas particulier Ch. Bally (S. M. 97). Tout le chapitre est important pour la theorle moderne de la syllabe (Malmberg 1954. 23-27). Les segments phoniques (Jes phonemes au sens saussurien) vivent, pour ainsi dire. dans la syllabe. I::tant donnee une sequence de phonemes anglais /m / /a/ /i / /t/ Jr/ /e / /i / /n / nous aurons deux sequences dilTerentes selon qu'il s'agit de /mai trcin/ ou de /mail rein/. Dans le premier cas on a ai • fully long•, t , strong•, r , voiceless •; dans le second cas on a ai , shorter allochrone •, t , weak ,, r , fully voiced •, ou bien l'on a des variations • non pertinentes • du point de vue pragois qui, cependant, donnent sur le plan de la norme des indications precleuses sur la structure syllabique (et, done, monematique), comme a 438 439 NOTES NOTES cela se produit en ltalien dans la realisation de un'amica (une amie) et una mica (une miette) et dans d'autres cas semblables (cf. B. Malmberg, Remarks de l'arbltralre radical du slgne llngulstlque. Les edlteurs ont melange (par peur de perdre quelque chose) la viellle et la nouvelle termlnologle. On y perd quelque chose, en fait : le sens du contraste possible entre les deux terminologies le lien entre la nouvelle termlnologle et le sens le plus profond du prlnclpe de l'a;bltralre. (129) Pour es orlglnes aristoteltclennes de la conception de la langue comme nomenclature et pour sa permanence a l'epoque moderne a travers la grammalre rationaliste de Port-Royal, cf. De Mauro 1965. 38-47, 56-58, 73-83. Apres Saussure la critique de cette conception a surtout ete reprise, chez !es linguistes, pa; L. Hjelmslev des 1943 (Hjelmslev 1961. 49-53) et par A. Martinet, 1966. 15-17. Pour ce qui concerne la tradition philosophique, la merne conception, apres avolr ete objet de critiques au xvne et au xvnr- stecle (De Mauro 1965. 47 et sv.; on ne peut exclure l'hypothese que ces critiques ne se rattachent. a travers Krus:r.ewskl, a Saussure d'une fac;on ou d'une autre : voir supra 340), emerge a nouveau au xrx- siecle et a trouve au xx- en L. Wittgenstein son defenseur le plus coherent a l'epoque du Tractatus et plus tard, a l'epoque des Philosophische Untersuchungen, son critique le plus radical. Le dernier Wittgenstein a soutenu que ce n'est pas l'objet qui est la base du sens des mots, maisquec'estaucontralre l'usage du mot qui rassemble des experiences disparates du point de vue perceptif, constituant ainsi, dans des conditions et pour des ralsons socialement determinees, ce que l'on appelle I' , objet ,. Wittgenstein parvient ainsl a une conception tres voisine de celle de Saussure, malgre leur point de depart tres different (De Mauro, Ludwig Wittgenstein. His Place in the Development of Semantics, Dordrecht 1967). Ce serait une erreur de crolre que la portee de ces critiques ait ete cornmunement comprise par Jes linguistes. Ogden et Richards 1923. 11, en proposant le • triangle semantique • dans lequel le symbole phonique est lie (par une relation causate) a un concept (thought) a son tour determine causalement par la • chose • (referent), restent a I'evidence en deca de la critique de Saussure dont ils montrent ne pas avoir comprls la pensee (C. L. G. 101 n. 140). Et, meme parmi Jes professions de fldelite a Saussure, S. Ullmann, en acceptant le triangle semantlque de Ogden et Richards (Ullmann 1962. 55-57), montreque lui aussl n'a pas assirnile la substance de la position saussurienne (Godel 1953, De Mauro 1965. 172-73); • la sernantique d'Ullmann appartlent a l'ere presaussurienne • (Frei 1955. 51). Les consequences de cette Incomprehension sont comparables a celles de l'lncomprehension autour de la notion de phoneme : les unes et Jes autres ont gravement amoindri la possihilite de comprendre la doctrine saussurienne de l'arbitraire du signe, de la Iangue comme forme, de la valeur. Sur la critique saussurienne, cf. en outre Mounin 1963. 21-26. La suite du passage resulte de la fusion de deux sources diflerentes. Avant tout Jes notes de la Iec;on du troisierne cours : • Pour certains philologues, ii semble que le contenu de la langue, rarnenee a ses premiers traits. ne soil qu'une nomenclature. Mais merne en admettant ce cas on l'origine de la langue serait une nomenclature, on peut montrer en quoi consiste I'element linguistique, objets (dessins de l'arbre, du cheval) noms [arbos equos). II ya bien deux terrnes : d'une part un objet, hors du sujet ; d'autre part le nom, l'autre terme - vocal ou mental : arbos peut etre pris dans ces deux sens dlflerents • (1085, 1092, 1087, 1093, 1090 B Engler). lei, comme pour la suite, Jes notes ont fourni I'echataudage du chapitre. II est important de souligner ceci, etant donne le caractere des notes : ii s'agit nettement d'un discours ad usum Delphini, dont le schema est : • Enfln si la langue Hait une norr,enclature (bien quc cela ne soit pas), le caractere double du signe linguistique n'en serait que mieux mis en relief. • Le discours se developpe done dans une direction evidernment didactique : ii faudra s'en souvenir pour evaluer certaines autres formulations. L'autre source, adoptee seulement partiellement par !es edlteurs qui l'ont condensee en trots phrases (, cette conception ... egards •. , elle suppose... aux mots », • enfin elle laisse supposer... etre vrai -). est la longue note autographe on a Recent Contribution lo the Problem of the Syllable, S. L. 15, 1961. 1-9 ; I'analyse spectrographlque type Visible Speech a repris avec de nouveaux moyens d'analyse Jes intuitions saussuriennes : cf. Martinet 1955. 23-24). (120) Saussure pensait (883 B Engler) par exemple a H. Sweet, A Handbook of Phonetics, Oxford 1877, A Primer of Phonetics, 3• ed., Oxford 1906, A Primer of Spoken English, Oxford 1890. De cette affirmation de Saussure se degage un comportement tendant a chercher, en phonetique egalernent, l'essentiel ; cf. Puebla de Chaves 1948. 100. (121) Pour la redaction du paragraphe, volr n. 119. Dans le dernier alinea ( • On a emis la theorie ... •, la critique est destlnee a A. Meillet, Introduction a l'etude etc., (Meillet 1937), tr• ed., Paris 1903, p, 98. (122) Une bonne partie du paragraphe vient du stenograrnme de Bally (969982, 984-90 B Engler). Geel vaut egalement pour Jes paragraphes suivants. (123) Pour la redaction, voir supra notes 119. 122. Sur la theorie saussurienne de la syllabe, cf. Vcndryes 1921. 64 et sv., Frei 1929. 102 et sv., Grammont 1933. 98 etsv., Dieth-Brunner 1950. 376, Rosetti 1959. 13, Laziczius 1961. 174 et sv, Face au terme habituel de consonne (oppose a ooyelle), Saussure lntrodult lei le terme consonante pour designer les elements non sonantiques. Sur ces termes, cf. Abercrombie 1967. 79-80 n. 15 (qui cite eomme antecedent de Saussure H. D. Darbishire, Relliquiae philologicae, Cambridge 1895, p, 194 et sv., pour le terme adsonant). (124) Voir notes 119, 122. (125) V. n. 119. 122. (126) V. n. 119, 122. (127) Saussure veut en realite faire reference a Brugmann (1059, 1061 B Engler). (128) Durant le trolslerne cours (S. M. 82 n. 114), lors de la leeon du 2 mai, Saussure aborde le chapitre deux de la partie • La langue , : apres avoir traite le chapitre " La Iangue separee du langage • (S. M. 81, n. 111), utilise par Jes editeurs comme base de !'introduction du C. L. G. (p. 27 et sv.), ii passe au deuxieme chapitre qu'il propose tout d'abord d'appeler • Nature du signe linguistique ,. Dans le signe, • une image acoustique est associee a un concept • (C. L. G. 1095 B. Engler). Deux semaines plus tard, en appendice a la Iecon du 19 mai (S. M. 85, n. 124), Saussure revient sur le chapitre second en proposant un nouveau titre et en introduisant deux nouveaux termes. Le nouveau titre est : • La langue comme systerne de signes • (1083-1084 B Engler). II vient evidemment du falt que, une fois Jes deux prlncipes fondamentaux eclalrcii et discutes, et une fols arretees Jes consequences concernant Jes entites de la langue (S. M. 83-84), Saussure a dtl percevoir avec clarte la possihilite de proposer comme theme du chapitre non plus une recherche generale sur • la nature du signe •, mais une these speciflque sur I'Interpretation de la langue comme systeme de signes. Le nouveau titre a ete ignore par Jes editeurs. Quant aux nouveaux termes, ii s'agit des deux termes fameux, clers de voOte de l'extrerne systematisation concue par Saussure : • Une amelioration peut etre apportee a ces formules [celles de la Iecon du 2 mai) en employant ces termes : signi{iant, signi{ie , (1081 R Engler). Que! est le sens de l'introduction de ces termes? On y a vu le calque d'un couple terminologique stoicien (voir p. 380). Elle est en realite le sceau, sur le plan terminologique, de la pleine conscience de l'autonomie de la langue, comme systerne formel, par rapport a la nature auditive ou acoustique, conceptuelle, psychologique ou d'objet des substances qu'elle organise. Signi{iant el signifie sont Jes • organisateurs •,Jes• discriminants • de la substance communiquee et de la substance communicants. C'est-a-dlre que l'lntroduction des deux termes est une consequence du principe I 440 441 NOTES NOTES deja en partle Mltee (l\'otes 68 et sv.) sur la base d'une cople falte par Sechehaye et icl reprodulte Integralement ( 1085-1091, 1950-1956 F Engler). • Le problerne du langage ne se pose A la plupart des esprits que sous la forme d'une nomenclature. Au chapltre IV de la Genese, nous voyons Adam donner des noms ( ) Au chapltre semioloqie : (La plupart des conceptions que se font, ou du molns qu'offrent les) philosophes du langage font songer A (notre premier pere) Adam appelant pres de Jul les (divers) anlmaux et leur donnant A chacun leur nom. Trols choses sont lnvarlablement absentes de la donnee qu'un phllosophe crolt ~tre celle du langage : 1 ° (D'abord cette vente sur Iaquelle nous n'lnslstons meme) pas, que le fond du langage (n'est) pas constltue par des noms. C'est un accident quand le slgne llngulstique se trouve correspondre A un objet deflnl pour les sens comme un cheool, le teu, le soleil, (plutOt qu'a une ldee comme l6TjXE" II pose "), Quelle que solt !'Importance de ce cas, II n'y a aucune raison (evidente), blen au contralre, de le prendre comme type du langage. Sans doute, ce n'est, dans un certain sens, (de la part de qui l'entend alnsl,) qu'une faute sur l'exemple. Mais ii y a Ill, lmplicltement, quelque tendance que nous ne pouvons (meconnaltre, nl) lalsser passer sur ce que seralt (en definitive) le langage : savolr, une nomenclature d'objets. (D'objets d'abord donnes.) D'abord l'objet, puls le signe ; done .(ce que nous nlerons toujoursj base exterieure donnee au slgne et figuration du langage par ce rapport-cl I'Idee, dans une mesure determlnee (detennlnee par l'ensemble des autres ~lwients) se confondra. Un slgne se dlllerencle par le meme procede aveugle: lnfallliblement, 11 s'attache un sens ti cette difference qui vient de nattre. Vole! des exemples, mals constatons tout de suite I'entlere lnslgnlflance d'un point de vue qui part de la relation d'une Idec et d'un slgne hors du temps, hora de la transmission, qui seule nous enselgne, experimentalement, ce que vaut le algne. (130) Sur le remplacement de concept et image acoustlque par aignifU et ,ignlflant volr supra n. 128 ; pour acou&lique, volr C. L G. 63 n. 111, pour image volr C. LG. 103 n. 145. Sur la definition saussurlenne du slgne, volr la blbllographle donnee I\ C. L. G. 100-101 et notes, et cf. speclfiquement : Weisgerber 1927, Weisgerber 1928. 310 et sv., Bally 1939, Lerch 1939, Lohmann 1943. Gardiner 1944. Bri>cker-Lohmann 1948, Nehring 1950 I, Spang-Hanssen 1954. 94 et sv., Otto 1954. 8, F6nagy 1957, Ammer 1958. 46 el sv., Vlnay-Darbelenet 1958. 28-31, Hjelmslev 1961,47, Christensen 1961. 32, 179-91, Graur dans Zeichen und System 1.59, Glpper 1963. 29 et sv., MlcHiu1966. 175. Saussure semble voulolr lcl faire reference par slgne (comme le montre la reference, fi'lt-ellepoiemlque, A nom) Aune entlte plus petite que la phrase, probablement au vocable ; le rneme Saussure ecrit cependant allleurs : • Dans la regle, nous ne parlons pas par slgnes !soles, mals par groupes de slgnes, par masses organlsees qul sont elles-m~mes des slgnes • (C. L. G. 177). St blen que Godel 1966. 53-54 peut afflrmer avec raison que la definition convlent aussl blen l toute entlte llngulstlque moneme, syntagme, proposition, phrase). Pour iviter Jes equlvoques, Lucidi a propose en 1950 d'lntrodulre le terme hypos~me pour designer les elements fonctlonnels ressortant de l'analyse du slgne, comprls cnmme le prodult d'un acte llngulstlque complexe (Lucidi, 1966. 67 et sv.). Buyssens 1960 a egalement sentl le besoln de preciser la deflnltlon saussurlenne: le slgne llngulstlque seralt le plus peUt segment qui, par Ia.prononclation ou par la signification, permet deux operations complementa1res : assocler des phrases par allleurs dllll\rentes et opposer des phrases par allleurs semblables. Sur le glissement de signe de • slgne • ti • slgnlfiant • volr C. L G. 99 n. 133. (131) Sur l'utlllsatlon saussurlenne de psychique, volr C. L. G. 32 n. 70. Sur la condamnatlon par Ia suite du terme phonl!me, volr C. L. G. 63 n. 111. (132) C'est Ia un des passages qui revelent Jes consequences assez graves des Interventions apparemment modestes des edlteurs. Seules Jes deux premieres figures provlennent des sources manuscrites; la trolsleme, avec le dessln de J'arbre a ete ajoutee, alnsl que les fleches dans les trols figures, Ia phrase • Ces deux elements sont lntimement unls et s'appellent l'un l'autre • (phrase qui tradult Jes fleches en mots) et l'emplol de mot pour designer arbor. Le resultat de tout cecl est que le lecteur a l'lmpressl<in que pour Saussure le slgnlftant est le vocable, le slgnlfle !'Image d'une chose, et que l'un appelle l'autre comme le soutlennent ceux qui pensent que la langue est une nomenclature. On gllsse alnsl aux antipodes de la conception saussurlenne. Cf. S. M. 115-116. (133) A. travers tout le passage appnratt A !'evidence la preoccupation, typlque de Saussure, d'evlter tout neologlsme technique : pour cette attitude A laquelle le c. L. G. dolt peut~tre certalnes amblguJtl\s superflclelles mats certalnement )'absence radlcale de toute mystlflcatlon, volr n. 38 et cf. S. M. 132-133, Engler 1966. Pour l'attltude tres analogue d'un autre fondateur de la science ~odeme on peut volr aujourd'hul l'lntelligente elude de M. L. Al_tlerl Bia~. ~al!leo e la terminologia tecnicerscieniiflca, Florence 1965. Pour 11gne - aigniflant, volr n.155. A...t. (134) Volr C. LG. 97 n. 128. Pour les textes qui peuvent avolr sugg.,.-., Saussure l'introductlon des deux termes, v. 380-381. SignifiQ/11 et aigni/U comme particlpes substantives n'avalent pas de tradl- objets { : ---- ~ } noms alors que la vrale figuration est : a - b - c, hon de toute (connalssance d'un rapport effectlf comme • - a tonde sur un objet). SI un objet pouvalt, oa que ce sott. etre le terme sur lequel est fixe le slgne, la llngulstlque cesseralt Instantanement d'etre ce qu'elle est, depuls (le sommet) [usqu' (A la base) ; du reste, l'esprlt humaln. du rnerne coup, comme (II est evident A partlr de cette discussion.) Mais ce n'est IA, nous venons de le dire, que le reproche Incident que nous adress(erl)ons A la manlere tradltlonnelle de prendre le langage quand on veut le trailer phllosophlquemenL - II est malheureux (certalnement)qu'on commence par y meler comme un element primordial (cette donnee) des objeu disignb, Iesquels n'y torment aucun element quelconque. Toutefols ce n'est rlen IA de plus que (le falt d')un exemple mal cholsl: et en mettant A la place de "iAL~, ignis ou P(erd quelque chose comme [), on se place au-dela de cette tentatlon de ramener Ia Iangue A quelque chose d'exteme. Beaucoup plus grave est la seconde faute ou tombent generalement Jes phllosophes, et qui est de se representer : 2° Qu'une fols un objet deslgne par un nom, c'est IA un tout qui va se transmettre, sans autres phenomenes A prevolr! Du molns sl une alteration se prodult, ce n'est que du ~le du nom (qu'elle peut Hre A cralndre), A ce qu'on suppose fraxinus devenant frlne. Cependant aussl du cOte de l'Idee : [). Vollil dejA de quot faire reflechlr sur le manage d'une ldee et d'un nom quand lntervlent ce facteur Imprevu, absolument Ignore, dans Ia comblnalson phllosophlque, LE TEMPS. Mais ii n'y auralt IA rlen encore de frappant, rlen de caracteristlque, rlen de speelalement propre au langage, s'II n'y avail que ces deux genres d'alteratlon, et ee premier genre de dissociation par Iequel l'Idee qultte le slgne, spontanement, que celul-ci s'altere ou non. (Les) deux (choses) restent encore jusqu'lcl des entltes separees, Ce qui est caracterlstlque, ce sont Jes lnnombrables cas ou (c'est) I'alteratlon du slgne qui change, l'Idee meme et ou on volt tout A coup qu'Il n'y avalt point de difference du tout, de moment en moment, enlre la somme des ldees dlstlnguees et la somme des slgnes dlstlncW,. Deux slgnes, par alt.uatlon phonetlque, ae confondent : 442 NOTES tion en fran~als avant Saussure et ont pose quelques problemes de traductlon dans Jes diflerentes langues : Jes traducteurs de Saussure ont eu recours a daa Bezeichnete et das Bezeichnende, signified el signifier pour l'allemand et l'anglals, l'ltalien utilise pour signifie siqnificaio qui correspond en realite au trancals signification et l'espagnol, qui possede un tradltionnel siqnificado, est en position analogue a celle de l'ltalien. II n'est pas certain que l'ltallen, possedant un mot courant comme siqntftcato pour rendre sans dlfflculte le signifit! saussurlen, en soit avantage, On a parfois l'Impression que, avec la facile equation llngulstlque, se deverse sur Ia notion saussurienne (technique et, comme nous le verrons, peu equlvoque) tout le « vague et I'Indeflnissable • (Lucidi 1966. 75) que connote le mot courant siqnificaio et, dans d'autres langues, des mots comme Sinn, Bedeutung, meaning, signification, etc. {135) • Premier principe primaire : le slgne llnguistlque est arbltralre. Alnsl le concept sceur n'est lie par aucun etc. • (1121, l '.23, 1224 B Engler). Surles sources manuscrites du paragraphe, cf. Engler H59. 128-131 et infra. {136) La phrase melange la premiere forrr ulation donnee par Saussure (v. n. 135) avec celle donnee apres avoir lntroduit Ies termes siqnifiant et signifie (voir supra n. 128 et S. M. 86 n. 124): , Le lien unissant le signiflant au slgnlfle est radicalement arbitralre • (1122 B Engler). • Radicalement • a disparu dans le texte des edlteurs : s'agtssant d'une formulation a laquelle Saussure a pense et repense, on peut dlfficilement imaginer que l'adverbe soit utilise comme pleonasme general de renforcement. II est plus legtttme de supposer qu'Il a lei son sens plein : le lien est arbitralre radicitus, dans ses fondements meme, dans la mesure ou ii relle deux entites semblablement produites grace a un decoupage arbitraire dans Ia substance acoustique et dans la substance signlflcative (v. n, 231). {137) En reference a cette notion d'arbltralre comme absence de motivation des slgniflants de deux langues difTerentespar rapport a un , signitle • que l'on presume stable et ldentique, on a pu accuser Saussure d'Incoherence (v. C. L G. 101 notes 138 et 141) et on a pu en faire I'eplgone de ceux qui, des sophistes, de Piston et d'Aristote (et non pas seulement des stoiclens) [usqu'a Boole et P. Valery, ont concu la langue comme une nomenclature, c'est-a-dire comme un ensemble de noms dont chacun est accole 6fot1, • par convention •, aux choses ou a leurs equivalents mentaux TauT! niicr1 • ldentlques pour tous • (volr supra 380). La source Immediate de cette conception conventlonnaliste fut certainement pour Saussure Whitney (v. supra 332) : cf. Language and the Study of Language cit., page 32 (• Inner and essential connexion between Idea and word... there ls none, In any language upon earth •, sl blen que le slgne est • arbitrary and conventional •), 71, 102, 132, 134, 400 (• arbitrary signs for thought •), etc. ; Life and Growth of Language cit., pages 19, 24, 48, 282, 288. II faut observer, du point de vue termlnologlque, que chez Whitney arbitrary est etroltement assocle dans ses dlflerents contextes a conventional : comme nous I'avons vu (supra 382), ce terme est soigneusement evlt.6 par Saussure en 1894 et ensulte, avec des motivations theoriques, dans la mesure ou il slgnale avec juste raison que la conventlonnallte implique necessalrement une conception du signlfle et du slgnlflant cornrne deux falls sur lesquels opere secondalrement la convention humalne pour Jes assocler. En d'autres termes, comme nous l'avons vu (364), le conventlonnallsme ne porte pas attelnte a la conception de la langue comme nomenclature. Saussure abandonne par eonsequent le terme conventional cornrne quallflcatlf du slgne ; et II sernble a une certalne epoque avolr tendance t\ remplacer aussl l'autre terme du couple whltneyen par (symbole) lndependant (S. M. 45, 143 et volr n. 140) ou immotiol. 0 faut tenlr compte de tout cecl pour apprecler l'utlllsatlon de arbitraire dans le C. L. G. On ne peut pas attribuer sic et simplieiter A Saussure une conception conventlonnallste : tout le C. L. G. (v. supra notes 128 et 129 et C. L. G. 155 c!_sv.) est precisement un combat contre cette conception. Saussure en est venu NOTES 443 a utlliser arbiiraire parce que l'adjectlf exprimalt bien l'inexlstence de raisons naturelles, logiques, etc., dans la determination des articulations de la substance acoustique et semantlque. Cependant, dans Jes pages 100 et 101 du c. L. G. (ll semblerait que certains n'aient Ju que ces deux pages) affieure la notion whitneyenne de l'arbitraire et, avec elle, la conception de la langue comme nomenclature. L'amhigurte du terme arbitraire, lourd encore du sens whitneyen, peut avoir [oue un certain role en provoquant dans ces deux pages, c'est-a-dire dans la leeon du 2 mai, un glissement, un retour vers des conceptions critiquees et liquidees par Saussure lui-meme. II semble cependant plus probable que Sausture, avec l'exemple de sceur et de bceui, et avec le rappel de la conception conventionnaliste de l'arbitraire, ail seulement voulu donner une idee, en premiere approximation, de l'arbilraire «radlcal » (voir n. 136) du signe, de la rneme Iacon que, po-tr donner une idee de la dualite fondamentale du signe, ii rappelait a ses eleves la conception de la langue comme nomenclature (voir C. L. G. 97 et Ja note 129). Lucidi avait dl-ja compris en 1950 que les problemes souleves autour de ces deux pages (v. infra n. 138) etaient quelque peu dramatises : • Les ... passages se ressentent de cette approximation qui envahit toute !'exposition du Cours consequence inevitable de la genese du livre, notoirement ne de leeons orale; et organise en plusieurs cours qui n'etaient pas destines a la publication. Ainsl par exemple la proposition • le signifle " breuf" a pour signiflant b-(>..f d'un c6te de la frontiere et o-k-s (Ochs) de l'autre • est inexacte par rapport aux developpernents .ulterieurs de la theorie saussurienne, dans la mesure oil le slgnifle etant umquement la contrepartie du signiflant, on ne peut pas parler d'un signifle " breuf " en general s'opposant aux signiflants b-(>..f ct o-k-s, mais d'un signifie " bceut " et d'un signifle " Ochs ". Cette inexactitude est cependant extrinseque, car l'Indeniable contradiction avec le developpernent ulterieur de la th~orie se justifie si l'on observe que cette tacon impropre de s'exprimer est favorisee par le fait que De Saussure se sert encore ici de definitions provisoires (signifle = concept) , (Lucidi 1966. 49). Ce dernier passage est d'autant plus remarquable qu'il a ete ecrit ulusieurs annees avant que !'analyse des manuscrits n~ revere que cet exernpie malheureux (1124 B Engler) appartient a la premiere lecon de Saussure sur ce sujet, anterieure a !'introduction des termes plus appropries de signi{iant et siynific (v. supra n. 128). (138) Le paragraphe est un Iidele reflet des sources manuscrltes (1125-1127 B Engler) ; Jes notes de Constantin (non utilisees par Jes editeurs) portent encore plus clairement : • La place hierarchique de cette verite-Ia est tout au sommet. Ce n'est que peu a peu que !'on flnit par reconnattre comblen de faits diflerents ne sont que des ramifications, des consequences voilees de cette verite-Ia • (1225-1227 E Engler). Le passage est important pour au molns deux raisons : ii nous pousse a considerer que Saussure avail trouve dans le principe de l'arbitraire le prius de sa systematisation des • theoremes • de la theorie linguistique (v. 363 et note 65) ; et en outre, en confirmation de la note precedente, ii montre que Saussure considerait par cette formulation n'avolr acco.mpl_i q~'un prem!er p~s sur la voie de la comprehension profonde du prlncipe de l arb1tra1re. Cecl 1mphque que le sens profond du principe de l'arbitraire sur !'indication explicite de Saussure Jui-meme, dolt etre compris non pas e~ regardant seulement la formulation de ces deux pages, mals en regardant tout le C. L. G. : on dolt considerer avant tout la doctrine de la Jangue comme f~rn:ie (~. L. G. 157, 169) ; en second lieu la doctrine connexe selon laquelle Jes ~st~nct1ons de la langue sont • independantes • (v. n. 137) des caracUristiques mtrmseques de la substance semantique et de la substance acoustique dans lesquelles sont introduites ces distinctions. Cependant, pour parvenir a cette conclusion-interpretation, • bien des detours • ont ete necessaires au cours des polemiques liees a l'equivoque et au debat complique sur , l'arbitralre dusigne ,. 444 445 NOTES NOTES Histoire de la question de l'~rbitraire : Engler 1962, Lepschy 1962, Engler 1964, Leroy 1965. 81-84, Derossi 1965. 70-103. L'interprctalion conventionnaliste de l'arbilraire saussurien a ere initialement la plus commune: cf. Jespersen 1917 Devoto 1928. 243, Amman 1934. 263 el S\'., Jabcrg 1937. 133-134, Pichon 1937'. 25-30 (a~tribue a Saussure une vue conventionnaliste, scion laquelle le signe est conventionnel par rapport a J'objet ; la critique, parce qu'il ya au contraire une • union spirituelle • entre signifiant et signifle ; et y voit une rationalisation de l'experience du-bilinguisme suisse). Certaines des theses de Pichon furent reprises deux _annees pl~s lard par Ben~·eniste. dans un article sur Ia Nature du signe lin­ quistique, publie dans le premier numero de • Acta Linguistica • (A. L. I, 1939. 23-29 = Benvenis_te _1966. 49-55). __1;lenveniste insiste lui auss sur le fait que le rapport entre signlfiant et signitle est • necessaire , et non pas arbitraire · mai_s, a la diflerence de Pichon (lequel revendiqua done a tort par la suite un droit de paternite sur la question de l'arbitraire: Pichon 1!)41), Henveniste souligne (a\ec raison) le conlraste entre le principe de I'arbttr.ure comprrs <le Iaeon conventtonnelle (et on ne peut que le comprendre ainsi sur la base des pages 100-lOlJ el le reste de la pensee saussurienne. Ceci, en tanl que critique du conventionnalisme et de la conception de la langue comme nomenclature, porte a conclure_qu'il n'est pas possible de concevoir un « signifle » autonome par rapport aux • signiflants • d'une langue determinee. II n'est par consequent pas posstble de prendre ~n _signille •. breuf • comme entlte commune a deux langues et de montrer ams, que, pursque les formes phoniques des signiflants qui dans Jes deux langues designent le signitle presume commun sont diflerentes, Jes slgnlllants mernes sont arbitraires. Benveniste, avec raison, voit la substance de Ja pensee saussurienne dans le C. L. G. 155 et sv., dans la conception de Ia langue comme, systerne de valeu~s relatio_nnelles et done. en tant que telles, incomparables. L ~rticle_ de Benveniste ouvrit avant tout Ia voie a une serie de crltiques qui attaquaient Saussure en Jui attribuant une position conventionnaliste et en soutenanl que le signe n'est pas arbitraire : Lerch 1939. Hogger 1941. 166-16i Na~rt 194i, Bolelli 1949. 36-40 (sur ses equivoques. cf. Lucidi 1966. 56, 63-64): Bolinger 1949. Alonso 1952. 19-33, .Iakobson 1962. 653, Jakobson 1966. 26 et sv. D'autres, descendant parf~is d~ns l'a~e~e pour une defense pour ainsi dire trop genereuse (comme le notatt deJa Lucidi en 1950, ces defenseurs de la position saussurienne dcfendent la validite du conventionnalisme), donnent pour acquis que. Saussur; est reellement un conventionaliste : Ually 1940, Bally, Sechehaye, Frei 1941, Ullmann 1959. 83 et sv. (cf. page 85: • Is there any intrinsic reason for t~e existence in English of a word signifying " arbor "?. The answer is obviously : Yes. The reason lies in the existence In extra-linguistic realitv of some feature which has to be named , : c'est exactement ce que nle le C. ·L. G. 155 et_ sv. ; mais sur l~s limites du saussurisme de Ullman voir supra 372 et n. 129), Waterman 1963. 62-63. Abercrombie 1967. 12. ~armi Jes critiques, pour lesquels ii est acquis que le signe est motive d'un point de_ vue onomatop_eique, esthetique, spirituel, etc., el Jes detenseurs, pour lesquels ii est lout ausst acquis que le signe est arbilraire puisque nous trouvons pour le meme signifte des signiflants diflerents dans ditlerentes langues, II ya un p~loton au depart bien maigre qui se rend compte de deux exigences. La premiere est )'exigence d'approfondir )'interpretation analytique du texte du C. L. G., dont on commence a remarquer Jes mailles fllees Jes sutures rorcees !es ~uxtapositions ambigues ; la seconde est I'exigence d'a~profondir la valeu; tntrinseque de la notion meme d'arbilraire, speclalernent sous son aspect sernantique : car si la phonematique a progressivement approfondi Ia notion saussurienne de l'aspect relationnel des valeurs phonernatiques, la semantique pour sa part, a I'epoque du debat, lorsque certains s'en occupent, reste generalement accrochee a la croyance arlstotellcienne de I'unlversallte des signiflants. L'entrelacement problematique des deux exigences est evident chez Buyssens 1941 (p. 86 : arbltralre veut dire que le choix des sons n'est pas impose par lessons eux-memcs), Sechehaye 1942. 49 (et cf. deja Sechehaye 1930. 341), BorgeaudBrocker-Lohmann 1943. Gardiner 1944 (en parliculier pages 109-110), Rosetti 1947. 13, Wells 1947, Ege 1949, Lucidi 1950 ( = Lucidi 1 !Jtl6). Devoto 1 !'151. 12-15, Mandelbrot 1954. 7 el sv. Les travaux de Lucidi el de Ege posent nellement l'exigence de verifier sur Jes sources le texte du C. L. G. D'autre part l'approfondissement de la notion de langue comme forme pure. et la notion de forme du contenu que la linguistique doit a L. Hjelrnslev, font Ia lumiere sur le caractere doublement arbitraire du signe et sur le caractere entierement relationnel du slgnifle. S. M. de R. Godel est la reponse a la premiere exigence. Et a la merne epoque, dans les • Cahiers Ferdinand de Saussure -, J'article de A. Martinel, Arbilraire linguislique et double articulation (Martinel 1957. 105-116) deflnit dans l'essentiel la solution du probleme : , C'est au Iectcur [du C. L. G.J a decouvrir quc !'attribution" arbilraire" de tel signiflant a tel signifle n'cst qu'un aspect d'une autonomie linguistique dont unc autre face comporte le choix et la delimitation des signifies. En fail. l'independance de la langue vis-a-vis de la rcalite non linguistique se manifesto. plus encore que par le choix des signi fiants, duns la facon donl elle intcrprete en ses prop res term cs cet t e realite, etablissant en consultation avec elle sans doute, mais souverainement, ce qu'on appelait ses concepts et ce que nous nommerions plutet scs oppositions. • (139) Signalons que dans Jes lignes suivantes , moyen d'expression , et , systeme d'expression , ne proviennent pas des sources manuscrites ou l'on parle de • systernes autres qu'arbitraircs • ( 1128 B Engler) d de , systerncs arbitraires • (1129 B Engler). Dans le passage, el encore plus clairement dans la source manuscrite, Saussure suggere que l'une des laches de la semiologie sera de classer Jes difTerents systemes selon leur aspect plus ou moins arbitraire : , Ou s'arretera la scmiologic? C'esl difficile a dire. Celle science verra son domaine s'ctendre toujours davantagc. Les signes, les gestes de politesse par exemple, y rentreraient; ils sonl un langage en lanl qu'ils signiflent quelque chose; ils ~ont impersonnels - sauf la nuance, mais on peut en dire autant des signes de la langue - ne peuvent ctre modifies par l'individu et se perpetuent en dehors d'eux. Ce sera une des liiches de la semiologie de marquer lcs degres et Jes difTerences, (1131 B Engler). Cette tac he de la semiologie, a peine esquissee ici par Saussure, a \'ail en realile deja etc abordee par Ch. S. Peirce dans des ecrits dcmeurcs mal con nus jusqu'a la publication des Collected Papers, 6 vol., Cambridge, Mass. 1931-1935. Dans sa Semeiotic (qu'il avail propose en 18Gi rl'appelcr Universal Rhetoric : Ogden et Richards 1923. 282) Jes signs sonl divises en icons, indices el symbols selon leur degre plus ou moins grand d'arbitraire. Les theses de Peirce ont ete plusieurs fois reprises par R. Jakobson, pour souligncr la presence d'elements non symboliques mais iconiques dans Jes ~ignes linguistiques : cf. Jakobson 1966. 24, 2i el sv., et le recueil d'essais de Jakobson 19fi6. 7. 27, 57 cl sv .. 68 et sv. (140) Le terme symbo/e a etc utilise par Saussure en 1894 dans sa commemoration de Whitney : • Des philosophes, dl's logiciens, des psychologues ont pu nous apprendre quel Hait le contrat fondamental entre l'idee et le svmbole [premiere redaction, corrigec par la suite : en/re un syml>ole com>entionnef et l'espritl, en particulier un symbole indcpendanl qui la rcpresente. Par symbole independant, nous entendons les categories de symboles qui ont ce caractere capital de n'avoir aucune espece de lien visible avec l'objcl a dcsignrr et dl' nc plus pouvoir en dependre meme indirectement dans la suite de leurs destinces •(cit.in S .. M. 45). ll prefera ensuile le laisser de cote pour Jes raisons indiquees dans le C. L. G. et remontant au second cours (dans le premier cours, symbole apparall encore une fois). Cependant, comme nous l'avons vu. signe ne satisfaisail pas pleinemenl Saussure, preoccupe du glissemcnt de , unite a deux faces , vers , face externe de l'unile • (C. L. G. 99). D'ou la tentative d'innovation terminologique qui a lieu dans une note dont la dale est inconnue (mais v. infra) : le vocable, argumente la note, prive de vie, rcduit a sa substance phonique, n'est plus qu'une 446 447 NOTES NOTES masse amorphe, un s6me (et ii ajoute: • La relation du sens au some est arbitralre •, tandis que le vocable vlvant est un sime : S. M. 51 ). Saussure soullgne toutefols deja dans cette note la difflculte de trouver des tennes qui designent le slgne dans son Integrallte sans glissement equivoque vers l'une seulement des deux faces. C'est sans doute precisernent la conviction de I'Inevitabillte de ce rtsque d'equivoque qui dolt l'avoir ramene, apres le premier cours ou signe paralt evlte (S. M. 192), vers siqne (et v. n. 155). Le refus saussurien de symbole a ete aprernent critique par Ogden et Richards 1923. 5-6 n. 2, qui y ont vu un «specimen s de la «natvety » qui a leur avls caracterlseralt Saussure. Sur symbole et signe cf. Frei 1929. 132 et surtout Buyssens 1941. 85 qui observe (contre Lerch 1939) que le slgne lingulstique, quelles que solent Jes valeurs onomatopelques ou Icontqucs que I'on veuille y volr. est caracterise par le falt qu'll est grammatical, solidalre d'un systeme, et que c'est de cela, et non pas de son eventuel aspect • symbolique, ou • lconlque •, qu'ernerge la valeur. (141) Pour le sens de arbitraire et la discussion de ce passage, cf. supra notes 136, 137, 138. (142) Jespersen 1922. 410 (cf. Kantor 1952. 172) critique la these de Saussure sur Jes onomatopees et lul reproche de confondre synchronle et diachronic. Saussure est evtdemment bien loin de cette confusion. Jul qui rappelle slmplement aux partisans de l'orlglne onomatopelque des mots (c'est-a-dlre aux personnes qui, oubliant I'aspect synchroniquement fonctlonnel et non onomatopelque, projettent dans le temps le moment on un mot auralt ete une onomatopee) que, blen au contralre, II arrive tres souvent que des mots dans lesquels on pourralt volr quelque chose d'onomatopeique, se revelent etre non onornatopelques sl l'on en retrouve les phases anterieures, De toute tacon, les mots qui sont d'orlglne reellement phonosyntbollque ou qui peuvent apparattre tels a une epoque donnee sont une lnflme mlnorite dans le lexlque. Et ce qu'observe Buyssens 1941. 85 vaut aussl pour eux : c'est-a-dlre qu'lls sont aussl ce qu'lls sont dans la mesure ou lls sont Integres dans un systeme grammatical et dans un systeme phonernatlque particulier, tous deux denues de liens avec l'onomatopee, Sur la these de Saussure, voir aussl Deross! 1965. 62. II seralt errone de nler le fa!t que, dans des collectlvltes llngulstlques donnees de langue determtnee, on pulsse percevolr des valeurs phonosymboliques dans tels ou tels mots ou dans telles ou telles classes de sons : et l'on sail que dans l'organlsatlon des slgnes llngulstlques en fonction poetlque un certain role peut parfols Mre volontalrement asslgne aux slgnifiants dont I'auteur entend exploiter la valeur phonosymbollque qu'on leur donne : ct., pour la tres vaste Iitterature sur ces deux points, les pages de Ullmann 1959. 266 et sv., 305. Grammont 1933, avec ses recherches et ses notations sur la • phonetlque Impressive •, et beaucoup d'autres savants apres lul, ont tente de donner une dimension panchronlque I\ ce type de recherches, soutenantpar exemple que l'on associerait l'Idee de • petltesse • A des sons du type (i] (en cltant des mots comme piccino, minor, mlnimus, pelil, lillle) ; mais ii est facile de trouver des mots d'une tacon ou d'une autre proches du sens de s petltesse • sans aucune articulation [I] (small, parvus), et des mots avec [i] proches du sens oppose (big, infini), et, a I'evldence, des legions de mots de toutes Jes langues dans lesquels apparalssent les articulations [ii sans qu'on puisse en aucune taeon etablir un lien entre leur sens et la • grandeur •, la • petltesse , et autres choses semblables. L'evldence des considerations precedentes n'ernpeche pas que, periodlquement, des savants se consacrent a la discussion de semblables problemes. Et l'on ecrlt des pages et des pages pour etablir sl les mouettes s'appellent ou ne s'appellent pas Emma (Morgenstern a nettement afflrme dans une de ses poesies lyrlques qu'elles s'appellent Emma). Curteusement, ou peut-etre par synnoemle panchronlque, on se souvlent en llsant cctte belle Iitterature d'une anecdote que l'on raconte sur Benedetto Croce. Un jour, a une imbecile qui Jul demandalt avec affectation comment s'appelait le • deliciemc • minet qui tronatt dans son bureau, le philosophe repondit d'un ton sec i « Et comment voulez-vous qu'll s'appelle? II s'appelle chat. • (143) F6nagy dans Zeichen und System I. 52 et Guiraud 1961:>. 29 et sv. crltlquent )'affirmation de Saussure parce qu'a leur avis les interjections seraient blen conventionnelles mais non pas immotivees. Vendryes 1921. 136 et J. Wackernagel, Vorltsungen uber Syntax, 2 vol., Bale 1926, I. 70 et sv. soulignent, plus correctement, le fail que les interjections sont en marge du systeme linguistique. Cela est evident du point de vue de la structure comme de celui de la consistanee phonernatique : dans beaucoup de langues, bien des phonosymboles entrent mal dans le cadre du systeme phonernatique normal et c'est souvent un probleme que de Jes transcrire graphlquement, precisernent a cause de leur slngularite. ( 144) Ce paragraphe provient egalement de la fusion des lecons du 2 mat (S. M. 83 n. 115) et du 19 mai (S. M. 85 n. 123). cette derniere etant posterieure A )'Introduction du couple signifianl-signifie (supra n. 128). Tandis que le premier prlnclpe est un prlncipe semiologlque general, valable pour n'Irnporte quelle sorte de slgne (S. M. 203 et Godel 1966. 53-54), le second principe ne conceme que le signiftant, et est done speclftque des signes A slgnlfiant acoustique, c'estA-dire des signes du langage verbal. Pour Jes problemes d'lnterpretatlon, volr n, 145. (145) Le signlftant du slgne llngulstlque, etant non pas une • Image • au sens banal, mais une • figure • (une classe de configurations possibles) de substance acoustique ( 1138 B Engler), est organise de fa~on-queses elements se repartlssent en suites. Ces elements sont, pour Saussure, Jes syntagmes et Jes entltes concretes de la langue, ou encore, pour adopter le terme de Frei, les monemes, et ne paralssent pas ~tre les phonemes. Les sources manuscrltes (1168-70 Bet surtout E Engler) favorlsent cette Interpretation : • De ce principe-la decoulent nombre d'applications. II saute aux yeux. SI nous pouvons decouper Jes mots dans Jes phrases, c'est une consequence de ce prlncipe. II exprlme une des conditions auxquelles sont assujettls tous les moyens dont dispose la llnguistlque. Par opposition a telle espece de slgnes (slgnes visuels par exemple) qui peuvent offrlr une complication en plusleurs dimensions, le signe acoustlque ne peut ollrlr de complications que dans l'espace, qui seront flgurables dans une llgne. II faut que tous Jes elements du slgne se succedent, fassent une chatne. • La reference a • dkouper Jes mots dans Jes phrases • ne laisse aucun doute sur le fail que Saussure utilise signe et siqnifianl dans I'acceptlon la plus large des termes (v. supra C. L. G. 98 n. 130), et, d'autre part. ne fall pas reference A la succession des • unites lrreductibles •, A la succession de phonemes dans l'acception non aaussurtenne du terme (v. C. LG. 63 n. 111). Ence sens, voir Godel S. M. 203 etav. Le prtnclpe saussurlen a generalement ete comprts comme falsant ausst et surtout reference A la succession de phonemes (au sens non saussurlen du terme) : cf. par exemple Martinet 1966. 21 (• Le caractere Ilneatre des enonces explique la successlvlte des monemes et des phonemes. Dans ces successions, l'ordre des phonemes a valeur distinctive tout comme le cholx de tel ou tel phoneme ... La situation est un peu dlllerente en ce qui conceme les unites de premiere articulation •). Le prtnclpe a etc compris dans le m~me sens par R. Jakobson pour qui II contredlt la definition du phoneme comme • a set of concurrent distinctive features • (Jakobson 1956. 60-61, 1962. 207). On peut naturellement repliquer a Jakobson que la definition du phon~mt donnee dans le C. L. G. 68 et sv. ne conceme pas le phoneme au sens non saussurien, au sens de Jakobson (v. C. L. G. 65 n. 115 et 66 n. 117), c'est-a-dlre ne conceme pas ce que Saussure appelle • unites lrreductlbles • et que nous appelons aujourd'hul • phoneme •. Mais l'objection decisive est ailleurs. Saussure parle d'un prlnclpe qui reglt la structure des slgnifiants; II ne pense pas aux • unites ln-eductibles • (que convlenne ou non pour celles-d une definition qui Jes con~olve comme des 448 449 NOTES NOTES combinaisons de traits distlnctlfs), pulsque ces unites sont des elements du slgnlflant mals non pas des slgnlflants : pour Saussure, II n'y a pas de signlflant Iii ou II n'y a pas de slgnifle, ii n'y a pas de signiflant aulre que le recto d'un verso semantique, el les • unites irreductibles • n'ont pas de signifle, ne sont pas des slgnes, mais des elements constllutifs d'un slgne. Le princlpe de la llnearite ne vaut pas pour e11es, mats pour les slgniflanls, sl bien qu'II ne peut pas y avoir de contradiction entre ce prlncipe el l'eventuelle nature simultanernent composite des unites irreductibles, des phonemes en notre sens moderne. Sur ce probleme cf. aussi Lepschy 1965 (qui d'ailleurs consldere encore, avec Jakobson, que le C. L. G. 68-69 fail reference au phoneme au sens non saussurien : p. 24 n. 7), utile pour d'autres questions et d'aulres critiques relatives au second prlncipe saussurien, particullerement par rapport A la notion de syntagme. (146) Les sources de ce paragraphe et du suivant sont les lecons de la fin du mots de mai 1911, sulvant lmrnediaternent le groupe de leeons sur les entltes concretes de la langue, sur les limites de l'arbitraire et sur la precision des deux prlncipes d'arbitraire et de linearite du signe (S. M. 85-86, notes 125-130). Saussure lul-meme ( 1175 B Engler) avertlt les eleves que ce chapltre sur I'Immutabilite et la mutabilite du signe se place juste apres le chapltre sur la nature du slgne lingulstlque, et !'Indication a ete respectee par Jes editeurs. Ce chapltre se trouve dans une des zones Jes molns lues du C. L. G., colnce comme ii est entre les pages sur l'arbltralre et celles sur la distinction entre synchronle et diachronic qui ont polarise !'attention des speclallstes, en Jes hypnotlsant. Le sens non conventlonnaliste de l'arbltraire saussurien, la profonde conscience de la necessite historique du slgne, la conscience en somme de la radlcale hlstorlclte des systemes llngulstiques, trouvent dans ces pages peu lues leur manifestation la plus rigoureuse. En lisant ces pages, on a pelne a crolre que Saussure alt ete loue ou plus souvent bl:lme comme le createur d'une llngulstlque antl-hlstorlque et vlrginale, d'une vision de la langue comme systerne statlque, hors de la vie soclale et de la duree hlstorlque C'est pourtant ce fantome qu'on a trop souvent combattu au lieu de Saussure. (147) Les sources manuscrltes parlent, plus exactement, de • l'orlglne des langues • (et non pas s du langage •; 1191 B Engler). Pour !'attitude de Saussure face a ce probleme, voir C. L. G. 24 notes 49 et 50. On trouve a la fin du paragraphe les mots : • c'est-a-dire reslste :\ toute substitution arbitralre 1• 11 s'aglt d'un ajout des editeurs dans lequel arbilraire est pris au sens banal de• caprlcleux dependant de l'arbitraire lndividuel •, c'est-a-dire au sens non saussurien, et cecl dans un contexte dans lequel on parle justement (volr la fin du paragraphe precedent) de l'arbitraire au sens saussurien. (148) Notons que ce point, place par les editeurs ii la quatrierne place (meme avec la mention du fait qu'il • prime • tous les autres), est le premier dans Jes sources manuscrltes (1226 B Engler). (149) C'est la le concept de la necesslte historlque du slgne sur lequel A. Pagllaro 1952. 60-61 a prlnclpalement lnslste, (150) Si Jes signifies refletaient des distinctions objectives leur preexlstant, sl !es signiflants avaient une conformation donnee pour des causes lnherentes a la substance acoustlque, sl le lien entre slgnlfle et slgnlflant dependalt des analogies entre l'un et l'autre, st, en somme, Jes slgnes n'etaient pas radlcalement arbltralres, la tradition n'en dlsposeralt difleremment que de tacon superflclelle, mats Jes slgnes dans leur structure profonde n'auralent rien a volr avec l'hlstolre (ainsi, ii est probable que l'on s'est deplace dilTeremment sur Jes pllotls, sur Jes plerres de la Vole Sacree et sur nos modernes routes asphaltees : mals II s'agit de dllTerencessuperflcielles qui n'ont aucune repercussion sur la mecanlque fondamentale du mouvement). Si !es signes n'etalent pas arbitralres ils seraient naturels et done en-deca de l'hlstolre. Et, reclproquement, le falt que Jes dlscrimlnaUons des slgniflcatlons en signifies, Jes distinctions des phonies en slgnlflants, Jes assoctatlons des slgnifles et des slgnlfiants soient des phenomenes ne se fondant sur rten d'autre que sur des cholx hlstoriques, temporellement. geographlquement et soclalement deflnls, tout cela, c'est-a-dire la radicale historiclte des signes. Ies rend de la merne Iaeon radicalement arbltraires. (151) Pour Jes sources du paragraphe v. supra n. 146; Jes deux demlers allneas de la page 110 provlennent des notes autographes sur Whitney (v. infra notes 157, 158). (152) La note des edlteurs a ce passage montre a l'evidence leur trouble devant la reconnaissance de la dialectique qui s'etablit dans la langue entre contlnuite et transformation. Voir egalement !'attitude d'Ineomprehension de Hogger 1941. 169 et sv. (153) Saussure pense a la morphologic diachronlque, a la semantique diachronlque, etc., et, comme II apparalt dans les sources manuscrites, a la theorte de ces domalnes de recherche (1246 B Engler). (154) Nous avons ici une des preuves du fait que pour Saussure l'etude diachronlque est menee en liaison avec les considerations sur la Ionctionnalite globale du systeme, Volci, dans sa formulation Ignoree par les editeurs et particulierement organisee, le manuscrit des cahiers de Constantin : • Ne parlons pas de I'alteration des signes comme nous venons de le faire mornentanement pour plus de clarte. Cela nous tait crolrc qu'il s'agit seulement de phonetlque : de changement dans la forme des mots, de deformations des Images acoustiques, ou blen de changement de sens. Ce serait mauvais. Quels que solent Jes diflerents facteurs de I'alteration et leur nature tout a fall distincte. tous agissant de concert aboutissent a l'alteration du rapport entre Idee et signe, ou du rapport entre signiflant et signifie. II vaut peut-etre mieux dire: au deplaeement du rapport entre idee et signe • (1248-1250 E Engler). Ou bien: si distinctes et accidentelles qu'elles soient, Jes mutations des parties de la langue, dans la mesure ou elles operent sur des parties systernatlquement correlees, a) agissent « de concert •, b) provoquent une dislocation dlflerente du rapport entre signiflants et signifies, c'est-a-dire menent a une configuration dilTerentedu svsteme. V. c. L. G. 119 n. 176. (155) C'est un des nombreux endroits oil, meme dans les sources manuscrites, signe a manifestement glisse vers la valeur de signifiani; v. C. L. G. 99 n. 133, et pour signe dans le sens de signifiant, C. L. G. 26, 28, 33, 163, 164, 166, etc. (156) L'expression • matiere phonique • lei aussl vient des editeurs : voir C. L. G. 63 n. 111. (157) L'allnea provlent des notes de 1894 sur Whitney. Nous cltons le texte (1261 et sv. F. Engler) car II yest mis un accent, disparu dans !'utilisation des edlteurs, sur le caractere different que presente l'hlstoire des langues par rapport l l'hlstolre des autres Institutions qui ne sont pas radlcalement arbltraires : • Les autres institutions, en elTet, sont toutes tondees a des degres divers sur les rapports naturels, sur une convenance entre des choses comme princlpe final. Par exemple, le droil d'une nation, ou le systeme politique, ou meme la mode de son costume, meme la capricleuse mode qui fixe notre costume, qui ne peut pas s'ecarter un instant de la donnee des proportions du corps humaln. 11 en resulte que tous Jes changements, que toutes les innovations ... continuent de dependre du premier principe agissant dans cette rneme sphere, qui n'est situe nulle part allleurs qu'au fond de I'ame humaine. Mais le langage et l'ecriture ne sont pas fondes sur un rapport nature! des choses... C'est ce que Whitney ne s'est Jamals lasse de repeter pour mieux faire sentlr que le langage est une institution pure. Seulement cela prouve beaucoup plus, a savolr que le langage est une Institution sans analogue (sl l'on y joint l'ecriture) et qu'II serait vraiment presomptueux de crolre que l'hlstoire du langage doive ressembler m4!me de loin, apres cela, a celle d'une autre Institution• (1261, 1264 F. Engler). B. Croce a lnsiste des 1908 (Filosofia delta pralica, treed. Bari 1908, 6• ed. Bari 1950, p. 148, 379-380) sur le caractere lnstitutionnel de la langue, mals dans un 450 451 NOTES NOTES autre but, se preoccupant surtout du rapport entre l'expresslon individuelle et la coordination Inter-subjective de l'expression. Dans cette perspective (dans laquelle Croce reprend, en l'empruntant au Woldemar de F. E . .Jacobi, la cornparalson entre langue et drolt, dont Jes hlstoriens du droit s'etaient servis au xrxs slecle) la langue apparatt comme une • habitude •, une • institution •. Cecl a surtout ete developpe par des linguistes italiens comme Nencioni 1946. 155 et sv. et G. Devoto, Studi di slilistica, Florence 1950, p. 3-53, Devoto 1951 (cf. P. Ptovani, Mcbilito, sistemaiicita, istiluzionalita de/la lingua e del dirillo, In Studi in onore di A. C. Jemolo, extrait. Milan 1962, De Mauro 1965. 158-160,165-168). Enfln cf. G. Devoto, II metodo comparalivo e le correnii linquistictie altuali, communication au X• Congres International de linguistique (28 aout-z septembre 1967, Bucarest), p. 13 de l'extralt. Beaucoup plus proche du fond de la position saussurlenne est la notion de signine comme , usage • ( Gebrauch) defendue par Wittgenstein dans Jes Philosophische llntersuchungen (cf. De Mauro 1965. 169 et sv.), (158) Pour Jes indications relatives a Whitney, v. supra C. L. G. 100 n.137. (159) Pour ce qui conccrne Jes langues • universelles • et les langues • in~ern_atlonales auxiliaires • artiflcielles, l'ample traite de L. Couturat, L. Leau, Histoire de la latupie universe/le, Paris 1907, illustra l'histoire des tentatives; pour des debats recents, cf. Actes du sixieme coruires international de linguistes, Paris 1949, p. 93-112, 409-416, 585-600, et, pour leur fin, Leroy 1965. 146-147. (160) Pour un approfondlssement du probleme, volr un peu plus loin et C. L. G.128. (161) C'est la, selon Hjelmslev 1924. 37 et sv., le passage saussurlen qui lllustre le mieux l'idee de langue­usage : v. C. L. G. 21, n. 45. Toute cette partie du c. L. G., et cecl nous rarnene ace que nous disions supra n. 146, temoigne de la profonde htstoricite de la vision saussurlenne de la langue dans sa totalite. (162) Comme ii est dit dans Jes notes autographes, on peut parler • d'antlhistoricite du langage • pour un simple etat, dans la mesure ou • n'lmporte quelle position donnee a pour caractere singulier d'etre affranchie des antecedents • (1484 F Engler) : c'est la l'unique idee que l'on ait consideree comme saussurlenne. En realite nous trouvons dans ce passage du C. L. G. le developpement ulterieur de I'Idee et le sens total de la comparaison avec le jeu d'echecs : • Une langue n'est comparable qu'a la complete idee de la partie d'echecs, comportant a la fols des changements et des etats • (1489 F Engler). C'est en ce sens que l'objel de la linguistique , peut etre historique • (1485 F Engler). Quand Malmberg 1967. 4 ecrit , le facteur temps est extra-linguistique •, ii reflete la pensee de Saussure par rapport au simple etat de langue, non pas a la langue, non pas a la « langue vivante • qui est une realite temporelle, historique. (163) Les sources de ce paragraphe et des paragraphes suivants sont un groupe de lecons de la fin du troisieme cours (S. M. 86-88, notes 130-139)melangees a certaines notes du second cours et a quelques notes autographes (S. M. 106). (164) Wells 1947. 30-31 critique le point devue de Saussure et af_llnnequemlme l'astronomle, la geologte et l'histoire politique peuvent ~tre etudiees en synchronle et en diachronie ; mals Saussure est precisernent de cet avis (voir en particulier C. L. G. 115 allnea 1), et ii veut seulement etablir une gradation : des sciences dans lesquelles le facteur temps est de facto ignore ou secondaire (mais pourrait ~tre utilement introduit, en distinguant des considerations synchroniques et diachronlques), aux sciences de choses ayant une ".aleU:r, _dans lesquelles la distinction se pose de facto, et aux sciences comme la Iingutstique dans )esquelles la distinction est indispensable, dans la mesure ou seules_les differences entre substances ont une valeur, c'est-a-dire que les valeurs consistent uniquement en un systeme de differences. (165) Le passage est tnteressant car II montre que Saussure etait non seulement attenW au debat soclologlque entre Durkheim et Tarde (v. 382), mals aussl (et nous pouvons lei le dire avec la certitude foumie par son ternolgnage personnel expliclte) au debat entre l'ecole • hlstorique • et l'ecole • theorlque • en economie politlque a son epoque : II s'agit du Methodenslreit qui s'alluma apres qu'en 1883 Carl Menger ait attaque (avec les llntersuchungen ilber die Methode der Socialwissenschaften und der Politischen Oekonomie insbesondere, Leipzig 1883) l'ecole hlstorique menee par Gustav von Schmoller (cf. J. A. Schumpeter, History of Economic Analysis, New York 1955, p. 809, 814-815). II est difficile de trouver dans l'Imrnense litterature du Methodenstreit Jes oeuvres auxquelles Saussure a pu vouloir faire reference : dans les lecons (1314 Bet E Engler) ii parle d'reuvres non seulement • recentes • mais • qui tendent a Hre scientifiques • : cela pourrait entre autre faire penser au Manuale di economia polilica de Vilfredo Pareto paru en 1906 et traduit en Irancais en 1909, caracterise par ses fondements mathematlques, Pour une autre allusion aux questions economlques, voir C. L. G. 159-160, et pourune autre allusion possible a Pareto, voir n. 68. (166) La dernlere phrase ne retlete qu'en partie et dans sa premiere mottle la pensee de Saussure comme elle apparatt dans les sources manuscrites : • Avec l'economie politique on est en face de la notion de valeur - mals a un moindre degre qu'avec la linguistique - et de systeme de valeurs. L'economie politlque etudie equilibre entre certaines valeurs sociales : valeur du travail, valeur du capltal » (1317, 1318 E Engler). La seconde partie de la phrase(• dans les deux sciences... signiflant •) est un ajout des editeurs, assez arbitraire etant donne la comparaison qu'elle contient (S. M. 116). (167) Le passage montre avec une grande clarte le lien entre l'arbltraire du signe et la methode d'analyse synchronique. Traeons une fois encore le cheminement de la pensee saussurienne : le slgne linguistique est radicalement arbitraire, dans ses deux composantes, signlfte et signifiant. Par consequent, la seule raison qui determine la configuration particuliere d'un slgnlfte ou d'un signiflant est le fait que Jes autres signifies ou les autres signifiants coexistant avec lui dans le meme systeme le delimitent ainsi et pas autrement. D'un point de vue objecW cela signifle que toute la valeur d'un signe depend, a travers le systeme, de la societe qui donne vie d'une certaine tacon a l'ensemble du systeme et, done, des avatars historiques de la societe (c'est la these du chapitre precedent, negligee il tort par ceux qui concoivent Saussure comme anti-historique), si bien que la valeur linguistique est radicalement sociale et radicalement historique (ou, si l'on pretere un tenne moins equtvoque, contingente). Du point de vue de la methode de recherche, cela signifie que pour etudier un signe dans sa realite de signe, ii faut le considerer dans le systeme dont ii tire sa valeur. Contrairement il ce qu'affinnait Trubeckoj 1933. 243 et sv., ii nous faut done admettre que l'insistance de Saussure sur la synchronie ne depend pas de pures raisons de polemlque contlngente. (168) Volr C. L. G. 20 n. 41, n. 162 et C. L. G. 185. Volr aussi n. 199. (169) Les sources manuscrites revelent une hesitation encore plus importante, qui n'apparatt pas dans le texte des editeurs lorsqu'ils proposent les deux tennes de• statique •et• evolutif • (1338-1342 B Engler). Pour un,developpement de la notion d' • etat de langue •, voir C. L. G. 142143 et cf. Frei 1929. 29-30. (170) Dans ce couple de tennes, dont la fortune apres Saussure fut immense, seul le second, diachronique, est invente par Saussure : on le lit pour la premiere fois dans un cahier (S. M. 48 n. 12) dans lequel apparatt aussl semiologie : le cahier semble posterieur a 1894 (S. M. 47, n. 26). Saussure emploie de preference idiosynchronique : v. infra n. 191. Pour les antecedents de la distinction saussurlenne, v. 382-383. (171) Voir supra n. 163. (172) Bien qu'elles aient eu un tout autre debouche, les reactions de L. Spitzer il l'enseignement du neo-grammairien W. Meyer-Lubke etaient en partie semblables :• Mais quand je commen1,:aia frequenter Jes lt.1,:ons de linguistique fran1,:3ise 452 453 NOTES NOTES demon grand maltre Wilhelm Meyer-Lubke, on ne nous y ofTrit pas une image du peuple francais ou de son esprit de la langue : dans ces lecons... nous ne contemplions jamais un phenomene au rcpos, nous ne le regardions jamais en face : nous regardions toujours ses voisins ou ses predecesseurs, nous regardions toujours derriere notrc epaule ... Face a une fonne Irancaise donnee, Meyer-Lubke citait des tonnes de vieux portugais, d" bergamasque moderne, des fonnes allemandes celtiques, des fonnes de latin archaique ... , (L. Spitzer, Crilica stilistica e seman~ tica storica, Bari 1966, p. 74). L'exigence d'une description scientiflque synchronique etait certainement dans !'air. En 1910 K. von Ettmayer, dans un texte au titre significatif (Henliligen uiir eine wissenscha/t/ich deskriptiue Grammalik? in Prinzip~en/ragen der '?maf!ischen Sprachwissenscha/1, 2 vol. Halle 1910 p. 1-i6), concluait : • So rneme ich denn, hier setze der Weg zu einer modernen, wissenschaftlich deskriptiven Grammatik ein, - es gilt nur bewusst alle historischen Zil.;.! und Hintergedanken beiseite zu Iassen, und die Wortfunktionen soweit sle syntaktisch unterscheidbar sind zu untersuchen • (p. 16). C'est a Saussure qu'il appartint de realiser cette exigence commune, en en trouvant et en en donnant la justification theorique profonde (v. n. 167). (173) Voir C. L. G. 13 n. 19. La reevaluation de la Grammaire de Port-Royal a ete reprise avec prudence par Verburg 1952. 330 et sv., et recemment accentusa par N. Chomsky, Cartesian Linguistics, New York 1966, p, 33 et sv. ;en ont soullg~e les aspects negauts (prehistoricite, universalisme, apriorisme, contenutisme) Glinz 1947. 28 et sv., De Mauro 1965. 57, 171 et sv., Mounin 1967 126-128.Voir: C. L. G. 153 notes 219, 221. (174) Au morns dans les vceux de Saussure la nouvelle lingulstique statique devrait conserver la trace des etudes dlachroniques : elle est en cela, comme le faisait remarquer avec bonheur Vend.ryes 1933.173, le reel depassement d'une antithese entre etudes diachroniques et synchroniques. Cependant la reevaluation chomskienne marquee de la grammaire rationaliste laisse entrevoir la possibilite que, ignorant encore une fois Saussure, la lingulstique en vienne a se consacrer a une etude statique sans histoire, avec !'illusion (appelee « hypothese de travail •) que les langues refletent (au besoin a un niveau de profondeur lnsondee) des regles et des structures logiques universelles Innees dans « l'esprit • de l'homme. (175) Voir supra note 163. (176) Nous nous trouvons devant une autre crux de I'exegese et de la continuation des theses saussurlennes. Presque tous ceux qui sont lntervenus se sont prononces pour le • depassement , de la • separation , entre synchronle et dlachronle; On a cru communernent que la distinction se place, pour Saussure, in re : 1 objet • langue • a une synchronle et a une diachronle, comme monsieur Durand a un chapeau et une paire de gants. Face o. la distinction alnsl comprise se sont dressees des objections venant du c6te hlstoriclste et du cOte structurallste : on a dit que des elements dlachronlques sont presents dans la synchronie (arc~aismes, neologismes, apparition de nouvelles tendances, deperissement de parties du systeme), et on a dlt d'autre part que le systeme opere aussi en diachronle et que les evolutions diachronlques sont dominees par l'intentlonallte. Pour avolr afflrme que les evolutions sont au contralre accldentelles et ne tor­ ment pas un systeme entre elles, Saussure seralt reste lie a la vision neogrammairienne de I'evolution lingulstlque ou seralt antl-structurallste : en d'autres termes pour avoir ignore que s'allrontent dans I'etat de langue des tendancea affieur11:ntes et des tendances langulssantes, ii seralt antl-historique. La discussion est ouverte en 1929 par les Jeunes llnguistes de Prague: Jakobson, Karcevsk!J, TrubeckoJ 1929 attaquent la conception anti-teleologlque du systeme (phonologtque) et soutiennent que les modifications du systeme se produlsent • en foncUon • de la reorganisation du systerne Iul-meme ; la these de la • ~te • des transformations du systeme (C. L. G. 209) est a nouveau attaquee dani lea Thuu de 1929, ou l'on soutient qu'Il ne faut pas mettre de « barrleres lnsurmontables , entre analyse synchronlque et analyse diachronlque, car d'une part en synchronle II ya chez les locuteurs la conscience des stades en vole d'apparition ou en vole de depassement, sl bien qu'on ne peut pas ellmlnerdes consld6rations diachronlques de la consideration synchronlque (Theses 1929.7-8), et d'autre part la conception du systeme fonctlonnel est egalement adoptee en diachronic car c'est en vue du systeme que se produlsent les transformations (T/il1es 1929.78). En appui aux Pragols surviennent d'un c6te plus tradltlonallste W. von Wartburg qui, dans de nombreux ecrtts (Wartburg 1931, 1937, 1939, Wartburg-Ullmann 1962.11, 137-147), revlent sur la necesstte du depassement en lnslstant surtout sur la necesslte de considerations dlachronlques dans la description synchronlque, et, du cOte modemlsant, van Wijk 1937, 1939 a, 1939 b. 30!>-308, qui lnslste au contraire sur la necessite de recourlr a la notion de aysteme pour I'analyse diachronlque. Les Pragols revlennent plusleurs fols a\ l'attaque de la distinction saussurienne : TrubeckoJ 1933.245, Trnka 1934 et surtout Jakobson (volr deja Jakobson 1928 a, 1928 b) 1929.17 et passim, 1931.218, 1933.637-638. Depasser la separation saussurienne, ae rejoulr du depassement effectlf, devlennent les themes communs d'une vaste troupe de contributions : Amman 1934.26!>-273,281, Rogger 1941.183-193, 203 et sv., Porzlg 1950.255 et sv., Benvenlste 1954 - 1966.9, Budagov 1954.18, 21rmunsklJ 1958, Vidos 1959.106-121, Clkobava 1959.105-111, 2innunsklj 1960, Leroy 1965.88-90. Des ecoles llnguistlques naUonales tout enueres se plongent dans la critique de la dichotomle saussurienne : les Espagnols (Catalan Menendez Pldal 1955.28-29, 33-37), les Russes (Slusareva 1963.44 et sv.), Devant la convergence des attaques, les Genevols se replient, scion le mot d' Alonso 1945.19 ( et cl. aussi p. 12 et sv.), dans une • honrosa retirada , : Bally 1937 (polemlque avec Wartburg 1931), Sechehaye 1939, Sechehaye 1940. Enfln ceux qui sentent la valeur de Ia distinction saussurienne (alnsl Lepschy 1966.44) eprouvent le besoln d'envlsager la posslbilite d'une • dlachronie structurale , que • comme ii semble qu'on puisse le comprendre a travers le Cours ,, Saussure n'aurait pas vue, envlsageant egalement, comme recherche a faire dans le futur, « !'examen attenUf des points de" desequilibre ", les" !ranges " du systeme, c'est-il.-direces secteurs dans lesquels le systeme change et pour lesquels le modele synchronlque 11e revele molns satisfaisant • (Lepschy 1966.45). Comme d'aulres discussions sur le C. L. G., celle-ci a egalement subl uncertain degre d'equivoque, blen que dans ce cas beaucoup molns favorise par l'etat du texte que dans d'autres cas (mals volr note 183). L'attltude fondamentale de Saussure est que l'oppositlon entre synchronie et dlachronie est une opposition de• points de vue, ; elle a un caractere methodologtque, conceme le chercheur et son objel (au sens eclalrcl dans le C. L. G. 20, n. 40) et non !'ensemble des choses dont s'occupe le chercheur, sa maliere. Un chercheur se trouve toujours face a\ une epoque linguistique : dans celle-ci, Saussure non seulement salt mals encore dlt explicitement (et ii est lncroyable qu'on l'alt oublie) que • i chaque Instant U (le Iangage] lmplique ii. la fois un systeme etabli et une evolution; A chaque moment ii est une Institution actuelle et un produit du passe •; et 11 ajoute : • n semble a premiere vue tres simple de distinguer entre ce systeme et son hlstoire, entre ce qu'il est et ce qu'il a ete ; en realite, le rapport qui unit ces deux choses est si etrolt qu'on a peine a Jes separer , (C. L. G. 24). Saussure, accuse. de donner des Indications vides, sans jamais se preoccuper de chercher comment les verifier (ainsl Hogger 1941 : voir 351) s'est dirige lul-m!me lei (comme, blen sllr, dans d'autres cas egalement) sur le chemin de la realisation. Les pages sur « analogie et evolution • (C. L. G. 231-237) veriflent la tMse desormals exposee : • La langue ne cesse d'interpreter et de decomposer les unites qui lul sont donnees ... D taut chercher la cause de ce changement dans la masse enonne des facteurs qui menacent sans cesse !'analyse adoptee dans un etat de langue , (232) ; « quelle que solt l'origlne de ces changements d'lnterpretation, Us se rev&lent toujours par !'apparition de tonnes analogiques , (233) ; • l'effet le plus 454 NOTES sensible et le plus important de l'analogie est de substituer a des ancienne, formations, Irregulieres et caduques, d'autres plus normales, composees d'elements vlvants. Sans doute Jes choses ne se passent pas toujours aussi simplement: )'action de la langue est traversee d'une Infinite d'hesitations, d'a peu pres, de demi-analyses. A aucun moment un ldiome ne possede un systems parfaltement flxe d'unites • (234). L'aspect dynamique de la situation d'un ldiome est de nouveau souligne au C. L. G. 280 et sv. Saussure est done bien consclent del'exlgence des points de desequilibre, des franges dans toute langue. La notion e d'economie • de la Jangue (merne si le terme paratt venir des editeurs : cf. C. L. G. n. 282) est parfaitement attelnte dans le C. L. G. Des eludes comme Frei 1929, Malmberg 1942 sont parfaitement dans le prolongement d'une telle notion, dans la mesure oil elles soulignent le fail que, dans un ldiome, dans la langue en tant qu'ensemble d'habitudes collectives (C. L. G. 112), coexlste~t une pluralite de systematisations fonctionnelles (Malmberg 1945.22-32, Cosenu 1958). On a done tort de reprocher a Saussure d'avoir neglige le fail que dans une situation llnguistique particuliere on rencontre des tendances ancrees dans le passe et des tendances anticlpant (comme nous pouvons en juger par reference au passe) l'avenir (voir aussl C. L. G. 247, alinea 2). Pour ce qui concerne sa conception des transformations llnguistlques, avant de nler le fail qu'il y ait chez Saussure une vision structurale de la dlachronle, ii faut blen volr que dans cette vision, qui est representee par Jes ceuvres des Pragols, de van Wijk, de Martinet, coexistent deux elements diflerents : a) le teleologisme (pour lequel les changements se produlsent • avec raison •, en vue d'une organisation meilleure, ou tout au moins difterente, du systeme) ; b) l'antlatomisme (par lequel Jes changements sont consideres dans Ieurs liens reciproques, en tant que conditlonnes par un systeme sur lequel ils ont une incidence). De ces deux elements, seul le premier est decidernent etranger a Saussure, mais non pas le second. De ce point de vue la conclusion de I'essai sur Jes adjectifs du type caecus est exemplaire (Rec. 599). Mais surtout, le C. L. G. est, ace propos, tres clair : Jes changements naissent accidentellement, sans flnalite, ils frappent aveuglement une entlte ou une classe d'entites et non pas dans le but de passer a une organisation differente du systeme ; mais justement parce que Ia Iangue, grace a J'analogie, tend au systeme, Jes changements • conditionnent • le systeme (122 alinea 2), le changement d'un element peut faire nattre un autre systeme (121 alinea 4, 124 alinea 3). L'exclusion du teleologlsme est aussl forte que l'afflrmatlon de la systemacite des consequences de tout changement, meme minime : • La valeur d'un terme peut etre modiflee sans qu'on touche ni a son sens ni a ses sons, mals seulement par le falt que tel autre terme voisln aura sub! une modification • (C. L. G. 166). SI bien que Burger 1955.20 et sv. peut afflrmer avec raison que si Jes critiques de la conception saussurienne des changements vlsent I'absence, dans l'evaluatlon de ces changements, de reference au systeme, ces critiques manquent leur but, car cette reference est explicite dans le C. L. G., dans la comparalson avec Jes ellets sur le systeme du plus simple mouvement sur un jeu d'echec (C. L. G. 126); si au contraire elles visent la these du caracUre fortuit des consequences des changements, Jes critiques se trouvent face a une these effectivement saussurlenne qui, comme le montre Burger, n'est pas facile a dementlr : ii est necessaire pour ce faire que Jes partisans des changements teleologiques attribuent a Ia Iangue un esprit, revenant ainsi a des positions mythologiques contre lesquelles Saussure a beau jeu de reafflrmer que • la Iangue ne prernedlte rien • (C. L. G. 127) et Frei de souligner qu'il est Impossible de prevoir si et comment une innovation particuliere sera acceptee (Frei 1929.125). Saussure done, de la meme fa~on qu'Il est consclent de )'aspect dynamlque des situations llnguistlques en une certalne epoque, est parfaitement consclent des consequences que tout changement a sur le plan du systeme ". Cornme l'a justement observe Ullmann 1959.36, • It Is not the language that is synchro- NOTES 455 nistic or dlachronlstic, but the approach to It, the method of Investigation, the science of language ,. Du point de vue de la methode de recherche et d'exposltion, on ne voit pas comment l'on peut nier la duplicite de la perspective synchronlque et de Ia perspective diachronique : peut-etre veut-on soutenir que la valeur d'une entlte linguistique depend de la valeur qu'elle a eue en une phase llngulstique anterieure? Mais alors, et mise a part toute autre objection, quelle valeur auraient done Jes nee-formations? Ou · blen veut-on dire que l'organlsation synchronique d'une Iangue determine !es changements futurs? Mais alors, comment done passerait-on d'un arrangement systematique unique a des ldiomes diflerents ? Et pourquol, etant donnee une langue, ses futurs developpements ne sont-ils pas previsibles ? En realite la linguistique ne peut pas renoncer a la double perspective sans se condamner d'une part a nier que la valeur d'une entite depend du jeu synchronique dont elle falt partie et d'autre part a tom~er dans une vision animiste ou faussement deterministe des changements linguistiques. Les deux perspectives methodologiques, rigoureuse consequence de la notion d'arbitraire du slgne (voir C. L. G. 116 n. 167), sont l'indispensable instrument d'une vision historique et positive de la realite linguistlque, et celul qui a souligne leur valeur d'lnnovation a eu tout a fait raison (Wein 1963. 11-13). (177) Voirsupran.176. (178) Volr supra n. 176. Les expressions agencemenl, agencl sont icl des edlteurs : on lit seulement dans Jes manuscrits : • Ces fails diachronlques ont-lls du molns le caractere de tendre a changer le systerne ? A-t-on voulu passer d'un systerne de rapports a l'autre? Non, la modification ne porte pas sur le systeme mais sur Jes elements du systeme • (1401-1402 B Engler). . (179) • Un etat fortuit est donne et on s'en empare : etat = etat [onuit des termes. Dans chaque etat l'esprit vivifie une rnatiere donnee, s'y insuffie. On n'aurait jamais acquis cette notion par grammaire tradit!onnelle [exe~pte d'experiences diachroniques : voir C. L. G. 118-11~], et qu'ignorent auss1. la plupart des philosophes qui traitent de la langue, Rien de plus Important philosophiquement, (1413-1417 B Engler). Cf. aussi l'essai sur Jes adjectifs indoeuropeens du type caecus cit. a la note 176. (180) De la merne tacon dans le passage du latin a l'ltalien I'elimination de la quantile comme trait distinctif des oppositio~s vocaliqu_es et un~ autre serie d'evenements mineurs (passage de quelques 111 prevocaliques a Ill, etc.) se sont trouvees dans un nouveau systerne accentuel : tandis que !'accent latin est mobile mais conditionne par la structure phonematique du syntagme accentuel, I'accent italien est mobile et non conditionne : une sequence phonetique etant donnee, la place de !'accent est tmprevisihle (cf. eapitano, capitano, capilam'J). (181) Pour la notion de • zero , voir C. L. G. 163 note 234. Herman 1931 releve une meprise de Saussure ; slouo n'a pas nom. plur. slooa, instr. slovem:i, et ii vaudrait done mieux utiliser l'exemple delo, delomu, delo, aa«. etc. (182) L'expression signe materiel est etrangere au systeme termlnologlq~e que developpe Saussure (S. M ..112); on lit en e~et d~ns Jes sources:," Pas beso1~ d'avoir toujours figure acoustique en regard d une idee. II suffit d une opposition et on peut avoir xizero • (1441-1442 B Engler}. . . (183) Dans Ia premiere phrase du paragraphe, la propos1~1on• ne peuvent etre etudlees qu'en dehors de celui-ci , est un ajout des ed1teu1:- (cf. 1448 B Engler), qui trahit, en la Iorcant, la pensee de Saussure : l_es _al~erations sont certainement externes au systeme, non determinees par celm-c1 m de fa~on causale ni de fa~on flnaliste mais, chacune ayant • son co~treco~p d~ns le syste~e •, II paralt necessalre de dire qu'il est pour le moins possible d etudier Jes alterations en rapport avec le systeme (voir supra note 176). (184) Voir supra notes 163 et 38. 456 457 NOTES NOTES (185) Cf. Godel S. M. 114 pour une analyse de la maniere peu heureuse dont les edlteurs ont utilise les sources manuscrites. (186) La comparaison, chere a Saussure (voir C. L. G. 43 n. 89, ainsi que n. 38 et C. L. G.153-154 n. 223), montre, comme l'a fail observer Burger 1955.20, que pour Saussure aussi tout changement a des consequences pour I'ensemble du systeme. (187) En reallte, • le systeme linguistique peut t\tre considere de tacon encore plus synchronique que le jeu d'echecs ,, etant donne que • les regles des echecs comprennent, de Iacon curieuse, certaines informations que l'on peut appeler diachronlques : il faudra par exernple savoir dans certaines circonstances si le roi s'est deplace pour ensuite revenir a sa place pour decider si l'on peut roquer, ou bien savoir si un pion s'est deplace ou non au coup precedent pour decider si l'on peut prendre au passage, ou bien tenir compte, dans les finales, du nombre de coups [oues a partir d'un certain point. Rien de semblable ne joue pour la langue ... , (Lepschy 1966.44-45). (188) Le titre du paragraphe est des editeurs, ainsl que le debut (1493-1494 B Engler). Ont egalement ete utilisees dans ce paragraphe des notes du second cours (voir supra n. 163 et 1498, 1500 et sv. B. Engler). (189) Pour le renvoi au , savolr » des locuteurs comme point de reference de !'analyse linguistique synchronique, voir C. L. G. 251-253. II vaut la peine de noter que la • conscience • est pour Saussure la capaclte posltivement verifiable de produire des syntagmes selon des modules analogiques donnes (C. L. G. 233-234 ; et v. aussi 251-258). Surles deux perspectives de la llnguistique diachronique, cf. C. L. G. 291 et sv. (190) Les termes perspective prospective et perspective retrospective ont fall probleme, en ce qui concerne le premier couple, pour la traduction du C. L. G. en italien : en ellet perspective et prospective se traduisent par le meme terme (prospelliva). Aussi le couple est-ii traduit par prospelliva prospetlica. (191) Surles deux termes voir C. L. G. 117 note 170. La notion d'idlosynchronie est reprise par Hjelmslev 1928.102 et sv. (192) Sur la notion saussurienne de loi, voir Frei 192:1.23 ; pour une critique de !'attribution d'lmperativite aux lois de la societe cf. Wells 1947.30. Observons cependant que la reference aux lois juridiques est des editeurs, Jes manuscrits ne parlant que de la « notion de loi » en general (1525-1526 B Engler); cf. S. M. 116. (193) L'alinea 3 du C. L. G. 131 est notablement rernanie entre I'edition de 1916 et celle de 1922; signe d'un certain malaise des editeurs qui ont profondement manipule cette partie des notes: dans les pages suivantes (132-134) • toute la demonstration (fails semantiques, transformations syntaxiques et morpnologtques, changemcnts phonetiques) est des editeurs (S. M. 116). (194) Voir supra n. 176. (195) L'ldee de construire une s panchronie, a ete reprise par Hjelmslev 1928. 101-111, 249-295, qui proposait de distinguerpanchronie, pansynchronie, pandiachronle, idiochronie, idiosynchronie, idiodiachronie (cf. Sommerfelt 1938 = 1962.59-65). Pour l'approche panchronique cf. Ullmann 1959. 258 et sv.; pour le problerne des universaux cf. C. L. G. 20 n. 42. (196) Le paragraphe utilise des exemples tires du second cours : v. n. 163. L'exemple de depi: dans la locution en depit de developpe non pas synchroniquement mais par reference au latin in despectu, est tire de A. Hatzfeld, A. Darmesteter, A. Thomas, Dictionnaire general de la langue trancaise, depii, I. (197) La base du paragraphe est rournie par Jes notes du trotsteme cours. (198) Voir C. L. G. 30 n. 63, 31 notes 65 et 67, 38 n. 81. (199) L'utilisation du terme historiquemenl oppose a slatiquement est des edlteurs et manque dans Jes sources manuscrites (1656 B Engler): en ellet Saussure semble avoir pense avoir raison a partir d'un certain moment que s hlstorlque • s'applique aussl bien a un etat qu'a I'evolution d'un etat : volr C. L. G. 116 et 20 n. 41, Dlstlnguant entre la dlsparlte • superftclelle • et l'unlte , profonde • des Iangues, Saussure pense sans doute aux aspects unlversels dell realite llngulstlque, pour lesquels volr n. 42. (200) Le chapltre vlent d'une leeon du trolsleme cours (S. M. 88-89). (201) er. pour cela Firth 1956.133, Malmberg 1967.1 et sv. (202) II est difficile d'etablir avec precision a quel type de slmpllftcatlon pensnlt Saussure : peut-etre, comme le suspecte Sechehaye dans une note manuscrite, • II s'aglt probablement de la convention qui conslste a considerer !es dispositions llnguistlques de tous Jes lndivldus comme ldentlques, alors qu'elles ne le sont pas , (cit. in S. M. 89 n. 98). Pour la notion d'etat de langue et la difflculte de delimiter Jes etats cf. Frei 1929.29-30, Firth 1935.51 n. 1, Malmberg 1967. (203) Les sources du paragraphe sont deux Jecons du 5 et du 9 mal 1911 (trotslerne cours), resumees In S. M. 83. Le titre du chapltre propose par Saussure aux eleves etait : • Quellcs sont les entites concretes qui composent la langue? • (1686 B Engler). (204) La locution substance phonique est lntrodulte par !es edlteurs : volr n. 111. Tout le passage donne dans les sources manuscrites connues des edileurs : • SI nous prenons la suite des sons, n'est llngulstlque que sl elle est le support materiel de I'Idee, Une langue lnconnue n'est pas lingulstlque pour nous [utilise dans l'allnea 3). Le mot materiel, pour nous, est une abstraction. Les dlllerents concepts (aimer, uoir, maison) sl on Jes detache d'un slgne representatlf, ce sont des concepts qui, conslderes pour eux-rnemes, ne sont plus llngulstlques. II taut que le concept ne solt que la valeur d'une Image acoustlque. Le concept devlent une quallte de la substance acoustique , (1962-97 B Engler). La pensee apparatt encore plus clalrement dans Jes notes correspondantes de Constantin (1693-1697 F Engler) : • Alnsi, st nous prenons le cOte materiel, la suite des sons, elle ne sera lingulstlque que si elle est conslderee comme le support materiel de l'Idee ; mais envisage en lul-rnerne, le cote materiel, c'est une matlere qui n'est pas llngulstlque, rnatlere qui peut seulement conccrner I'etude de la parole, sl l'enveloppe du mot nous represente une matlere qui n'est pas llnguistlque. Une langue lnconnue n'est pas lingulstique pour nous. A ce point de vue-la, on peut dire quc le mot materiel, c'est une abstraction au point de vue llngulstlque. Comme objet concret, ii ne fall partie de la llnguistique. 11 taut dire la meme chose de la face splrituelle du slgne linguistlque. SI l'on prend pour eux-memes Jes differents concepts en les detachant de leur representateur (d'un signe representatlt), c'est une suite d'objets psychologiques : (aimer, noir, maison). Dans l'ordre psychologique. on pourra dire que c'est une unite complexe. 11 taut que le concept ne solt que la valeur d'une Image (acoustique) pour faire partie de l'ordre llnguistlque. Ou blen. sl on le fail entrer dam l'ordre linguislique, c'est une abstraction. Le concept devlent une qualite de la substance acoustiquc comme la sonorite devlent une qualite de la substance conceptuelle. , Les notes cl-dessus se pretent a deux remarques tenninologiques: !'utilisation d'abstraction pour • chose irreelle • (voir n. 70J, et !'utilisation de represenia­ teur, terme technique que Saussure dcvail avoir essaye pour signifiant, ou pour signe glissant vers siqnifiant, et qui coincide curieusement avec le terme represeniamen de Ch. S. Peirce (Jakobson 1966.24). (205) Le developpernent de la comparalson vient des edlteurs: Saussure se contente d'lndiquer Jes limltes de sa comparalson, disant que meme sl I'on separe les deux elements du compose, on reste toujours dans le merne • ordre chlmlque , ; tandis qu'cn separant Jes elements de , l'eau llngulstique • on sort de la lingulstlque proprement ditc (1699 B Engler). Peut-etre la sclsslon de l'atome permettrait-elle aujourd'hul a Saussure de trouvcr une comparalson adequate : en sclndant l'atome en ses particules elementaires on passe d'une entlt.e qui a des proprietes chlmlques (ou qui est deftnlssable par sa valence, 458 NOTES etc.) a une entlte privee de proprietes chimiques et n'ayant que des proprietes physiques. (mas_se,. encrgle cinetique, etc.) qui sont de toute tacon presentes dans 1 entite chirnique tout aussi bien, mais ne la qualifient pas comme telle. (206) L'expression • chalne phonique • est etrangere a Saussure : voir supra n. 204. (207) Une fois encore Constantin donne la version la plus Jimpide de la pensee de Saus~ure.: .• Au contraire, si on decompose J'eau linguistique on quitte l'ordre h?gms.ttque _: o_n n'a plus d'entite linguistique. Ce n'est que pour autant que subs~ste 1 ~ssociatton que nous sommes devant l'objet concret Jinguistique. On n'a rien Iait encore sans delimiter cette entite ou ces unites. Les delimiter est,.une operation non purement materielle mais necessaire ou possible parce qu 11 ya un element materiel. Quand nous aurons delirnite, nous pourrons substituer le nom d'unites a celui d'entites • (1699-1701 E Engler). LI;S unites saussuriennes sont derneurees longtemps sans denomination plus precise. Frei 1941.51 proposa la denomination de moneme (alors deflni comme •.sl~ne dont le signifiant est Indivlsible »), confirmee ensuite (Frei 1948, 69 n. 24, Frei 1950:16~ n. 4: • dont le signiflant est tnsecable, c'est-a-dire n'cst pas divisible en signiflants plus petits s : Frei 1954.136). En 1960 Martinet a fait sienne cette denomination dans les Elements chap. I§ 9 (Martinet 1966.20). Cf. Sollberger 1953. Dans la tradition de la llnguistlque des f:tats-Unls Ies unites minimums correspendant aux monemes sont appelees morphemes (•minimum meaningful elements ln utterances • : Hockett, A Course, cit., p. 93). Lucidi, sur Jes positions saussuriennes, proposa au contraire la denomination d'iposema (cf. Lucidi 1966.71-72), reprise avec des sens UH peu divergents entre eux et par rapport au sens de Lucidi par Belardi 1959.20. Godel 1966.62 (cf. aussl De Mauro 1965.32, 81, 86-87 etc. et De Mauro 1967). (208) lei aussi les sources manuscrites parlent de la rnatlere phonique qui a pour ~ractere de se p_resenter a nous comme une • chatne acoustique •, • ce qui entratne Imrnediatement le caractere temporel qui est de n'avoir qu'une dimension , ( 1705 8 Engler). ' L'Idee exprim~e dans la derniere proposition de la phrase est grosso modo de Saussure, mars le terme significations ne se trouve pas dans les sources qui parlent de la necessite d' • associer l'idee • a ce que l'on entend pour , faire les coupures • : pour le recours au signifle, voir infra n. 210. (209) La source _d~ paragraphe est une lecon du troisieme cours (S. M. 83). (210) La proposition de renoncer au sens pour delimiter les unites lingulstlques (monemes ou morphemes et phonemes) a ete faite par B. Bloch, A Set of Postulate/I for Phonemic· Analysis, Lg 24, 1948.3-46, p. 5 et sv.; malgre Ies critiques evi~e~tes auxquelles elle prete le flanc (cf. Belardi 1959.127 et sv., P. Nae~, L1m1tes de la meihod« disiributionnelle, S. L. 15, 1961.52-54), elle a ~te repnse par N. Chomsky, Semantic Considerations in Grammar, In Meaning and Lang~a~e Structures, • Georgetown Univ. Monograph Series on Language and !-lngu1stlcs• 1955.141-150, Syntactic Structures, La Haye 1957, p. 94, et est eonsideree comme Iondee theoriquement par Martinet 1966.38-39, R. Jakobson, C. G. Fant et M. Halle, Preliminaries to speech analysis, Cambridge, Mass., 1963, p. 11. Outre les mentions critiques de Belardi et Naert, cf. Frei 1954, 1961 et De Mauro 1965.135-139, 1967. (211) • Phonlque • est ici aussi un ajout des editeurs : volr C. L. G. 63 n. 111. (212) Le paragraphe provient fondamentalement d'une lecon faite durant le second cours, en novembre 1908. Pour les oscillations des ldees de Saussure sur le probleme des unites et de leur delimltation.ivoir S. M. 211 et sv. (213) Cf. A. Martinet, Le mot, In Probletnes du lanqaqe, Paris 1966, p. 39-53. (214) Cf. par exemple G. Frege, I fondamenti dell'oritmetica, trad. de l'allemand par L. Geym~nat i? Arit"_letica e logica, Turin 1948, p. 125 ; L. Wittgenstein, Traciatu, log1co­ph1losoph1cus, 3.3 (• Seule la proposition a un sens ; ce n'est NOTES 459 qu'en rapport avec la proposition que le nom a un sens • ; Ia reprise de l'afflnnatlon de Frege est un peu diflerente dens les Phil. Vntersuchungen f 37, ou le contexte qui fournlt le sens est plutot I'equivalent du sysUmi! saussurien que de la proposition). La merne Idee apparatt chez B. Croce, Estelica come sclenza dell'espresstone e linguistica generate, tr• ed. Palerme 1903. 8• ed. Bari 1945, p. 159 : • L'espresslonne e un tutto lndlvlslblle ; II nome e II verbo non eslstono, In essa, ma sono astrazloni fogglate da nol col distruggerre Ia sola realtA Jlngulstlca, ch'e la proposlzlone. La quale ultlma ~ da lntendere, non ~la al modo sollto delle grammatlche, ma come organismo espressivo di senso compluto, che comprende alla pari una sempliclsslma esclamazlone e un vasto poema •; p. 163: • Del resto, I limit! delle sillabe, come quelli delle parole, sono aflatto arbitrart, e dlstintl alla peggio per uso emplrico. II parlare primitivo o II parlare dell' uomo lncolto e un continuo, scompagnato da ognt cosclenza di divlslone de! dlscorso In parole e slllabe, enti immaginari fogglati dalle scuole. • Cf. chez les llngulstes, avec des motivations techniques, Lucidi 1966.69 : • L'acte lingulstique comme acte expressit se realise unlquement et spec!flquement dans le slgne consldere dans sa totalite, non pas dans un mot ou plus, jamals dans un mot ou plus prls comme tels. Celul qui parle s'exprime non pas parce qu'II prononce des mots mals parce qu'en Jes prononcant II realise un acte llngulstlque : ce n'est done pas dans Jes mots prononces en eux et pour eux mats dans l'accomplissement de J'acte Jlngulstlque realise qu'un slgne slgnlfle ce qui a ete exprime. L'acte llngulstique et lul seul, torrne d'un ou de plusleurs mots - et Jorsqu'II se realise en un sen! mot celul-cl cesse d'Hre un mot - est l'unlte slgnlflcative par excellence, seule susceptible par consequent de se realiser en une entlte qui pulsse pretendre au nom de slgne. • Ces ldees de Lucidi rencontrent en partie L. Prieto 1964.16, qui deflnit l'acte de parole simple comme producteur d'un slgne qui a un slgnifle (Prieto, contralrement a Lucidi, admet Ia possiblllte d'une analyse du slgnifle en noemes). (215) Le paragraphe derive du second cours (S. M. 67). (216) Le chapitre derive en grande partie des lecons faites au debut du secono cours (30 novembre, 3 decernbre 1908) et consacrees a la nature de la Iangue conslderee de l'Interieur (S. M. 68). Le chapitre est done chronologiquement anterleur au precedent. Mais II lul est egalement anterleur loglquement. II peut etre considere comme l'approche ideale de la redaction finale de la pensee saussurlenne : dans l'entretien avec Riedlinger du 6 mai 1911 (S. M. 30) Saussure, a propos de ce • systeme de geometrle • que devrait ctre a son a vis la • Jinguistlque generale •, affirme que dans un tel systerne la • premiere verite • est la sulvante : • La langue est distincte de Ia parole. , Celle affirmation a lndubitablement convaincu Jes editeurs de mettre Ia distinction langue­parole dans l'introduction du C. L. G. Mais pourquoi done cst-ce la • premiere verite •? Pourquol done est-ii necessaire de distinguer la langue de la parole? Le chapilre III de !'introduction du C. L. G. se contente d 'illuslrer Jes a vantages de la distinction : elle servirait, ace qu'il parait, a garantir l'autonomie de la lingnistique. Du seul point de vue general de la science (et non pas de celui des prolesseurs de Iingnlstique) cette distinction, si sa senle raison est de garantir l'aulonomie de la linguiste, est absolument graluite. Et elle est apparue comme telle a beaucoup, fourvoyes par le fondement qui a etc donne au r.. L. G. par les editeurs. En rea lite, on peut trouver dans ce chapilre des raisons scienti fiquernent valides pour la distinction. Plus exactement, ces raisons se trouvent dans la necessite de donner une reponse aux questions que po~e le chapitre. Et ava,1t tout a la premiere, qui peut done ctre consideree comme un des incipit les plus efficaces de la linguistique saussurienne: voir C. L. G. 30 n. 65. (217) La formulation de Saussure est en realite plus large : c'est le probleme general (et non pas simplcment synchronique) des raisons qui permettent d'identifler deux fails comme deux manifestations d'une chose qui demeure ldentlque. Le probleme se presente avant tout a Ia conscience reflechie d'un 460 461 NOTES NOTES llngulste du xrx- slecle dans ses tennes dlachroniques : qu'est-ce qui pennet d'ldentifier le Irancats chaud au latin ca/idus? Celle question et Ia discussion qui s'y rapporte ont ete releguees par Jes editeurs aux pages 249-250, alors que Saussure les a traitees en relation avec la question plus radicale de I'Identite synchronique ( 1759 et sv. B Engler), en reduisant le problerne diachronlque au synchronique. Celui-cl consiste a etablir sur quelle base nous ldentifions (comme locuteurs ou comme linguistes) deux phenornenes comme des exemplaires d'une meme entite, comme des variants d'un merne invariant (Hjelmslev 1961. 60 et sv.), (218) Dans ce chapitre egalement, l'lntention de Saussure est surtout des­ truens, tendant a jeter le doute sur J'ensemble des categorisations et des deflnltlons a base ontologico-unlversaliste que les grammaires modernes ont herite de la tradition aristotellco-ratlonaliste, (219) L'exlgence d'une critique des definitions traditionnelles des parles orationum et des autres categories syntaxiques fut vivement ressentie par Saussure (entretien avec Riedlinger cite in S . .M. 29) ; la critique, amorcee par lu~, a. ete re~rise par Glinz 1947 (qui a pris pour exergue la phrase de Saussure qui suit immediaternent cette note), E. Benveniste, La phrase nominale, B. S. L. 46: I, 1950.19-36 ( = 1966.51-67), A. Pagliaro, Logica e grammalica, • Rlcerche llnguistiche • I : 1, 1950.1-38, E. Coseriu, Logicismo y anlilogicismo en /a gra­ matica, Montevideo 1957, Benveniste 1966.63-74, 168 et sv. Je me permets de renvoyer egalement au travail Accusatioo, transilivo, inlransilivo, • Rendlcontl dell'Accademia nazionale dei Lincel » 14: 5-6, 1959.233-258, et a la tentative consecutive, Frequenza e [utizione del/'accusalivo in greco, ibid., 1 '>: 5-6, 1960.1-22. Celle direction critique n'a malheureusement pas retenu )'attention des linguistes qui, avant Chomsky, n'ont ete que peu interesses par !'analyse formelle du contenu (pour adopter Jes termes hjelrnsleviens) et se sont plutot consacres a ]'analyse de )'expression. Le resultat rnelancolique qui apparalt dans le courant chomskien est. que Jes eludes syntaxiques, remises a l'honneur, en viennent a se developper scion les vieilles, equivoques et grotesques categories, entre verbes • qui passent • et verbes • qui ne passent pas ,, agents et patients, substances accidents, accidents des accidents, qualites substancielles, etc. Le lien entre l'oubli des critiques portees a la syntaxe de tradition rationaliste et la reprise des vieilles categories syntaxiques apparalt par exemple chez Chomsky qui, talsant reference aux theses rationalistes de Port-Roval, affirme candidement : • On croit ge~eralement. que_ ccs propositions ont et!\ refutees, OU que le developpement ulterieur de la linguistique a revele qu'elles etaient suns portee pratique. A ma connaissance ii n'en est Tien. Ou. plutot, elles sont slmplement tornbees dans l'oubli, parce que etc. • (in Problemes du langaqe. Paris 1966, p. 16). Volr aussl C. L. G. 118 n. 173, 187 n. 265. (220) La phrase • Qu'on cherche ... pour ordonner Jes falts de son ressort , est deflnle dans S. M. 116 comme • une insertion •. Elle est en realite derivable de 1801 B Enider. (221) Se trouvs lei reafflrme, sur le plan de )'analyse syntaxique, le prlnclpe de la • biplanarite • (Hjelmslev) du signe linguistique et des entites en Jesquelles ii s'analyse (Miclliu 1966.175) : ii n'existe pas de categories, d'entites, de classes du contenu hors de leur Individualisation sur le plan de l'expression ; mais les categories, Jes entites, Jes segments ne sont pas meme individualisables sur le plan de la • ma ti ere phonique • en ignorant, ou en se proposant de feindre d'lgnorer (a la maniere de Bloch), que celle-ci n'est segmentable qu'en reference aux , elements signlflcatlfs ,. La pensee de Saussure est encore plus claire dans Jes notes des etudiants que dans la formulation des editeurs : • Ne pourralt-on pas parler de categorie ? Non, car ii taut toujours dans le Iangage une matlere phonique ; celle-ci etant lineaire, ii Iaudra toujours la decouper, C'est ainsi que s'affirment Jes unites ... L'Idee d'unite serait peut-etre plus clalre pour quelques-uns, si on parlalt d'unltes signiflcatives. Mais ii taut lnsister sur le terme unite. Autrement, on est expose it se faire une ldee fausse et it crolre qu'll y a des mots existants comme unites et auxquels s'ajoute une signification. C'est au contralre la signification qui deltmite les mots dans la pensee • (1802 B Engler). Volr C. L. G. 144 n. 204. 146 n, 210, 187, n. 267. (222) Pour le rapport valeur : signifie : 11/gnification, voir la note au chapltre sulvanL (223) 11 faut, pour l'attitude fonctionnallste et la comparalson avec les echecs, Jolndre it cette page saussurienne fondamentale differents paragraphes des Ptulosophische Unlersuchungen de Wittgenstein : par exemple, 6 (fin). 35 (allnea 3), 108. Volr note 16, C. L. G. 43 n. 90, 125-126 notes 186-187. Pour les analogies entre Wittgenstein et Saussure, cl. en outre De Mauro 1965.156, 168, 173, 184, 202. (224) La princlpale source de ce paragraphe et des paragraphes suivants du chapltre est le groupe des dernieres leeons du trolsierne cours, entre le 30 juin et le 4 Juillet 1911. Son auditoire etant desormais reletivement entratne (S. M. 29), Saussure peut commencer a lui exposer Jes points les plus ardus de sa doctrine de la langue. (225) De tous les passages du C. L. G., celul-cl est peut-etre celul qui donne le dementl le plus direct it la singuliere affirmation de N. Chomsky, Aspects of a theory of syntaz, Cambridge, Mass., 1965, p. 7-8. selon qui Saussure auralt peche par • naive view of language • donnent I' • image of a sequence of expressions corresponding to an amorphous sequence of concepts • : mals sl Saussure veut contester quelque chose, c'est bien justement une telle image de la langue. Sur le sol americaln, rampant le silence des postbloomfleldlens, Chomsky a plusleurs fols attire )'attention sur Saussure, et a affirme avec decision le rapport entre les positions et les problemes qu'll soumet it la llnguistique, et les positions et les problemes saussurlens, a commencer par la reconnaissance du fait que la reallte linguistique ne se limlte pas a une sequence d'utterances, d'actes de parole, dans la mesure ou, outre le simple comportement verbal, II ya la /angue (Chomsky 1965.4). Cependant 11 ne semble pas avolr toujours compris parfaitement la position saussurienne : cecl en est precisement un exemple. La critique developpee par Hjelmslev a une autre conslstance. II Ialt observer que la these de la nebulosite pre-lingulstique de la • pensee • n'est dernontrable qu'apres , l'apparition de la langue ,, sl bien que ce que propose Saussure n'est qu'un • pedagogical Gedankenexperiment •, peut-etre efflcace du point de vue didactlque, mats certainernent pas correct du point de vue theorique, En falt, en coherence avec la these que l'on veut soutenlr, ll taut dire que nous ne rencontrons jamals de contenu de pensee linguistiquement encore lnforme qui nous permette de dire si, avant la langue, la pensee est ou n'est pas informe. Selon Hjelmslev 1961.49-54 (qui est le meilleur commentaire du passage) la preuve correcte de l'afflnnation saussurienne dolt etre cherchee par une autre vole. Celle-cl, en acceptant les suggestions du linguiste danois, peut se presenter comme suit. Voici une serie de phrases : jeg ved det ikke I do not know je ne sais pas en tiedtJ. naluvara non so nescio danois anglais fran~ais flnnois esquimau italien la tin Se pose lei un probleme theorique relatif au droll de confronter ces phrases et ces phrases seules : en le confrontant, ne sortons-nous pas de l'idiosynchronle? Le drolt, c'est-a-dire Ia justification theorlque de la confrontation, est exac· 462 463 NOTES NOTES temcnt le meme drolt que celul qu'on a lorsque, avec Peirce, on admet que, etant donne un slgne, II est toujours possible d'en trouver un autre plus clalr et plus expllclte : la confrontation entre deux stgnes dlllerents d'une meme langue est possible dans la mesure ou, dans une serle de circonstances, lls servent (meme sl leurs slgnlMs sont dlflerents) a caracteriser les memes situations (referrings) ou, en d'autres termes, ont les memes significations. Sur cette msme base nous pouvons confronter des slgnes appartenant a des langues dlflerentes. En particulier, sur la base de I'existence de significations Identlques possibles, nous pouvons conclure que Jes sept signes precedents ont quelque chose de commun. • This common factor we call purport... This purport, so considered, exists provisionally as anamorphousmass,an unanalyzed entity, which Is defined only by Its external functions, namely Its function to each of the linguistic sentences we have quoted • (Hjelmslev 1961.50-51). Ce purport peut Hre analyse de diflerentes tacons. Pour symboliser la dlversite des analyses II nous faut cholsir une (metajlangue de description : Hjelmslev loc. cit. adopte • un • anglais ; nous adopterons ici • un • latin (nous ne pouvons pas dire , l'anglals •, la langue-idiome reelle qui, malgre sa flexibtlite, n'admet pas comme grammaticales I know ii not, qui est l'equlvalent metalingulstique de Ia phrase danolse, ou not know-do-I, qui est l'equlvalent de la phrase ltallenne ; de la meme tacon nous ne pouvons pas dire • le latln •). La solution du probleme d'une metalangue symbollsant Jes signifies des diflerentes langues, la solution du problerne d'un • alphabet semantlque International • est decisive pour le sort futur de la semantique fonctionnelle (ou noologle). Un tel • alphabet semantique international • pouvant etre fournl par !'ensemble des terminologies scientiflques (De Mauro 1967 § 7) et celles-cl etant solt latlnes (nomenclatures botanlque et asslmllees) solt largement domlnees par les Iatinlsmes, nous adopterons lei un symbolisme metalinguistique d'orlgine latlne. En termes metalinguistlques, nos sept phrases deviennent ; • system of content • pour lequel on peut dire la mlme chose : le systeme des form~s ~ans lesquellcs s'articule la masse des experiences possibles, le systeme des signlftes propres des monernes Jexicaux et/ou grammatlcaux est variable d'une langue ~ l'~utre. Ou encore, chaque Iangue a sa maniere, selon un systerne de forme~ qui Im est propre, redutt en substance du contenu (content-substance) les. e".per1ences possibles. • In. this sense, Saussure is clearly correct in dlstlnguishing between form and substance • (Hjelmslev 1961.54). (226) L" alinea provient du second cours (1830 B Engler). II est utile de le rappele~ car, sur un point, ii n'exprime peut-etre pas la pensee finale de Saussure m~1s un moment de passage. II s'agit de I'expression , fait en quelque sorte mysterieux • : en elTet, I'organisatlon du systerne linguistique paratt et ne peut pas ne pas parattre myster!euse hors du cadre social dans lequel elle se place, et plus generalernent le fonctionnernent du langage (Saussure parle dans l'alinea de langage; lanque est une substitution des editeurs) est incomprehensible hors d'un con~exte _social (De Mauro 1965.152 et sv., 169 et sv.). Apres Jes vlgoureuses afhrmallons du hen entre langue et societe remontant a 1894 (on en trouve trace dans les derniers alineas du C. L. G. 112-113), I'aspect radicalement social de la langue et du langage rentre dans l'ombre, et I'Interet de Saussure se porte sur des problemes de methodologie de la linguistique et sur d'autres questions. Durant le second cours, comme on l'a deja releve allleurs (De Mauro 1965.153 et sv.), Saussure reaffirm~ le caractere social des phenomenes semiologlques, mars on ne trouve une pleine consecration de I'aspect radicalement social de Ia langue et du langage que dans les lecons de mai 1911 (S. M. 85-86, notes 125129), prises commc base du chapitre sur la mutabilite et I'Irnmutabilite du slgne (C. L. G. 104 et sv.). (227) Dans les sources manuscrites, le texte donne : " Ce qui est remarquable, c'e~t que le son-pen.see \o~ la pensee-son) lmplique des divisions qui sont les umtes. finales de Ia linguistique. Son et pen see ne peuvent se combiner que par c~s unites. Com_para1sons avec deux masses amorphes : l'eau et !'air. Si la pression atmospherique change, la surface de l'eau se decompose en une succession d'unites : la vague ( = chalne intermediaire qui ne forme pas substance). Cette ondulation represente l'union, et pour ainsi dire I'accouplement de Ia pensee avec cette chatne phonique, qui est elle-meme amorphe. Leur combinaison produit une forme. Le terrain de la Iinguistique est le terrain qu'on pourrait appeler dans un sens tres large le terrain cornmun, des articulations, c'est-a-dire des articuli, des petits mcmbres dans Iesquels Ia pensee prend conscience (valeur? B. (ouchardy : la Iecon valeur est conflrrnee par Constantin : 1832 E Engler)) par un son. Hors de ces articulations, de ces unites, ou bien on fait de Ia psychologle pure (pensee), ou bien de la phonologic (son) » (le texte de Riedlinger est cite in S. M. 213-214, ainsi bien sur que chez Engler). Le concept saussurien de langue comme forme est le predecesseur direct et declare de Ia langue-schema de Hjelmslev: voir C. L. G. 21 n. 45. Ce concept trouve a son tour un predecesscur dans la conceµtion humboldtienne de la langue, commc, en correction de Fischer Jorgensen 1952.11, on l'a souvent fait remarquer (voir page 38:j). Pour ce qui concerne la celebre comparaison avec Ia feuille de pa pier, elle a ete commentee par Vendryes 1952.8 qui en souligne Ia validite en termes psychologiques; Wartburg-Ullmann 1962.lSi rapproche du point de vue de Saussure l'hypolhese Sapir-Whorf. On obserYe cependant que, alors que dans J'hypoth~se Sapir-Whorf la pensee n'a pas d'existence autonome hors de Ia Iangue et par consequent, Jes langues Hant difTerentes, ce que nous appelons pensee devrait Hre difTerent d'un peuple a I'autre, ces consequences improbables sont evitees dans la conception saussurienne, dans la mesure ou Saussure se contente de dire que la pensee est linguistiquement amorphe hors de la Jangue. Saussure, de la meme fa~on qu'il ne nie pas qu'il existe une phonation independamment des langues (ii est au contraire partisan des droits autonomes d'une EGO SCIO ID NON EGO AG(O) NON SCI(RE) EGO NON SCl(O) PASSUM EGO-NON-FACIO SCIRE NON-SCIENS-(SU)M-EGO-ID NON SCIO NON-SCIO danols anglals Irancais flnlandais esquimau ltalien latin La dlverslte de la • forme • semantlque que prend le purport dans Jes dilTerentes langues est aggravee par le fail que dans chaque langue existent, a cMe de celle que nous avons Indiquee, des phrases ayant la possibilite de significations ldentiques (italien : io non so, non lo so, l' iqnoro, [orse, etc., franeats : je n'en sais rien, je ne le sais pas, je l'iqnore, etc.). et que la serie de ces phrases est dilTerente d'une Iangue a l'autre, tout comme sont dlflerentes Jes attaches paradigmatiques propres fl chacun des elements des sept phrases. • We thus see that the unformed purport extractable from all these linguistic chains is formed dillerently in each language. Each language lays down its own boundaries within the amorphous" thought-mass " and stresses different factors in it in different arrangements, puts the center of gravity in dilTerent places and gives them dilTerent emphases ... Just as the same sand can be put into dilTcrent molds, and the same cloud can take on ever new shapes, so also the same purport is formed or structured dilTerently in dilTerent languages. Purport remains. each time, substance for a new form, and has no possible existence except through being substance for one rorm or for another. We thus recognize in the linguistic content, in its process, a specific form, the content-form, which Is independent of, and stands in arbitrary relation to, the purport. and forms it into a contentsubstance • (Hjelmslev 1961.52). La diverslte de la serle des signes coexistent avec le slgne Indique pour chacune des sept langues repose sur la dlversite du 464 NOTES science de la phonation), ne nie pas qu'il existe un monde des perceptions, des Idealisations, etc., independamment des langues et que la psychologie peut etudier : II ya la une dilTerenceevidente par rapport aux theses de Whorl. (228) Pour la notion d'arbitraire, voir supra C. L. G. 100 notes 137-138. La derniere phrase de I'alinea est un exemple de redaction malheureuse de l'authentique pensee saussurienne. Les sources connues des editeurs (d'ailleurs eonftrmees par les cahiers de Constantin) donnaient : • Mais les valeurs restent parfaitement relatives parce que le lien est parfaitement arbltraire • (1841 B Engler). En d'autres termes, l'arbitralre rad I ca 1 vient d'abord, la relativite des valeurs signifiantes et signiflees (des artieuli dans les deux masses amorphes) en est la consequence. On ecrit encore plus nettement dans 1840-1841 E Engler : • Si ce n'etait pas arbitraire, ii y aurait a. restrelndre cette ldee de la valeur, II y aurait un element absolu. Sans cela les valeurs seraient dans une certalne mesure absolues. Mais puisque ce contrat est parfaitement arbitraire, les valeurs seront parfaitement relatives. • Dans la redaction des editeurs, la relativite des valeurs passe d'abord, • et voila pourquoi •, aJoutent-lls, • le lien... est ... arbitraire •. (229) Pour I'aspect radicalement social de la langue, volr supra n. 226 et C. L. G. 104-113 et notes. L'alinea suivant est a. l'origine de la notion de• champ semantique •: Ullmann 1959.78 et sv. (230) Voir supra n. 224. (231) Dans la traduction ltallenne du C. L. G., le mot signification a ete rendu par signi{icazione, et ce terme est desormais largement adopte (quolqu'il soil etranger au fond commun de la Iangue italienne et soit done un technlcisme) avec son adjecti! siqnificazionale, a cote de l'autre paire significato et signi{icativo, et en opposition avec elle. Traduction et usages terminologiques reposent sur l'acceptalion des exegeses de Burger 1961 et des theses theoriques de Prieto 1964 (sur la distinction entre signifie, classe abstraite de significations qui se trouve dans la langue, et sens ou signification, utilisation concrete, lndividuelle du signifie, • rapport social particulier lnstitue par un acte semique •). Godel (In S. M. 241-242) avait consldere que signification et seiu etalent synonymes de signifie (en notant cependant quelques resistances dans les textes) et avail conclu en afflrmant que • l'inutilite des mots sens, signification saute aux yeux • (cf. aussl S. M., signification), car Saussure voulait par ces termes solt designer le signifie et done la valeur, soil designer le concept prts par abstraction, c'est-a-dire quelque chose d'etranger a. la langue. Burger 1961.5-8 a montre qu'il n'y a pas de doute que Saussure voulalt dlstlnguer nettement entre signification et valeur (comme en fait fol l'afflrmatlon du trolsleme cours utilise lei par les editeurs : • La valeur, ce n'est pas la signification •, 1854 B Engler) et distinguait la signification du signifie : la phrase du C. L. G. 161 ( • Les verbes sctuuzen et urteilen presentent un ensemble de significations qui correspondent en gros a. celles des mots traneats esiimer et juger • : bonne reprise de 1888 B Engler), puisque pour Saussure un slgniflant ne peut avolr qu'un seul signifle, laisse entrevoir que, Saussure parlant d'un • ensemble de significations •, les • significations • d'un mot sont une chose dlflerente de son signi{ie. Une phrase qui laisse quelques doutes a. Burger (1834 B Engler: • Le signification slgne est double: b •), lequel pense que la distinction n'etalt peut-etre sy 11 a es pas encore eclalrcle pour Saussure lors du second cours, nous donne au contralre une confirmation ulterieure. Nous savons bien que Jes • syllabes • sont pour Saussure une reallte • phonologlque •, et non pas de langue, mats de parole ; et ce n'est done pas par hasard que Saussure parle de • significations • en rapport aux • syllabes • plutot que de , concepts , (terme qui dans le second cours n'avait pas encore ete rernplace par siqnifie : volr supra n. 128). SI blen que, comme Burger l'a bien vu, la • signification • est pour Saussure l'equlvalent de la NOTES 465 phonation (phonie de Prieto), c'est-a-dlre qu'elle est la realisation du ,lgnifU d'un signe faite au nlveeu de la parole, de l'executlon, La these de Burger a ete acceptee par Godel 1966.54-56, qui lntegre avec raison les considerations de Burger a celles de Bally 1940.194-195 et ecrt.t : • On volt qu'A. Burger, tout en sltuant, comme Bally, la signification dans le " discours ". en conceit tout autrement le rapport avec la valeur. II rejoint probablement la conception de Saussure lul-meme ; et sur ce point, Je lul rends volontiers les armes. Toutefois, l'Idee de Bally meriteralt d'~tre retenue: 11 est exact que, dans la parole, les signifies s'accordent a. la realite du moment, et II ya peutetre avantage a. appeler signification ce qui resulte de cet accord. .. On peut done reconnaltre une valeur a. chacun des elements qui appartlennent au systeme d'une langue, y compris les phonemes [non pas dans le sens saussurien du terme, blen snr, mals dans le sens modeme], l'accent, etc. La slgnlflcatlon en revanche est d'abord une proprtete de l'enonce. Ellene precede pas unlquement des valeun utlllsees pour la composition du message, e'est-a-dlre du slgnifie de phrase : elle depend eussi de la situation, des relations, des Interlocuteurs, de lelll'$ preoccupations communes. • Comme on le volt, develeppant Independamment de Prieto les idees saussuriennes lnterpretees par Burger, R. Godel reJoint les positions de la noologie de Prieto pour ce qui conceme le rapport signl/lcalion­ signifle. Du rote de !'analyse llngulstlque plus rafflnee. Saussure repond a une exigence soullgnee par les meilleurs logiclens : celle qui pousse a. dlstinguer entre a) la reference concrete, au moyen d'un slgne, a. un objet particulier, et b) la fa~on dont le slgne propose a notre representation subjective eel objet ou d'autrea possibles. Le slgne Venus a des references diflerentes selon qu'il renvoie a. l'etoUe luisante qui est en train de briller ou a. une Jeune fllle fasclnante qui passe dans la rue ; dans le premier cas ii peut avoir la meme reference qu'un autre signe, l'etoile du malin. Cependant l't!toile du mat in peut avolr des references que ne peut pas avoir Venus, et vice versa: ceci lmplique que Jes deux signes, en raison de leurs vlrtualltes referentlelles differentes, lorsqu'lls se trouvent avoir des ref6rences semblables, Jes proposent de tacons diflerentes, La distinction entre reference concrete et Iaeon de la faire est rendue par Saussure avec a) signifi­ cation (ou sens) et b) signi{ie. G. Frege, avant Saussure, l'avalt deja. bien vu. lul qui dans Ueber Sinn und Bedeulung, • Zeitschrift ftir Philosophic un philosophische Krltik • 100, 1892.25-50, p. 26 dlstlngue entre a) Bedeutung et b) Sinn, reprenant les problemes deja poses par Bolzano (cf. R. Egidl, Onlologia econ~ cenza matematica. Un saggio su G. Frege, Rome 1963, p, 213 et sv.), La clalre distinction de Saussure est malheureusement souvenl obscurcle par de mauvaisea traductions : alnsi C. Ogden, traduisant le Traclalus de Wittgenstein, rend Bede11­ lung par meaning au lieu de referring ou quelque chose d'approc:hant comme le propose avec raison G. E. M. Anscombe, Inirod. al Tractatus, Rome 1966, p. 13. Sur le lien entre valeur et systeme, cf. Ipsen 1930.15-16,Clkobava 1959.102-104, Christensen 1961.179-191, plus l'article deja signale de Bally 1940.193 et sv. (232) A propos de cette dernlere phrase, qui resume le point de vue de Saussure mais n'a pas de correspondant exact dans les sources manuscrites (1897 B Engler), Martinet 1955.47 note qu'elle n'lmplique pas que le champ de dispersion d'une entite Hnguistlque (Martinet se refere en particulier au phoneme) ne trouve ses limites que dans les autres entltes de la langue : la nonne de realisation est une autre limite. C'est-a.-dire que la langue n'est pas seulement !'ensemble des caracterlstiques differentielles des entltes (au nlveau des phon~ mes, pas seulement !'ensemble de ce qui est phonologiquement pertinent) comme l'a cru Troubeckoj, Principes, 1-15, mals qu'elle est !'ensemble de tout ce qui est arbltraire, done non seulement des complexes dlffenmtlels mais aussl, au nlveau des phonemes, des classes de variantes. Elle est en somme l'addltlon de la languoschema et de la langue comme norme de realisation de Hjelmslev (v. C. L G. :u n. 45). Voir pour des idws semblables Coseriu 1952 - 1962.90 et sv. 466 467 NOTES NOTES (233) Selon Malmberg 1954.11-17 ce paragraphe et en partlculler Jes pages 163-164 representent le meilleur passage du C. L. G. (234) Sur la notion de s zero •, outre Allen 1955 et Haas 1957.34, 41, 46, volr 380. Preoccupe par • la legion de fantasmes • suscitee par la theorle saussurlenne du signe zero (autres passages classiques: C. L. G.123-124, 191, 255), Godel 1953 souligne que le signe zero n'est pas )'absence de slgne, mats est un signe lmpllclte, e'est-a-dlre un signe dont le signlfie emerge des rapports memoriels et/ou dlscursifs (pour utiliser la terminologle de H. Frei) et dont le slgnlfiant n'admet pas de realisation phonique. Jakobson 1939.143-152 a cherche la contrepartle semantique du slgnlflant zero, c'est-a-dire le slgnlfle zero. Godel objecte qr sur le plan des signifies on ne peut avoir que des neutralisations (Godel 1953.31 ... 1). On peut cependant citer en faveur de la these de Jakobson des cas comme, par exemple, les phrases iteratives en dialecte romaln: un exemple relatlvement celebre en est le debut de la Scoperta de I' America de C. Pascarella ( • Ma che dlchl? Ma leva mano, leva I •), ou l'on pourralt douter que le lena reitere ait une quelconque signification. Mais on a des excmples comme: Si t'acchiappo, sitta, Ma l'hai sentito, /'hai? So' oenuto da casa, so; et dans ces cas Jes syllabes reiterees ont une fonction purement et simplement rythmique, sont des segments slgnlfiants a slgnlfie zero. (235) Autre passage essentiel pour eclalrer la notion de la langue comme forme pure, de la langue-schema de Hjelmslev : voir note 45. (236) On parle, dans Jes sources manuscrites du passage, d' • elements phonlques • ou • sonores •, non pas de • phonemes ,, terme introduit lei et ailleurs par Jes editeurs pour designer Jes unites fonctionnelles: voir n. 111. (237) Qu'on pense par exemple en italien a l'extreme latitude que l'on a, en falt de lieu d'articulation, pour les realisations du phoneme it}, de [la meme taeon qu'en franeais ; ou bien a la possihllite d'articuler comme une sourde ou comme une sonore le /j/ dens des mots comme piede, ehiaoe, etc. (238) Saussure reprend lei, en l'amplifiant, la mention du C. L. G. 45. Ont attire !'attention sur I'etude semlologique de I'ecriture Vachek 1939 et surtout, des 1943, Hjelmslev (Hjelmslev 1961.105, et biblio.). Cf., pour d'autres Indications bibllographiques sur ce theme, Lepschy 1965.28-29et note. (239) Pour Jes sources v. supra n. 224. (240) En rapport avec la redaction de ce passage, on observe que l'adjectlf pbonique manque dans Jes sources manuscrites. Saussure parle de • differences des signlfles » et • entre slgniflants ,, e'est-a-dire entre classes d'entltes ebstraltes: v. n. 111. (241) II s'agiralt selon Godel (S. M. 117) d'une Insertion des edlteurs depuls • dllferences conceptuelles , [usqu'a la fin de I'alinea ; 11 rappelle la phrase finale du C. L. G. 121, egalement ajoutee a son avls par Jes editeurs, En realite 19421943 B Engler (notes de Riedlinger) montre que la phrase • la preuve ..• une modification , a un correspondant precis dans les sources ou on lit : • Comme pour toute valeur dependant de facteurs sociaux ce n'est pas ce qui entre dans un slgne lingulstique qui peut donner une ldee de ce qu'est ce slgne. Tout cela n'est que la matiere utilisee ; la valeur peut varier sans que ces elements varient. , La presence de ce correspondant dans Jes sources rnanuscrites n'est pas lnteressante du seul point de vue philologlque ; II s'aglt d'un passage d'lrnportance theorlque : 11 lrnplique, in nuce, ce structuralisme dlachronlque que )'opinion commune reprochera a Saussure d'avoir neglige (v. C. L. G. 119 n. 176). (242) Le passage a une grande Importance theorlque. La comblnalson de slgnlflant et de slgnifle, e'est-a-dlre le slgne, est une realite positive ; c'est-a-dlre que le signe est une • enute concrete ,. Mais cet aspect concret est le resultat d'une operation complexe de systematisation en (el de liaison de) classes abstraltes des phonies et des slgnlftcatlons concretes. 11 subslste entre lea slgnes un rapport d'opposltlon que Saussure tend I\ concevolr comme different du rapport de dllTerence(Frei 1952, S. M. 196 et sv.). La dernlere phrase du passage(• c'est meme la seule espece... •)est un aJout des editeurs: 1949 B Engler. (243) C'est la le phenomena de l'lndlvlduallsatlon fonctlonnelle r~pondant a une exigenc.e generale d'economle par laquelle une partle des elements redondants dans une certalne phase llnguistlque sont tonctlcnnahses, prls comme distinctlts, dans une pha~e suivante. Au nlveau phonematlque, c'est le cas des phenomenas de phonematisatton des varlantes comblnatoires : ainsl en latln du v• slecle [tJJ et (k] etalent des varlantes comblnatolres (articulations en distribution complementalre, dont la premiere apparalssait toujours et seulement devant des voyelle~ palatal~s devant lesquelles n'apparalssalt Jama ls (k]) ; en I ta lien, apres des accidents dtachronlques varies (/kl/ et /kw/ latins donnant /k/ devant /i/ et /e/, coi:nme_dans c.hi, che, inchino ; galliclsmes, hlspanismes, arablsmes adaptes avec ero-, em-, chi­ ; refonte analogique des pluriels en -chi ; passage du latln /kjo/, /kja/ a /tJo/, /tJa/, etc.) l'articulatlon occlusive et l'artlculation aflrtquee ont flnl par pouvolr apparattre dans les memes contextes phonemattques, sl bien que se sont creees des paires mlnlmales(lkl/ et /tJi/, /'klmit Ji/et /'tJimitJi/, /bruka/ et /brutJa/, etc ... ), et la difference entre les deux articulations est devenue phonernatiquement pertinente. Au nlveau lexical, des phenomenes d'lndivldualisation fonctlonnelle se sont produits au cours de l'histolre lingulstique italienne recente, par exemple dans la dlfferenciation semantique de collura et cu/lura, la tronte et ii fronte, etc ... (cf. pour ces cas et pour d'autres De Mauro, Sloria linguislica dell' Italia unita cit., pages 31, 178, 260). Un cas classique d'individualisation fonctionnelle se trouve A l'orlgine du mot missa, « messe •, en latin posterleur au v• siecle : la formule finale du service religleux chretlen, lie, missa est, calqualt une formule grecque, 1ttµ1tt'!ott, • c'est envoye •, avec une reference sous-entendue a l'eucharistie qui a la fin de la messe etalt envoyee aux rnalades et aux absents du rite. L'habltude se perdit mals on conserva religieusement la formule qui ne fut plus comprise, et le missa du participe passe fut pris comme substantif. donnant lieu a un mot femlnln missa (cf. A. Pagliaro, Allri saggi di crilica semantica, Messine-Florence 1962, pages 129-182). La phrase suivante est un ajout des editeurs ( 1957 B Engler), pas entlerement lrnrnotive. (244) Selon Tesnlere 1939.174, la phonologie pragoise a son orlgine dans ce passage ; pour le problerne des rapports de celle-ci avec Saussure, volr supra 378 et v. C. L. G. 55 n.103, 56 n.105, 103 n.145, 119 n. 176. (245) lei aussl la langue est la forme pure, le, schema» de Hjelmslev: v. n. 45. (246) Les sources de ce paragraphe sont une lecon faite en janvier 1909 !ors du second cours (S. M. 72-73 notes 74 et 75) et deux Iecons des 27 et 30 juin 1911, durant le trnisleme cours (S. M. 89-90 notes 143-147). Dans le developpernent du chapitre, Saussure reprend les mentions (C. L. G. 26 et 29, et v. n. 56 au C. L. G. 26) de la capacite d' , articuler , la substance phonique et significativc, capacite qui est a la base du langage. Une telle « faculte d'assotiation et de coordination , se manifestc par la constitution de • groupes • de mots : or, specifie Saussure (1892 B Engler, qui n'est pas passe dans le texte des editeurs), nous cntendons par , groupe , aussi hien le • rapport , entre conlre, contra ire, renconlrer, etc., quc le " rapport , entre contre et marche dans contremarche. Ou encore (comme cela est precise dans la les;on du second cours : S. M. 72) nous avons dans le premier cas des , unites d'association •, ou • groupes au sens de families •, et dans le second cas des • unites discursives ,, ou • groupes au sens de syntagmes •. Jakobson 1967.8-9. 19-20 indique Kruszewski comme source de l'idee de double type de rapports. (247) Reprenant les termes du second cours (v. supra n. 246) Frei 1929.33 propose de deflnir comme , discursifs • Jes rapports syntagmatiques. II vaut la peine de noter que les editeurs trouvent dans les sources, sans l'utiliser, le terme 468 NOTES structure • pour denoter ce qu'lls appellent • chatne de la parole • (1986 B Engler): v. n. 259. (248) Frei 1929.33 propose de deflnlr comme , memorials • Jes rapports assoclatifs. L'usage a consacre le tenne paradigmalique, absent chez Saussure mats suggere par des passages dans lesquels Jes paradigmes flexionnels sont cites comme exemples typiques de rapports associatifs : cf. par exemple C. L. G. 174-175, 179, 188. Sur le lien entre rapports associatlfs et syntagmatiques, cf., entre autres, Vendryes 1933.176 (= 1952.30), Ombredane 1951.280, SpangHanssen 1954.101-103, Lepschy 1966, 46-48. (249) Volr supra n. 246. (250) Dans Jes sources manuscrites, Saussure, dans le doute sur ce point (v. infra n. 251), se contente d'une simple mention ( • locutions comme s'i! vous plalt • : 2014 B Engler). Les autres exemples sont des editeurs (qui semblent avolr pense a des syntagmes qui du point de vue semantlque representent des metaphores cristallisees et vldees de sens). Notons, dans le passage ajoute, I'usage peu rlgoureux de signification (v. n. 231). (251) C'est la un des polnts « ouverts • de la conception saussurienne, et 11 nous taut remercler les editeurs qui, dans ce cas, n'ont pas tente de dissimuler l'Incertitude de Saussure. Les raisons de cette Incertitude sont declarees avec une evidence suffisante. D'une part !es comblnaisons etendues de syntagmes sont sujettes a variations pour ce qui est de la place des elements constltutifs, variations dependant de choix individuels libres : done, lcs syntagmes d'une certalne etendue, et en particulier Jes phrases, en tant que sujettes au libre cholx individuel, semblent appartenir au domaine de la parole (C. L. G. 30 n. 63, 31 n. 67). D'autre part, non seulement Jes elements minimums (monemes) mais aussi Jes syntagmes comme cheval, le cheval, chevalin, ii est a cheval, etc., appartiennent a I'inventaire memoriel et semblent done appartenir a la latique, II y a aussi un fait plus subtil : meme si un syntagme donne peut etre lnconnu d'un lndividu, le • type , syntagmatique appartient a la langue: par exemple, merne sl on n'a jamals utilise le substantif chomskisation, ii appartient a la lanque en tant qu'il est realise scion uncertain • type , syntagmatique. Or, affinne Saussure,« dans la phrase ii en sera de meme , (2021 B Engler) : Jes modeles reguliers, !es types generaux de phrase appartiennent a la langue. En ce sens, tous Jes syntagmes possibles, y compris les phrases, semblent appartenir a la langue. Ence meme sens, par lequel Jes phrases appartlennent a la langue, deux autres donnees de fait que l'on trouve dans le C. L. G. et que conflnnent Jes sources manuscrites viennent temoigner : 1) in C. L. G. 31 ( = 258 ABC E Engler) on affinne, pour utiliser I'expresslon notee par Constantin. que • quand nous avons devant nous une langue morte, son organisme est la bien que personne ne la parle , : or ii est clair qu'une langue morte se presente a nous a travers des phrases qui apparaissent done comme autre chose que de la parole ; 2) in C. L. G. 38 ( = 258 Engler) on affinne que la parole comprend !es • combinaisons individuelles, dependant de la volonte de ceux qui parlent s , et Jes sources cornpletent • combinaisons individuelles, p h r a s e s, dependant de la volonte de l'individu et repondant a sa pensee individuelle , (258 E Engler) : ou encore, Jes phrases et les syntagmes appartiennent a la parole dans la mesure ou elles dependent de la volonte lndividuelle et, done, n'appartiennent pas a la parole dans toute leur realite. Les oscillations de la pensee de Saussure sur ce point sont attentivement analysees in S. M. 168-179. Comme deja Wells 1947 § 19, Godel est tente de completer la pensee de Saussure en saisissant pour alnsi dire sa direction fondamentale d'evolution. Celle-ci coincide sans doute plus avec la seconde des deux solutions qu'avec la premiere : la solution selon laquelle to u s Jes syntagmes, phrases comprises, appartiennent a la langue • en puissance •. Godel (S. M. 178179) cite I' • observation profonde, faite au sujet de la creation analogique •, c'est-a-dire une affirmation du prernler cours : , Ainsl le mot indecorable existe NOTES 469 en pulssance dans la langue, et sa realisation est un fall lnslgnlflant en comparalson de la posslbillte qui exlste de sa formation • (Godel a ulterieurement perfectlonne sa these Interpretative et theorique : Godel 1970; dans le meme sens, R. Amacker est tres Important, La sintagmatica di Henri Frei, In La sin- tassi. Atli del 111 COllvtgno inlernazionale di studi de/la Soeieta di Linguistica iia­ liana (Rome 11­18 mag. 1969), Rome 1970 pages 45-111). Saussure tend a appllquer ce meme point de vue • profond • a tous !es syntagmes : • Nous parlons unlquement par syntagmes, et le mecanlsme probable est que nous avons ces types de syntagmes dans la tete • (2073 B Engler). (L'applicatlon est synchronlque et non pas dlachronlque comme l'affirme Lyons 1963.31-32, qui saislt d'allleurs blen le lien avec Chomsky.) En effet, ce n'est pas par hasard que nous dlsons • les phrases d'une langue • : les phrases appartiennent a la langue tout autant que leurs elements composants. Le fall qu'on y trouve, alnsl que plus generalement dans Jes syntagmes d'une certalne etendue, une certalne liberte de disposition ne dolt pas nous empscher de les admettre dans la langue : de la meme tacon qu'au nlveau des monemes on peut trouver des choix entre deux sequences phonematlquement diflerentes mais monematiquernent equlvalentes (allomorphes), par exemple dans les palres italiennes devo/debbo, trattra, etc. ou en Iraneals je peuxl]e puis, etc., on peut trouver au nlveau des syntagmes des cholx entre deux sequences monemattquement dlfferentes mais syntagmatiquement equlvalentes. Alnsl, en supposant que Jes deux phrases sulvantes sont reellement equlvalentes du point de vue du slgnlfle (ee qui seralt prouve sl toutes les significations possibles de l'une etalent celles de l'autre et vice versa), l [ratelli e le sore/le sono arrivati, sono arrivali i [raielli e le sorelle, nous aurlons deux phrases en rapport allosyntagmatique. L'exploratlon de la theorie de phrase en tant que fall de langue n'en est qu'a ses debuts pour ce qui conceme le plan du contenu, avec Jes etudes lndependantes de Tesnlere, Prieto et Chomsky. Pour ce qui conceme le plan de )'expression, elle a ete developpee aux U. S. A. par Jes postbloomfieldiens : cf. par exemple Hockett, A Course clt., p. 199 et sv., 307 et sv. n est probable que l'appllcatlon de ees eludes a des langues partlculleres reservera quelques surprises, en ce sens que meme dans des langues comme l'ltalien, qui jouiralent selon la communis opinio d'une grande Iiberte syntagmatlque au nlveau des phrases, le nombre de phrases reellement allosyntagmatiques (ou vralment equivalentes du point de vue du algnlfle, au sens precise ei-dessus) se revelera beaucoup molns important que ce que t'on pourralt attendre. (252) Volr n. 246. (253) Sur Jes rapports assoclatlfs rnemoriels cf. Frei 1942, Bresson 1963.27. L'ldee de champs assoclatlfs s'est revelee fructueuse en semantlque pour une approche structurale du lexlque: Weisgerber 1927, 1928, Bally 1940, WartburgUllmann 1962.156, Lyons 1963.37 et sv. La thcorle freudienne des lapsus linguae peut itre conslderee comme une conflnnatlon clinlque de l'hypothese llnguistique de Saussure (cf. par exemple S. Freud, Psychopathologie de la oie quotidienne, Paris, Payot, p. 5 et sulv.). Apres les etudes de Jung sur Jes associations verbales (C. G. Jung, Studies in Word­Asso­ cialions, trad. anglalse, Londres 1918) conslderees non plus dans une perspective patbologlque mais comme falls physlologlques et nonnaux, une foule d'etudes psychologlques de la plus grande importance pour Jes lingulstes s'est accumulee en ce sens (cf. Miller Langage el communication cit., chap. IX, p. 236-251), conflnnant ad abundanliam )'Intuition fondamentale que Saussure avail heritee de Krus:z:ewskl. Godel 1953.49 rappelle que la serle d'assoclatlons fondees sur de simples rencontres phonematiques (enselgnement­clt!ment­juslement .•. ) est, dans le graphlque de la page t 75, un ajout des editeun ; cecl n'est pas entlerement exact : m~me 111 Jes exemples sont des edlteun, l'ldee fondamentale est de Saussure 470 471 NOTES NOTES qui, comme le montrent les sources, affirmall : • ll pourra y avolr association simplement au nom du slgnlfle : enseiqnement, instruction, apprenlissage, edu­ cation, etc. et d'autres encore. On peut avoir simple communaute d'lmages audltives : blau (bleu), durchblduen etc. • (2026 B Engler). L'exemple blaudurchblduen a ete utilise par !es editeurs dans la note a la page 174 et a la page 238, (254) La these de Saussure a ete contredlte par Jakobson pour qui le nomlnatlf, etant le cas zero, serait le premier dans !es paradigmes flexionnels (Jakob· son 1966.49). (255) Le paragraphe a des sources multiples : une lecon du premier cours sur la dependance de la valeur d'un element du contexte syntagmatique (S. M. 59, n. 27); deux lecons du second cours (11 et 14 Janvier 1909) sur le lien, dans le • mecanlsme d'un etat de langue •, entre !es rapports syntagmatiques (ou discursives) et assoclatifs (ou inluitioes) (S. M. 72-73 notes 74 et 76); une leeon du troislerne cours sur Jes syntagmes deja utillsee In c. L. G. 170-173 (S. M. 89 n.143). (256) Le premier et le deuxleme allneas sont une couture typlque creee par Jes edlteurs avec des elements en partle batards (•differences phoniques et conceptuelles • est l'habltuelle expression aussl chere aux edtteurs qu'etrangere a Saussure : S. M. 113 et v. n. 131), en partie d'origine saussurlenne plus certalne : telle est par exemple la locution s solldarttes syntagmatiques •(et• assoclatlves •) pour laquelle cf. 2105 B Engler. (257) La dernlere phrase de I'allnea est un ajout des edlteurs (2053 B Engler et S. M. 117), tonde sur une curleuse equlvoque. Saussure dlt de tacon tres expli• + c 1 te qu un syntagme roulis est analyse comme roul x Is, et precise : • + parce que, comme toujours, II y a succession, x parce que roulis est un prodult dont roul· et -Is sont Jes facteurs • (2052 B Engler). Sur cette base, Jes editeurs pretent Saussure une autre Idee, a savoir que la valeur du syntagme depend non seulement de la somme et du produit de ses composants, mais aussl du rapport entre la totalite somme-produit et !es composants. L'equivoque revient in C. L. G. 182 alinea 2 : • dix-neui est solidalre ... syntagmatiquement de ses elements diz et neu/ •. Notons en outre que l'incipil de l'alinea sulvant (• C'est la un prlnclpe gene· ral. .. •) comme les trois premieres phrases de I'allnea d'apres sont des ajouts relatlvement gratuits des editeurs. En partlculier. dans le dernier alinea du paragraphe, !'objection presumee (phrases monoremes ct monomonematiques comme oui, non, deja) a peu de sens : de la merne Iacon que nous disons que !es rnonemes sont composes de phonemes merne s'il y a des monernes rnonophonematiques, nous pouvons dire que les syntagmes sont composes de monemes, meme s'il ya des phrases monomonematiques. (258) Les sources du paragraphe sont deux lecons du second cours (S. M. 72· 73, notes 75-76). (259) Nous trouvons dans le demler alinea du paragraphe une des nombreuses occurrences saussuriennement lndues de phoneme et de elements phonologiques; dans ce cas, malgre le caractere lndu de l'Insertion, ii est clair qu'un passage de ce genre n'a pas peu stirnule l'elaboration de Ia theorie de la commutation des phonemes (voir n. 131). La source manuscrite (2079 B Engler) parle simplement d'element. Un peu plus loin apparatt le terme structure qui, pour ce passage precls, n'est pas dans la source manuscrite (2086 Engler) mals qui est cependant certalnernent adopte par Saussure, en ce sens. dans d'autres passages: voir n. 247 et C. L. G. 244 (2696 B_ Engler) et 256 (2807 B Engler). Le terme est done certalnement sau~surlen : 11 est inexact de dire que Saussure n'a jamais adopte structure (Benvemste 1962 = 1966.92, mais Benveniste est dans le vral lorsqu'il dlt que Saussure, pour denoter le systeme, n'adopte pas structure mats bien systtme : voir infra) ou qu'il ne l'ado~tera que pour le refuser (Mounin 1966.24) : en reallte, comme cela est plus evident dans les sources manuscrites que dans le c. L. G. 24.4, Saussure a plutot des doutes pour construction, non pas pour structure. D autre part, K_ukenh~im se fourvoie totalement Jorsqu'il ecrit de Saussure : • Ce que le deuxieme tiers du xxe siecle reliendra surtout de sa theorie c'est le mot magique de structure • (Kukenheim 1962.94). Dans le deuxieme tiers du xx- siecle, stru.rtuN a ete adopte de Iacons tres diverses et dans des proportions beaucoup plus importantes que l'emploi modere de Saussure, qui n'utilise pas ce terme comme un de ses mots-clef (cf. Benveniste cite). Enfin, ii faut remarquer que dans tous Jes passages des manuscrits ou du C. L. G. da_ns lesquels. apparalt structure, le mot designe toujours le regroupernent sY?tagmat1que, lineaire : c'est-a-dire qu'il est employ,' dans l'acception • amerlcame • plutot que dans l'acception du structuralisme europeen. (260) Les sources du paragraphe sont deux lecons du troisieme cours en mai 1911 (S. M. 84 n. 121). (2_61) Dans Jes sou.rces manuscrites (2100 B Engler) l'exemple que l'on lit est celui de se­ en Irancais (separer, seduire, selection) dont Saussure se demande • quel point ii existe , comme , preflxe connu ». (262) Sur_l'arbilraire relative cf. Bally 1940, Catalan Menendez Pidal 1955.18, Zawad~ws~1 1 ~58, Wartburg-Ullmann 1962.129, Antal 1963.81, Jaberg 1965.146. Autres indications dans Ullmann 1959.86 et sv. ~263) Les considerations de la derniere phrase de l'alinea sont de la main des editeurs (~112: 2114 B Engler et S. :\1. 117-118). Mais toutle reste du paragraphe tracant sr clairernent une vision historicisante de la dynamique linguistique' reflete Jes notes manuscrites des lecons, ' (264~ ~-a recherche sur les langues lexicologiques et grammaticales a ete po~rsm".1e av~c succes : la comparaison entre I'allemand, grammatical, et le Iranears, Iexlcologique, a ete reprise par Bally, Ling. gen. cit. p. 341-345; w. von Wartburg: La posizion~ de/la lingua ilaliana, Florence 1940, p. 93 et sv. compare au c?n.tra1_re le Irancais, plus lexicologique, et l'italien, plus grammatical. Les considerations de Saussure cl la notion d'economie linguistique elaboree sur Jes traces de Sauss_ure par Martinet four~issent un cadre theorique plus precis a des Hudes typologlques respectant Jes taus et les methodes objectives de Ia linguistique scienli fique. (265) Les sources du paragraphe sont deux leeons distinctes du deuxleme cours : S. M. 72 (n. 73) et 73-74 (n. 80). (266) Pour la reserve sur !'utilisation d'hislorique en relation avec grammaire v. C. L. G. 20 n. 41, 116. (267) Les sources du paragraphe sont difTerentes le~ons du second cours : S. M. 72 (n. 73) et 73 (n. 76-78). Du point de vue de la methode des eludes syntaxiques, les considerations de Saussure ont la plus grande valeur : reprises ega_lemenl dans le chapitre suivant et dans le C. L. G. 248, elles frappent a Ia r~c1~e les methodes conlenuistes dominant largement la syntaxe tradilionnelle, ams1 que la synlaxe dite historique. L'exigence de partir, dans toule analyse syntax1que, de la reconnaissance de classes d'indices individualisables sur le plan de la. forme de !'expression a ete reaffirmee, par exemple, par H. SpangHanssen, m Acles du VI• congres international de linguislique, Paris, 1949, p. 379-391, a la page 390, et J. Whatmough, Language. A 1\,fodern Synthesis, ~ondr~s 1956: p. 390. Cf. De Mauro. Frequenza e funzione dell'accusalivo in greco, cit. Vo1r auss1 n. 219. (268) Le source est une le9on du troisieme cours : S. :vi. 83-84 (n. 120). Dans la le~on, l'on voit combien Saussure est embarrasse de devoir employer le terme abstrail pour designer des processus et des schemas ellectivement pr~sents au Jocuteur : voir note 70. . (269) Dans ce chapitre de suture typique, les editeurs utilisent des sources disparates : une le"on du premier cours (S. M. 61 n. 32), deux lerons, relative- a a 472 473 NOTES NOTES ment eloignees, du second cours (S. M. 70, n. 67, et 74 n. 83), une lecon du trolsierne cours (S. M. 78, l 00). Dans Jes chapitres suivants de cette partle les edlteurs ont utilise, en Jes distribuant de Iacon varlee, les lecons du premier cours suivant I' Introduction et les B Engler). II a ete heureusement introduit par les edlteurs pour denoter I'equilibre entre Jes diflerentes tendances agissant sur la langue : ii a ete repris dans cette acception par A . .Martinet 1955 qui en a fait un terme-clet de la conception structurale modeme de la realite linguistique. (283) Pour Jes sources, voir n. 269. 11 y a sur l'etymologte populaire une tres vaste lttterature pour laquelle cf. Ullmann 1959.91. Pour Jes polerniques anti-saussuriennes de Iordan, Wartburg et Ullmann, v. infra n. 286. Cf. en outre J. Orr, L'elymologie popuiaire, • Rev. ling. rom. • 18, 1954.129-142 et J, Vendryes, Pour une etymologie stalique, B. S. L. 49: I, 1953.1-19. Th. Hristea, Tipuri de elimologie populara, • Limba RomAnli. •, 16, 1967.237-251 reprend la classification de Saussure. (284) Les examens universitaires (ce qui donnerait raison a la these de !'aspect pathologique de la Volksetymologie) sont une assez bonne source d'~tymologies populaires difficiles a remarquer par un professeur peu attentlf : bien des etudiants en philologie classique sont persuades que la distraction hornerique est ainsi dite a cause de )'absence d'attention netaste du poete grec (quandoque bonus ... ) ; beaucoup pensent que le signifiant est la personne qui dit quelque chose, etc. (285) Autre exemple d'etymologie populaire: en ltalien, doppiare (• doubler • un film) emprunte a !'argot to dub et rattache a doppio (v dcuble s), en franeals ouvrabie rattache a ouurir (en fail, ceuvrer = • travailler •). (286) Dans I'edition de 1916 ce passage (2670 A Engler) donnait: • L'etymologie populaire est un phenomene pathologique; elle n'agit done etc. •; Jes mots de est a elle furent supprimes a partir de I'editlon de 1922, sans doute en hommage aux tendances linguistiques de l'epoque, qui tendaient a concevoir la langue comme un tissu d'onomatopees, d'interjections, de mots • alTectifs •, d'etymologies populaires, etc. Mais la reelle pensee saussurienne est precisement celle que Jes editeurs ont corrigee et censuree : • II ya IA [dans l'etymologie populalreJ quelque chose qui peut passer pour vicleux, pour pathologique, quoique ce soit une application extremement partlculiere de l'analogie • (2670 B Engler). Cf. lordan-Orr 1937.173 n. 1 = lordan-Bahner 1962.204 n. 1. Wartburg-Ulhnann 1962.125 combattent !'opinion de Saussure. (287) Pour les sources voir n. 269. Sur l'agglulination cf. Fr~! 1929.109. A noter page 244 la discussion sur le tenne structure, pour lequel voir n. 259. (288) Ce chapitre, de grande importance pour l'origine de la problt\matlque saussurlenne (voir notes 216 et 217), est un centon de dlfterentes lecons du second cours (S. M. 110, notes 60, 64, 69, 71) parmi lesquelles emerge la lecon sur la • question des tdentites • (S. M. 60) que Jes editeurs ont coupee en deux, releguant lei la question de l'Identite diachronique et laissant au C. L. G. 150 l'autre question fondamentale de l'Identite synchronique (S. M. 119) L'analyse de l' • etat • du grec primitif est essentielle pour. ill~strer ~a. conception saussurienne de la diachronie prospective : un ordre particulier, lnltlalement tndifierent du a des causes accidentelles. est a l'origine d'une reorganisation complexe du systeme syntagmatique et morphosyntaxique du grec cla~s)que au tenne de Jaquelle se trouve la disparition de la v_aleur autonome du ~emt~f. 11 faut encore une fois remarquer que I'antiteleologtsme de Saussure n 1mph~ue pas tout a fait la negation d'une vision organique des phenomei:es evolu~1fs ; n tmplique seulement Ia contestation rigoureuse de toute conception mystique des changements. Voir n. 176. , .. (289) Le titre de cette section du texte est, a part.Ir de I edition. de 1916. et dans toutes Jes editions suivantes, Appendices aux troisieme el quairieme parties. II s'agit en realite d'appendices aux s e co n d e et t r o l s .1 em e parties : mats Ia seconde et la troisieme partie avalent ete dam; un premier temps pensees comme trolsieme et quatrieme parties par les editeurs qui imaginaient de faire des chapltres sur l'ecriture et la phonologie (C. L. G. 44-95) une premiere partle, selon d'ailleurs le schema du premier cours (S. M. 54). A un certain moment, Principes de phonologie (S. M. 55-63, n. 9, 11-18, 25, 26, 28, 31, 32, 35-39). Dans le plan ullime de Saussure I'analyse des phenornenes historico-evolutlfs devait non pas suivre mais preceder la presentation de la /angue (voir supra notes 12, 65). Indubitablement, si les editeurs avaient suivi cette vole, les troislerne, quatrieme et cinquleme parties du C. L. G. auraient ete conslderees avec plus d'attention, et la vision historlcisanle de la Iangue elaboree par Saussure aurait apparu plus clairement au lecleur. Au contraire, non seulement ces considerations n'ont pas eu lieu, mais en outre des savants d'ordinaire perspicaces en sont venus a penser et a a firmer que la seconde mottle du C. L. G. n'avait pas d'importance ou de nouveaute particuliere : cf. Jaberg 1937.136 et A. Varvaro, Storia, prob/emi e melodi de/la linquisiica romanza, Naples 1966, p, 212). (270) Voir note 269. Au debut du premier paragraphe on lit dans Jes sources manuscrites, comme d'habitude, element, et, comme d'habitude, les editeurs, contre )'Intention de Saussure, onl introduit le terme piioneme : voir n. 131. Toute la premiere phrase du second paragraphe est des editeurs. (271) Nous pouvons Interpreter !es changernents , spontanes • comme des processus de phonematlsatlon de variantes libres et !es changements • comblnatoires • comme des processus de phonematlsation de variantes comblnatoires. (272) Le texte de I'editlon de 1916 est « ne l'est que dans ... • (2281 A Engler): a parlir de l'edition de 1922 apparalt ici une erreur d'impression (• ne l'est pas dans ... •) qui altere completement le sens de la phrase, la rendant erronee, (273) Wartburg-Ullmann 41 reprochera a Saussure cette phrase: volr note 86. (274) On ne parle pas, dans les sources manuscrites, de siqne, mais plus correctement de symbole ptioneiique (S. M. 112 n. 34). (275) Sur le caractere • aveugle , de l'evolutlon phonetlque selon Saussure et sur la polernique a ce propos voir note 176. (276) Volr note 269. (277) Comme on l'a falt observer (Herman 1931) btzan n'est pas gennanlque occidental en general, mals speciflquement Hochdeutsch : dans ce cas encore l'erreur n'est pas de Saussure car. dans !es sources manuscrites (2366 B Engler), on ne nomme pas la langue a laquelle appartiennent les vocables en question. Dans le passage du latln a l'italien on a aussi (rnals beaucoup plus rarement, etant donne le caractere conservateur du systerne phonematique toscan) des cas de rupture du lien grammatical dans des mots de tradition directe : alnsl domus et domestieus donnent duomo et domestico (avec Intervention d'une evolution dlvcrgente des signifies), ductia et (aquae) ductus donnent doccia et acquedollo. (278) La fonnule • dilTerencesphonlques • est, comme d'habltude, etrangere aux manuscrits (v. n. 131). (279) Pour !es sources, volr n. 269. (280) Sur la conception saussurienne de l'analogle cf. Frei 1929.27, Delacroix 1930.265, Wartburg-Ullmann 1962.60. En outre voir supra n. 251 pour le rOle que joue l'analogie dans la formation des syntagrnes : rOle essentlel sl l'on tlent compte du falt que pour Saussure Jes syntagmes sont non seulement les «mots s, mals aussl les phrases, sl bien que l'analogle est source de la creattvlte de la Iangue, la vole a travers laquelle la langue genere !'ensemble theoriquement lnflnl des phrases. Saussure lntitule avec raison les lecons sur ee theme : Analogie, princlpe general des creations de la langue (S. M. 57), titre utilise par Jes editeurs pour le trolslerne paragraphe de ee chapltre : infra 226. (281) Volr note 176. (282) Le tenne econom(e ne semble pas se trouver dans les manuscrits (2570 474 NOTES probablement en liaison avec toute l'archltecture donnee au materiel saussurien (volr n. 65), les pages sur I'ecrlture et la phonologie ont ete englobees dans l' Introduction, et la troisieme (synchronlc) et quatrierne (diachronic) parties sont devenues seconde et troisieme, mats les editeurs ont negtige de corriger le titre des appendices (cf. S. M. 100). Pour ce qui concerne les sources manuscrites, les trols appendices utilisent des leeons du premier cours (S. M. 110). (290) Pour les sources, volr n. 7. Selon Mahdel (infra) Saussure (c'est-a-dlre, en reallte, Jes editeurs) relegue en appendice le discours sur l'etymologie parce que ce sectcur de recherche n'a pas son autonomic. Sur le statut methodologique general de cette branche lmportante de la recherche linguistlque, cf. Y. Malklel, Etymology and General Linguistics, in Linguistic Essays on the Occasion of the Ninth Inter. Congr. of Linguists, W 18, 1962.198-219. Malklel rejette en outre egalement la proposition de Vendryes, Pour une etymologie slal. cit. (v. n. 283). (291) Dans la conception finale qu'eut Saussure de l'ordre a donner aux theoremes de sa llngulstique, les pages sur • les langues • devalent !tre les premieres: du point de vue pedagoglque, le lecteur profane (et nous savons combien cecl comptalt pour Saussure pour qui la linguistique ne devait pas rester le domaine prive de ces specialistes que, d'ailleurs, ii estlmait tres peu : C. L G. 21-22) et surtout l'etudiant en lingulstlque (et Saussure rut toujours sensible aux aspects dldactlques : supra 336, 343-345, 354) auralent alnsl avant tout eu affalre a l'accidentalite hlstorique qui domine la vie des langues. Partant de ce point de vue, Saussure ouvre done son trolsieme et dernler cours par les leeons sur la pluralite des formes de langue, sur I'entrelacernent et le brolement des idlomcs dans l'espace et dans le temps, sur leur mutation (e pas de caracteres permanents • : S. M. 81), sur leurs rapports avec !es accidents historiques externes, etc. (S. M. 77-81, n. 97-110). Partant de cette vision de l'aspect historique concret, le lecteur et I'etudiant auraient ensuite ete conduits a prendre conscience d'une dimension generale des phenomenes linguistiques, et le discours serait passe des • langues • a la • langue • (v. supra 354). Cette organisation de la matit'!re a He bouleversee par Jes edlteurs pour des raisons et de Iacon deja examinees (v. n. 65). Et, comme ultime resultat de ce bouleversement, la matiere qui devalt ouvrir le L. G. a ecnoue dens les deux dernleres parties. Pour les constantes pnonlques et psychlques auxquelles falt allusion le dernler alinea, v. n. 42. (292) Volr n. 291. (293) Volr n. 291. Pour un commentaire du chapltre, cf. Amman 1934.273-276. (294) Les atlas llnguistiques se sont ensuite multiplies. Pour une introduction detaillee a la , verdadera montaiia de estudios de geogratia lingulstica • (A. Alonso) cf. S. Pop, La dialectoloqie, 2 vol., Louvaln 1950. Cf. aussl Vidos 1959. 44-90 ; Malmberg 1966.82-107 ; C. Grassl prepare actuellement une nouvelle synthese d'introduction a cette matiere. L'enquete sur Jes patois romands a laquelle se ref ere Saussure page 277 est le Glossaire des patois de la Suisse romonde, redlge par L. Gauchat, J. Jeanjaquet, E. Tappolet, E. Murel, P. Aebischer, 0. Keller et autres, d'abord dirige par Gauchat, puls par K. Jaberg. La recolte des materiaux commenca en 1899. (295) Pour Jes sources volr note 291. Pour le rapport dynamique entre • force d'lntercourse • et • esprit de clocher • cf. Frei 1929.292. · Sur le problerne du rapport entre changement phonetlque et emprunts cf. Jakobson 1962.239. A la fin du premier paragraphe, • emprunt de phoneme • represente sunplement • emprunt • des sources manuscrites: volr C. LG. 63 n.111. c. NOTES 475 (296l Le travail de J. Schmidt est de 1872, non pas de 1877, date repHee plus loin, 3058, 3059 B Engler. (297) Les edite~rs reutllisent ici des Iecons du second cours (S. M. 74 n. 8!) et du premier cours (S. M. 63, n. 41) deja utilisees. Toute la cinquiem; partte est le collecteur des morceaux non utilises ailleurs : voir n. 291. Jes deux perspectives, v. C. L. G.119 et notes 176, 128, et cf. Ullmann 1959. 38~ur (298) L_e !i~re est d_es editeu~s ; on lisait dans la premiere edition • et la langue primitive '.• qui fut ensuite corrlgee en • prototype • (3108 Engler). , ~es _pages pro':'1en~e~t des Iecons du second cours (S. M. 75) consacrees a I histolre la linguisttqua de Bopp aux neo-grammairiens, pages resumees par Jes editeurs dans le premier chapitre de !'introduction (C. L. G. 13-19) (299) Sur Pictet, voir supra 322-323 et C. L. G. 306-307. ' (30~) La source est. fournie par le groupe de lecons du premier cours sur La mel~ode re.construe/we et so valeur (S. M. 64-65) : Saussure y annonce pour la premier~ lots le theme de la langue comme forme pure (voir n. 45): • La veritable maniere de se representer Jes elements phoniques d'une Jangue ce n'est pas de Jes considerer comme des sons ayant une valeur absolue mais ave une :valeur purement oppositive, relative, negative ... La langue ne d~mande qu~ la d1_£Terence ... Dans cette constatation ii faudrait aller beaucoup plus loin et considerer toute valeur de la langue comme oppositive, et non comme positi absolue • (S . .M. 65). ve, Nous no~s trouvons devant des considerations • anciennes , : sans doute I~ P r ~ m I e r noya_u de reflexions theoriques de Saussure, nees en marge de I experience du ,Wt!moire, sous la pression de Ia polemique avec Osthoff, au contact a~ec }a recher_che Kruszewski _et Baudouin (328-330, 339-3-tO), dans Je but d obhger Jes Ilnguistes comparahstes a , comprendre ce qu'ils font •. (301). Dans !es sources manuscrites, Jes , fa its , sont en realite • deux 1 • le premier et le second. Le_ troisieme e~t ajoute comme troisieme fail par Jes edi~ teurs (S, M. 119), alors qu'Il est en realite plutot la condition generate du premier et du second. (302) Dans tout le _chapit~e les editenrs rnelangent la lecon du second cours s~r !es erre~rs de la Iinguistique postboppienne (voir supra n. 298) et la leeon ~ 11:troduct1on au • tableau • des families linguistiques dans laquelle Saussure ms1~te ~ur s~ th~se. fondamentale de l'aspcct historique accidentel des syste'!1all_sations Iinguistiques : • II n'y a pas de caracteres permanents, soustraits a I action du temps • (S. M. 80). Sur langue et race chez Saussure, cf. Amman Hl34.276-277. Page 309 ligne. 4 • beau-Irere - mari de Ia sceur , est une erreur presente dans Jes manuscrtts, pour , beau-Irere -- Irere du mari , ( = grec Scx~p) : cf. S. M. 121. , (3~3) ~ur ce t~~me chez Saussure, cf. Amman 1934.277-280 et Ullman 1953. L.obJe~t1f des critiques de Saussure est constitue par la pretention de tirer des deductions sur les ca_ra.ctcr_istiques de _I'• esprit , ou du • genie , d'un peuple en p_ar~ant d~ la cnnsideration des Ialts phonomorphologiques. Mais cela ne sigulfle p_omt que la linguistique doive ignorer que, parce que radicalement liee aux co~tmgences h1storiques, une langue ne vit qu'en rapport avec une societe determmee, plongee dans le ?e"_enir historique, selon la these du c. L. G. 104113. ~a rec?nn?1ssance du prmc1pe de l'arbitrairc, dans la mesure oil elle exclut que I orgamsat1on du parler humain reproduise sur le plan de !'expression et sur I~ plan du contenu des structures phonico-acoustiques ou psychologico-ontolog1ques • n?tu!elles •, p.re-co~stituees, implique que tout dans la langue, signi~a~ts et s1gm fies, _ne s appu1e que sur le consensus social. Cela ne trouve une hm1te et un_e ~on~1L1on que dans la necessite de garantir et de perpetuer dans le temps Jes ,d1s~mct1ons operee~ s_ur le plan de~ signifiants et des signifies, en respectant I exigence de creat1v1te, c est-a-dire la possibilite de produire un ?e ?e 476 NOTES ensemble lnflnl de nouveaux slgnes grAce au mecanisrne de l'enelogle. Une telle vision de la fonctionnalite de Ia langue, de son essence vitale et de sa vie effective, impose I\ Ia Jingulstique d'organiser sa recherche en lien evec d'une part le theorie generale des signes et de I'autre Jes recherches soclo-psychologiques, selon Ia classification esquissee dans le C. L. G. 32-35. Cependant ii n'y a pas de phenomena qui, qualiflable de linguistlque au niveau du langage commun, puisse etre exclu de !'horizon de recherche de Ia lingulstlque purement saussurienne ; toute sorte de faits lingulstiques est matiere de la discipline (C. L. G. 20-22 40-43), dans la mesure precisement oil Jul lncombe la Uche de rechercher Ia • norme de t o u t e & les eutres manifestations du langage • (C. L. G. 25), c'est-a-dire la Jangue, qui est forme du parler. Pour ce type d'interpretation, voir notes 40, 51, 56, 65, 83, 129, 137, 138, 150, 167, 176, 204, 225, 226, 227, 231. (304) Ce demler chapltre est egalement eonstrult evec des morceaux de Iecons disparates du troisieme cours (S. M. 80-81, n. 105, 106, 109). (305) Comme l'a revele le premier R. Godel (S. M. 119 et 181), le demler alinea du C. L. G. est la • conclusion des editeurs • : eutrement dit, rien dans les sources manuscrites ne montre que Saussure alt prononce cette celebre phrase, et evidemment encore moins qu'elle represente • I'ldee fondamentale • de son enseignement. Selon Jaberg 1937.128-130 l'autonomle de la lingulstlque dans la conception saussurienne repose sur cette dernlere phrase. II reste pourtant dans )'affirmation de Jaberg une marge d'equlvoque qui pourralt A notre avls la rendre acceptable. Une expression non equlvoque de cette mecomprehenslon du sens d'objet et de toute la proposition finale se trouve dans un morceau comme celui de Leroy : • II ya enfln !'affirmation qui cl~t le Cours et qui en exprime le sue : • la Jingulstlque a pour unique et veritable objet la langue envisages en elle-meme et pour elle-meme •. Ce qui, en conclusion de cette longue meditation qu'est le Cours de linquistique generale, est deflm comme lingulstique par excellence est la meme chose que ce qu'a l'epoque preeedente on appelait linguistique lnteme par opposition I\ lingulstlque externe ... L'attention prioritalre accordee au systerne lul faisalt considerer comme secondaires les phenornenes extemes • (Leroy 1965.90-91). Si tout ceci est, comme nous allons le voir, discutable du point de vue de I'lnterpretatlon correcte de la pensee de Saussure, Leroy a pleinement raison lorsqu'Il souligne • la fonctlon de programme que cette phrase ... a eue dans le developpement des doctrines llngulstiques des dernieres quarante annees • (p. 91) : ii est blen vral qu'une bonne partle de la llnguistiqne d'inspiratlon structuraliste a cru que respecter Saussure voulait dire Ignorer les desequilibres du systeme, la dynamlque synchronlque, les conditionnements soclaux, les phenomenas evolutits, le lien entre ces dernlers et les ditlerentes contingences historiques, tout le flot de phenomenes lingulstiques dont et gr Ac c aux q u e Is la langue est forme. L'ajout de la dernlere phrase est le sceau d'une manipulation edltortate des notes saussuriennes qui porte en partie la responsabilite de !'attitude exclusiviste du structuralisme, speclalement dans les courants postbloomfleldiens des U.S. A. Les edlteurs, pour ecrire cette phrase, n'ont certalnement pas cree e nihilo : Godel avail deja souligne le fail qu'Ils ont cru ecrire quelque chose de conforme au pnncipe du C. L. G. 25 : • ii taut se placer de prime abord sur le terrain de la langue et Ia prendre pour norme de toutes les autres manifestations du Iangage ,. Mais Saussure, comme on I'a plusieurs fols releve (supra note 303), n'entendalt pas du tout decreter par la une attitude excluslvlste. La langue est norme et forme d'une matiere extremernent heterogene et composite qui rentre toute (C. L. G. 2~22) dans le domalne legttime de l'etude llngulstique. La langue est done l'objet speclflque de Ia linguistique non pas au sens vulgaire de • Gegenstand • (Lommel), de • chose ,, mais dans le sens de prlncipe ordonnant les connalssances linguistiques (volr note 40). • Revenons au plan. Reprenons ce terme : les tangues. Ungulstique n'a a etudler que le prodult social, la NOTES 477 langue. Mais ce prodult social se manlfeste par une grande diverslte de langues (objet concret est done ce produit social depose dans le cerveau de chacun), Mais ce qui est donne, ce sont les langues. II faut d'abord etudier Jes langues, une dlversite de Jangues. Par observation de ces langues, on tirera ce qui est universe!. 11 aura alors devant Jui un ensemble d'abstractions : ce sera la langue, oil nous etudierons ce qui s'observe dans !es diflerentes langues. En troisierne lieu II restera a s'occuper de J'individu. Execution a une importance, mais n'est pas essentielle. 11 ne faut pas meler dans etude phenomene general et mecanlsme d'executlon individuelle , (427-429 B Engler). Des multiples langues, instruments elabores par des corps sociaux a I'historiclte deflnie, a la reconnaissance des aspects universals de la technique linguistique, conslderee, au-dela de sa disparite , superficielle ,, dans son, unite profonde, (C. L. G. 140), a la consideration renouvelee du • cote executit , (C. L. G. 30), de I' • execution lndivlduelle , : c'est Ia I' Umweg que Saussure propose a la linguistique. LISTE DES ABREVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES Pour les autres abrevlatlons, en particulier cellcs des ceuvres de Saussure, volr supra 319, note 1. On a utilise dans cette lisle les sigles sulvants pour les revues : A. L. , Acta Llngulstlca ,, B. S. L. • Bulletin de la Societe de Llngulstlque de Paris ,, C. F. S. , Cahiers Ferdinand de Saussure», I. F. • lndogermanische Forschungen ,, J. P. S. , Journal de psychologie normale et pathologlque •, K. z. • Zeitschrlfl fUr vergleichende Sprachforschung •, Lg. • Language ,, N. ph. , Neophilologus ,, P. B. B. • Paul und Braune's Beitrage zur Geschlchte der deutschen Sprache und Literatur ,, T. C. L. C. • Travaux du Cercle linguistique de Copenhague ,, T. C. L. P. , Travaux du Cercle lingulstique de Prague ,, V. Ja. , Voprozy Jazykoznanija •, V. R. , Vox Romanica •, W. • Word ,, Z. R. Ph. , Zeitschrift fur romanische Philologie ,. BIBLIOGRAPHIE V. 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WEISGERBER, VorschltJge :ur Melhode und Terminologie der Wort/orsehung, I. F. 46, 1928.305-325. 495 INDEX (Les chiOres reuoient aw: pages) Ablaut. 217 sv. ; 220. Accent de ayllabe, 89. Accent laUn et - franrals, 122 av. AggluUnatlon, definition, 242 ; trols phases de l'-, 243 ; oppo'~ il l'analogle, 243 sv. ; la pr~ eede toujoun, 245 note. AJres des faits dtalectaus, 273 av. Alphabet, v. Ecriture ; - emprunte, 49 IV. j - grec, la SU~ rforlt~ 43, 64. · Althatlon du algne, 109 ; - IlngulsUque, toujoun parUelle, 121, 124. Altemance, 215 av ; dlftntUon, 216 ; de nature non phonettque, 216 av. ; lols d'-, aynrhronlquea et grammatlcales, 218 ; I'- resserre le lien grammatical, 219 sv. Analogle, 221-237; son Importance, 235 ; contrepolda aux changements phoneUques, 221 ; deftnltlon, 221 ; erreur des premlen Ungulstes il son auJet, 223 ; 1'est une creation, non un changement, 224 av. ; son mecanlsme, 224 ; elle est d'ordre grammattcal, 226 ; a son orlglne dans la parole, 226 sv., 231 ; forme analoglque, c1uatri!me terme d'une proportion, 222, 226, 228 ; deux theories il ee sujet, 228 av. ; et elements formaUfs, 223, 233 ; - facteur d'evolutlon, 232, 235 av. ; lndlco des ebangements d'lnterpretatlon, 232 av. : facteur de conversation, 236 sv. : -- opposee A J'etymologle populalre, 238 sv. ; - opposee il l'agglutlnatlon, 243 av. Analyse objective, 251 av. ; subjective, 251 sv. ; - subleetlve et delimitation des sous-unites, 253 av. Anclen, trols sens du mot - appll· que A la langue, 295 sv. Anthropologle et Unguistlque, 21, 304. Aperture, base de la classlflcat1on des sons, 70 sv. : - et sons ouvrants et fermants, 81. Aphasle, 26 sv. Apparell vocal, 66 av. Arbltralredu slgne, definition, 100; arbltraire = Immottve, 101 ; facteur d'lmmutablllte de la Iangue, 106: - facteur d'alteratlon, 110 : - absolu et - relatlf, 180 av.; rapports avec le changement phonetlque, 208, 221, avec l'anaIogte, 228. Articulation et Impression acoustlque, 23 ; Image de l'-. 98 note ; deux sens du mot -, 26, 156 sv. : - buccale, sa dlverslt~. 68 sv., sa valeur pour la etasst- 498 JNDBX flcatlon des sons, 70 av. ; - slatante ou tenue, 80 et note. Aspects du verbe, 162. Association, faculU d'-, 29. Atlas llngulsUques, 276 sv. Bopp, 14, 46, 252, 295. Broca, 27. Cartographle llngulsllque, 276 av. Cavlte buccale, - nasale, 67 sv. Chatne phonique (ou parlee), son analyse, 64 sv., 77 sv., 79 sv. Chalnon exploslvo-lmploslf,83 sv. ; - lmplosivo-explosif, 84 ; exploslf, 84 sv. ; - lmploslf, 86 ; - rompu, 84 sv., 86, 89 av. Changements de la langue, ont Jeur origlne dans la parole, 37, 138 ; sont toujours partlels, 121 sv., 124. Changements phonetlques, 198, 220 ; etrangers au systeme de la Iangue, 36 sv. ; attelgnent les sons, non les mots, 133 ; leur regularite, 198 ; - absolus et conditionnels, spontanes el comblnatoires, 199 sv .; v. aussl Phonettque, Changements semantfques, 132, morphologiques et syntaxiques, 132. Circuit de la parole et ses subdivisions, 27 sv. Cllmat et changements JingulsUques, 203, 272. Comparaison de langues non parentes, 263 ; de 1. parenles, 264 ; - dans la parente lmplique reconstruction, 16 sv., 272, 299. Comparatiste, erreurs de I'ecole -, 16 sv., 46, 223, 252, 286 sv., 295. Composes, produils de I'analogie, 244 sv., 245 note ; - germanlques, 195, 311 ; - lndo-europeens, 245 note, 311 Concept, 28, 98 ; - sfgnlfle, 99, 144, 158 av. Consangulnlte et communaute UngulsUque, 305. Conservation des formes llngulsUques, deux facteurs de-, 237. Consonante, 87 av. Consonnes,75, 87 sv. ; - moyennes ou • tenues •, 58 sv. Construction et structure, divers 'sens de ces mots, 244. Coordination, faculte de -, 29. Cordes vocales, 67. Curtlus, Georges, 16. Degres du vocallsme, 17. Delimitation des unites llngulstlques, 146sv.;- desphonemes.Bs, Dentales, 71 sv. Deplaeement du rapport entre slgnlflant et slgnlfle, 109 sv. Derives, prodults de l'analogle, 244. Desfnence, 254 ; :...... zero, Ibid. Diachronie, 117 ; v. aussi Llnguistique diachronlque. Dlalectales, tonnes - empruntees, 214. Dialectaux, caracteres -, 276. Dfalectes naturels, lnexlstants, 276 ; distinction entre - et Iangues, 278 sv. ; - et langue htteralre, 41, 267 sv. Diez, 18. Differences, leur r6le dans la constitution de la valeur, 159 sv., 163 sv. ; II n'y a que des - dans la langue, 166. Differenciation llnguistlque, surterritolre continu, 272 sv. ; - sur territolres separes, 285 sv. Dlphtongue, chatnon lmplosif, 92 ; - • ascendante •, Ibid. Dlversite des Jangues, 261 sv. ; dans la parente, 261, 270 ; absolue, 263. dominus, etymologie de-, 309 av. INDEX Doobleta, leor caractae non phonetlque, 214 sv. DuallUs lingulstlque.t. 23 nr. Echeca, Jea d'-, compari au aysUme de la langue, 43, 125 av., 153. &:onomle polltlque, 115. Ecrtture et langue, 32 ; - comparie au ayst~me Ungulrtlque, 165 ; oecesslte de son etude, 44 ; dlstlncte de la langue, 45 ; n'est pas une condlUon de la stabiUt~ lfnguJsUque,45 ; JOo importance accrue par la langue litUratre. 47 ; change mofna vile que la langue, 48 av. ; empruntee, 49 av. ; fnconsequences de I'-, 50 av. ; - etymologlque, 50 ; Interpretation de J'-, 58 av. ; explosion et Implosion marquees par l'-, 81, 82, 91, 93 ; - phonologfque, 56 v. ; ne peut .rem.plaeer l'orthogrophe usuelle, 57. .Ecriture. sysUmes ci•-, 47 av. ; ldeoftl'!lphlque(chlnoise), pboo6tlque, 48 ; syllablque (cyprtote), 47, 65, 77 ; copsonanUque (semltlque), 65. Emprnnts, 42, 60, 214, 308. Enfants, Ienr ?Ole dana l'evolutlon pbonetlque, 205. EntlUs conmtes de la Iangue, 144 av. ; - abatraltea, 189 av. Esp&:ea pbonologlques, 66 ; leur earaetere abstrait, 82. Esprit de clocher ou force parUcularlste, 281 av.; n'est que I'aspect negatlf de l'lntercourse, 285. Etat de langue, 142 et passim. Ethnisme, 305 av. ; - il3.lo-germantque, 310. Et.hnographle et llngulstique, 21, 40, 304. Etrusques et Latins, 306. Etymologle, 259 sv. ; lncerUtude de 499 I'-, 307av. ; - et orthograpbe, 50, 53. Etymologte populalre, 238 sv. ; sans d,tonnatlon, 239 ; - awe deformation, Ibid. ; lncompltte, 239 av. ; comparafson avec l'anaJogle, 238, 240 IV. Evolution linguistlque, 24 ; commence dans la parole, 37, 138 ; - des falta grammatlcaox, 196 ; - phonetlque, v. Cllansementa phonetlques. Exclamations, 102. Expiration, 68 av. Explosion, 79 av. ; aa dorie, 90 av. Extension geographlquo des langues, 41 ; v. Unguistique ~graphique. Faculte do Jangage, 25, 26 av. ~ d'evoquer Jes signes, 29; - d'uaoclatlon, 27. Falls de ln'ammalre et unit~ Ungufstlques, 168. Famllles de langues, 20, 262 av. ; n'ont pas de caracUres permanents, 313 ; f. lndo-europeenne, 14, 279 sv., 286 av. ; - bantoue, 262 ; - flnno-oagrfenne, 263. Fortult, caract~re - d'un etat de ·1angue, 121 av. Fricatives, 72 sv. Fonnules artlculatofresdes sons,71. Frontl~re de syllabe, 86 av. Furtlfs, sons - , v. Sona. Glllleron, 276. Glotte, 67 sv. Gntlque, 297. Grammatre, deflnftlon, 185 ; generale, 141 ;- comparee, 14; - traditionnelle ou classlque, aon caract~re normatlf, 13r el ataUque, 118 ; • hlstorique ._ 185, 196, et 197 note. Graphles lndirectes, 51 ; - flue- 500 tuantes, 51 sv. ; v. aussl Eertture. Grimm. jacob, 15, 46. Gulturalcs, 71 sv. ;- palatales,velalres, 72, 73 et note. h asplr6, 76; - asplrl du fran~s, 52sv. Hannonle vocallque des langues ouralo-altalques, 315. Hiatus, 89 sv, Hirt, 307. Histolre de Ia llngulstique, 13 sv., 117 sv. ; - politlque dans ses rapports avec la langue, 40 ; avec Jes changements phoneU· ques, 206. Identlte synchronlque, 150 sv. ; dlachronlque, 249 sv. ldlome, 261 sv. Image acoustique, 28, ::12, 98 note ; sa nature psycblque, 98 ; signtnant, 99 ; - graphlque, 32, 46. Immotlve, v. Arbltralre,. Immutabillte du slgne, 104 sv. Implosion, 79 sv. ; sa duree, 90 sv. Ineonsequences de I'ecnture, 50 sv. Indo-europeen, ses earaeteres, 313 sv. institution soclale, la Iangue est une -, 26, 33. rsoglosses, Jfgnes -, 277. Intercourse ou force unifiante, 281 sv. ; deux fonnes de son action, 282. Jeu d'echecs, v. l;.checs. Jeu de mots et prononclaUon, 60sv. Jones, 14. Kolnl ou langue greeque lltUrafre, 268. Kuhn, Adalbert, 15 sv., 307. INDEX l dental, palatal, guttural, nasal, '74. Lablales, 71 sv. Lablo-dentales, 73. Lan gage, Iangue et parole, t 12 ; earaetere heterocllte du -, 25 ; -, faculte naturelle, 25 ; - art.1cule, 26. Langue, norme des falls de Jangage 25 ; ne peut etre redulte a\ une nomenclature, 34, 97 ; de nature soclale, homogene et concrete, 31 sv. ; dlstlncte de la parole, 30 sv., 36 sv., 112, 227 ; eUe en est cependant solldalre.. 17; mode d'exlstence de Ja -, 38 ; eJle est une forme, non une substance, 157. 169 ; languea et dlalectes. 278. Langue lltteralre et orthographe, 47; et dlalecte local. 41, 267 sv.; Independante de J'ecriture. 268 sv. ; sa stablllU relative, 193. 206 sv. Langues, frontl~res entre lea -, 278 sv. ; - superposees sur un meme terrltolre, 265 av. ; • lexlcologlques • et - • grammaUcales •. 183. 22.5 ; - 1()6clales, 41 ; - artlflelelles, 111. Langues germanlques, 298 ; etude des - germanlques, 18 ; - romanes, 297 ; etude des - rornanes, 18, 292 ;- semltlques, Ieun caracteres, 315 ; un de leurs caracteres syntaxlques, 311. Larynxr67 sv, Laterales, consonnes -, 74 sv. Lautversr.hiebung; v. MutaUon consonanUque. Lecture et ecrltu1.,, 57. Lexicologle, ne peut ~tre exclue de la grammalre, 186. Limitation de l'arbitralre, baSfl de l'etude de la langue, 183 av. Llmlte de syllabe, 86 sv. Ungulstlque, reltve de la semlo- 501 INDEX logle, 32 IV. : - de la langue et - de la parole, v. Langue ; exteme et - lnteme, 40 av. ; aynchronlque ou statlque, tt7, 140. 141 av. ; - chlstorlque ., 116 sv., ou 6volutlve ou dJachronlque, tt7, 140, 193 av.; gifographlque, 261 sv. Uquldes, 70, 74 sv. Lltuanlen, 45, 296. Loi de Verner, 200 sv. Lois llngulstlques, 129 IV. ; - synchronlques, sont genhales, mals non Imperatives, 131 sv. ; dlachrontques, aont Imperatives, mals non generales, 131 av. ; phonetiques, 132 sv. ; fonnalatlon lncorrecte des - p~ n6tlques, 200 sv. ; - d'al~ nance, 217. Longues de nature et - de position, 90 sv. Luette, 67. Masse parlante, 112. Mecanlsme de la Jangue, 176 sv., 179, 226. Metrlque, v. Venlflcatlon. Methode comparative, 16 sv. ; de la llngulstlque exteme et de la I. lnterne, 43 ; - de la llngulstique synchronlque et de la I. dlachronique, 127 av. ; - prospective et retrospective, 291 sv. Migrations. 279 sv. ; theorle des-, 286. Mode (la), no, 208. Molndre effort, cause des changements phonetlques, 204. Morphologic, Inseparable de la syntaxe, 185. Motivation, motive, 181 sv. Mots, dlstlncts des unites. 147 sv., 158. Mouvement& artlculatolres d'aeeommodatlon, 84. Muller, Max, 16. Mutablllt6 du algne. 108 IV. Mutations consonantlquea du 1191'manlque, 46, 199, 282. Nasales. 72 ; - sourdes, '12. Na&all~, son -, 70. Neogrammalrfens, 18 n., 253. Noms de parentd en Ind~ peen, 30S iv. Occlusives, 71 av. Ondes d'lnnOVAtlon, 277, 282. Onomatopee, tot sv. Oppostuon et difference. 167. Orthographe, 47 ; 'Y. aussl Ecrtture et Graphle. OsthnfJ, 19. Ouvrants, sons -, 80. Palals, 67. Palatales, 70, 72 sv. Paleontologle llngulstlque, 306 • .,. Paleoslave, 42, 297. Panchronlque, point de we - ea llngulstlque, 134 sv. Parndigmes de flexfon, types de rapports assoclatlts. t 75. Parole, acte lndlvldueJ, 30 ; dJ., tlncte de la langue, v. Langue ;. mode d'exlstence de la -. 38 ; elle est le sl~ge de tous Jes changements de la lan~e, 37, 138 sv., 197 note, 231. Parole, circuit de la -, 27 sv. Particlpe present fran~als. 136. Parties du discoun, 152, 190. Paul, 18. Pensee, son caractue amorphe, 155. Permutation, syaonyme d'al~ nance, 219. Penpectlve synchronique et-dlachronique, 117, 124 av •• 128; prospective et - ntrospectlve, 291 -sv. 502 INDEX Phllologle, 11a methode, 13, 21 ; comparaUve, 14. PhonaUon, etrang~ro a la langue, 36. Phon~mes, en nombre determine, 32, 58, 66, 164, 302 ; leur delimitation tondee sur la donnee acoustique, 63, leur description 1ur l'acte articulatoire, 65 ; mode d'ldentificatlon des -, 68 sv. ; leur caractere differentlel, 83, 164, 303 ; - et sons, 98 ; leurs rapports syntagmatiques et assoclatifs, 180. Phonetlque, 55 sv. ; dlstlncte de la phonologie, 55 sv. ; releve de la linguistique diachronlque, 194 ; - et grammalre, 36 sv., 209 ; ce qui est - est non significatif, 36, 194. Phonographlques, textes -, 44. Phonologie, 55, 63-95 ; faussement appelee phonettque, 55 ; releve de la parole, 56 ; - combinatoire, 78. Phonologlques, especes -, v. Es- peees. Phrase, type de syntagme, 172 ; eonslderee comme unite, 148 equivalents de -, 177. Physiologie et linguistique, 21. Physlologie des sons, v. Phonelogie. Pictet, Adolphe, 297, 306 sv. Plurlel et duel, 161. Point vocalique, 87. Pott, 15. Preflxe, 257. Prehl:;toire et linguistique, 21, 306 sv. Prepositions, lnconnues de l'Indoeuropeen, 247. Preverbes, lnconnus de l'indo-europeen, 247. Precede, oppose A processus, 242. Prononciation et ecrlture 51 sv. ; fixee par I'etymologie, 53 ;-deformee par l'ecriture, 53 sv.; liberte relative de la-, 164 av. Prospective, perspective -, v. Perspective. Psychologie sociale et linguistique 21, 33. r route et - grasseye, 74. Race, dans ses rapports avec la Iangue, 304 sv. ; - et changements phonetlques, 202 sv. Racine, definition, 255 ; caracteres de la - en allemand, 256, en fran\:Sis, 256 sv., en semltique, 256, 315 sv. Radical ou theme, 254. Rapports syntagmati~ues et associatifs, 170 sv. ; leur Interdependance, 177 sv.; leur rOle dans la fixation des phonemes, 180 ; Us sont la base des divisions de la grammaire, 187 sv. ; deux especes de - syntagmatiques, 172; deux caracteres des rapports assocla tifs, 17 4. Reallte synchronique, 152 ; - dlachronique, 249. Reconstruction linguislique, 299 sv. Resonance nasale, 68 sv. Retrospective, perspective, v. Perspective. Rotacisation en latln, 199, 201. Sanscrit, decouverte du -, sa valeur pour la lingu istique indoeuropeenne, 14 sv. ; role exagere accorde au -, 295, 297 ; son anciennete, 296. Schleicher, 16. Schmidt, Johannes, 277, 287. Sciences economiques, 115. Semantique, 34 note. Serniologie, definition, 33 ; se fonde essentiellement sur les systemes de signes arbitraires, 100 sv, JNDEX Semt-voyelles, 75. ~paration geographlque et dlft~ renclation lingulstlque, 285 sv. Slevers, 18, 88, 92, 94. Signe lingulstique, sa composltlon. 98 sv. ; son Irnmutabillte, 104 ; sa rnutablllte, 109 av. ; - consldere dans sa totallte, 166 sv. ; lmmotJve et relativement motive, 181 ; - uro, 124, 163, 257, 254. Slgnes de politesse, 101. Slgnl flant, definition, 99; son caractere Ilnealre, 103, 170; - n'ex!ste que par le slgnltle et reclproquement, 144. Slgntflcation, opposee A la valeur, 158 sv. SlgnJfie, 99 sv., 144 ; v. Slgnlfiant. Silbenbildend et silbisch, 89, 92.. Soclologle et lingulstlque, 21. Soltdarltes syntagmatiques et assoclatlves, 176, 182. Son, caractere complexe du -, 24 ; - et Impression acoustlque, 63 sv.; - et bruit, 75 ; - larynge, 68 sv. ; - etranger A la langue, 164. Sons, classll!cation des-, 70 sv. ; - sonores, - sourds, 70 sv. ; - fennants et ouvrants, 80 ; turtifs, 83, 84, 302 ; caractere amorphe des -, 155. Sonante, 87. Sonantes mdo-europeennes, 79, 95. Sonorite des phonemes, 70 ; son rOle dans la syllabation, 88. Sous-unites du mot, 148, 176, 178, 253 sv. Spirantes, 72 sv. Stabllite polltique et changements phonetiques, 206 sv. Substrat llngulstique anterleur et changements phonetlques, 207 sv. Suffixe, 257 ; - zfro, 256. 503 Syllabe, 77, 86 av. Symbole, oppose au slgne, 101. Synchronle, 117 ; v. Ungulstlque synchronlque. Syntagme, definition, 170; v. Rapports. Syntaxe, rapport avec la morphologte, 185, avec la ayntagmatlque, 188. Systeme de la langue, 24, 43, 106 sv., 115, 157, 182 ; v. aussi Mecanlsme. Systeme phonologtque, 58, 303. Systemes d'ecriture, v. Ecrlture. Temps, action du - sur la langue, 108, 113, 270 sv. I'emps du verbe, 161. temps homogenes de la chatne parlee, 64. Tenue, 80 et note. Tennlnologle linguistique lnexacte, 19 note ; - phonologique Imparfaite, 70. Theme ou radical, 254. Tolerance de prononclatlon, 164 sv. Trombettl, 263. Type llnguistlque et mentalite du groupe social, 310 sv. ; - et famille de langues, 313. Umlaut des langues germaniques, 45 sv., 120, 216. Unite du mot et changements phonetiques, 133 sv. Unites linguistlques, 145 sv. ; detlnition et delimitation, 146 sv. ; - complexes, 148, li2 ; probleme des -, son importance, 154 ; caractere dlllerenttel des -, 167 sv. ; - et Iaits de grammalre, 168 sv. ; repartition nouvelle des-, 232, sv., 246 ; diachroniques, 248. unsilbisch, 92. 504 INDEX Valeur en glneral, 115 sv. ; facteun constitutits de la-, 159 sv. Valeur llnguistique, 153 av., 155 sv. ; son aspect conceptuel, 158 av. ; dlstincte de la signification, 158 ; son aspect materiel Voyelles, oppoHea aux consonnes, 75 ; oppos6es aux sonantes, 87 sv.; - ouvertes et - ferm~ 76 ; - chuchotffS, 76 ; - aourdes, 76. V-elalres, 72, 73. Versification, 60. Vemer, lol de--, 200av. Vlbrantes, 74. Vibrations larynglennes. 68. Voile du palals, 67. Whitney, 18, 26, 110. Wolf, Friedrich AUIIUSt, 13. t~av. W ellenlllft)rle, 287. Zend, 42. Zero, v. d~ence sufilxe - -, algne --. POSTFACE LIRE SAUSSURE AUJOURD'HUI par Louis-Jean Calvet Les historiens savent depuis longtemps que le passe change avec le present, c'est-a-dire avec le point de vue dont on l'analyse, et cette reevaluation constante des evenements et des ceuvres est d'autant plus importante que sont importants l'evenement ou l'oeuvre. Ferdinand de Saussure n'echappe pas a la regle et le jugement que l'on peut porter en 1985 sur sa posterite differe necessairernent de celui que l'on aurait pu porter ii y a 15 ou 30 ans et de celui que l'on portera dans 15 ou 30 ans. Car si l'auteur du Cours de Linguistique Generate est toujours une figure centrale des etudes linguistiques modernes, un point de reference incontournable, ii l'est differemment, pour d'autres raisons. Et la lecture de son ceuvre, qui fut longtemps consideree comme le premier pas oblige de toute initiation a la linguistique (je reviendrai plus loin sur ce la), a lentement ete relativisee, par Jes etudes saussuriennes ellesrnemes tout d'abord (je pense en particulier aux travaux initiateurs de Robert Godel sur les sources manuscrites du Cours) puis par l'evolution de la science. En d'autres termes, la figure de Saussure s'est transforrnee : pere fondateur pour la linguistique structurale, ii est ensuite devenu une reference historique parmi d'autres, auteur d'une theorie criticable et critiquee, en merne temps que l'on mettait en lumiere la complexite de sa pensee indument rarnenee un seul ouvrage qu'il n'avait d'ailleurs pas ecrit et qu'il n'aurait peut-etre pas ecrit s'il avait vecu plus longtemps. Lire Saussure aujourd'hui est done toujours un exercice stimulant, mais un exercice different, et cet ouvrage qui fut longtemps considere comrne la Bible linguistique doit plutot etre pris comme le a 508 LIRE SAUSSURE AUJOURD'HUI POSTFACE ternoignage d'un moment de l'histoirc dunc science. Moment dont ii n 'est pas question ici de discuter lirnportunce mais bien plutot de la mettre en perspective historique. 1916-1960: la linguistique. On sait que la premiere edition de ce livre date de I 9 I 6. et que cette publication ouvre une ere. celle de la linguistiquc generate et de l'etude du langage. Ces dcux termcs. linguistique generate et langage, apparaisscnt dailleurs subitcmcnt a partir du debut des annees 20 dans l'intitule d'un nomhrc invraisemblable douvrages et avec une concentration dans le temps qui laisse revcur. d 'autant que bien des livres ont quasiment le merne titre. Pour ne pas lasser le lecteur. je n'en donne ci-dessous que quelqucs exemples significatifs, liste tout a fait incomplete mais qui. tellc quclle. temoigne deja d'une tendance manifeste : E. Sapir. Language. 1921 : A. Meillet. Linguistique historique et linguistique generate. 1921: J. Marouzeau. La linguistique ou science du langage, 1921: 0. Jespersen. Language. 1923; J. Vendrves, Le langage. 1923: L. Bloomfield. Language, 1933: L. Hjclmslcv. Prolegomenes a une theorie du langage ( en danois). 1943: Ch. Bally. Linguistique generate et linguistique francaise, J 950: J. Perrot. La linguistique. 1953: H. A. Gleason, Introduction to descriptive Linguistics, 1955: A. Martinet. Elements de linguistique generate, 1960 ... Du Cours de linguistique generate de Saussure aux Elements de linguistique generate de Martinet. de 1916 a 1960 done. toute une serie de manuels, de livres de vulgarisation ou d'initiation, temoignent nettement dun point de vue assez general : la linguistique existe en tant que science unifiee , le langagc ou la langue en sont objet. Ces articles definis. la linguistique, le langage, la langue, sont caracteristiques d'un moment de la science. Dans la dichotomie proposee par Saussure entre parole et langue, c'est cette derniere qui est prise comme objet d'etude , la parole n'etant que l'objet concret a partir duquel on peut avoir acces a l'abstraction langue. C'est-a-dire que , pour des raisons d'efficacitc. on a cree la science linguistique en travaillant sur un squclette , la langue, en evacuant la chair de la parole ainsi que le concret des situations de 509 communications. Si l'on ajoute a ce point de vue reducteur quelques autres dichotomies saussuriennes, en particulier synchronie/ diachronie et paradigme/syntagme, nous avons la l'essence du structuralisme, non pas seulement en linguistique mais dans l'ensemble des sciences humames. C'est en effet au tout debut des annees 30 que l'ouvrage de Saussure lu par !es linguistes du Cercle de Prague, Jakobson, Troubetzkoy et Karcevski, va devenir le catalyseur de l'approche structurale des faits de langue d'abord, des faits plus generalement sociaux ensuite. Car, ii faut le rappeler avec force, sans l'reuvre de Saussure et sans l'enseignement dispense par Jakobson a New York pendant la Seconde Guerre mondiale ii n'y aurait pas eu de Levi-Strauss par exemple, ou du moins pas d'anthropologie structurale. Et l'image de marque dont jouissait la linguistique dans les annees 60, consideree comme science pilote, comme modele pour les autres sciences humaines, tient precisement cette rencontre entre une pensee, celle de Saussure, et un courant historiquement marque par un certain refus du marxisme. Andre Martinet aura beau tenter, dans le domaine linguistique, de reconcilier synchronie et diachronic, structure et histoire iEcono­ mie des changements phonetiques, 1955), l'heritage de Saussure restera resolument coupe de l'histoire et la linguistique restera une science dans laquelle la description des codes tiendra lieu de description de la communication. Ce resserrement de la science autour de quelques concepts fondateurs, cette vision unifiee des faits de langue est a l'evidence le legs de Saussure, travers un livre dont nous avons rappele qu'il n'en est pas vraiment l'auteur. 1916-1960, ces deux dates marquent done les poles visibles d'un moment de l'histoire. Apres 1960, et meme si Jes titres ( en particulier les titres de revues : Language, Langages, La linguistique ... ) temoignent encore de cette illusion d'une science unifiee, ce sera l'eclatement. Mais avant 1916? a a 1878-1916 : Jes prolegomenes. a La periode ici delimitee voit, Paris, dans le domaine qui servira de terreau Ia linguistique naitre, la domination des gens qui tous ou presque sont formes aux langues romanes. G. Paris (Hautes Etudes), A. Darmesteter (Hautes Etudes et Sorbonne), J. Gillie- a a 510 POSTFACE ron (Hautes Etudes), P. Meyer (College de France) sont romanistes, la seule exception notable etant M. Breal, orientaliste, qui enseigne au College de France 1• C'est a cette epoque que la phonetique connait des progres importants, que les premiers travaux de sernantique voient le jour (Breal, bien sur, ainsi que Darm~steter)_, que la dialectologie enf:n opere une percee qui aboutira au gigantesque Atlas linguistiquede la France de Gillieron et Edmont. Tous ces travaux, qui seront a des degres divers ensuite recuperes par la linguistique generale, ne comptent que peu dans la formation theorique de Saussure ( on ne trouve cite dans le CLG que Gillieron, alors qu'il a suivi a Paris les cours de Breal et de Darmesteter), et ne comptent bien sur pas du tout lorsqu'il redige, en 1878, son Memoire sur le systeme primitif des voyelles dans les langues indo­europeennes. Or ce texte revet une importance fondamentale pour qui s'interesse a l'histoire de la pensee de Saussure et porte deja l'essence de ce qui traversera l'enseignement des dernieres annees a Geneve. On a souvent insiste sur la precocite de l'auteur (ii est alors age de 21 ans), beaucoup mains sur le fait qu'une bonne partie de la vision theorique du CLG se trouve deja la. II y a en effet deux points au mains dans le Memoire qui annoncent le Cours. La notion de systeme tout d'abord (ce qu'on appellera plus tard structure), puisque le travail demontre qu'a partir du a c'est de I'ensernble des voyelles qu'il faut traiter et dont on traite : le Memoire est a l'evidence une ceuvre structuraliste. Mais surtout, le travail porte paradoxalement sur des unites ling~ist!ques qui n'existent pas, ou du mains qui n'ont pas de re~hsat10n concrete, phonetique, et ceci est fondamental pour la suite de la pensee de Saussure puisqu'il est au fond confronte ici a une langue sans parole, et que ce travail prefigure done la linguistique de la langue qui dominera toute la premiere moitie du si,ecle suivant. C'est dire que, d'un certain point de vue, la pratique d une approche structurale de la langue vient ici avant sa theorie. Mais le Memoire et le Cours n'epuisent pas Jes documents dont nou~ di~J:X>son~ pour approcher l'evolution de cette pensee. On savait deja, grace aux travaux de Starobinski2, que, parallelement I. Voir sur ce point G. Bergounioux, La science d~ langage en France de 1870 d 1885: du marcM_civi~ au marche etatique, Langue Francaise, n° 63, septernbre 1984. 2. Jean Starobinski, Les mots sous /es mots, Paris, 1971. Voir aussi Louis-Jean Calvet, Pour et contre Saussure, Paris, 1975. URE SAUSSURE AUJOURD'HUI 511 au Saussure des cours publics, ii y a un Saussure de l'ombre, celui des anagrammes. Un don des fils de Ferdinand de Saussure a l'universite de Harvard nous donne un autre corpus, encore peu exploite : ii s'agit d'une collection de manuscrits qui vont d'un texte de jeunesse, ecrit a l'age de 15 ans (Essai pour reduire les mots du grec, du Latin et de l'allemand a un petit nombre de racines), a de nombreux essais indologiques en passant par l'esquisse d'un long traite de phonetique dont l'origine est sans doute dans la volonte de repondre aux dures critiques qu'Osthoff avait adressees au Memoire de 1879 a 1881. Roman Jakobson a leve une partie du voile sur ce travail 1, insistant sur son aspect novateur en ce qui concerne la phonetique semiologique et concluant : « Ainsi, l'idee de Saussure d'une phonetique semiologique, jetee dans un essai que l'on n'a conserve que par hasard et qui est reste ignore [usqu'a ces derniers temps, represente neanmoins un message vraiment historique dans l'opiniatre progression de la pensee linguistique internationale. » Mais ii reste un gros travail d'edition, de critique et d'exegese a operer sur ces textes. Aujourd'hui : l'eclatement. J'ai souligne le resserrement de la science qu'avait opere Saussure, delirnitant tout a la fois un objet d'etude, la langue, et une rnethode de description de cet objet : le consensus dont ternoignent Jes titres de manuels cites plus haut sur !'existence de la linguistique est de ce point de vue significatif. Toute cette periode proprement saussurienne de l'histoire de la science du langage a d'abord fonctionne sur une trilogie canonique, syntaxe/phonologie/ semantique, dont on trouvera l'echo jusque dans les annees 70 chez les generativistes qui, apres avoir essentiellement travaille sur les traces de N Chomsky dans le domaine de la syntaxe, se preoccuperont d'elaborer des phonologies puis des semantiques generatives, Mais, en meme temps, d'autres directions de recherches, en marge 1 ... Reflexions inedites de Saussu-e sur les pnonernes ", in Essais de linguistiqw glnerale 2 Paris 1973. 512 513 POSTFACE LIRE SAUSSURE AUJOURD'HU1 de cette trilogie, apparaissent. Integrees d'abord dans la linguistique, sous torme d'approches annexes, de chapitres de fin de livres, de cours marginaux dans les programmes universitaires, la semiologie, la sociolinguistique, la psycholinguistique, l'ethnolinguisti· que, etc., vont lentement se degager de la gangue structurale et faire eclater le rnodele unique, l'idee d'une science unifiee. Car ces nouvelles approches que l'on avait un temps classees comme des chapitres supplementaires des manuels de linguistique generate vont peu a peu mettre en question le primat de la langue sur la parole et done toute la linguistique nee avec Saussure et refoulant au moins deux elements fondamentaux de la communication (ou, si l'on prefere, de l'usage de la « langue ») : l'individu et la societe. Sous des formes et des appellations diverses (pragmatique, linguistique variationniste, enonciation ••. ), on retrouve aujourd'hui le concret de la parole en merne temps que l'on souligne l'incapacite de la linguistique structurale, y compris sa variante generative, a prendre en compte tous les aspects de l'usage de la langue. Ceci pour dire qu'il est devenu a moo sens impossible d'ecrire un livre de linguistique generale et qu'un enseignement portant sur ce theme ne saurait dorenavant qu'etre historique. Bien sur, on trouve encore des tentatives de rejet, opposant le noyau dur de la linguistique (traduisez : la vraie linguistique) a la peripherie, a ce que certains linguistes allemands ont appele avec humour la linguistique molle (Weichesprachwissenschaft). Mais ceci ne change pas grand-chose a l'evolution en cours, qui recupere tout a la fois l'Histoire, le sujet et les conflits sociaux et qui tend montrer que le dur -st dans le mou et reciproquement. consideres comme inacceptables parce que ne convenant pas ~ l'image du pere fondateur C'est en cela que lire Saussure aujourd'hui reste une activite passionnante et. surtout, un travail epistemologique urgent. a Nous sommes loin de Saussure? Peut-etre pas. Car d'une part le livre que le lecteur a entre les mains n'a ere en fait lu que de facon selective. Ce sont toujours les rnemes passages qui sont cites, concernant les dichotomies celebres, le signe linguistique et la valeur : les troisierne, quatrieme et cinquieme parties du Cours meritent de ce point de vue une relecture la lumiere des voies aujourd'hui explorees, Mais d'autre part reste le Saussure de l'ombre, celui des anagrammes, bien sur, des manuscrits de Harvard, et une evaluation de l'ensemble de cette pensee plurielle et multiforme devra reflechir sur ,a facon dont a fonctionne le developpement de la science linguistique, figeant d'abord une pensee dans une « vulgate » douteuse puis excluant les manuscrits a Louis-Jean CALVET. 1967 TABLE DES MATIERES Pages INTRODucnoN 1 •••...••.•.............••........•••.....••... PRtFACE DE LA PREMltRE tDlTION 7 . 11 PRtFACE DE LA SECONDE sorno» INTRODUCTION CHAPITRE I. - Coup d'ail sur l'histoire de la linguistique . . . . . . 13 II. - Matiere et tiiche de la linguistique; ses rapports avec les sciences connexes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 III. - Objet de la linguistique. § 1. La langue ; sa definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. Place de la langue dans les faits de langage. . . . . . . . . . . . . . § 3. Place de la langue dans les faits humains. La semiologie . . 23 27 32 IV. - Linguistique de la langue et linguistique de la parole........ ............................ ............. 36 V. - Elements intemes et elements extemes de la Ian· gue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 CHAPITRE CHAPITRE CHAPITRE CHAPITRE CHAPITRE VI. - Representation de la langue par l'ecriture. § 1. Necessite d'etudier ce sujet...... . . .. . . . . . . . . . . . § 2. Prestige de l'ecriture ; causes de son ascendant forme parlee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 3. Les systernes d'ecriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... sur .... .... .. la .. .. 44 45 47 516 § 4. Causes du desaccord entre la graphie et la prononcia- tion.................... § 5. Effets de ce desaccord . . . . . . . . . La phonologie. § 1. Definition § 2. L'ecriture phonologique . . . . . . . . § 3. Critique du temoignage de l'ecriture CHAPITRE . . . CHAPITRE . 48 50 VII. - . . ...... . . 55 56 58 . tive. PRINCIPES DE PHONOLOGIE § 2. § 3. § 4. ~ 5. § 9. I. - Les especes phonologiques. § 1. Definition du phoneme . § 2. L'appareil vocal et son fonctionnernent § 3. Classification des sons d'apres leur articulation buccale CHAPITRE La linguistique statique et la linguistique evolu­ III. - interne de toutes Jes sciences operant sur des valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La dualite interne et l'histoire de la linguistique . . . . . . . . . La dualite interne illustree par des exemples . . . . . . . . . . . . La difference des deux ordres illustree par des cornparaisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les deux linguistiques opposees dans leurs methodes et leurs principes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Loi synchronique et loi diachronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . Y a-t-il un point de vue panchronique? . . . . . . . . . . . . . . . . Consequences de la confusion du synchronique et du diachronique . . . . . . . . . ........... Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 1. Dualite § 6. § 7. § 8. APPENDICE 114 117 119 124 127 129 134 135 138 63 . . II. - Le phoneme dans la chaine parlee. § I. Necessite d'etudier lessons dans la chaine parlee . § 2. L'implosion et !'explosion . § 3. Combinaisons diverses des explosions et des implosions 66 70 DEUXIEME CHAPITRE dans la chaine . . . . § § § § 517 TABLE DES MATIERES TABLE DES MATIERES . 4. Frontiere de syllabe et point vocalique . 5. Critique des theories de la syllabation . 6. Duree de )'implosion et de )'explosion . 7. Les phonemes de quatrierne aperture. La diphtongue. Questions de graphie . . . . . Note des editeurs . . . . . . . . . 77 79 83 86 88 90 91 93 PARTIE LINGUISTIQUE SYNCHRONIQUE CHAPITRE Generalises I. - . 141 II. - Les entires concretes de la langue I. Entite et unite. Definitions . . . . . . . . . . . . . . 2. Methode et delimitation 3. Difficultes pratiques de la delimitation . 4. Conclusion .. CHAPITRE § § § § CHAPITRE III. - . . . 144 144 146 147 149 Identites, realises, valeurs 150 IV. - La valeur linguistique. § 1. La langue comme pensee organisee dans la matiere CHAPITRE PREMIERE PARTJE PRINCIPES GENERAUX Nature du signe linguistique. § 1. Signe, signifie. signifiant § 2. Premier principe : l'arbitraire du signe § 3. Second principe : caracrere lineaire du signifiant CHAPITRE CHAPITRE I. - II. - 155 tuel.......... ................................. 158 . 163 166 § 3. La valeur linguistique consideree dans son aspect mate- . . 97 100 103 lmmutabilite et mutabilite du signe. § 1. Irnmutabilite § 2. Mutabilite . . . . . . . . . . . . . . . phonique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. La valeur linguistique consideree dans son aspect concep- . . 104 108 riel § 4. Le signe considere dans sa totalite . . . . . V. - Rapports syntagmatiques et rapports associatifs. § I. Definitions . § 2. Les rapports syntagmatiques . § 3. Les rapports associatifs . CHAPITRE 170 172 173 518 CHAPITRE VI. - Mecanisme de la /angue. § 2. Les innovations analogiques sympt6mes des changements § 1. Les solidarites syntagmatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. Fonctionnement sirnultane des deux ordres de groupements......................................... § 3. L'arbitraire absolu et l'arbitraire relatif. . . . . . . . . . . . . . . . VII. - La grammaire et ses subdivisions. § 1. Definition ; divisions traditionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. Divisions rationnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 177 180 VIII. - Role des entites abstraites en grammaire . . . . . . . d'interpretation ................................ § 3. L'analogie principe de renovation et de conservation . . . . . CHAPITRE VI. - L'etymologie populaire....................... 232 235 238 VII. - L'agglutination. § 1. Definition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. Agglutination et analogie ., . 242 243 Unites, identites et realises diachroniques. . . . . . . 246 CHAPITRE CHAPITRE CHAPITRE 519 TABLE DES MATIERES TABLE DES MATIERES 185 187 189 CHAPITRE VIII. - APPENDICES. TROISIEME LINGUISTIQUE CHAPITRE CHAPITRE § § § § § 1. 2. 3. 4. 5. I. - A. Analyse subjective et analyse objective B. L'analyse subjective et la determination des sous­unites C. L'etymologie PARTIE Generali/es . . . . . . . . . . . II. - Les changements phonetiques. Leur regularite absolue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conditions des changements phonetiques . . . . . . . . . Points de methode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Causes des changements phonetiques . . . . . . . . . . . . . L'action des changements phonetiques est illimitee . ... . . ... .. .. . .. ..... . .. . . III. - Consequences grammaticales de l'evolution pho­ netique. § 1. Rupture du lien grammatical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. Effacement de la composition des mots . . . . . . . . . . . . . . . . 3. II n'y a pas de doublets phonetiques 4. L'altemance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Les lois d'altemance . . . . . . . . . . . . 6. Altemance et lien grammatical . . . CHAPITRE IV. - ,.......... .. . . . . ..... .. .. ... ..... ..... .. . .. . . ..... . . . . . .. . . .. .. .... . .. . .... . V. - De la diversite des langues . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261 II. - Complication de la diversiie geographique. § 1. Coexistence de plusieurs langues sur un meme point . . . . . § 2. Langue litteraire et idiome local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265 267 193 202 208 211 212 214 215 217 219 LINGUISTIQUE CHAPITRE I. - GEOGRAPHIQUE CHAPITRE CHAPITRE § § § § 1. 2. 3. 4. III. - Causes de la diversite geographique. Le temps, cause essentielle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Action du temps sur un territoire continu. . . . . . . . . . . . . . . Les dialectes n'ont pas de limites naturelles............. Les langues n'ont pas de limites naturelles.............. IV. - Propagation des ondes linguistiques. § 1. La force d'intercourse et l'esprit de clocher . . . . . . . . . . . . . § 2. Les deux forces ramenees a un principe unique . . . . . . . . . . § 3. La differenciation linguistique sur des territoires separes............................................ 270 272 275 278 CHAPITRE 221 223 226 Analogie et evolution. § 1. Comment une innovation analogique entre dans la langue · · · · ·. · · · ·................................. QUATRIEME PARTIE 198 199 200 L'analogie. § 1. Definition et exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . § 2. Les phenomenes analogiques ne sont pas des changements......................................... § 3. L'analogie principe des creations de la langue . . . . . . . . . . . CHAPITRE . 251 253 259 DIACHRONIQUE CHAPITRE § § § § . . 231 281 284 285 520 TABLE DES MATJbES CINQUIEME PARTIE QUESTIONS DE LINGUISTIQUE RETROSPECTIVE CONCLUSION I. - Les deux perspectives de la linguistique diachroni­ CHAPITRE II. - La langue la plus ancienne et le prototype . . . . . . . . CHAPITRE Ill. - CHAPITRE que . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 291 295 Les reconstructions. § 1. Leur nature et leur but § 2. Degre de certitude des reconstructions . . IV. - Le temoignage de la langue en anthropologie et en prehistoire. § 1. Langue et race . § 2. Ethnisme . § 3. Paleontologie linguistique . § 4. Type linguistique et mentalite du groupe social . 299 302 CHAPITRE CHAPITRE V. - Families de langues et types linguistiques NOTES BIOGRAPHIQUES ET CRITIQUES SUR F. DE SAUSSURE 304 305 306 310 . 313 . 319 APPENDICE : NOREEN ET SAUSSURE ..........................•.• 390 ADDENDA ..............•............•..........•.......•.. 395 NOTES .••.....••........•.•.......................•........ 405 479 LISTE DES ABREVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES..•.......•.•......• BIBLIOGRAPHIE . . . . . • . . . . . • . . . . . . • . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... INDEX •.•.••.•.•....•••••....•....•.•....•.....•.......... POSTFACEDEL-J. CALVET , · · · .. · · · · · ·, 481 497 507 Reproduit et acheve d'imprimer en novembre 1997 dans Jes ateliers de Normandie Roto Impression s.a. 61250 Lonrai Depot legal : septembre 1996 N° d'imprimeur : 972453 lmprime en France